Avocate contre stagiaire, round 1 ♠ Adriano

La mort dans l’âme chaque matin tu te lèveras. Du temps pour prendre un café afin de te réveiller tu n’auras. Les yeux rougis par la fatigue tu supporteras. Ton maître de stage dans toutes les situations, satisfaire tu devras. Les dossiers les plus emmerdants, toute la matinée tu trieras. Changer le papier de la photocopieuse tu n’oublieras pas. Rentrer à l’heure prévue chez toi tu ne pourras. En gros, être stagiaire c’était un peu tout ça à la fois. Quand j’avais été pris dans le cabinet d’avocat le plus réputé de la ville j’étais terriblement content de moi. Après tout, ils étaient connus pour refuser presque toutes les demandes de stage. Mais pourtant, j’avais eu la chance ou l’honneur, je ne sais pas encore très bien, d’être accepté par mon maître de stage pour le reste de l’année scolaire. Alors bien sûr, je me doutais que mon travail ne serait pas des plus passionnant et encore moins au début, mais à ce point-là. Pour tout dire, les collègues étaient sympathiques, la secrétaire quoi. Elle m’appréciait et je l’appréciais. Par contre, la relation avec mon maître de stage, n’était pas tout à fait aussi simple. En fait, c’était presque bizarre, parfois j’avais l’impression qu’elle oubliait tout et rien. Jusqu’à mon prénom ou la marque de son stylo. On m’avait dit que c’était un dragon mais pas qu’elle était totalement sénile. J’espérais au moins qu’elle ne serait pas incontinente en plus de ça, parce que j’avais déjà une idée de qui aurait eu à changer sa couche tous les jours. J’étais déjà arrivé au cabinet depuis un petit moment. Je préférais être en avance de deux heures qu’en retard de cinq minutes, et ce même en classe. De toute façon avec Sheri, il fallait marcher au pas pour survivre. Je n’étais que là depuis une semaine que je comprenais déjà la façon de fonctionner de cette femme. Il était hors de question de lui avouer que je voulais être procureur plutôt qu’avocat, je tenais à ma tête tant qu’elle était encore sur mes épaules. J’étais en train de parler avec Sharon, le sourire aux lèvres. C’était un peu mon moment de répit dans la journée. Sheri était une très belle femme, mais je n’en voudrais jamais à la maison. D’ailleurs je n’en voudrais pas tout court. Pourtant elle me faisait un peu penser à Kalya, un caractère de merde. Sans doute que j’en avais assez d’une à supporter. Mais je n’avais pas le choix, je devais me constituer un bon dossier, et ça passait par finir un stage dans un très bon cabinet, ici.

« C’est Adriano. » Je crois que je devrais lui rappeler tous les jours, et je pensais d’abord que c’était une forme de mépris, mais elle avait vraiment toujours l’air aussi surprise de me voir dans son bureau. C’était particulier, mais je préférais ne pas broncher. « Pour le moment, j’ai eu un programme assez intéressant, j’ai fait le café le premier jour, le second j’ai aidé à la secrétaire à filtrer les demandes inintéressantes, le troisième j’étais en salle d’archives pour écrire des lettres sur des cartons. Mais depuis deux jours, vous m’avez donné des dossiers à analyser afin de proposer un mode de défense adapté. » Je n’avais aucune prétention dans mes paroles, je m’étais contenté de répondre à sa question tout simplement, puisque que c’était réellement ce que j’avais fait jusqu’à maintenant. Je n’étais pas certain qu’elle allait le prendre de la bonne façon, mais je parlais sans arrière-pensées, et même si j’avais dû faire le café pendant toute l’année, je l’aurais fait puisque c’était le travail qu’on m’aurait donné. Je ne suis pas du genre à me plaindre. La plupart du temps je fais ce qu’on me dit, et j’attends que les mauvais moments passent. « Si j’avais déjà défendu quelqu’un, je serais derrière un bureau comme le vôtre dans un cabinet qui porterait mon nom, mais je suis ravi d’apprendre à le faire à vos côtés. » Je lui fis un sourire sincère, réellement heureux d’être en stage. Mais je l’aurais été encore plus si ça avait été avec quelqu’un d’autre, ça c’était certain. J’avais l’impression de me retrouver avec ma mère. « J’ai fait beaucoup d’archivage, j’ai relu vos dossiers en cours, j’ai trié vos affaires par ordre de comparution au tribunal, et actuellement vous m’avez demandé de vous seconder pour un dossier concernant un divorce. » Je la regardais sans sourcilier.

