Consutation express + Nael&Jordan

Je passais maintes heures, maintes journées, maintes semaines avec les élèves dont je m’occupais. Contrairement aux autres enseignants du lycée, je ne voyais pas plusieurs groupe, mais bien un seul, composé de huit élèves, que j’appréciais autant que s’ils étaient mes enfants. Même que parfois - aussi triste cette réalité puisse-t-elle être - je les voyais plus que leurs parents. Du coup, lorsqu’un d’entre eux n’allait pas bien, celui-ci avait bien du mal à me le cacher, que ce soit en raison de la confiance qu’ils avaient en ma personne, ou le fait que moi, je les connaissais si bien que je le voyais tout de suite que quelque chose clochait. Plus encore, je faisais mon possible pour me tenir au courant de ce qui se passait avec eux au quotidien, au moins ce qui pouvait affecter son quotidien. Comme là, j’avais récemment appris qu’un de mes élèves avait été transféré de famille d’accueil. Et rapidement, j’avais compris qu’il le prenait mal; son humeur s’était détérioré ces derniers temps, et depuis quelques jours, il faisait des crises de panique, plus régulières qu’à la normale, à un tel point que ça dépassait mes compétences, et que je n’avais pas d’autre choix, pour son bien, de faire appel à de l’aide extérieure. Ne voulant pas compromettre la famille tout de suite, voulant l’aider du mieux que je le pouvais à l’intérieur de la classe, je n’appelai pas les autorités, mais bien un ami, psychologue, pour voir s’il pouvait le voir, me donner des indications sur comment interagir avec lui, faire un diagnostic qui me dicterait quel serait le prochain geste à poser envers cet enfant. Heureusement pour moi, il accepta, et, encore mieux, arriva dans ma classe à l’heure convenue, alors que ceux-ci étaient en train de travailler à leur pupitre. Me levant de mon propre bureau - où je passais désormais la majorité de mon temps, ce qui avait pour effet de me frustrer - je me rendis tant bien que mal - à l’aide de ma canne, toujours - en direction de Nael. À voix basse, je le saluai en disant: « Salut, merci infiniment d’être venu. » J’aurais aussi très bien pu demander à la psychologue du lycée, mais elle n’était pas toujours là et surtout, je n’aimais pas son caractère trop impersonnel qui ne s’appliquait pas à mes élèves, à mon avis. Avec Nael, je me sentais en confiance, comme je le prouvai dès qu’il me demanda s’il y avait un problème. Pour moi, il y en avait un, c’était certain, autrement, jamais je ne l’aurais obligé à se déplacer pour un cas qui ne ressemblait à rien à ce qu’il voulait faire. Sans hésitation, je lui répondis: « En fait, oui. » Je fis quelques pas en direction de l’avant de la classe, invitant silencieusement Nael à faire de même, préférant éviter que les élèves écoutent tout, même s’ils étaient un peu trop concentrés. Limite, je me demandais s’ils avaient tous vu l’arrivée du jeune homme dans la classe, ce que je doutais fortement. Pour le moment, peut-être c’était mieux ainsi, puisque certains n’aimaient pas vraiment la présence de nouveaux visages dans la salle. Et puis, ce fut avec une certaine discrétion que je pus lui expliquer: « J’ai un élève… Il fait de nombreuses crises de panique depuis quelques jours, et je veux aider… Mais je ne sais pas comment. Il a changé de famille d’accueil récemment, et je crains que ce soit lié à ce changement, mais je ne suis pas certain et surtout, j’aimerais savoir comment intervenir auprès de lui, si je devrais en parler à mes supérieurs ou quelque chose comme ça… » Avais-je été assez précis ? Je n’en étais pas certain, mais j’étais certain que j’avais dit pas mal ce que je savais sur la situation. Après, s’il voulait plus d’informations sur l’élève en question, je pourrais lui en fournir, c’était loin d’être un problème. Mais avant de m’aventurer plus loin, je préférai quand même, par politesse, par principe, de lui demander: « Est-ce que c’est dans tes cordes ? » Espérant sincèrement que si, peut-être un peu trop, je me surpris à me mordiller la lèvre inférieure, attendant sa réponse, priant sincèrement que ce soit possible, puisque je ne pouvais le nier, mon coeur se brisait un petit peu chaque fois que je le voyais mal, montrant mon attachement pour chacun de ces huit élèves qui se trouvaient devant moi, y compris celui dont je parlais à mon ami.

