LOTERIE DE LA SAINT-VALENTIN ✻ soirée karaoké /w Rhys & Sam

Soir spécial karaoké, une soirée qui pourrait s’annoncer amusante s’il n’y avait pas toutes ces personnes mélancoliques qui sont venus chanter. Les chansons les plus tristes résonnent dans le micro depuis plus d’une heure. Mais là c’est assez ! Quelques verres dans le nez, c’est le moment idéal pour faire monter la chaleur ! Il suffit de monter sur le stage pour chanter la première chanson qui vous viens à l’esprit, sauf que l’assistance ne semble pas de cet avis ! On vous fait une demande spéciale. Une sérénade. Quelque chose de mignon et on vous supplie de la faire à quelqu’un dans la salle !

Rhys revenait tout juste de Los Angeles. Il avait fait l’aller-retour dans la journée, juste le temps de rencontrer les têtes pensantes en charge de son avenir avant de foutre le camp, peu désireux de rester dans la cité des anges pour ce qui promettait d’être une parade incessante de grands gestes romantiques et feux d’artifices. Quitte à ne rien faire, autant retrouver le quotidien plus modeste qui l’attendait à Washington. Le 14 Février n’avait jamais été une date particulière pour Rhys. Pour cela, il aurait peut-être fallu qu’il maintienne une vraie relation jusqu’à ce point fatidique du calendrier. Et encore. Le fondement même de cette fête semblait un peu bancal, poussif, à faire pression sur des couples qui n’ont rien à prouver. Si Rhys avait quelqu’un à chérir, il aimait penser qu’il le ferait toute l’année, sans motivation ou facteur particulier. Une hypothèse, rien de plus. Ses gestes romantiques s’étaient toujours limités à des actes plus démonstratifs que sincères, aimant faire plaisir à une compagne éphémère sans particulièrement chercher à les faire perdurer. C’est bien pourquoi il était seul ce soir-là. Oh, il aurait pu trouver quelqu’un avec qui passer la soirée, mais la St-Valentin réussissait même à gâcher ce plaisir. Convaincu que la majorité de la population privilégierait un bon restaurant ou une activité plus casanière en tête à tête, Rhys décida d’aller boire un coup dans un bar. Le petit établissement niché au cœur d’Anacostia n’était pas le plus près de chez lui mais, plus jeunes, lorsque ses parents venaient tout juste d’emménager dans la capitale, Rhys avait fréquenté ce bar avec quelques amis maintenant oubliés. Lorsque le taxi le déposa devant, il pouvait déjà entendre les bruits étouffés de conversations et grands classiques des soirées karaokés. Ça n’était pas forcément sa définition d’une bonne soirée. Le fait est que Rhys n'aurait pas dû se sentir à sa place dans ce genre d'endroit. Il ne l'était pas vraiment à vrai dire. Il suffisait de quelques minutes prolongées en solitaire pour lui donner l'impression d'être épié, à moitié victime de sa notoriété et à moitié jugé de faire tâche parmi ces personnes modestes dont l'esprit s'élevait au-delà des frontières californiennes. Rhys n'avait pas la prétention de faire partie de leur petit monde. Il ne le souhaitait pas non plus. C'est avec cynisme qu'il accueillait chaque nouvelle âme brave se frayant une place sous le spot de la scène pour vider ses tripes à coups de mélodies épuisées et paroles fébriles. L’attrait lui échappait complétement. Il n’y avait rien de touchant ou de romantique dans une prestation semi-alcoolisée, et pourtant, certaines s’émouvaient de voir leur partenaire s’égosiller sur Can’t Help Falling in Love, les yeux humides et la main sur le cœur. Le tout prenait une tournure plutôt mélodramatique et, en voyant une femme littéralement éclater en sanglot à la fin d'une chanson, Rhys décida qu'il était temps qu'il finisse son verre et se barre d'ici. Il n'y avait qu'une certaine dose de pathétique qu'il pouvait supporter avant d'imploser. Il portait son verre aux lèvres lorsqu’une nouvelle femme entra en scène. Une énième sérénade apparemment. Super, ça manquait. Rhys devait être le seul à se sentir prêt à s’entailler les veines avec un cure-dent, puisque la majorité de la foule encourageait en chœur la demoiselle. La suite, il n’aurait pas pu l’imaginer. La jeune femme croisa soudainement son regard et le pointa du doigt, le désignant comme destinataire privilégié de sa sérénade. Aussitôt, de nombreux regards convergèrent en sa direction et Rhys étouffa un juron. Il ne manquait plus qu’on le reconnaisse. C’était à moitié flatteur, mais il n’était pas du tout reconnaissant à la jeune femme de l’avoir choisi. Ni une ni deux, elle se lança dans sa chanson et, malgré lui, l’amusement prenait lentement place à l’embarras. C’est qu’elle jouait le jeu à fond, ne le lâchant pas du regard et venant même à sa rencontre. Pendant un court instant d’hystérie, il imagina Mila à la place de cette blondinette, se donnant en spectacle sans la moindre honte pour lui et juste pour lui. Il chassa cette pensée ridicule et absurde toute aussi vite. La jolie demoiselle était arrivée devant lui, et il haussa un sourcil amusé lorsqu’elle caressa sa nuque, puis sa joue. Ça, c’est un langage qu’il connaissait. Le flirt et la séduction, légère et décomplexée. Lorsqu’elle remonta sur scène et termina sa chanson, Rhys poussa le vice jusqu’à la saluer et mettre une main sur son cœur, comme profondément touché par cette déclaration d’amour fictive. Ils étaient bons joueurs, tous les deux. Rhys se fraya un chemin jusqu’à elle. « Si vous vouliez que je vous offre un verre, il y a plus subtil comme méthode » plaisanta-t-il. Mais il comptait bien le faire, elle méritait au moins ça !