Charlie & Jordan | Summer School

Cherchant à me montrer tout sourire, j’hochai positivement la tête pour faire savoir à Charlie que oui, nous étions heureux et que nous avions hâte de voir cet enfant arriver. Mais au point de sautiller sur ma chaise ? Pas tellement, pas encore. J’étais heureux, vraiment. Depuis un bon moment, je voulais des enfants maintenant, et la distance qui s’était forgée entre Zara et moi ces derniers mois avait brisé un peu ce rêve, me brisant le coeur encore plus par la même occasion. Et maintenant, c’était possible, c’était même réel. Par conséquent, je ne pouvais pas m’en plaindre… Mais de là à dire que j’étais impatient et que chaque jour était une torture avant de voir ce bébé arriver ? Non, je n’en étais pas là. Ma femme et moi étions au stade d’accepter la situation, se reconstruire autour de celle-ci aussi bien que possible, même si là, c’était bien délicat. Mais une chose était certaine, c’était que cet enfant, garçon ou fille, j’allais l’aimer, en prendre soin, dès les premiers jours de sa vie, pour lesquels je voulais être présent pour lui, et pour ma femme par la même occasion. Donc oui, il était évident que j’allais prendre mon congé paternité, mais je n’allais pas non plus en abuser, à mon avis. Je me sentais encore coupable aujourd’hui, même un an après l’accident, et je ne me voyais pas faire ça, c’est-à-dire de prendre un congé prolongé et avoir l’impression d’abandonner mes élèves, mon école, ma supérieure même dans le cas présent. Je savais bien que je l’avais mis un peu dans le pétrin avec cette histoire, et heureusement, elle ne m’en tenait pas rancune, se contentant de me dire que je lui avais manqué également, ajoutant un commentaire que je ne pouvais trouver on ne peut plus vrai, qui m’arracha même un petit sourire. Plus encore, je me permis même de proposer:  « Si tu veux, pendant tes vacances, on pourrait s’organiser un truc, à l’extérieur de l’école. » Ça pouvait être aussi simple qu’un déjeuner au restaurant ou un truc du genre, je ne demandais rien de bien gros, de bien méchant, un simple moment entre amis, comme nous avions l’habitude de le faire précédemment, dans un cadre hors-scolaire cette fois-ci par contre, ce qui, en mon sens, rendrait le tout un brin plus agréable.

Jordan papa... Charlie se l'imaginait déjà, achetant tout un tas d'articles de puéricultures, peut-être un peu perdu parce qu'il fallait prendre, ou ne pas prendre. C'était une bonne nouvelle pour son ami, et elle même avait hâte de voir cet enfant, le fruit de son amour à lui & sa femme Zara. Bon, Charlie, elle aimait bien les bébés, mais plutôt de loin. De toute façon, elle n'en aurait elle probablement jamais, même si de notre temps, les femmes avaient des enfants de plus en plus tard, passées la quarantaine. Alors ne jamais dire jamais mais.. Charlie n'avait plus confiance dans les hommes alors cela risquait d'être compliqué. Son mariage avait échoué, et elle espérait que cela ne serait pas le cas pour son ami Jordan.  Bref, elle était donc ravi pour son ami, et il l'avait informé qu'il ne comptait pas prendre un congé paternité à rallonge. Tant mieux pour elle, cela l'arrangeait. Mais il était tout de même important qu'il prenne le temps de faire connaissance avec ce nouvel être qui arriverait bientôt. Bon, après tout, il faisait bien ce qu'il voulait cela dit.
Elle ne put s'empêcher de sourire à sa proposition. Bien sûr qu'elle voulait ! Refaire des sorties comme au bon vieux temps, comme au temps de leurs études, quand ils n'avaient pas vraiment de responsabilités et de compte à rendre à personne. Ils sortaient souvent, tous les deux mais aussi avec leurs bandes de potes de l'époque, la plupart étaient partis dans d'autres états d'ailleurs, et il était plus difficile de les voir. Eux, se retrouvaient dans le même lycée et c'était une joyeuse coïncidence. "Oui, avec plaisir ! On se remémorera toutes nos conneries et nos souvenirs..." Et ils pourront en créer des nouveaux, aussi.

