you lose your mind with me (maëlys)

Jeremias sent un doux frisson le parcourir, celui qui attise votre désir et vous rend fous. Il avait espéré que la salle de danse principale soit libre et vide. Certes, il était arrivé à une heure plus que tardive, aucun membre de la compagnie ou de l’école de danse ne serait présent. Cependant, il y avait toujours des exceptions et Jeremias redoutait le fait que quelqu’un soit présent. Il retira son sweat shirt et son t-shirt. Il ne supportait pas de travailler avec des vêtements susceptibles de le gêner. Pour lui la danse devait se pratiquer en ressentant et affirmant son propre corps. Comment un danseur pouvait-il être conscient de son corps en portant de nombreuses couches de vêtements ? Bien sûr les justaucorps ou body étaient ordonnés, mais Jeremias se trouvait au-dessus des lois pour cette nuit. Il s’observa dans le miroir avec un franc sourire. Cette nuit était à lui, il pouvait pratiquer aisément sa passion sans subir les regards et commentaires de ses étudiants ou partenaires. Il faut avouer qu’il était plus que difficile envers ses collègues. Trouver la partenaire idéale était devenu très difficile pour lui, et lorsqu’il devait pratiquer il préférait le faire seul. Être en compagnie d’une danseuse lui rappelait de douloureux souvenir. Son ancienne fiancée avait été sa partenaire pendant cinq années avant de s’offrir à un autre. Bien qu'aujourd’hui l’évocation d’une partenaire imposait un autre visage dans son esprit. La jeune Maëlys avait été une de ses partenaires.
Il avait alors ressenti à nouveau cette connexion, ce bouleversement, cette légèreté que procure la rencontre de deux âmes sœurs. Il n’avait éprouvé ce sentiment qu’une seule fois par le passé, et à présent il ne souhaitait pas renouveler l’expérience. Elle était trop jeune pour lui, trop fragile, trop gentille, trop généreuse… trop bien pour lui. Il avait l’impression de la briser à chaque fois qui lui faisait une remarque. Elle était sans doute trop fragile pour lui. Il chaussa ses chaussons de danse et il fit de nombreux étirements en s’appuyant sur la barre face au grand miroir. Quand il était petit il adorait regardait les plus grands faire ses étirements, fasciné par les corps s’étirant, se rencontrant, se confondant. Il installa le matériel audio et se mit en position avant que la musique ne commence. Jeremias s’élança pour son premier enchaînement mais fut surpris par la musique. Ce n’était pas celle qui l’avait choisi et son corps se tendit en entendant les premières notes de « Bohemian Rhapsody ». Il resta quelques instants pétrifié devant cette musique qui avait marqué sa vie.

C’était sur cette musique que lui et son ancienne compagne avait échangé leur premier baiser. La chorégraphie demandée une confiance aveugle son partenaire. En effet, la danseuse était lancée, porté par son seul et unique partenaire. Si elle avait ne serait-ce qu’un seul doute elle pouvait se blesser. Elle devait totalement s’abandonner à son partenaire, ce qui n’était pas facile. Jeremias se souvient que seul leur duo avait réussi l’exercice. Sans réfléchir, le chorégraphe se lança à corps perdu dans cette même chorégraphie qui avait marqué ses débuts. Ses yeux se fermèrent et il oublia son environnement. Malgré sa solitude il fit comme si il dansait à nouveau avec elle. Comme s'il n’avait que dix-neuf ans, comme si il venait seulement d’arrivée à New York et tombé amoureux. Le jeune trentenaire fut emporté par ses souvenirs. Il crut entendre son rire, sa voix qui lui soufflait qu’elle aimait et cela pour toujours. Ses mains se mirent à trembler quand il repensa à ses courbes féminines. Il s’imagina qu’elle résidait dans ses bras, qu’elle était enceinte de leur premier enfant, qu’ils étaient mariés et heureux. Seulement, ce ne fut pas le visage de sa bien-aimée qui apparut mais celui de Maëlys. La chorégraphie devait se terminer par une danseuse allongée sur le sol et son partenaire au-dessus la regardant dans les yeux. Jeremias ouvrit les yeux et ne découvrit aucun visage, ni celui de celle qui l’avait aimé, ni celui de la jeune danseuse. Il resta quelques instants en essayant de reprendre son souffle et d’oublier ce qu’il venait de vivre.

