LUNA&LEVI ▬ Tell me that everything will be fine

Certains pourraient dire que j’étais en train d’abuser la bonté de mon amie en ne lui demandant pas de s’arrêter dans son massage ou quelque chose du genre, mais à mon avis, ça n’avait absolument rien à voir. Limite, dans mon cas, c’était une bonne chose que je la laisse aller, parce que c’était la preuve que je lui faisais entièrement confiance, et rares étaient les personnes qui pouvaient se permettre une chose pareille avec moi. En fait, je ne savais même pas si les cinq doigts de la main étaient nécessaire pour dénommer ces personnes, et Luna en faisait partie. Était-ce parce que je la connaissais depuis un moment maintenant ? Parce qu’elle ne m’avait jamais déçue ? Parce que jamais elle ne m’avait jugée par rapport à ce que je faisais, comment je menais ma vie, alors qu’elle aurait pu se le permettre bien des fois ? En mon sens, c’était un mélange de toutes ces options. En tout cas, cela avait fait en sorte que pas un instant, j’avais hésité à la laisser passer sa main dans mon cou, me permettant même de rire doucement lorsqu’elle en vint à dire qu’elle était la meilleure pour ça. C’était léger, c’était tout simple, c’était exactement ce que je voulais, je n’en demandais pas plus franchement. Évidemment, si jamais elle venait à en avoir assez à un certain point, je n’allais pas faire tout un cas, mais disons que le temps que cela durait, je profitais du moment pleinement. Et pour ça, je jugeais que je n’avais pas besoin de dire quoi que ce soit, et je le pensai jusqu’au moment où, sans que je m’y en attende vraiment, Luna en vint à me demander pourquoi je semblais aussi tendu. Évidemment, j’avais senti qu’elle semblait avoir heurté un noeud, ou je-ne-sais-quoi, puisque je ne me risquais pas à avoir des massages chez des inconnus, c’était au-delà de mes capacités. Mais ce que je savais par contre, c’était que je ne savais pas quoi lui répondre exactement. Comment étais-je supposé expliquer tout ce qui me passait par l’esprit ? Il y en avait trop, ce n’était juste pas possible. Quelque peu honteusement, je me contentai de simplement hausser les épaules et dire:  « Je sais pas… », visiblement trop peu prêt à venir déballer mon sac sur quoi que ce soit pour le coup, même si j’étais conscient que ce n’était pas l’idéal pour poursuivre une conversation, et je n’étais pas fier de ne pas être en mesure de détourner le sujet ou quelque chose du genre, c’était sûr et certain.

Luna n’avait pas besoin de me dire que je pouvais me confier si jamais je sentais que c’était nécessaire, puisque d’une certaine façon, je le savais déjà. Non pas parce que je prenais pour acquis son amitié, sa bonne écoute, mais parce que je la connaissais suffisamment bien pour savoir que jamais elle ne m’avait laissée tomber, même si elle m’avait vu dans des états probablement plus lamentables que celui-ci avant aujourd’hui. Enfin, je ne saurais pas me remémorer quand exactement, mais disons qu’en somme, je n’avais pas peur d’être jugé ou quoi que ce soit avec elle. Ce qui me faisait surtout hésiter à lui parler ouvertement de ce qui pouvait me tracasser au quotidien était le fait que j’aurais l’impression d’abuser de sa présence. Si j’avais un souci bien précis dans ma tête, plutôt qu’une panoplie qui me faisaient chuter dans ce qui me semblait être un cercle vicieux, peut-être que je lui en parlerais, mais là, j’en étais à un stade où je ne savais pas comment ordonner les choses dans ma tête. Mes soucis, c’était qu’Haley me manquait, chaque jour qu’elle n’était pas avec moi, et qu’il n’était tout simplement pas possible de tenter de parler à Savannah pour la voir plus souvent. Comment saurait-elle accepter ? Maintes fois, elle m’avait fait comprendre que je devais m’estimer chanceux de la voir un week-end aux deux semaines, donc en demander plus serait un caprice, voire une utopie. Et parce qu’elle n’était pas là, parce que je ne lui parlais pas, parce qu’au fond, j’étais seul au monde - et pour ça, je n’en voulais pas à Luna, évidemment - je me réfugiais dans ce que je connaissais pour ne pas sombrer dans une torpeur encore plus noire dont je ne saurais me tirer. Je savais bien que la drogue n’était pas la solution, mais c’était la seule que je connaissais, et même si j’avais songé parfois à tenter de m’en tirer, je révoquais l’idée en me disant chaque fois que ce n’était pas possible. Je n’avais pas les moyens, mais surtout, à quoi bon, si personne ne le remarquait ? À quoi bon de me sentir mieux alors que peut-être cela ne changerait rien ? Voilà à quel stade j’étais dans mon esprit, un stade particulièrement flou, qui, au fond, ne valait pas nécessairement d’explications. À court de mots, ne sachant donc que dire, je me contentai de simplement, une fois que Luna eut lâché mon dos, me libérant de cette tension, approcher timidement ma main de la sienne, puis, à mon tour, appuyer une pression sur sa paume, dans l’intention de la soulager un peu, et la remercier, silencieusement. Évidemment, je n’étais pas un expert, mais bon, si cela pouvait au moins montrer ma gratitude, c’était déjà un bon début. Puis, après avoir poussé un soupir, je décidai de quand même dire un petit quelque chose, soit:  « Elle me manque, mais ça, ce n’est pas nouveau… » Et pourquoi cela me semblait plus douloureux maintenant qu’ici ? Ça, c’était ce que je ne saurais pas dire. Autant m’en tenir à ce qui était donc clair pour le coup, même si je savais bien que ce n’était pas suffisant. Mais Luna ne devrait pas en être surprise, ce n’était pas nouveau venant de ma personne, ce genre de comportement, tellement que ça en devenait lassant, parce qu’à trente ans, je tournais en rond, plus que jamais, j’en avais malheureusement l’impression.

