i'm so sorry ✻ jordan & zara

Ça devait être une soirée agréable, une soirée où seuls ma femme et moi importions, une soirée entre nous, comme nous avions l’habitude de faire, avant que tout dérape. J’avais terminé le travail plus tôt. Ce n’était pas un imprévu ou quoi que ce soit, mon emploi du temps étant fait comme ça. Normalement, je restais plus tard, histoire de corriger, planifier, bref, apporter moins de travail à la maison. Mais aujourd’hui, j’en avais décidé autrement. J’avais décidé de prendre ce temps pour essayer de faire plaisir à mon épouse. Plus tôt, elle m’avait informée qu’elle ne devrait pas rentrer si tard à la maison, nous donnant l’occasion de dîner ensemble. J’avais accusé réception de l’information tout banalement, puis au final, cette idée était venue germer dans ma tête, et ce temps que j’avais de libre avant qu’elle arrive à la maison était parfait pour tout préparé. J’étais allé au supermarché, acheter tout le nécessaire pour préparer un dîner selon ses goûts, ses préférences. Une fois à la maison, j’avais fait tout mon possible pour préparer le dit dîner, prenant même le temps de mettre la table convenablement, rehaussant du couvert habituel. Tout étant prêt, à l’heure qui plus est, j’attendis. J’attendis quelques minutes, puis une heure, et finalement deux passèrent, sans qu’elle ne vienne. Je ne pus nier que je m’inquiétai pendant un instant que quelque chose s’était passé, mais normalement, elle m’envoyait un message lorsqu’elle quittait le boulot. Au bout du compte, je pris pour acquis qu’elle y était encore, et qu’elle n’avait même pas pris la peine de me prévenir qu’elle n’allait pas rentrer maintenant. Cette idée vint carrément me couper l’appétit, si bien que je mis tout ce que j’avais fait au frigo, ne me servant pas moi-même. Je n’eus même pas le courage de ranger les couverts, me dirigeant seulement, grimace au visage, vers le salon m’affalant dans le canapé, comme fatigué d’avoir attendu si longtemps. En fait, ce n’était pas comme si, j’étais fatigué. J’étais fatigué de faire des efforts réduits à néant, j’étais fatigué de passer au second plan, j’étais fatigué de constamment me remettre en question, nous remettre en question. Et tout ça me brisait le coeur, mais certainement pas autant que le fait qu’apparemment, mon épouse, celle que je considérais comme la femme de ma vie, malgré toutes les difficultés, ne parvenait pas à m’accorder ne serait-ce qu’une soirée, son boulot passant toujours en premier. Tentant de passer outre pour ne pas sombrer dans une quelconque crise de colère, j’allumai la télévision, y posant mon regard sans vraiment porter attention à ce qui se passait. Je parvins quand même à me perdre dans mes pensées, si bien que je sursautai quand la porte s’ouvrit, que j’entendis mon prénom. Comprenant que ce n’était que là Zara qui rentrait, je ne répondis pas. De toute façon, la maison n’était pas énorme, alors elle ne tarda pas à m’y trouver. Je le sus parce que sa voix, ses excuses, se faisait entendre de plus près. Je n’avais pas besoin de la regarder, et je ne voulais pas la regarder. Soupirant, ne sachant trop comment réagir, je finis par lui dire, d’une voix peu assurée:  « Ce n’est pas comme si c’était étonnant… » Je savais que mon propos tenait de la pique un peu, très méchante, et pour sûr, je m’en voulais, mais je ne me voyais pas dire autre chose, parce qu’en fait, j’en avais assez des excuses. Je n’étais pas en colère, j’étais blasé, j’étais surtout profondément blessé. Et ça devait se voir, au vu de comment je ne posai même pas mon regard sur elle, serrant l’appui-bras du canapé, comme si je parviendrais à y trouver une certaine contenance pour continuer.

J’estimais que j’avais été patient, terriblement patient ces derniers mois. J’avais été si patient que j’en étais devenu volontairement naïf. J’avais tenté de me convaincre que c’était normal, que je devais attendre que la poussière soit retombée, que l’inconfort allait finir par se dissiper et qu’un jour, nous serions capables de faire du progrès. Mais ça faisait plus de six mois, et rien n’avait vraiment changé. L’inconfort était encore présent, maintenant horrible à supporter, d’où ma tentative de faire un effort, ma tentative avortée, mais qui avait confirmé que quelque chose clochait, et que j’avais suffisamment attendu. À cette constatation, je ne me sentais pas bien. Je me sentais idiot, je me sentais encore plus perdu. Et pourtant, encore, j’osais espérer que Zara trouverait le moyen de me calmer, de me faire croire que ce n’était pas une erreur de ma part, d’avoir voulu préparer ce repas, mais ce fut vain. Je n’ai pas vu le temps passer au boulot, j’étais trop plongée dans mon travail, ces excuses, je les avais entendues trop souvent. Je savais que son métier lui prenait du temps, et je l’admirais d’être aussi passionnée et dévouée, mais là, tout de suite, je ne voulais pas l’entendre. Tentant de me contenir, je sentis mes doigts se crisper maladroitement sur l’appui-bras du canapé, et je n’osai pas la regarder, même si elle continua de parler. Je tournai la tête que lorsqu’elle vint à me demander de lui dire quelque chose. En d’autres circonstances, je lui aurais dit que ce n’était pas grave, que nous allions nous reprendre une prochaine fois, mais je n’y parvenais pas. Et donc, je finis par dire:  « Tu t’y prends de la mauvaise façon… » Je détestais lui faire des reproches comme ça, surtout que moi-même, je n’étais pas parfait. Mais en vérité, je ne pouvais pas le garder pour moi, plus maintenant. Sentant la suite me brûler les lèvres, je poursuivis:  « Tu savais que je t’attendais à la maison… Et pourtant, ça n’a pas été suffisant… Encore une fois… » Quand je ne lui faisais pas savoir, ça pouvait passer, mais là, volontairement, je lui avais précisé mes intentions, alors que j’aurais bien aimé lui faire une surprise. Je l’avais fait pour être sûr que ça marche, et ça n’avait pas été assez. Et ça me faisait mal, ça me faisait mal de lui dire cela, même s’il n’en fut rien comparativement à ce que j’ajoutai, soit:  « Est-ce que tu as pensé à ce soir au moins une fois pendant ce temps ? Ou je suis juste apparu dans tes pensées comme lorsqu’on se demande si on a bien éteint le four avant de quitter ? », en sommes, de façon aléatoire, d’une chose qu’on devait se rappeler sans vraiment avoir envie de le faire ? Étais-je devenu une obligation pour elle ? J’avais envie de croire, espérer que non, je n’étais pas descendu aussi bas dans son estime, mais je ne pouvais m’empêcher de me demander la question. Et ça me faisait mal, terriblement mal, à un tel point que j’en vins à sentir mes yeux s’embuer un peu, les larmes commençant à s’y accumuler, des larmes de déception, de colère, de tristesse. Et malgré ça, je voulais avoir réponse à ma question, une bonne fois pour toutes, pour savoir quoi m’en tenir, puisque je ne savais pas encore combien de temps je saurais continuer à souffrir avec mes propres pensées ainsi.