Haley & Levi + It's time for you to know the truth

Depuis que j’avais décidé de reprendre le lycée, mes journées étaient fort chargées. Honnêtement, je ne m’en plaignais pas, puisque pour le moment, je ne faisais rien que je détestais. Quand je quittais le lycée, j’étais enthousiaste à l’idée d’aller à l’hôtel pour quelques heures, puis finalement rentrer pour retrouver ma fille, qui habitais avec moi depuis quelques mois maintenant. Et même si ce n’était pas toujours bien simple de tout combiner, de tout maîtriser, il n’en demeurait pas moins que je me sentais confortable avec ce que je faisais et j’avais cette impression que rien ne saurait me perturber… Jusqu’au moment où, il y avait de cela quelques jours maintenant, un de mes enseignants nous avait donné un travail à faire. Rien de bien méchant, un texte à caractère personnel à écrire, avec pour thème « Mon plus grand regret ». Ce qui m’avait perturbé le plus dans tout ça, c’était quand j’étais venu à réfléchir par rapport au sujet dont il allait traiter. Non pas que ma vie ne manquait pas de contenu, mais parce qu’elle en avait qui était lourd à porter encore aujourd’hui, dont Haley n’était même pas encore au courant. Et penser à ça ravivait des idées qui ne me plaisaient pas, qui me rendaient nerveux. Maintes fois pendant ces derniers jours, j’avais donc ruminé, à savoir ce que j’allais faire. Puis aujourd’hui, j’avais pris ma décision. Ce soir, c’était mon soir de congé à l’hôtel. J’allais pouvoir m’installer dans l’appartement avec ma fille afin que nous puissions faire nos devoirs… Et j’allais éventuellement trouver le courage de lui faire lire ce que je comptais écrire. Je ne savais pas si mon plan était vraiment le meilleur qui soit. En fait, j’étais persuadé que c’était un plan horrible, et que si je ne rassemblais pas tout mon courage, mon genre serait de me montrer lâche, et de faire un travail qui allait porter sur autre chose que ce fameux sujet qui me faisait si mal à me remémorer. Je ne voulais pas que ç’arrive, évidemment, même si l’éventualité de lui dire la vérité me faisait terriblement peur. Je craignais surtout sa réaction, bien que j’aurais mérité qu’elle me repousse, qu’elle m’en veuille, qu’elle me rejette même… Sauf que si c’était le cas, je ne savais pas comment moi, je parviendrais à vivre avec tout ça. Nerveux, je n’en fis toutefois rien, sachant que ce n’était pas le moment, sachant que mes plans précaires pouvaient changer à tout moment. Ma journée de cours se termina à la normale, et sachant qu’Haley aurait terminé elle aussi au bout de dix minutes et qu’à moins que ses plans aient changé, elle n’avait rien de prévu, je décidai de l’attendre, me rendant juste à ma voiture dans le parking, là où je pourrais facilement la retrouver.

Je n’étais pas impatient, et je savais bien qu’Haley allait mettre un peu plus de temps à arriver, mais cela ne voulait pas dire que j’étais nécessairement à l’aise d’attendre pour autant, ainsi, dans le parking du lycée, surtout du côté où les adolescents, et en particulier les adolescentes, se trouvaient. Je n’avais pas eu de relation, sérieuse ou pas sérieuse, depuis maintenant un bon moment, mais je n’étais pas naïf pour autant, et j’avais bien remarqué que certaines avaient des regards un peu insistants à mon égard. Pour être franc, ceux-ci ne me faisaient pas d’effet. La possibilité de fréquenter une personne qui avait l’âge de ma fille, ça n’avait rien d’intéressant, qu’importe si certaines étaient plus âgées qu’elle ou pas. Du coup, je les ignorais, mais comme ça, planté debout dans le parking, à aire ouverte, comme une proie qui attend naïvement de se faire traquer, je ne savais pas si je me sentais vraiment à l’aise. Pendant un bref instant, je pensai même à m’installer dans mon véhicule, histoire d’être moins à vue, mais je me fis réticent à l’idée, sachant que ce serait inconfortable, et surtout très idiot. L’idée me fut confirmée quelques instants après, quand je vis ma fille franchir les portes avec ses amies, qu’elle salua, venant seule en ma direction, m’arrachant un sourire. Ça pouvait paraître étrange comme lien, ça pouvait même être gênant pour Haley, de se faire raccompagner par son père à chaque soir ou presque, mais elle ne semblait pas mal le prendre, bien au contraire. Je n’allais pas le nier, ça me faisait chaud au coeur. Je n’aurais pas été vexé qu’elle réagisse autrement, mais je préférais de loin avoir cette relation presque saine avec ma fille - presque au vu de ce que je n’avais pas encore su lui dire concernant mon passé - plutôt que de devoir gérer les inconforts que l’adolescence pouvait lui apporter au quotidien. Sans honte donc, je l’accueillis d’un grand sourire, rigolant doucement à ses propos. Elle aussi avait bien remarqué le regard des autres, et elle le prenait à la blague, visiblement. Je préférais que ce soit ainsi, clairement, je