I know that I'm imperfect :: Lavri

La noirceur venait tout juste de tomber sur la capitale, les bras chargés de sacs, je posais mon regard sur un lampadaire qui clignotait. Celui-ci se trouvait pile devant l'entré d'un local vacant. Enfin c'est l'impression que ça donnait, on ne pouvait voir à l'intérieur puisque des personnes avaient mis du papier kraft bloquant ainsi le panorama de l'endroit. Si on pouvait croire à un endroit vacant, on pouvait aussi se dire qu'il se tramait quelque chose. Mais quoi ? Seuls ceux qui avaient pu franchir la porte savaient de quoi il en retournait. Je posais mon regard sur ma montre. J'étais en avance. Déverrouillant la porte principale, je me glissais à l'intérieur pour découvrir un endroit dénué du moindre bruit. Des bâches se trouvaient installées un peu partout. Divers échantillons de céramique trônaient sur une table improvisée avec des planches de bois. Les murs quant à eux étaient barbouillés d'une panoplie de couleur, des teintes neutres comme des plus flashs. L'endroit était tranquille sans les ouvriers sans tout leur raffut. Ne m'attardant pas à la contemplation de la salle encore inachevée, je me dirigeais vers la cuisine. La pièce n'avait pas encore son aspect stérile, mais l'équipement s'y trouvant déjà lui donnait une grandeur jusque là insoupçonnée. Un espace vaste que bien des cuisiniers rêveraient de posséder dans leur restaurant. Je déposais mes sacs sur un plan de travail et triais le tout. Je sortais les aliments qui devaient se trouver au frais pour les mettre dans un réfrigérateur. Puis je fis le tour de la pièce. Il n'y avait aucun outil de travail et je me félicitais d'y avoir songé. Une fois le tour du propriétaire fait, j'entrepris de rouler les manches de ma chemise après avoir déposé mon veston sur une étagère. Il me restait quelques minutes avant que mon associée n'arrive et j'en profitais pour commencer une recette que j'avais testé dans les cuisines de l'hôtel où je logeais. Je n'étais pas certain de vouloir la mettre sur le nouveau menu. Toutefois, Avri saurait me dire ce qui en était. Sortant mon étui contenant mes couteaux je me mettais à l'ouvrage. J'aiguisais ceux-ci avec la queue de rat et en moins de deux, préparant les légumes et filetait le poisson. « Salut. » disais-je sans tourner la tête bien que j'avais entendu le son des talons qui claque. Un son doux démontrant la féminité. C'était sans doute sexiste comme réflexion, mais que pouvais-je faire devant une femme ravissante en talon, élançant les jambes à un point où ça pouvait mettre n'importe quel homme à terre ! Mais je m'égare. Déposant mon couteau, j'essuyais mes mains sur mon tablier et me tournait vers Avri. « Alors tes premières impressions ? » demandais-je en sachant qu'on avait pas trop pris le temps d'en parler. Je me tournais vers Avri en prenant une carotte pour croquer dans celle-ci en posant mon regard bleuté sur la jeune femme.

