Pas si différents [Feat. A. Malik Krushnic]

Johan venait tout juste de rentrer de sa journée de cours au lycée, une journée comme toutes les autres, ennuyante à mourir. Il se demandait encore pourquoi il y allait sachant qu'il n'apprenait rien et qu'il était la cible des plus grands. Au final, la seule chose qu'il appréciait, c'était le repas du midi, le seul repas de la journée.

C'est pourquoi, parfois quand l'allemand avait faim, il lui arrivait de passer devant les commerces et de piquer un ou deux fruits, rien de très grave en soi, mais ça reste du vol. Malgré sa bouille d'ange à qui on pourrait donner le bon dieu sans confession, Johan n'est pas si angélique que ça, il ne se considère pas comme tel en tout cas. Vivre dans la rue et voler pour survivre n'a rien de très paradisiaque.

Le froid commençait à s'installer de manière permanente dans la ville, surtout à la nuit tombée. C'est pourquoi quand il le pouvait, il essayait de trouver un endroit où il ne serait pas totalement exposé au froid et au vent, mais ce genre d'endroit était généralement pris d'assaut par les sans-abri. Le seul endroit qu'il avait trouvé c'était une station de métro.

Il y avait déposé son sac, comme s'il attendait une rame, mais au final, il attendait simplement que le trafic se réduise pour pouvoir s'installer réellement et essayer de dormir ne serait-ce que quelques heures. Au bout du compte, il était gelé et mit de longues minutes avant de sentir un soupçon de chaleur envahir son corps, ce n'est qu'à cet instant qu'il entendit son ventre crier famine.

C'était un peu son rituel, ne pas manger à sa faim, il s'y était habitué en quelques semaines ici. Le trafic s'était réduit et les personnes empruntant la rame devenaient de plus en plus rares. Il installa alors son sac ainsi que quelques cartons qu'il avait trouvé dans la rue pour s'isoler aussi bien qu'il le pouvait du froid. Puis il attendait, les genoux repliés contre sa poitrine, comme si un miracle allait arriver. Mais il était seul et le serait toujours, tant qu'il n'aura pas retrouvé son père biologique. Pour la suite, c'est cet homme qui avait les cartes en main.

Plus les jours passaient, plus Johan avait l'impression que chacune des heures qui s'écoulaient était sa dernière où il aurait le loisir de respirer. Bien sûr qu'il avait envie de vivre, il n'était qu'au début de sa vie. De sa misérable vie. Et pourtant, il avait déjà eu tant d'obstacles à franchir, et il avait toujours essayé de faire du mieux qu'il le pouvait. Il n'avait que treize ans après tout, il n'était qu'un gamin avec un esprit d'un adolescent voire jeune adulte. Parfois, quand on souffre, quand on se fixe un objectif, on est prêt à tous les sacrifices pour y arriver. C'était son cas. Il avait abandonné le peu de confort qu'on lui avait fourni dans sa famille d'accueil et tout ça pour quoi ? Pour venir ici, dans cette ville qui lui était inconnue, pour retrouver un homme qui ne soupçonnait pas sa présence. Ce même homme grâce à qui il était en vie aujourd'hui. Ses pensées se mélangeaient bien trop souvent et il pouvait pas vraiment penser de manière objective.

En venant à Washington, il savait qu'il serait seul, mais la vérité c'est qu'il ne s'attendait pas à ce que ce soit compliqué. Il avait beau être surdoué, il était peut-être un peu naïf sur les bords en ce qui concernait ce sujet. Les jours s'étaient écoulés et malgré ses recherches, il n'avait trouvé aucune trace de son géniteur. Il n'était pas du genre à baisser les bras facilement, mais cette fois-ci, il était sur le point de le faire. Ce n'est clairement pas dans ses habitudes de se battre contre un fantôme sans même savoir quoi chercher, mais surtout, où chercher. Alors, il s'était petit à petit habitué à sa nouvelle vie, celle où chaque soir sa seule priorité c'était de trouver un endroit où dormir. Parfois les squats avec des jeunes drogués et alcooliques, parfois l'hospitalité un peu plus chaleureuse d'une paroisse et puis, des soirs comme aujourd'hui, où c'était dans les stations de métro qu'il trouvait refuge.

Avec la neige qui commençait à blanchir les rues, le jeune garçon ne pouvait clairement pas dormir sur un banc, il était peut-être inconscient, mais pas suicidaire. Alors il s'était réfugié dans cette station à l'abri du vent, de la météo extérieure. L'heure d'affluence était passée et il retrouvait petit à petit un endroit plus ou moins calme, du moins, jusqu'à ce que quelqu'un ne vienne donner un coup de pieds dans les cartons qui l'abritait Du froid. Sa colère fusa d'un coup et peu importe qui était cette personne, il allait lui faire regretter son geste.