n’allais pas m’en plaindre. Je n’ajoutai toutefois pas quoi que ce soit, loin d’être habile comme elle à ce genre de petit jeu. Je me contentai de simplement m’installer dans la voiture, côté conducteur, et mettre le véhicule en marche. Je n’eus toutefois aucun mal à répondre à ma fille suite à sa question, lui disant:  « Oui, et la tienne, ça a été ? » Après tout, ce n’était pas un mensonge; je redoutais ce devoir que j’avais à faire, certes, mais ça ne voulait pas dire que je n’avais pas eu une belle journée pour autant. Après lui avoir laissé un temps de répondre raisonnable, je me concentrai un instant sur la route, pour sortir de façon adéquate et sécuritaire de l’endroit où j’étais garé, et je demandai:  « Tu aurais envie de manger quoi ce soir ? » Il arrivait si peu souvent qu’on pouvait prendre le temps de s’asseoir et manger tous les deux, il me semblait que marquer le coup ne serait pas de trop, même si cela signifiait de commander quelque chose. Honnêtement, je ne serais pas contre, jamais je ne serais contre le fait de passer du temps avec ma fille.

Le sourire que je servis à Haley quand elle me fit part de son envie de conduire fut suffisant, à mon avis, à la fois pour monter mon amusement et pour lui dire, sans aucun mot, que bientôt, ce serait son tour. Évidemment que je n’allais pas l’empêcher de conduire quand elle serait en âge de le faire, certainement que je me ferais un plaisir de lui apprendre - si évidemment j’avais le talent pour le faire - mais chaque chose en son temps. Là, dans l’immédiat, le mieux était de choisir ce que nous allions manger pour notre repas du soir, et pour ça, je lui avais laissé le choix, parce que je pouvais, parce qu’à moins que sa proposition soit inappropriée, je ne voyais pas pourquoi je ne pourrais pas la laisser choisir. Et là, je n’avais aucune opposition à sa suggestion, du coup, je répondis:  « Je suis d’accord. » J’étais bien conscient que nous ne pouvions pas faire ça chaque fois qu’on pouvait terminer en même temps, mais une fois de temps à autre, quel était le mal ? Personnellement, je n’en voyais pas. Enthousiaste à l’idée de rendre cette soirée un peu plus spéciale, la question d’Haley me rappela que peut-être elle ne serait pas si spéciale que ça, que tout dépendait de la tournure des choses. Essayant de ne pas perdre mon air serein et heureux, je lui confirmai d’un hochement de tête que oui, j’en avais à faire aussi, et sachant très bien que le plus logique serait de les faire avant le repas, le moment où j’allais devoir m’atteler à la dure tâche était on ne peu plus près. Refusant de stresser avec ça, je conduisis jusqu’à l’appartement. Voiture garée, j’en sortis avec Haley qui, elle, se mit à courir pour monter à l’appartement. Dans les premiers temps où elle vivait avec moi, cette habitude m’avait étonnée de sa part, mais j’avais compris, progressivement, c’était une habitude qu’elle avait avec sa mère. Parfois, je m’y adonnais, mais ce soir, j’avais été trop lent, impossible de la rattraper. Bien sûr, j’accélérai le pas pour ne pas la faire attendre trop longtemps, la retrouvant malgré tout dans le canapé quand je parvins à l’entrée de la demeure. Riant à son commentaire, je lui dis:  « Non, c’est toi qui es trop rapide ! » Bon d’accord… Il y avait un peu des deux, quand même. Passant outre, je la laissai aller faire ses devoirs, tandis que de mon côté, j’essayais de me convaincre de m’occuper de ma rédaction. À défaut de parvenir à le faire dans ma chambre, où je n’avais pas de bureau, j’avais pour habitude de m’installer dans la salle à manger ou au salon. Pour ce soir, ce serait la première option. Me posant avec mon ordinateur portable, j’ouvris le document que j’avais fait au préalable pour continuer à écrire. Au bout d’un temps que je ne sus compter, à défaut d’avoir regardé l’heure, Haley sortit de sa chambre, me faisant sursauter quand elle s’approcha, si bien que d’instinct, j’abaissai l’écran de mon ordinateur pour qu’elle ne lise pas. Je ne voulais pas avoir de secrets pour ma fille au quotidien, mais là, c’était… différent… Mais tout aussi lamentable. Essayant de paraître naturel, je lui dis:  « Oui, ça va. » Peu fier de ma réponse, je soupirai, et je dis, en relevant mon écran:  « Je dois rédiger ce texte et… C’est un sujet un peu délicat. » Bien malgré moi, j’eus un air triste quand je tournai la tête pour regarder Haley, et trouvant le courage, je lui proposai:  « Tu veux lire pour me donner ton avis pendant que je commande le repas ? » Je ne savais pas si c’était la meilleure façon de le faire, mais j’étais pris de court, je n’étais pas prêt, même si je savais qu’au fond, ce n’était pas possible d’être prêt pour ce genre de révélation. Autant le faire ici et maintenant, c’était ce que j’avais prévu de faire ce soir, même si au fond, j’étais toujours aussi mort de trouille, certainement plus que jamais.