Je ne voulais pas obliger Charlie à faire quoi que ce soit en ma compagnie pendant les vacances, et je ne lui en voudrais certainement pas si elle préférait couper tout contact avec le milieu scolaire, comme la norme des gens travaillant dans ce domaine le faisaient pendant les vacances d’été. Personnellement, j’avais trop peu de nouvelles de mes collègues. Après, il fallait dire que je n’étais pas un exemple de discipline absolu non plus, compte tenu que je ne prenais pas de leurs nouvelles non plus. Non pas que je ne les appréciais pas, mais je n’y songeais pas. En des circonstances plus graves, c’était différent, et mes collègues, Charlie la première, me l’avaient démontré lorsque j’avais eu mon accident, l’année dernière, en me posant encore sur comment j’allais, puisque j’avais encore des séquelles visibles de tout ce qui s’était passé, même si c’était bien moins pire que précédemment. Et pour ça, je ne pouvais pas en faire autant que j’en faisais précédemment, comme je fus encore obligé de le mentionner lorsque Charlie vint à accepter ma proposition. Enfin, je ne le fis pas d’emblée, me permettant de lui adresser un large sourire ainsi que m’exclamer:  « Super ! » Ce fut qu’après une brève pause que je lui dis:  « Je ne te cacherai pas que je ne suis pas en forme pour aller en randonnée, mais je suis certain qu’on peut trouver quelque chose d’agréable à faire ! » J’avais laissé mon propos pas mal ouvert, en suspens limite, lui permettant ainsi de suggérer quelque chose qu’elle voudrait faire même si nous avions encore du temps pour nous décider, et que des plans, ça pouvait toujours être modifié.

Charlie n'avait pas énormément d'amis, encore moins depuis qu'elle avait divorcée. Ceux qu'elle considérait comme des personnes de confiance, des copains, avaient comme par hasard disparu en même temps que son ex-mari. Ils avaient pris parti, et pas le sien, malheureusement. Elle s'était consolée en se disant que cela ne devait être qu'un mal pour un bien et que ces gens là n'étaient pas destinées à faire partie de sa vie éternellement, c 'était tout. Heureusement, il lui restait sa bande de pote, dont Jesabel & Maureen avec qui elle passait toujours de très bonnes soirées, ou même journées. Jordan avait toujours été là lui aussi et elle se réjouissait du bonheur qui s'annonçait pour lui durant les prochains mois.
Elle n'avait encore rien de prévu pour ces vacances scolaires. C'était l'été, l'occasion de partir, de faire un grand voyage mais rien n'était programmé et puis, elle n'en avait pas vraiment l'envie. Elle voulait terminer de retaper son appartement. Cependant, elle accepta avec plaisir la proposition de Jordan, à savoir se faire un truc pendant les vacances. « Un cinéma, un restaurant, une partie de golf ou de pétanque, on devrait pouvoir trouver quelque chose qui nous convienne à tous les deux. » elle lui souriait. Cette perspective la réjouissait déjà.

Les deux premières options proposées par Charlie me convenaient très bien, d’où le fait que je me permis d’esquisser un sourire sans faire de plans trop hâtifs, bien que ces idées me convenaient parfaitement. Cependant, ce sourire ne resta pas aussi longtemps que je l’aurais voulu sur mes lèvres. En effet, je le perdis sitôt que ma supérieure vint à me proposer des activités qui exigeaient un peu plus de coordination des jambes, et surtout beaucoup plus de déplacements, que je ne pouvais pas me permettre malheureusement. Je ne voulais pas gâcher l’ambiance, mais je ne voulais pas lui faire de faux espoirs non plus. Par conséquent, je me dis que je ferais mieux d’être franc avec elle dès maintenant, d’où le fait que je dis:  « Le cinéma ou le restaurant, ou même les deux, ça m’irait. Malheureusement je n’ai pas l’autorisation de mon médecin pour les activités qui obligent à rester debout plus longtemps… » Mon air se fit un peu plus triste que je ne l’aurais voulu dans un premier temps, même si ça ne devrait pas être une surprise. Je me baladais encore avec de quoi m’aider à marcher, alors c’était une évidence, mais c’était une évidence qui me faisait soupirer, parce que même bientôt un an suivant l’accident, je me sentais encore diminué, et bien que je tentais de ne pas trop râler au quotidien, il n’en demeurait pas moins que c’était frustrant, de plus en plus frustrant même.

