hello, it's me ▬ sasha&maggie

They say that time's supposed to heal you

C’est devenu une sorte de rituel. Chaque jour, à la même heure. Depuis quelques semaines. A force, c’est même Néfertiti qui t’ammènes sa laisse d’elle-même, la laissant tomber sur tes genoux alors que tu prépares tes prochains cours ou que tu corriges des copies. Inutile de résister. Même si cela te fait plus de mal que de bien. Tu es incapable de faire autrement. Alors tu t’habilles chaudement, visage emmitouflé dans une épaisse écharpe, tu enfiles la laisse à ta jeune compagne canidée et vous sortez dans l’intense froid hivernal.

L'animal connait le chemin et tu n'as même pas besoin de réfléchir. Tu te contentes de mettre machinalement un pas devant l'autre, sans faire attention au reste. Ni aux gens que tu croises, ni à rien d'autre. Tu avances, simplement, ton esprit obnubilé par ton objectif. Au loin, le bâtiment de l’école maternelle se profile doucement et, au fur à mesure que tu t’approches, tu sens ton cœur battre de plus en plus sourdement. Comme s’il voulait sortir de ta poitrine, briser ta cage thoracique. C’est tout aussi douloureux, il faut dire.

Dans la petite cour de récréation, une multitude d’enfant enfournés dans des doudounes, des bonnets et des gants s’agitent. Véritable océan grouillant de vie. Malgré tout ça, malgré les bonnets et les caches-oreilles, il ne te faut que quelques secondes pour le repérer. Ton fils. Liam. Le prénom ne t’ai revenu qu’il y a une semaine, comme une évidence, et tu te demandes comme tu as pu faire pour oublier une telle chose. La nuit, tu rêves de son petit visage d’ange, celui d’il y a deux ans. Et s’il a bien grandit, il reste finalement le même. Petit blondinet vif et joyeux haut comme trois pommes.

A tes pieds, Néfertiti s’assieds sagement alors que tu prends place sur un banc non loin, gardant toujours les yeux rivés sur la cour de récréation de l’école. Tes pupilles aveline ne quittent Liam que pour que tu puisses cligner des paupières et chasser les larmes salées qui pointent le bout de leur nez. Tu n’as toujours pas osé de présenter officiellement, retourner à la porte de Sasha pour dire que tu es rentrée. Tu as bien trop peur, et tu te détestes de craindre ainsi ses mots à elle. Ses mots à lui également. Aaron. Est-il en ville ? Est-il toujours en Syrie ? Tu n’en sais rien et d’un côté, malgré ta peur, tu as envie d’aller chez Sasha pour la remercier d’avoir pris soin de ton fils pendant deux ans. Mais tu ne peux pas non plus, parce que tu l’as entendu l’appeler « maman » et que tu ne comprends même pas pourquoi elle le laisse faire. Liam t’as déjà-t-il complètement oubliée ? Et Aaron ? Que penses-t’il de tout ça ? Une vieille jalousie enfouie refait surface doucement, une vieille époque que tu pensais révolue pendant laquelle tu avais bien vu que le regard que portait Aaron sur son amie était plus qu’amical. Et maintenant ton fils qui la prend pour sa mère. Et toi qui n’existe plus. Toujours plus de constatations qui achèvent de briser le peu de confiance en toi et te persuadent que lorsque tu as disparue du jour au lendemain sans crier gare, personne n’as cherché à savoir pourquoi.

Et voilà, de fil en aiguille, tu te retrouves à nouveau embarquée dans des pensées peu joyeuses mais qui s’imposent à toi quotidiennement, et tu es tiraillée entre deux choses. L’une, est celle tout naturellement de venir récupérer ton fils, ton enfant, la chair de ta chair. Qu’importe ce qu’ils pensent ou ce qu’ils peuvent en dire. Liam est ton enfant, et celui de personne d’autre. L’autre… est celle de repartir comme si tu n’étais jamais revenue. Après tout, ils ont tous continué leurs vies, ton fils semble même heureux et ne semble pas se souvenir des différences entre Sasha et toi. Quant à Aaron… Ton cœur se serre douloureusement à cette pensée, te coupant presque le souffle, et tu préfères la rejeter en papillonnant doucement des paupières. Tout sauf penser à lui. Parce que bien sûr, tu te souviens que tu l’aimes. Bien sûr, tu l’aimes tout court. Mais envers lui aussi, tu ressens de la colère. Presque autant qu’envers toi-même. Et toujours assise sur le banc, tu ne remarques pas que quelqu’un s’approche de toi. C’est Néfertiti qui commence à grogner doucement et tu passes machinalement une main sur le haut de sa tête pour lui dire de laisser la personne qui passe tranquille.