Malgré le stress que je ressentais, passer la commande ne fut pas difficile, majoritairement parce qu’Haley avait une commande qui ne variait pas tant de l’habitude, moi non plus d’ailleurs. Ce fut après que ça devint plus difficile. Tendu à la simple idée qu’elle était en train de lire mon essai, ce fut pire quand je vis son visage, quand je sentis la pression monter chez elle. Ma fille, je la connaissais bien, ses expressions ne m’échappaient pas, et j’avais clairement compris que tout ça ne resterait pas sans conversation ultérieure. J’en étais conscient depuis le début, mais le fait que ça devienne concret rendait ça, à mon avis, encore pire. Au moins, elle ne s’emporta pas directement, me demandant une explication, sans exploser. Bien que ça pourrait être rassurant, il n’en demeura pas moins que je baissai la tête, me mordillai la lèvre, perdu dans ce que j’allais dire, encore une fois. Et je m’en sentais honteux, parce qu’à ce point, je devrais le savoir, non ? Ce n’était pas comme si je n’avais pas envisagé cette situation maintes fois… Pressé par le fait qu’elle vint à m’interpeller, je finis par lâcher:  « Je ne savais pas comment te le dire. » Au moins, ça venait justifier le fait que je m’y étais pris par écrit, et non pas à l’oral. Mais ce n’était rien comparativement à tout ce que je devais lui dire. Prenant un temps pour moi, je tirai une chaise non loin d’elle pour m’y asseoir, ne voulant pas non plus sentir mes jambes défaillir ou quelque chose dans le genre. Puis, je dis:  « Quand le groupe s’est séparé, j’ai eu une phase… Difficile. » Ce n’était pas un mensonge, mais ce n’était pas la complète vérité non plus. Hors de question que je lui explique tout ce qui s’était passé. Ce n’était juste pas possible. Pas tant pour me préserver moi, mais pour la préserver elle. Parce que ce que j’avais enduré, c’était pour elle, pour qu’elle aie les moyens de vivre quelque chose de bien, malgré mon absence, malgré le fait que j’étais loin d’être un père idéal - et je ne l’étais toujours pas d’ailleurs, bien loin de là. N’estimant pas nécessaire de lui expliquer ce que je faisais, pourquoi je le faisais, parce que tout était expliqué dans le texte, j’ajoutai plutôt:  « J’avais honte… Et le quotidien était difficile… Sauf… » Pour une chose, une toute petite chose, une personne qui était venue bouleverser ma vie par son arrivée et qui l’avait rendue meilleure, qui m’avait permis de m’accrocher. C’était probablement le plus simple à avouer, et pourtant celui qui me rendait le plus sensible, émotif. D’une voix plus rauque donc, j’avouai:  « Sauf quand tu étais avec moi. Je n’ai jamais consommé quoi que ce soit quand je savais que tu serais là, ou quand tu étais là. » Et après, ça recommençait, cercle vicieux terrible, dont je payais encore le prix aujourd’hui. Cette partie-là, elle n’était pas écrite, parce que je me demandais si j’allais l’écrire ou non. Ce n’était pas comme si ce serait de trop, c’était un peu un baume sur mon coeur quand j’y pensais, parce que ça signifiait qu’en quelque sortes, Haley m’avait sauvé la vie, et ça, je n’hésitai pas à le réitérer en ajoutant:  « Et quand j’ai fait ma cure, c’est pour toi que je l’ai faite, mais encore une fois, je ne te l’ai pas dit parce que je ne voulais pas que tu aies honte de moi si j’échouais… » Je décidai de m’arrêter là, pensant avoir tenu un discours lourd d’aveux - pour moi en tout cas. Je voulais savoir ce qu’elle en pensait, avoir sa réaction, en espérant que celle-ci ne soit pas trop horrible, même si je ne méritais pas qu’elle éprouve quelconque compassion pour moi, je le savais très bien ça.

