Cause in the end he will always be your best friend ♠ Toto

À New York, lorsqu’une école approchait l’entreprise, c’était surtout pour demander de l’argent et faire bonne impression pendant une soirée quelconque, rien de bien profond. Ici, à Washington, je n’avais pas été encore approché pour ce genre de chose, mais j’avais quand même été contacté par un lycée de la ville. Pourquoi ? Pour que quelqu’un de l’entreprise aille rencontrer les élèves pour leur parler de ce que nous faisions, proposer des stages comme nous avions l’habitude de le faire pendant les vacances d’été. Cette idée ne me gênant pas, même si c’était nouveau, je me rendis compte qu’il me faudrait trouver quelqu’un de qualifié pour aller en discuter. Trop peu enthousiaste à cette idée, parce que je ne connaissais pas mes employés autant que je le devrais, et c’était encore quelque peu humiliant, je ne sus pas à un certain point que dire à la dame au téléphone, jusqu’à ce que par curiosité, je lui demande dans quel cours ils allaient recevoir la dite personne. Quand je sus que ce fut dans la classe d’un certain Monsieur Lloyd, qui n’avait rien de « un certain » à mes yeux, mon ton de voix changea, je dis à la dame que quelqu’un allait se présenter sans faute, et je raccrochai après avoir pris en note la date et l’heure sur le papier qui avait été utilisé pour emballer mon sandwich plus tôt dans la journée, sans me demander pourquoi je le faisais, parce que ce genre de chose, je n’allais pas l’oublier, c’était sûr et certain.

Comme je l’avais déjà pris pour acquis, le matin de cette fameuse rencontre avec les élèves, je me levai à l’heure, sans avoir besoin de quelconque réveil-matin. Je pris une douche, comme à mon habitude, puis serviette autour de la taille, je me posai au salon avec un bol de céréales, ne me préoccupant pas du fait que je n’avais même pas songé à passer un sous-vêtement. Après tout, j’étais seul chez moi, donc à quoi bon ? Une fois que j’eus terminé de manger, je posai le bol sur le plan de travail, juste à côté du reste de spaghettis que je n’avais pas nettoyé la veille, puis je retournai à ma chambre pour m’habiller, déjà prêt à prendre un pantalon normal et une chemise des plus simples. Cependant, avant de prendre quoi que ce soit, une idée me passa à l’esprit, une idée pour embêter mon meilleur ami bien comme il faut. À la place, j’optai donc pour mon jean le plus confortable, un t-shirt ample et une veste très ordinaire. Bref, le genre de tenue que je portais quand je ne voulais pas me forcer, un peu comme un adolescent. Plus encore, je mis un bonnet sur ma tête, plaçai mes documents préparés pour la conférence dans un sac à dos. Dans le miroir, je vis alors un air encore plus adolescent que d’habitude, parfait pour me fondre à la masse à mon avis. Satisfait, je quittai dans mon camion, puis je me rendis au lycée. Comme il se le devait, j’entrai par l’entrée principale, ce qui me valut un air plutôt suspicieux de la réceptionniste quand je me présentai. Cependant, puisque ce n’était pas son boulot de dire quoi que ce soit, elle m’indiqua la salle de classe, me proposant d’attendre que quelqu’un vienne me retrouver. Sans hésiter, je dis, tout naturellement:  « Oh je crois que je saurai trouver le chemin, merci. » Après tout, je passais mes journées dans une dédale de couloirs d’immeubles, un lycée, ça ne devait pas être si horrible… Heureusement, je ne me perdis pas trop, et j’arrivai en même temps que certains étudiants, faisant en sorte que je pus me fondre à la masse et me poser à un des bureaux à l’arrière. Puis, au bout d’un moment, Ezra entra dans la salle, et il me fallut alors faire un effort surhumain pour ne pas lui faire un grand sourire et un signe de la main et par conséquent, me griller d’un seul coup. Cependant, rester en place comme ça, sans rien faire ? C’était juste impossible dans le cas présent. Heureusement, je sus garder un peu de contenance et me contenter de dire à mes voisins:  « Et si on échoue l’interro il se passe quoi ? On est privés de dessert ? » Certains ne réagirent pas, trouvant étrange de voir un inconnu dans la salle, d’autres rigolèrent quelque peu, suffisamment pour savoir que j’avais probablement dérangé le cours et pour que je me cache un peu plus sous mon bonnet pour faire durer le plaisir un peu plus encore.