Jordan faisait partie de ces copains que Charlie avait dans sa vie depuis des années, et qui l'avaient connu dans ses pires comme dans ses meilleurs moments. Par exemple, le futur papa l'avait connu avec, et sans Marius. Il avait été là quand elle s'était mariée avec lui, quand elle était jeune et heureuse et que la vie lui souriait. Mais il avait également été présent lorsqu'elle avait divorcé, et qu'elle en avait profité pour faire la fête. C'est à cela qu'elle reconnaissait ses vrais amis, ceux qui étaient toujours là malgré le divorce. Jordan l'était. D'ailleurs, il lui proposait de se faire une ou deux petites sorties pendant les vacances scolaires, vu qu'elle ne partait pas et qu'il était disponible également. Elle acceptait avec plaisir. "Oui, je rigolais surtout pour la partie de golf. Alors on aura qu'à se faire les deux, cela serait top !" Oui parce qu'avec sa canne, elle n'allait pas lui faire faire ce genre de sport. Et puis, restaurant cinéma, c'était classique mais toujours efficace pour passer une bonne soirée entre amis !

Restaurant et cinéma, c’était le genre de plan qui me convenait très bien, parfaitement même. Ce n’était pas le genre d’activité à laquelle je me prêtais constamment, appréciant parfois être à l’extérieur, bouger un peu, mais malheureusement, c’était le genre de chose à laquelle je devais me cantonner pour le moment. J’en avais assez d’être limité dans mes mouvements, mais en même temps, je comprenais que je ne pouvais pas faire trop d’efforts et compromettre ma rééducation. C’était même encore plus vrai maintenant que je savais que j’allais bientôt être père, et que je voulais absolument être en forme et idéalement sur mes deux pieds au moment où cet enfant allait pointer le bout de son nez. Du coup, je devais me contenter de ce plan. Par contre, ce n’était pas comme si c’était quelque chose qui était vraiment horrible, au contraire, j’étais enthousiaste à cette idée, même si pour moi, l’essentiel était de voir mon amie à l’extérieur du cadre professionnel. Ne le cachant pas, je ne tardai pas à m’exclamer:  « On fera ça alors ! » Après, ça ne voulait pas dire que je me sentais totalement satisfait, d’où le fait qu’après une petite pause, j’ajoutai:  « Mais quand j’irai mieux, on organisera autre chose si tu veux. Je ne saurais te dire quand, mais dès que j’aurai le feu vert des médecins. » Et ce serait quoi comme activité ? Ça je ne le savais pas encore, mais faire des plans comme ça me donnait un peu plus d’espoir et de motivation pour la suite. Bien sûr, je ne lui en voudrais pas si elle ne voulait pas, mais j’avais besoin de ces petites sources de motivation de temps en temps, surtout dans la situation dans laquelle j’étais en ce moment et ce, depuis quelques mois maintenant.

Le plan pour les vacances d'été était prévu, organisé. Au moins, Charlie aurait déjà ça à faire durant son été. Parce que pour l'instant, ses vacances étaient loin d'être remplis ! Elle était en réflexion pour partir tout de même quelque part, seule ou alors avec quelques uns de ses amis s'ils étaient partants. Sinon, voyager en solo n'était pas un problème pour elle. Depuis son divorce, elle avait appris à faire les choses par elle-même, aller au cinéma seule, se promener seule, voire même se faire plaisir en allant au restaurant seule. Après tout, qui a décidé qu'il fallait être au moins deux pour bien manger ? Pas Charlie, en tout cas. Et le mieux dans tout ça ? C'est qu'elle appréciait ces temps calmes, ces temps de silence ou rien ne l'importait plus qu'elle-même. Jordan ajoutait tout de même que dès qu'il irait mieux, ils prévoiraient autre chose qu'une simple sortie au ciné. « Pas de soucis !  » Ce serait même avec plaisir, pour tous les deux. En attendant, les deux personnes étaient là pour parler d'une chose : l'élève de Jordan. Du coup, après avoir parlé de leur vie privée, Charlie recentra le sujet. « Tu voulais me parler de ton élève ? Il te pose question ? Qu'on prépare un peu le sujet avant de rencontrer les parents. »