Je le savais au fond de moi, depuis le début, que cette méthode n’allait pas marcher comme je l’aurais voulu et espéré. Je savais qu’elle n’allait pas bien le prendre, qu’elle n’allait pas me montrer quelconque forme de compassion. Je n’en attendais pas non plus, je savais que je n’en méritais pas, pas pour ça ou quoi que ce soit. Et même si je m’attendais à une réaction plutôt explosive du petit volcan que pouvais être Haley à certaines occasions, il n’en demeurait pas moins que ses reproches me firent mal. Ils étaient vrais, je les méritais, mais ils blessaient quand même. Mais le pire, ce fut quand elle prit la fuite, et qu’outre lui lancer un petit:  « Haley… », je ne sus pas quoi faire pour la retenir. Parce que j’étais en train de lui donner raison sur le fait que le mieux était de ne peut-être plus en parler pour le moment. Un silence vint s’installer, un silence qui ne me rendait pas à l’aise, qui était même en train de me détruire doucement. Ce genre de silence qui régnait dans mon ancien appartement après qu’Haley soit partie suite à un week-end chez moi, ce silence qui me rappelait à quel point j’étais seul, ce silence qui avait toujours cet effet dévastateur, qui me faisait replonger. J’eus l’impression de sentir ma main trembler un peu, comme lorsque je ressentais le manque, mais ce n’était pas ça. C’était la peur, la peur de perdre ma fille comme je l’avais craint pendant toutes ces années. Pendant un instant, je pensai à aller la voir dans sa chambre, essayer de lui parler, mais je me ravisai, parce que ce serait égoïste, parce que je ne saurais peut-être même pas quoi lui dire. Misérable, je restai assis à la table, jusqu’à ce qu’on sonne à la porte. La commande, voilà qu’elle arrivait. Ça faisait si longtemps, ou le livreur avait été juste trop rapide ? Je ne saurais pas le dire, je ne cherchai pas. Je me levai, j’allai payer, mais je remis le tout dans le four, pour le garder au chaud. Me rendant au salon pour ranger un peu avant, je fus sur le point d’aller toquer à la porte pour lui dire - seulement ça - que le repas était prêt, mais elle me devança, revenant à ma rencontre. Encore avec des reproches, et des propos qui vinrent m’attrister, pour elle surtout, qui firent en sorte que je m’en voulais encore plus. Les tremblements revinrent, je baissai honteusement la tête, la laissant aller jusqu’au bout. Déglutissant, par crainte que sa mère vienne intervenir au vu de ce qu’elle avait appris, et aussi parce que je savais qu’elle ne me lâcherait pas jusqu’à ce que je lui dise la vérité, la terrible vérité qui avait tout changé, tout affecté dans ma vie, je fermai les yeux un instant, inspirai profondément, et je finis par dire:  « Assieds-toi, s’il te plait. » Je ne pouvais pas lui dire quoi faire, je n’étais pas en position pour le faire, mais ce n’était pas debout en plein milieu du salon que j’allais lui dire ça. Moi, je m’installai dans le canapé en tout cas, entrelaçant mes doigts, les serrant sans m’en rendre compte, au point où je me fis mal, moi-même. Ce fut suffisant pour me ressaisir, et commencer à dire:  « Quand tu es née, le groupe était encore là… Et notre gérant le savait… » Je me sentis obligé d’arrêter. Je ne pouvais pas continuer juste comme ça, c'était trop lourd. Mais je devais lui dire la vérité. Pas tant qu’elle était assez vieille pour l’entendre - elle ne le serait jamais à mes yeux - mais parce que je lui devais, pour ne pas la perdre. Cherchant mes mots, j’ajoutai ensuite:  « Il m’a menacé de bien des choses… Des choses qui pourraient te blesser… » Ma voix devint plus faible, mais je dis quand même:  « Et pour qu’il ne fasse rien, je ne devais rien dire, rien faire… » Et il profitait de moi, autant qu’il le voulait, autant qu’ils le pouvait. Finalement cette partie, je ne sus le dire. Ça me rendait malade que d’y penser. Certainement que j’étais plus pâle, et ce fut une torture de dire:  « Et quand le groupe s’est séparé, je me suis retrouvé seul. Avec rien. Je n’étais rien, je n’étais même pas un bon père… » Je me perdais encore un peu, et je me perdis encore plus en ajoutant, dans un murmure:  « Je ne le suis toujours pas… » Non, je ne l’étais pas. Dans ma tête, je ne l’étais pas du tout de l’avoir caché comme ça. Je pensais avoir des raisons, mais pas du tout. Je me sentais ridicule. Supposant, en combiné, avoir tout dit, je conclus:  « Je n’ai jamais voulu te faire du mal… Tout ce que je voulais, c’est te protéger… Parce que tu es toute ma vie… » Je ne mentais pas. Elle l’avait été depuis le jour où j’avais découvert son existence, et même si à ce stade, elle me reniait, elle ne voulait plus me voir, ça ne changerait pas, ça ne changerait jamais.