Est-ce que mon meilleur ami était toujours lourd comme ça en classe quand quelqu’un l’embêtait ? Franchement, j’espérais que non, parce que cela voudrait dire qu’il était le genre d’enseignant particulièrement chiant, et de ce fait, je ne pouvais faire autrement que de plaindre les élèves. Pire encore, inutile de dire que dans le cas présent, limite, je trouvais ça perturbant, parce que je ne le connaissais pas coincé de la sorte, même si ça, je ne le montrai pas, trop occupé à rester dans mon personnage, grimacer et agiter la main en ouvrant et fermant les doigts pour signifier que son charabia ne me disait pas grand-chose. Mais ça, je le fis avant de me rendre compte qu’il avait traversé la classe et que là, il se tenait juste derrière moi. Était-ce pour cela que les élèves avaient cessé de rigoler tout à coup ? Très certainement. Ezra Lloyd, somnifère et tyran… Ça sonnait vraiment mal dans ma tête. Mais avant que je ne puisse agir pour m’assurer que la situation n’allait pas empirer pour moi, je sentis soudainement ma tête à découvert. Cela ne me fit pas trop froid, parce que je commençais déjà à avoir chaud, mais ce fut suffisant pour me faire comprendre que quelqu’un m’avait pris mon bonnet. Inévitablement, je tournai la tête, et ce fut un sourire bien con que je servis à mon meilleur ami accompagné d’un:  « B’jour ? » à peine audible au final, puisqu’écrasé par l’exclamation de mon meilleur ami qui, de son côté, était en train de limite avoir une attaque. Mais plutôt que d’être inquiet pour lui, en bon ami que j’étais, je me contentai de rire de bon coeur, lui signifiant par la même occasion que clairement, je n’avais pas honte de ce que je venais de faire. Au contraire, j’étais plus que fier de mon coup. Puis, un haussement d’épaules servit ensuite à lui dire silencieusement que pour moi, il n’y avait pas d’âge pour s’amuser. Ça, ça n’avait pas changé, et en mon sens, qu’importe ce que je faisais de ma vie, qu’importe la tournure que prendrait mon rôle de chef d’entreprise, ça ne changerait jamais. J’avais toujours été ainsi, immature et parfois insouciant. Cette deuxième partie toutefois, je m’en rendis compte que lorsqu’Ezra me rappela que je ne venais certainement pas de donner une bonne idée de mon métier, métier duquel je me devrais de parler à ces élèves. Enfin, ceux-ci ne me connaissaient pas encore à proprement parler, mais à un moment ou un autre, il me faudrait me rendre à l’avant, puis dévoiler mon identité. À ce moment, j’aurais pu me sentir gêné d’avoir agi ainsi, mais ne le regrettant pas pour autant, je me contentai de simplement dire, en assenant une tape amicale dans le dos de mon meilleur ami:  « T’en fais pas pépère, je vais les dissuader. » Dissuader de quoi ? De faire un mauvais coup comme moi je venais de faire, parce que si Ezra en venait à avoir vingt-cinq élèves aussi monstrueux que je pouvais l’être parfois, le pauvre, il n’en sortirait pas vivant. N’attendant pas plus longtemps pour m’exécuter, je m’avançai vers l’avant de la classe tout en retirant ma veste, me laissant alors en jean et en t-shirt. Ce n’était pas l’idéal, et limite, je me disais que peut-être j’aurais pu glisser une cravate dans mon sac - t-shirt et cravate, quel look magnifique quoi - mais tant pis, je ferais avec. Une fois devant, plutôt que de me tenir debout et droit, je m’appuyai sur le bureau libre qui se trouvait là, devant, non-désiré par quelconque élève. Était-ce parce qu’Ezra postillonnait ? Il faudrait peut-être que je lui demande par la suite… Mais là, je me concentrai à dire aux élèves:  « Bon, eh bien… bonjour ! Je m’appelle Tommy Grayson, et je sais que ça ne se voit pas trop en ce moment, mais je suis le PDG de Grayson Towers. » Avec un sourire con aux lèvres, je marquai une pause, tentant de retrouver un semblant de sérieux pour quand même paraître ne serait-ce qu’un peu crédible, puis j’ajoutai:  « Ne vous en faites pas, je ne m’habille pas comme ça au quotidien. J’ai voulu faire une blague à votre professeur, ce matin. Et sans vouloir me vanter, je crois avoir réussi mon coup. » J’eus droit à quelques exclamations d’approbation, pour mon plus grand plaisir, et ensuite, je me lançai dans le vif du sujet en affirmant:  « Je vous avoue par contre que je ne suis pas des plus doués pour faire une conférence, donc ce que je vous propose, c’est de me poser vos questions, et j’y répondrai du mieux que je peux. » Ce fut ainsi que d’un geste de main, je laissai la parole aux étudiants qui voulaient bien demander quelque chose, ne manquant toutefois pas de considérer mon meilleur ami et en lui adressant un petit clin d’oeil complice, par simple réflexe.

Si Ezra semblait avoir envie de garder une certaine contenance et une droiture devant ses élèves, de mon côté, je n’avais pas grand-chose à perdre. Évidemment, j’étais orgueilleux quand l’occasion s’y prêtait, mais là, en ce moment, je ne voyais pas pourquoi je ferais une crise devant les bêtises de mon meilleur ami, bêtises qu’après tout, j’avais été l’instigateur dans le cas présent. Le sourire aux lèvres donc, je le laissai prendre mon bonnet, le donner à n’importe quel élève qui le porterait certainement mieux et beaucoup plus souvent que moi, à moins que celui-ci soit si dédaigneux qu’il ne saurait se le permettre, mais ça, ce n’était pas mon problème. Je le laissai ensuite me faire des semblants de menace, auxquelles je me contentai de lui offrir un grand sourire, sans éclater de dire, histoire de ne pas lui retirer toute sa crédibilité. Plus encore, ce fut sans attendre vraiment plus longtemps que je me rendis à l’avant, et que je me présentai brièvement, prêt à recevoir les questions des élèves, sans que celles-ci viennent. Bien que je ne le montrai pas, parce qu’à force de m’exaspérer des réunions, je savais demeurer impassible quand le moment l’exigeait, je fus quand même quelque peu décontenancé, parce que je me doutais bien que personne ne souhaitait que je reste planté là pendant une heure, sans dire un mot. Mais comment étais-je supposé corriger la situation ? Devrais-je commencer un monologue nullement préparé ? Avant que finalement, je sois en mesure de répondre à la question que je m’étais silencieusement posée, Ezra intervint, en venant à poser une première question, bien simple, qui, dans un premier temps, m’arracha un petit sourire à l’idée de la réponse que je comptais formuler, pour me rendre compte, en considérant ces adolescents, que je ne pouvais pas dire ça. Je savais que je n’avais jamais fait ça précédemment, mais je me doutais bien que personne ne voudrait que je dise tout simplement que j’étais né dans une famille riche, que ce boulot m’a été promis à l’instant où mon frère a perdu la vie dans cet accident de voiture qui avait tout changé et qu’au fond, jamais je ne m’étais vraiment forcé pour occuper ce poste, à la grande frustration de bien des gens qui, eux, avaient bossé toute leur vie et n’y parviendraient probablement jamais. Devrais-je mentir donc pour me donner une meilleure image ? Ce serait difficile, considérant que je ne connaissais pas les programmes universitaires et qu’au final, je ne ferais que m’enfoncer