« Je peux savoir ce que tu fais là !? » sa voix était agressive, chargée de tant de sentiments qu’il ne pouvait exprimer. « Tu ne devrais pas être chez toi au fond de ton lit !? », il ne pouvait supporter l’idée qu’elle a pu le voir dans cet état. Il avait horreur d’être vue lorsqu’il s’abandonnait totalement et encore moins quand il dansait en songeant à ses danseuses. « Es-tu en tenue ? » finit-il par demander, il n’attendit même pas sa réponse avant de lui ordonner « Met toi en position, nous allons travailler tes défauts ensemble puisque tu es là. »

Elle le rendait fou. Jeremias n’avait cessé de maudire la jeune femme depuis leur danse. Jamais il n’aurait dû accepter de remplacer son partenaire et encore moins de lui accorder ce moment. Maëlys n’est pas une mauvaise personne, bien au contraire. Ses camarades disaient qu’elle était généreuse, gentille, souriante. Et Jeremias détestait chacune de ces qualités. Elle ne cessait de lui rappeler ce qu’il était avant sa rupture, avant que les critiques ne s’emparent de sa personne et bien avant qu’il découvre la honte et le dégoût dans le regard de son père. Le trentenaire s’était montré plus froid et dur depuis leur danse. Il s’en voulait de se montrer aussi distant avec la jeune femme. Après avoir éprouvé une telle connexion, aucun des deux partenaires devrait se montrer aussi froid et agressif. Pourtant, le trentenaire souhaite protéger la jeune femme. Elle ne mérite pas d’être avec un homme tel que lui, et encore moins de songer à une possible relation.

Jeremias la contempla et il eut envie d’avoir cinq ans de moins. Ainsi il pourrait devenir son ami, aller au cinéma avec elle, lui raconter des blagues idiotes et lui murmurer qu’il tombe doucement mais surement amoureux d’elle. Malheureusement, il approche de la trentaine et ne peut éprouver un tel désir envers une aussi jeune demoiselle. Même si elle est bien plus âgée qu’elle ne le parait son caractère innocent l’empêche de l’approcher. Enfin, c’était avant qu’elle n’ouvre sa jolie bouche et réponde avec une certaine agressivité envers le chorégraphe. Un sourire amusé se dessina sur les lèvres de Jeremias. Maëlys s’était toujours montrée sage, douce et compréhensible avec lui, enfin avec son enseignant. En cet instant il n’était plus le professeur et l’élève, ils ne sont que deux danseurs en pleine confrontation.

« On sait tous les deux qu’un danseur souhaitant danser seul, et en pleine nuit n’est pas anodin. » Sous-entendant qu’il savait que quelque chose l’empêchait de dormir, tout comme lui-même avait besoin d’évacuer. Le chorégraphe ouvrir ses lèvres mais aucun son ne sortit. Il n’avait pas le droit de lui demander comment elle allait, et encore moins pourquoi elle se trouvait ici. Sa vie ne le concernait pas. Il se fit violence pour ne pas laisser l’inquiétude le ronger de l’intérieur. Avait-elle des problèmes ? Avait-elle besoin de parler à quelqu’un ? Et puis comme elle venait de lui demander : qu’est-ce que ça pouvait lui faire ? Après tout il n’était rien de plus que son enseignant, son chorégraphe rien de plus. Peut-être avait-il imaginé cette connexion, peut-être n’était-ce qu’une simple nostalgie après tout. Le chorégraphe tenta de détourner la conversation en lui demandant de se mettre en place pour travailler. En travaillant il pouvait remettre son masque froid et distant. Il se sentait en colère et tellement vulnérable devant cette jeune femme. Elle venait de le voir danser, et pas sur n’importe quelle danse. Bien qu’elle ignore tout ça, il s’était indigné et avait protesté devant cette vulnérabilité qu’elle avait observée. Jeremias sourit en entendant les répliques de la jeune femme. La nuit lui appartenait . Vraiment ? Il allait se faire un grand plaisir à la provoquer sur ce sujet. Il ne put retenir un doux rire quand elle lui fit remarquer que ses mains étaient trop présentes sur son corps. Aucune de ses élèves ou partenaires ne s’était offusquée de son toucher jusqu’à ce soir.

Jeremias s’avança lentement derrière la jeune femme, semblable à un prédateur. Il se pencha lentement et lui murmura à l’oreille d’une voix suave « Cette nuit tu fais ce que tu veux ? Vraiment ? Et que désires-tu Maëlys ? » En prononçant son prénom il ne put retenir un doux frison qui se déclencha le long de sa colonne vertébrale. Jamais il n’avait prononcé son prénom de cette manière. Cela devrait surprendre la jeune femme, trop habitué à une voix froide, distante et professionnel. La jeune femme l’avait provoqué en répondant sur un ton colérique égal au sien. À présent, ou du moins pour cette nuit il se permettrait de la traiter comme une danseuse et non une élève. Comme une femme et non comme une enfant. Le chorégraphe pose alors ses mains sur la taille de la danseuse. Son touché est différent des précédents. Ses mains se font plus douces, plus sensuelles qu’à son habitude. Lorsque Jeremias joue les chorégraphes son touché et maîtrisé, assuré et confiant. Il sait ce qu’il fait, il sait comment le mouvement doit être prononcé. Cette fois, c’est un toucher plus intime, plus sensible. « Si c’est ce que tu penses j’en suis navré. » répond-t-il d’une voix claire et détachée tout en caressant lentement et discrètement les hanches de la jeune femme. Puis retrouvant sa voix plus basse, plus intime il murmure « Je prends note de ta remarque. À présent je toucherais davantage tes autres camarades en évitant de te toucher. Si c’est ce que tu désires réellement ». Jeremias se détacha lentement, mais resta immobile derrière la jeune femme. Maëlys ne s’était sans doute pas rendue compte qu’elle jouait avec le feu, mais peut-être que lui non plus.