Malgré moi, un rire sortit de ma bouche au moment où Luna vint à me suggérer de demander à Savannah la permission de pouvoir voir Haley plus souvent. Il était sorti tel un réflexe, comme si sans trop réfléchir, mon cerveau avait associé cette proposition à une blague, quelque chose de si utopique que ça en devenait stupide. Puis, lentement, mais sûrement, quand je me rendis compte de ma réaction, mais que je me rendis surtout compte que celle-ci pouvait s’avérer particulièrement insultante à l’adresse de mon amie, je me rétractai, reprenant mon sérieux en me raclant la gorge et en lui adressant un maigre et maladroit:  « Désolé… » qui représentait à peine comment j’étais vraiment embêté par rapport à ma réaction et comment j’étais honteux de ne pas avoir su me contrôler. Baissant la tête, inspirant profondément afin de retrouver pleinement mon calme, mais aussi une certaine contenance pour être en mesure de lui répondre plus adéquatement, m’expliquer, je ne savais pas encore. Une chose était certaine, c’était que je ne voulais pas gaffer une nouvelle fois, parce que Luna était, sommes toutes, une de mes rares alliés, alors je ne voulais pas me la mettre à dos pour une histoire stupide comme celle-ci. Une fois que ce fut fait, je crus quand même bon d’ajouter, histoire de m’excuser peut-être un peu mieux:  « C’est pas contre toi, c’est juste que… » Cette fois-ci, je soupirai, non pas contre moi ou bien contre Luna, mais plutôt contre la réalité par rapport à laquelle j’étais confronté dans toute cette histoire, cette réalité dont je m’apprêtais à faire part à Luna, ou du moins, de laquelle je voulais lui faire part, sans trop savoir comment m’y prendre. Je m’accordai alors quelques instants de réflexion supplémentaire, puis je finis par dire:  « On ne parle pas, Savannah et moi. C’est à peine si on se salue quand elle vient déposer, puis chercher Haley quand elle vient à la maison. Comment je suis supposé lui demander une telle chose ? » Une nouvelle fois, mon regard se porta vers le seul, et d’une voix plus basse, je dis:  « Déjà, j’ai bien compris que le fait qu’elle me laisse la voir un week-end sur deux, c’est énorme. Je ne veux pas prendre le risque de faire un caprice et perdre le peu que j’ai. » Franchement, je ne pensais pas vraiment être en mesure d’expliquer la chose ainsi, mais au bout du compte, cela le résumait plutôt bien. Après, je me doutais bien qu’il y avait des failles, dans mon discours, dans ma façon de penser, mais là, tout de suite, c’était le mieux que je pouvais faire. Maintenant, il me faudrait peut-être un peu plus de temps pour songer à ce que je pourrais ajouter, mais rapidement, je me rendis compte qu’en fait, je préférais peut-être attendre de voir la réaction de mon amie, d’où le fait que je me risquai finalement à tourner le regard en sa direction pour voir ce qu’elle allait dire ou faire.