davantage. Décidant de dire la vérité, mais en l’embellissant, donc en me départant de tout sarcasme ou humour susceptible de déplaire, je dis:  « Alors j’ai fait le lycée, comme tout le monde, et ensuite, j’ai fait un programme accéléré de deux ans dans une école de commerce à New York. » École de commerce qui m’avait accepté surtout parce que mon père leur avait fait un généreux donc pour qu’ils le fassent, mais ça, c’était une autre histoire, histoire qu’ils n’avaient pas besoin de le savoir, comme ils n’avaient pas à savoir que je n’y étais pas entré directement. Cette partie, Ezra était toutefois parfaitement en courant, puisque c’était avec lui que j’étais parti à dix-huit ans pour voyager avec un sac à dos et une tête remplie de rêves. Notre voyage s’était coupé beaucoup trop court, mais jamais je ne saurais regretter les moments que nous avions passé ensemble, puisqu’ils restaient malgré tout les plus beaux de ma vie. Après, si jamais il y avait une semaine spéciale « Voyage » à l’école, je pourrais revenir pour en parler, mais la base étant ma carrière pour le coup, je me dis que le mieux fut d’ajouter:  « Mais j’ai surtout appris sur le terrain, avec mon père.. » Me rendant compte que je m’approchais d’une nouvelle pente glissante, je me rattrapai en disant:  « Mais ce n’est pas pour autant que la théorie n’est pas importante ! Au contraire, c’est essentiel d’écouter ses professeurs ! Surtout celui de mathématiques… La littérature, on peut s’en passer par contre… » Je relevai la tête pour lancer un clin d’oeil à l’adresse d’Ezra, histoire de lui montrer que je cherchais juste à l’embêter à mon tour, puis je reportai mon attention sur les élèves avant d’ajouter:  « Non vraiment, je déconne. Je suppose que le mieux c’est vraiment de trouver l’équilibre entre la théorie et la pratique… » Après, comment ? En boulot d’été ? En stage ? N’ayant jamais été obligé de passer par là, je pouvais difficilement le dire. Je savais que l’entreprise offrait certains programmes pour les lycéens, mais je ne savais pas trop si c’était le moment d’en parler, alors je me tus, attendis de voir si quelqu’un d’autre allait réagir, ou si ce serait mon meilleur ami qui reprendrait la parole encore une fois.

 « Hé, chaque abruti peut avoir le boulot qu’il veut, on ne juge pas ! » voilà ce que je répondis lorsqu’Ezra choisit d’alimenter la pique que je lui lançai, ce qui ne fit pas nécessairement réagir les élèves, mais me fit grandement sourire. Et un peu naïf comme je pouvais l’être parfois, je ne me rendis même pas compte qu’au fond, s’ils n’avaient pas ri, c’était probablement parce qu’il y avait une potentielle leçon à tirer de mes propos. En effet, tout ce que je voulais dire, c’était tant que chaque personne aimait son métier, le temps de travail, l’argent gagné, ça avait peu d’importance. En tout cas, personnellement, j’en étais encore au stade d’apprendre à aimer mon métier, et pour le moment, les changements apportés à l’entreprise avaient porté ses fruits, dans le sens où je le supportais beaucoup plus que l’année dernière à pareille date, sans toutefois que ce soit parfait. Et en toute franchise, même si je ne saurais jamais me plaindre de l’argent que j’avais et l’aisance que celle-ci me procurait, il n’en demeurait pas moins que j’échangerais cela pour un salaire plus maigre, mais qui me permettrait de faire un métier me donnant l’occasion de m’amuser chaque jour, comme Mickey Mouse à Disneyland ou un truc du genre, comme je voulais faire depuis que j’étais gamin. Maintenant je ne pouvais plus vraiment caresser