Entre la discussion concernant notre vie respective, nos plans pour des temps où ce serait moins occupé, j’avais complètement oublié la raison première pour laquelle j’étais ici. Enfin, pas au point que je serais parti sans que la réunion aie lieu, mais assez pour être légèrement surpris lorsque Charlie me rappela à l’ordre, changeant le sujet de discussion pour faire ce qui était prévu de faire aujourd’hui très exactement. Secouant la tête, je ne sus répondre directement dans un premier temps, autrement qu’avec un:  « Oui, bien sûr. » pour montrer que je ne m’opposais pas à l’idée de parler de lui, mais que je devais prendre un petit temps supplémentaire pour trouver comment tourner mes propos. En venant ici, je savais ce que j’allais dire, j’avais une petite idée de comment j’allais aborder le sujet avec les parents, mais il n’en demeurait pas moins que là, tout de suite, faire une synthèse vite fait, ce n’était pas la même chose. Malgré tout, après un petit temps, j’y parvins, me retrouvant à dire:  « C’est un élève plutôt renfermé sur lui-même à la base. » Enfin, mes élèves l’étaient tous à leur façon, mais lui, c’était encore plus flagrant.  « Parfois il fait même du mutisme volontaire, quand il se sent menacé ou quelque chose l’embête profondément. » Clairement, ça ne venait pas aider à régler l’impasse dans laquelle il se trouvait en ce moment. Heureusement, je le connaissais un peu mieux que ce que je venais de dire, et pour aider autant que je pouvais, j’ajoutai:  « Le mieux serait de le mettre en confiance, lui parler d’autre chose en premier, avant d’aborder le sujet qui l’embête. Et encore là, le mieux serait d’y aller indirectement. » J’étais conscient que ce ne serait pas facile. En plein été, dans le bureau de la directrice… Loin d’être l’idéal pour ça. Une autre idée me vint en tête, et supposant que ce ne serait pas de trop de la partager, je dis:  « Je n’ai pas encore défait ma classe. Si tu veux on pourrait y aller si ça peut aider. » J’avais l’intention d’arriver plus tôt avant la rentrée scolaire pour le faire, quoique je n’avais pas l’intention de changer grand-chose, sauf faire la transition des bureaux entre ceux qui quittaient ma classe et les nouveaux que j’aurais, qui étaient très peu nombreux, si j’avais bien compris. Je me disais qu’à ce moment-là, ma condition physique serait meilleure, et maintenant, si ça pouvait vraiment être utile, je n’allais certainement pas regretter d’avoir pris cette décision qui, pour moi, était pas mal plus appropriée, au vu de ma condition actuelle.

Charlie avait recentré la conversation sur l'objet de leur présence dans son bureau en ce jour. L'élève de Jordan. Bien sûr, elle avait apprécié que son ami prenne de ses nouvelles, apprendre qu'il allait être papa, prévoir des sorties pour les vacances. Mais, les parents n'allaient pas tarder à arriver pour le rendez-vous et il était hors de question pour la jeune femme de se présenter devant eux sans connaître un minimum le dossier.  Tout de suite, Jordan était partant également pour lui en parler, elle ne doutait pas de ses capacités professionnelles et c'est pour cette raison qu'elle accordait une si grande confiance en lui et non pas seulement parce que c'était son ami.
Jordan avait une petite classe, à enfant à besoins particuliers. Alors, ils ne pouvaient pas s'y prendre sans réfléchir avec cet élève. « Tu arrives à savoir ce qui l'embête dans ces moments-là ? » Ou bien était-ce un mutisme vraiment très fort et qui démontrait sûrement un fort mal être pour cet enfant ? Jordan le connaissait bien mieux qu'elle, alors il savait comme réagir, du moins, à peu près. Jordan proposait d'aller dans sa classe. En effet, cela serait peut être plus simple pour cet élève que dans le bureau de la directrice, avec ses parents, et son professeur. Cela serait peut être un peu trop solennel à ses yeux et cela se comprenait. « Bonne idée. Mieux vaut ne pas le braquer. Le moins possible, en tout cas.»