" - Putain, mais c'est quoi ton problème à toi ?"

Sa voix n'était guère chaleureuse, mais il ne comptait pas l'être avec cette personne quelqu'elle soit. Même si c'était une personne qui n'aimait pas les sans abri, ici, il ne gênait personne. Et si toutefois, c'était des flics, et bien tant pis. Mais il connaissait leur façon de procéder, et si c'était reellement eux alors ils n'auraient pas agit de la sorte.

Johan n'était pas heureux de devoir passer des journées à errer dans la rue à la recherche de quelque chose à manger, de devoir constamment regarder par-dessus son épaule s'il n'y avait pas de policiers ou autre agents représentant les forces armées. Il n'était jamais serein et même lorsqu'il dormait, il faisait comme les chats, il ne dormait que d'un oeil, écoutant chaque bruit à côté de lui.

Avec le temps, il avait acquis un certain instinct de survie comme il aimait l'appeler. Il savait ce qu'il pouvait et ne pouvait pas faire. Voler des choses dans une épicerie faisaient parti de la première catégorie. Il n'en était pas fier, non loin de là, simplement c'était son seul gagne pain et sa seule manière de survivre. Heureusement pour lui, il ne s'était encore jamais fait prendre, mais ça ne saurait tarder. Même les tueurs les plus expérimentés finissent toujours par commettre une erreur, d'ici peu ce sera lui, et lorsque ça lui tombera dessus, il n'aura plus que ses yeux pour pleurer tout en espérant ne pas avoir une sanction trop sévère. Après tout, il avait des circonstances atténuantes, mais aux yeux des agents fédéraux ou autre, cela n'avait aucune importance.

Il s'était alors installé dans le métro, le seul endroit où il était à peu près sûr de ne pas être dérangé. Du moins, c'est ce qu'il pensait avant de sentir quelqu'un donner un violent coup de pied dans ses cartons. L'allemand avait un caractère assez fort, même s'il le montrait rarement, il était jamais violent, mais il ne fallait tout de même pas le pousser hors de ses limites, car il ne répondrait plus de ses gestes.

Tout en sortant de son petit abri, il ne ménagea pas le gosse qui venait de frapper dans les cartons où il était, simplement par envie visiblement. Il le fixa de longues secondes avant de sortir de ses gonds. Mais c'est quoi son problème à lui ? Et puis qu'est-ce qu'il fou là ? Peut-être la même chose que toi, il essaye de trouver un endroit où dormir et tu lui a pris sa place.

Dans la rue, Johan savait à quel point les territoires étaient importants, si on voulait survivre, il ne fallait pas tenter l'impossible. Jusqu'alors, il s'était contenté d'endroits basiques, et cela n'avait jamais gêné personne. Jusqu'à ce soir en tout cas.

" - Moi un problème ? Non ça allait très bien avant que tu ne te pointes pour foutre le bordel. Tu t'ennuies cest ça ? Si tu pouvais aller faire chier quelqu'un d'autre ca m'arrangerait fortement !"

Johan n'était pas reconnu pour être doux, il avait toujours été franc, parfois un peu trop même, mais, qu'importe, pour un gamin comme celui qu'il avait en face de lui, il n'avait aucune pitié, encore moins quand on s'en prenait au peu qu'il avait. À le voir, il n'avait pas l'impression que ce soit un gosse de riche, bien au contraire, il lui ressemblait. Errer dans la rue pendant des heures sans but précis, ça il connaissait, mais il n'avait jamais été jusqu'à déloger des personnes simplement parce qu'il s'ennuyait et qu'il avait besoin de s'occuper. Celui-ci semblait être le grand gagnant du concours !

Le jeune garçon ignorait pourquoi un gamin de son âge était tout seul à cette heure-ci, mais il se retient bien de le lui demander, déjà parce que ça ne le regardait pas, et au vu de leur sympathique premier échange, il n'avait aucune envie de s'intéresser à cet individu. Plus vite il sera parti, plus rapidement l'allemand pourra essayer de se reposer un peu avant d'entamer une énième journée. Il sortira du métro lorsque le soleil sera à peine levé, et il occupera sa journée comme il le faisait tous les jours, en errant dans la rue à la recherche de quelque chose qu'il ignorait.

" - Tu veux quoi ? De l'argent ? J'en ai pas. De la bouffe ? J'ai une pomme si ça t'intéresse. Maintenant si tu veux bien aller voir ailleurs, j'aimerai dormir !"

Sa voix était toujours aussi ferme, mais il était tout de même un peu plus doux que lorsqu'il avait été dérangé par le premier coup de pied dans les cartons.