À quoi jouait-il ? Même lui l’ignorait. Maëlys représente tout ce qu’il était avant, et ce qu’il aimerait également connaitre. Il essaya d’effacer de sa mémoire leur danse qu’ils avaient partagé et encore plus ce regard qu’elle venait de poser sur lui. Elle avait le même regard que sa fiancée. Celui qui mélange l’admiration et le désir. Depuis combien de temps méprisait-il ces regards d’admiration ? Sans doute depuis que danser n’était plus un réel plaisir. Jeremias a commencé à danser par passion et amour mais très vite cela est devenu contraignant. Il devait apprendre ce que les plus grands avaient produit avant lui, les erreurs qu’ils avaient commises et les rêves qu’ils avaient réalisés. Étrangement depuis son intégration à l’école de danse il n’était plus vraiment le même. Les regards envieux et jaloux de ses camarades ne lui avaient jamais échappé. Il faisait comme si il ne voyait rien, comme si cela n’avait aucune importance. Puis ces mêmes regards étaient devenus admirateurs et séducteurs à son égard. Tout le monde voulait une partie de son âme, tout le monde réclamait une danse, mais tout le monde ignorait qui il était. Jeremias n’avait plus dansé pour lui-même depuis bien trop longtemps. Son travail d’enseignant lui plaisait énormément mais une partie de lui mourait lentement de ne plus danser pour ses propres désirs ou démons. Alors, il eut le courage de prononcer les mots qu’il aurait aimé entendre quand il avait son âge « Très bien. Tu danseras pour toi ce soir »

Il eut un petit sourire en entendant la réponse de la jeune danseuse. Bien qu’il s’attendait à une autre réponse de sa part. Il respira lentement et profite du calme de la salle de danse. La musique s’était arrêtée depuis sa danse et il savait qu'ils n'étaient que tous les deux. A une époque lui aussi ne demandait que ça. À présent il avait oublié le gout d’être libre d'enchaîner les pas et mouvements sans être jugé ou noter. Il ne peut priver la jeune femme de ce plaisir. C’est pourquoi il conserva le silence, approuvant son désir d’être libre. Jeremias se mordit doucement la lèvre, il adorait provoquer la jeune femme et la faire devenir plus audacieuse. Son image trop parfaite et lisse l’attirait comme elle le révulsait. Parfois, le chorégraphe avait l’impression d’être face à un ange, un être exceptionnel qu’il ne peut même pas imaginer toucher. Enfin, c’est ce qu’il pensait jusqu’à ce que ses mots franchissent ses lèvres. Jeremias reste figé devant de telles paroles. Jamais il n’aurait pensé que la jeune danseuse puisse refréner ce désir envers lui. Certes, il avait éprouvé une connexion et un plaisir certain en dansant avec elle. Bien sûr parfois les autres danseuses lui souriaient ou gloussaient comme des jeunes filles en fleur devant son sourire. Mais tout cela n’était qu’un vulgaire amusement pour elles, rien de bien sérieux. Alors que Maëlys cela avait l’air bien sérieux. Si Jeremias avait remarqué ses regards, ses sourires quand il la félicitait il n’aurait jamais pensé qu’elle puisse être réellement attirée par lui. Peut-être était-il en train de divaguer et qu’elle ne songeait à rien de cela. Sans doute regrettait elle-même ses paroles.

Lentement il passe sa main sous son menton pour que leur regard se croise. « J’aimerais tellement avoir ton âge pour… » Un sourire se dessine sur ses lèvres. À quoi joue-t-il ? Il n’a vraiment plus l’âge pour ce genre de chose. D'ordinaire les femmes qu’il fréquente sont affirmée et affirme clairement leurs désirs. Doucement il lui caresse la joue en lui souriant tendrement « J’aimerais avoir tes yeux… et regarder le monde à travers ton regard. Cela doit être magnifique. ». Cette phrase avait été prononcée avec une certaine mélancolie. Jeremias à cet instant regrettait de ne pas avoir l’âge de sa danseuse. Il l’aurait déjà invité au cinéma, peut-être même aurait ils dîner ensemble… mais il n’avait pas son âge. Et il n’avait pas envie de jouer les romantiques. Il n’était plus celui qu’il était auparavant, il n’était plus qu’un célèbre chorégraphe dont la vie lui avait échappé. Il laisse retomber sa main lentement sur son cou puis son bras en la regardant dans les yeux. « Tu ne devrais pas rester proche de moi Maëlys. Tu mérites beaucoup mieux. » dit-il en riant légèrement. « Les garçons doivent te courir après non ? Pourquoi t’ennuyer avec un trentenaire comme moi ? » Il lui offrit un doux sourire, ceux qu’ils n’offraient à personne d’ordinaire.

Étrangement il songea à toutes les femmes qu’il avait fréquentées auparavant. Comment cette petite danseuse pouvait elle envisager une relation avec lui ? Elle méritait beaucoup mieux qu’un être aussi brisé que lui non ? Il finit par approcher lentement ses lèvres de siennes et il murmura « As-tu peur ? »