J’avais beau être quelque peu perturbé par toute cette discussion, par le fait que je me confiais sur mes sentiments alors que ce n’était pas quelque chose que j’avais l’habitude, j’avais quand même clairement vu que Luna s’était montrée particulièrement vexée par ma réaction, et que m’excuser n’avait clairement pas arrangé la situation. D’une certaine façon, ce n’était pas vraiment surprenant, mais disons que cela me laissa particulièrement mal à l’aise pour le coup. Malgré tout, je tentai tant bien que mal d’en venir au bout de mon propos, mais je le fis plutôt lâchement, c’est-à-dire en évitant son regard, ce qui ne me plaisait pas vraiment, même si je ne savais pas si j’aurais pu le faire autrement. Au bout du compte, j’en vins même à regretter de l’avoir fait, parce que ce ne fut pas de la compassion que j’obtins de la part de mon amie. Enfin, je ne pouvais pas dire que c’était exactement ce que j’attendais, parce que depuis bien longtemps, je vivais sans compassion, mais je ne pouvais pas nier que j’en aurais apprécié davantage. Je compris bien rapidement que peut-être au fond, espérer n’avait pas été une bonne idée, que ça n’avait fait que me ramener à cette triste réalité qui était que je ne méritais pas de compassion. Je ne méritais pas de voir ma fille plus souvent, je ne méritais pas qu’on me prenne en pitié dans mon malheur. Par contre, est-ce que je méritais qu’on me dise quoi faire ? Ça, je n’en étais pas trop convaincu. Inutile de mentionner que pour ça, les propos de Luna m’embêtèrent quelque peu, mais la vérité était que ce ne fut pas vraiment ça le pire; en effet, au moment où elle en vint à dire qu’Haley était ma fille, que j’avais mes droits par rapport à elle, ce qui incluait, à son avis, de la voir plus souvent qu’un week-end sur deux, je m’en sentis même blessé. Blessé parce que c’était la vérité, et parce qu’évidemment, je voudrais bien la voir plus souvent, mais ce n’était juste pas possible. Et le fait que Luna ne veuille pas le comprendre, j’en avais l’impression, rendait tout cela beaucoup plus difficile pour moi. Ce fut à un tel point que lorsque finalement, elle ne vint à me demander si je ne lui avais jamais fait de mal ou rendue malheureuse, ce fut tout juste si je sus lui dire:  « Non. » J’aurais pu continuer en lui disant que jamais je ne pourrais me permettre de faire du mal à Haley de quelconque façon, ne serait-ce qu’en lui disant non pour une raison ou pour une autre. Cependant, je n’y parvins pas. Tendu, stressé, triste, à court de quoi que ce soit pour me calmer, je finis par baisser la tête, serrer les poings, et simplement dire:  « C’est plus compliqué que ça, voilà. » d’un ton malheureusement plus sec que je ne l’aurais voulu dans un premier temps, mais significatif du fait que je ne voulais pas poursuivre cette conversation. Je me doutais bien aussi que cela ne serait pas trop bien accueilli par mon amie après ce qui venait d’être dit plus tôt, mais au point où j’en étais, je préférais jeter un froid plutôt que de complètement perdre le contrôle de moi-même et empirer la situation.

Voilà exactement pourquoi je n’aimais pas parler de ma vie privée ou plutôt de ce qui pouvait bien me tracasser quand ma vie n’était pas autour de moi; je n’avais pas l’adresse de m’exprimer convenablement, je n’avais pas le courage de prendre les choses en main, faisant en sorte que ce genre de conversation aboutissait à une conclusion comme celle-ci; des incompréhensions, des frustrations, une tension qui ne me faisait certainement pas plaisir. Je comprenais parfaitement les raisons pour lesquelles Luna était frustrée, frustrée par rapport à moi surtout, à mon inaction concernant ma situation avec ma fille. Je savais bien que vu de l’extérieur, je pourrais me bouger, cesser d’être aussi passif, mais la réalité était que je ne savais pas comment faire, et que je n’aimais pas nécessairement me sentir brusqué quand je savais qu’au bout du compte, cela ne mènerait à rien, fort probablement. Ou si cela menait à quelque chose, je craignais beaucoup trop que cela tourne mal. Et si jamais Haley venait à mieux me connaître, peut-être cesserait-elle de m’apprécier autant ? Et si jamais notre lien changeait, mais pas pour le mieux ? Bien sûr que cela me faisait peur, que je ne voulais pas que ça arrive, et ça me freinait, grandement. Mais tout ça, toujours, je l’avais gardé pour moi, et clairement, c’était ce que j’allais faire une nouvelle fois, parce que je ne me voyais clairement pas continuer sur le sujet alors que mon amie m’avait clairement fait comprendre, non seulement par ses mots, mais aussi par son attitude, sa distance qui me faisait sentir carrément inconfortable. Je savais bien que d’une certaine façon, je l’avais mérité, mais clairement, jamais je n’aurais voulu que ça arrive à ce point. Honteux, je baissai la tête, et je marmonnai, tout simplement:  « Désolé. » Pourquoi ? Parce que je ne voyais pas faire autrement. Je n’avais pas envie de lutter plus longtemps, de prendre le risque de me prendre la tête plus longuement avec mon amie et ensuite, le regretter encore plus qu’actuellement. Et le pire dans tout cela, c’était que je m’en faisais à peine, parce que pour moi, c’était la chose la plus normale à faire pour le coup. C’était triste, mais c’était ainsi me concernant. Et pire encore, je ne m’arrêtai pas là; quand je me rendis compte que maintenant, tandis qu’un silence s’installait entre nous, je n’avais aucune idée de comment le briser, parce que je me disais que ce n’était tout simplement pas possible de faire comme si rien ne s’était passé, changer de sujet, oublier cette tension qui était en train de s’installer entre nous, je dis, bien à contre-coeur:  « Je vais y aller, je crois… », déjà prêt à me lever pour prendre la route, me sentant bien lâche de faire cela ainsi, même si là, je me disais que c’était probablement la seule solution.