Je savais très bien que les enfants ne s’ouvraient pas facilement, encore moins, et surtout pas, aux inconnus. C’était normal, c’était une question de confiance. Et la confiance de mes élèves, elle était d’autant plus difficile à gagner, puisqu’un étranger, c’était un changement de routine, et un changement de routine, ce n’était jamais bienvenu. Il y avait pire comme condition, mais il y avait mieux. Personnellement, je vivais avec eux au quotidien, donc j’avais l’habitude, mais je me doutais bien que ce n’était pas aussi simple avec tout le monde, même pour mon ami, alors qu’il était un expert dans le domaine. J’étais aussi conscient que pour ça, je prenais un risque que ça ne donne rien, mais j’étais prêt à le prendre ce risque. J’étais prêt à me dire que peut-être ç’allait changer quelque chose, peut-être ce serait pour le mieux. Et pour ça, j’étais partant pour l’aider avec tout ce dont il avait besoin, à commencer par répondre à ses questions du mieux que je le pouvais, puisqu’apparemment, c’était ce que je l’allais faire, au vu de comment Nael avait sorti son calepin, s’était installé, prêt à commencer. À sa première question, je dis, sans même lever la tête pour vérifier ce que je disais:  « C’est l’avant-dernier de la rangée de droite. » Contrairement à des classes régulières, me concernant, je n’avais que huit élèves, deux rangées de quatre. Je savais que j’aurais pu organiser ma classe autrement, choisir des idées un peu plus farfelues issues de Pinterest et autres, mais non, je m’en tenais à quelque chose de simple, classique. Et puis, j’avais besoin de plus de place que jamais pour me mouvoir. Inutile de mentionner que c’était loin d’être le moment pour essayer quelque chose d’original. De plus, cela me permettait également de les avoir à vue et ce, partout dans la classe. Comme là, lorsque j’eus malgré tout le réflexe de jeter un oeil en sa direction, je le repérai rapidement, en train de faire son travail, sa main bien serrée sur son crayon. Le voir aussi crispé me brisait toujours un peu le coeur, mais ce n’était pas le temps de penser à moi et mes sentiments. Reportant mon attention sur Nael, j’accusai réception de ses questions suivantes, auxquelles je répondis:  « Pas encore. Et selon ce que je savais, il s’entendait très bien avec son ancienne famille. Eux, je les ai rencontrés, et je leur parlais souvent. Ils étaient adorables et me demandaient toujours ce qu’ils pouvaient faire pour l’aider. » En gros, ça semblait être l’idéal. Un peu comme la relation que moi, j’étais venu à entretenir avec ma famille d’accueil, lorsque j’étais enfant. Pourquoi ç’avait changé ? Je ne le savais pas, et c’était ce qui me troublait le plus, si bien que j’eus un moment de perdition, pendant lequel je soupirai, et je dis:  « Je… Je ne sais pas, je ne comprends pas pourquoi il a été déplacé… » Après, il y avait peut-être des choses que je ne savais pas, des circonstances qui faisaient en sorte qu’il ne pouvait pas rester. C’était possible aussi. Malheureusement, je ne connaissais pas trop le système, donc je ne pouvais pas me prononcer davantage. Je m’en tins donc à ce que je savais, ajoutant:  « Mais s’il les aimait bien, ça n’a sûrement pas aidé… Depuis le changement, il parle à peine, prend peur rapidement, et il panique… » En gros, je n’en savais pas tant, d’où le fait que je voudrais en savoir plus, de sorte à pouvoir agir si, autour de moi on ne le faisait pas. Ne voyant pas l’intérêt d’en ajouter plus sur le question, je demandai à Nael:  « Il y a autre chose que tu dois savoir ? Tu pensais t’y prendre comment ? » Ça pouvait paraître indiscret comme question, mais en fait, j’avais surtout besoin de savoir s’il avait besoin d’aller dans un endroit isolé, ou s’il voulait lui parler ici, à la pause par exemple, pause qui aurait lieu dans environ dix minutes. Voulait-il que je sois là, ou pas ? Voilà ce sur quoi j’attendais qu’il m’éclaire pour la suite des choses, et aussi pour que je l’aide aussi bien que possible. En mon sens, c’était la moindre des choses que je pouvais faire. Il prenait de son temps pour m’aider, le minimum était que je l’aide aussi.