ce rêve, et je faisais avec, mais parfois, je me surprenais à envier un peu mon ami. Non pas dans le sens où j’aurais voulu enseigner la littérature, parce que non seulement, j’aurais été incapable de lire quelconque bouquin mais de plus, la direction se serait probablement arraché les cheveux à me voir faire, parce que ma classe aurait été tout sauf sérieuse, moi le premier, et toute personne qui passait dans les environs en ce moment étaient déjà susceptibles de s’en rendre compte, alors que je n’étais même pas là pour enseigner, mais pour parler de moi. Alors enseigner autre chose, c’était tout simplement peine perdue. Mais ça, je ne le mentionnai pas aux élèves, puisqu’au final, la question posée par mon meilleur ami, puis l’échange qui s’était ensuivi, avait eu pour effet d’éveiller quelque peu les jeunes étudiants, qui en vinrent à poser quelques questions à leur tour. La première question ne m’étonna pas tant, m’arracha même un petit rire avant que je dise:  « Je n’ai pas les chiffres exacts, mais disons que je compte mon salaire à l’heure et non au mois personnellement. » Était-ce suffisant pour signifier que c’était un paquet d’argent ? Fort probablement, ou en tout cas, ce fut suffisant pour  qu’ils écarquillent les yeux et semblent soudainement plus qu’admiratifs de mon métier, mais pas suffisant pour faire cesser les questions. En effet peu de temps après, une seconde, hors-sujet, sortit de la bouche d’une autre élève, me faisant sourire de façon amusée encore une fois. Cependant, je n’eus pas le temps de répondre qu’Ezra prit la parole, reprenant les élèves sur leurs différentes interrogations. Une fois qu’il eut terminé, parce que personnellement, cela ne me gênait pas, je levai la main discrètement, histoire de lui signifier comme quoi il n’avait pas à s’en faire, puis je reportai mon attention sur la jeune élève et je lui dis:  « Oui c’est vrai. C’est vrai que je l’endure depuis un bon moment maintenant. Je l’ai même supporté en voyage pendant un an. Vous imaginez le truc ? » J’aurais pu m’étaler encore un moment sur le dit voyage et tout ce qui venait avec, mais je choisis de me raviser, sachant que là, il ne serait plus possible de parler de mon boulot. Enfin, j’étais conscient que j’avais ouvert la porte pour cela, d’où le fait que je crus bon de reprendre mon sérieux, et mentionner:  « Mais vous savez, qu’importe le boulot que vous faites, ne tournez pas le dos à vos amis les plus proches. Ils seront toujours très précieux et importants dans vos vies. » En pensant à cela, je ne pouvais que songer à mes parents, qui avaient snobé une grande partie de leurs amis qui n’avaient pas un salaire à peu près similaire au leur, ce qui m’avait toujours dégoûté. Et franchement, si ce n’était pas d’Ezra dans ma vie, je n’étais même pas certain de comment je serais en mesure de tenir le coup, alors oui, je jugeais qu’il était essentiel qu’il le sache, et que tous le sachent également. Plutôt fier de mon coup cette fois-ci, même si je savais trop peu ce que cela allait donner par la suite, je me permis quand même de faire un clin d’oeil à l’adresse de mon meilleur ami avant de regarder les élèves et leur demander, histoire d’alimenter un peu le sujet et ne pas faire exploser de colère leur professeur:  « Vous savez, on propose des stages à Grayson Towers. Vous n’avez pas de questions liées à cela ? Ou juste des gens intéressés à en faire un ? » Je n’avais pas vraiment prévu faire une telle promotion comme ça, mais là, puisque la situation s’y prêtait, je me disais que c’était quand même mieux que rien.