Je ne pouvais pas le nier, je me suis fait violence pour ne pas lever les yeux au ciel en soupirant. J’écoutais mon maître de stage qui me parlait, et sa voix me faisait autant plaisir à entendre que le crissement d’une craie sur un tableau noir dans une classe de primaire dès le lundi matin. Autant dire, que ce n’était pas une réelle partie de plaisir. En postulant dans un cabinet aussi réputé que celui-là, je ne m’étais pas attendu à grand-chose de plus accueillant, et il faut dire que j’avais choisi un milieu compliqué, où faire sa place était difficile. Je n’ai jamais été vraiment quelqu’un d’odieux ni de prétentieux, mais lorsque je me retrouvais en cours ou dans un contexte professionnel, je n’avais pas le choix, et j’en étais capable. J’avais déjà vu un certain nombre de mes camarades abandonner leurs rêves de carrière à cause d’un stage trop compliqué, mais je n’étais pas comme ça, j’ai toujours travaillé dur et je refusais qu’une personne hautaine me barre la route que j’avais mis tellement d’années à frôler. Major de ma promotion, je n’avais absolument pas à rougir de mon parcours, et même si c’était mon premier stage dans un endroit réputé, je saurais me montrer à la hauteur, parce que j’en avais la motivation et les capacités. Cette femme avait beau me toiser comme si j’étais le dernier des abrutis, je tiendrais bon jusqu’à la fin de mon stage, je m’en faisais la promesse. Je ne pouvais pas me laisser marcher sur les pieds maintenant, c’était un peu comme le stage de toute une vie. J’étais capable de monter à bien cette torture. Je n’étais qu’à moitié concentré sur tout ce que Mlle. Brackenreid me disait, et pour cause elle venait quand même de me redemander mon prénom au bout d’une semaine de stage, est-ce que c’était réellement possible de faire plus méprisant que ça sérieusement ? J’aurai pu continuer à me perdre dans mes pensées pendant encore un long moment, mais certains mots comme audience, tribunal et défense me sortirent de mes réflexions pensives. « Très bien. J’ai beaucoup étudié vos anciennes affaires. J’espère que la défense que j’ai préparée vous conviendra. » Je ne voulais pas jouer les stagiaires un peu fayot, la vérité c’est que cette femme avait beau m’insupporter pour le moment, j’avais toujours été un grand admirateur de son travail, et je la respectais professionnellement parlant. J’avais toujours voulu faire un stage chez elle, et voilà qui est fait. Je ne regrettais rien, en tout cas pour le moment. « Je pense en avoir au moins suffisamment pour travailler avec quelqu’un d’aussi réputée que vous. Mais ce sera à vous de juger si j’en ai assez pour exercer ce métier. » Je souriais un peu. Bien sûr, mon ton restait posé et correct, je faisais toujours attention à ne pas placer un mot plus haut que l’autre bien que je doute que la plupart des stagiaires répondent ce genre de choses, même si quelques compliments se cachaient dans ma phrase. J’avais sur moi, un calepin pour prendre des notes, et un stylo toujours pointe dehors. La base de tout bon stagiaire, c’est quand même de pouvoir noter ce qu’on vous dit. Du genre, les commandes de café. « Vous avez raison, même annulé, un dosser n’a jamais servi à rien, ça m’a permis d’acquérir de nouvelles connaissances. » Pas certain qu’elle attendait une réponse, mais qu’importe. Je prenais alors soin d’écrire le programme qu’elle venait de m’annoncer, et qui allait être le nôtre pour la journée à venir. « Le temps que je prévois pour manger, c’est le temps que vous me donnez madame. Je préfère être assis dans un tribunal que dans une cantine. » Je m’en fichais bien de manger ou pas, l’envie d’assister à une affaire, j’attendais que ça depuis des semaines, depuis que j’étais entré en droit même. J’allais sortir de la pièce, je m’attendais à ce qu’elle me congédie. Mais contre toute attente, c’est un ordre genre d’ordre qu’elle me donna. J’avais haussé un sourcil, assez surpris par sa demande, mais je ne pouvais qu’accepter. « Vous êtes certaine ? » Je me raclai un peu la gorge en la voyant se lever. « Très bien. » J’étais pris au dépourvu, et en une fraction de seconde l’angoisse monta en moi. C’est comme perdre son sang-froid d’un coup. Mais je ne pouvais pas me le permettre, aussi je prenais place, essayant de rester calme, avec beaucoup de difficulté cependant, attendant que la fameuse dame fasse son entrée, je posais mon calepin devant moi, prêt à prendre note de tout ce qui se passerait alors.