Alec&Tommy + Suggestion Box

Bien que ce soit dans ce monde que j’étais né, dans lequel j’avais grandi et dans lequel je vivais encore aujourd’hui, j’exécrais le monde des affaires pour bien des raisons, une des principales étant de voir à quel point les présidents d’entreprise comme ma personne pouvaient être imbus de leur personne, hypocrites et hautains. Eux, faire des choses normales, ce n’était pas possible; tout devait être signe de richesse, signe de bien-être, alors que ce qu’il y avait à faire dans ce cadre était bien souvent des plus ennuyants. Eux, ils n’avaient pas le bien des autres à coeur bien souvent; ils mettaient en marché certaines choses, sans s’en préoccuper, ne pensant qu’à la marque, qu’à leur image, et non pas aux gens derrière. Je savais bien que cette dernière partie, pour l’avoir appris à mes dépens, ce n’était pas toujours chose facile. C’était pire dans l’immobilier à l’échelle nationale, voire internationale dans le cas de certains des hôtels de la chaîne de ma famille, parce que si je me devais de me déplacer à chaque endroit, remercier chaque personne, écouter chaque commentaire, chaque doléance, il faudrait que je me clone par quinze, vingt, cinquante fois. J’avais donc appris à faire des concessions, à ne pas tomber dans un cercle vicieux qui finirait par m’enlever toute vie privée, mais qui me permettait de présenter une facette un peu plus humaine, et non pas cette image que mes contemporains se battaient tant à offrir et qui m’exécrait au plus haut point. De ce fait, quand j’en avais l’occasion, je proposais parfois une petite visite vite fait dans un bâtiment, ou un hôtel que j’avais construit. Je l’avais fait, en quelques sortes, il y avait de cela quelques mois, quand j’étais allé passer des vacances dans l’archipel hawaïenne avec ma petite-amie. Bien évidemment, les vacances étaient le premier but de notre voyage, mais j’avais fait gaffe de choisir l’hôtel de la marque, histoire de donner bonne image, de montrer que j’y tenais, en quelques sortes. Ça n’avait pas été l’idée du siècle, mais au final, tout le monde s’en était sorti à bon compte, et en mon sens, c’était l’essentiel. Par contre, je ne pouvais pas prendre des vacances à tout rompre, et ce n’était pas que dans les destinations paradisiaques qu’il y avait des bâtiments de la chaîne. Il y en avait tout près, à Washington entre autres, que ce soit des hôtels luxueux, des appartements peu abordables mais aussi, des appartements plus abordables, puisque c’était lentement, mais sûrement sur cela que je travaillais ces derniers mois. Je devais avouer qu’être avec Joyce avait changé ma vision des choses en cette direction, mais je ne le regrettais pas, et pour le moment, rien n’indiquait que c’était une mauvaise décision d’entreprise. Au contraire, malgré les hésitations dans un premier temps, tout le monde semblait embarquer à bord de cette idée, et elle commençait à porter fruit. Pour que le tout se poursuive dans cette lancée, je me devais de faire ma part par contre, et faire ma part, ça consistait à payer des visites, entre autres. Voilà quelle était mon intention aujourd’hui. Sans vraiment l’annoncer à qui que ce soit - sauf aux responsables de l’immeuble, pour qu’on me laisse entrer et qu’on soit prévenus - je me rendis donc dans le bloc appartement, garant ma voiture à l’avant de celui-ci, avant de me rendre à l’entrée principale pour annoncer au gardien qui j’étais, puis finalement commencer ma petite visite, sans trop savoir comment elle allait se passer.

Le plan était tout simple, devait normalement fonctionner sans problème; je devais m’annoncer au gardien, qui, normalement, était au courant de ma venue, me balader dans l’établissement, et ce serait chose faite. Que je croise des gens ou pas, c’était apparemment secondaire, même si, évidemment, je préférerais de loin entendre certaines gens, peut-être m’entretenir avec eux. Mais avant ça, je devais entrer, passer, ce que je ne pus faire avant qu’on vienne m’aborder. Gentiment, je ne pouvais pas le nier, mais il n’en demeura pas moins que pendant un instant je me trouvai quelque peu pris au piège. Personne ne m’avait parlé de la surcharge de travail du gardien ou quelque chose comme ça. Plus encore, dans le cas présent, je n’avais pas tant préparé un discours pour une telle situation, me laissant un tantinet embêté. Malgré tout, j’esquissai un sourire timide, refusant d’être malpoli ou quelque chose dans le genre, même si j’étais conscient qu’un sourire ne me mènerait pas bien loin que je devrais trouver quoi répondre. Parce que bien sûr, dire que j’étais venu que pour flâner, ça ne le faisait pas vraiment. Obligé de faire usage d’imagination, je fis ce que je ne détestais pas faire - bien que ce soit parfois au détriment des autres, sans que ce soit complètement méchant non plus - soit jouer le jeu. Du coup, je dis:  « Oh euh… J’ai pris rendez-vous pour visiter un appartement qui sera bientôt disponible, si j’ai bien compris. » Tourner autour du pot était bien loin d’être ma spécialité, mais avais-je vraiment le choix dans le cas présent ? Pas tant et aussi longtemps que je ne me serais pas doté d’une histoire un peu plus crédible pour le coup, c’était certain. Mais sachant aussi que m’arrêter comme ça ne serait probablement pas bien vu, je saisis l’information qui me fut donnée, en profitant pour ajouter:  « Je ne me souviens plus du numéro, je crois que c’était au huitième… » Comme ça, peut-être que mon histoire un peu bateau allait tenir un peu plus longtemps, si l’appartement en question était à un étage que le jeune homme ne connaissait pas. Ne comptant pas trop sur cela, je ne tardai pas à reprendre la parole, haussant les épaules avant d’ajouter:  « Mais je ne suis pas pressé, j’attendrai. Ou bien je peux peut-être commencer à considérer de l’extérieur ? » Extérieur dans le cas présent voulait dire le hall d’entrée, les ascenseurs, les couloirs… Mine de rien, c’était là des détails qui faisaient toute la différence. Enfin, c’était ce qu’on m’avait dit, d’où le fait que je m’étais vu approuver des investissements sur la décoration des couloirs, l’apparence de prison austère étant peu bienvenu dans un lieu de résidence - ce que je pouvais tout à faire comprendre. Mais sachant que c’était là que mon avis, je saisis l’opportunité donnée pour demander:  « C’est bien comme immeuble, ici ? » Après tout, c’était ce pour quoi j’étais venu dans un premier temps; voir si tout allait bien. Du coup, autant poser la question. Qui sait, peut-être que l’aimable jeune homme serait assez sympathique pour m’en dire davantage et être honnête sur ce qu’il pensait ?