 « En quelques sortes, ouais. » Voici ce que je dis à l’adresse de la classe et indirectement de mon ami au moment où il estima mon salaire à être suffisant pour me payer une jolie voiture chaque mois. Évidemment, ce n’était pas cela que je faisais, parce que pour tout dire, mes trois véhicules de base - soit mon Silverado, ma Audi et ma moto - étaient amplement suffisants pour me satisfaire, mais disons que je ne me privais pas quand je voulais acheter quelque chose de plus luxueux. Tandis que certains étaient obligés de se serrer la ceinture pendant des mois, faire des plans, pour acheter quelque chose de ce luxe, moi, je me contentais de sortir la carte de crédit, ou même faire un chèque quand je ne voulais pas me casser la tête. Je savais que j’avais de la chance, d’où le fait que bien souvent, je ne la gardais pas que pour moi, cette chance, j’aimais partager avec les autres, sans pour avoir comme intention de les mettre mal à l’aise. Plus encore, jamais je ne laissais mon compte bancaire dicter mes amitiés, et c’était ce qui avait fait en sorte que je m’entendais si bien avec Ezra, à mon avis. Bien sûr, quand il était venu le temps de partir en voyage, j’avais fourni plus que ma part, mais ce voyage, on avait mis plus que de l’argent, on s’était dévoués à celui-ci en se promettant de ne jamais nous limiter, et même si parfois, nous nous étions retrouvés dans des situations un peu gênantes de l’avis de certains, je ne regrettais pas une seule minute de celui-ci, même pas quand cela suscita des commentaires douteux de la part des élèves, et que mon ami ne se fit pas prier pour les alimenter en parlant de moi en bikini. À ce propos d’ailleurs, je ne sus faire autrement que de rire de bon coeur, probablement même un peu trop fort, trahissant le fait que non seulement, c’était fort probablement arrivé mais que de plus, je l’assumais très bien. Cependant, me rappelant que j’étais dans une salle de classe, je ne continuai pas la discussion sur ce sujet, bien que je me voyais déjà affirmer que les noix de coco et les hauts en triangle m’allaient à merveille. Bien sûr, je voulais rigoler, et en d’autres circonstances, peut-être que je ne me serais pas gêné pour le faire, mais je ne voulais pas non plus complètement traumatiser ces pauvres jouvenceaux, quand même. Reprenant mon sérieux donc, je me contentai de simplement parler de l’importance de l’amitié, me valant un bisou à distance de la part de mon meilleur ami, auquel je répondis avec un sincère sourire qui se dessina sur mes lèvres exactement au moment où Ezra en vint à parler du fait que je venais le dépanner dans la classe. La vérité était qu’au moment où on m’avait proposé cela, je ne savais même pas que c’était devant lui que j’allais faire mon petit spectacle. Après, est-ce que le savoir avait influencé ma décision ? Tout à fait, et je n’allais pas le nier. Mais franchement, je ne le regrettais pas, et pas juste pour la complicité avec mon ami, mais aussi pour le contact avec ces adolescents, plus intéressés que je ne le pensais à ce que je racontais quand il était question du boulot. En effet, certains semblaient déjà intéressés à l’idée de faire un stage, ce qui était bien, je supposais. Cependant, il y en a un d’entre eux qui me surprit par ses ambitions, soit de devenir beau et riche. Rigolant doucement, je me permis de lui dire, à la fois à la blague et sérieux:  « Ce n’est pas qu’un stage qu’il te faut alors. Il faut de la patience et du travail, pour les deux. » Parce que bon, il fallait l’admettre, les boutons, ce n’était pas trop ça quand même. Cependant, pour être certain qu’il comprenait mon humour, je lui souris, espérant ne pas l’avoir vexé ou quoi que ce soit. Parce qu’un adolescent qui se la croit, il n’y a rien de plus susceptible, j’en avais malheureusement l’impression.