Si Trent n'avait pas pousser ma curiosité à franchir l'océan, jamais ce projet n'aurait vu le jour. Bien plus qu'un ami, je me devais de l'avoir à l'œil, et quoi de mieux que s'établir ici pour quelques temps et ainsi pouvoir garder un œil sur le chirurgien ! Mais nouveau projet voulait aussi dire beaucoup de travail, penser à la moindre petite chose pour que ce restaurant puisse être propulsé au même niveau que ses compères. La recherche du local étant fini, j'avais tout de même tenu à ce qu'on étudie le marché, que ce soit l'emplacement, mais aussi ce que désirait les futurs clients. Chacune de mes cartes offraient un menu varié, usant avant tout des produits locaux, je cherchais à attirer les gens à vivre une expérience qu'ils n'allaient pas oublier d'aussi tôt. Cela voulait donc dire que je devais travailler d'arrache pied pour créé ce petit quelque chose qui ne ferait pas simplement dire : un autre restaurant de Lowen Zimmer. Attendant Avri, je me mettais donc à la tâche pour lui faire découvrir une idée, quelque chose qui avait germé en moi et dont je désirais partager avec elle. Je ne le disais peut-être pas assez voire jamais, mais ma décision de la prendre comme associée était sans doute la meilleure que j'avais prise. Elle me servait de pilier dans mes choix et surtout de frein. Sachant pertinemment que je pouvais être extrêmement impulsif, il me fallait quelqu'un qui sache garder ma bride serré. Bien entendu comme d'autre avant elle, je lui en faisais voire de toutes les couleurs, mais si ça avait été facile, je n'aurais jamais eu besoin de quelqu'un à mes côtés. Et je devais bien admettre que travailler avec une femme n'était pas non plus une mauvaise chose, elle avait des idées bien différentes des miennes et une vision des choses qui allait au-delà de ce que je pouvais voir ou même imaginer. M'attelant à la cuisine, je restais distant lorsqu'elle arriva, toujours professionnel avant tout — ou du moins le plus possible. Bon en fait, c'est surtout qu'une femme qu'elle soit mon associée ou non pouvait arriver à me déconcentrer. Étonnant quand on sait à quel point la nourriture est pour moi la seule chose pouvant surpasser le sexe. Déposant mon couteau sur la planche à découper, je regardais du coin de l'œil Avri goûter la sauce qui épaississait à feu doux. « Tu parles de ma sauce ou du restaurant ? » demandais-je en haussant un sourcil et laissant un coin de mes lèvres s'étirer. Je posais mon regard sur le restaurant, baissant le feu encore un peu pour que rien ne brûle. « N'importe quoi... » répliquais-je faussement offusqué. « Depuis quand est-ce que je fais n'importe quoi lorsqu'il s'agit de cuisine ? » demandais-je en retournant touiller la sauce avant de continuer à préparer le reste, retrouvant un tant soit peu ma concentration. Des bêtises, je pouvais admettre en faire, j'étais loin d'être parfait, mais mes restaurants... Je pinçais mes lèvres. Bon peut-être que je pouvais encore faire des bêtises et cela qu'importe le moment... sauf que c'était encore réparable, je n'avais pas tout perdu et si je rassemblais l'argent, je pouvais rembourser la banque sans que personne ne sache. Du moins c'est ce que je me disais, seulement, l'argent ne pousse pas dans les arbres — une invention qui devrait voir le jour... Ajoutant quelques épices à la sauce, j'haussais les épaules. « Peut-être bien. » répondais-je en tournant la tête pour regarder Avri, lui adressant un sourire en lui tendant la cuillère de la sauce. « Juste assez de sel ? » Pour moi c'était le cas, mais pour quelques rares fois, j'aimais bien avoir l'avis d'autrui — personne se résumant à Avri ou Trent à défaut d'avoir la brunette sous la main. Je m'apprêtais à commencer à préparer le poisson en le faisant confire dans de l'huile que j'avais aromatisé d'herbe fraîche, d'ail et autre pouvant lui donner un goût délicat tout en étant soutenu. « Avant de parler boulot, que dirais-tu qu'on ouvre une bouteille. On a reçu la livraison du vignoble ce matin. » disais-je en lui souriant.

Avri se sentait étrangement à l'aise dans cet endroit pourtant dépourvu du moindre trait familier. Il faut dire qu'elle n'avait pas réellement d'accroche à Washington. Pas encore. Lowen était le seul visage familier qu'elle avait croisé, et il n'y avait pas la moindre trace de personnalité dans la chambre d'hôtel qu'elle occupait actuellement. Une étrangère en lieu étranger, voilà ce qu'elle était. Avri n'avait jamais eu peur de l'inconnu, jamais eu peur de prendre ses valises et de débarquer dans une nouvelle ville. Pas dans sa vie personnelle, et encore moins dans sa vie professionnelle. « Du restaurant, évidemment » répondit-elle. « J’espère bien qu’un chef de ton calibre est capable de réussir une sauce » renvoya-t-elle, laissant un sourire taquin étirer ses lèvres. Avri était de bonne humeur ce soir. Peut-être s’agissait-il seulement du sentiment d’euphorie qui précédait l’aboutissement d’un projet. Celui-ci n’était en rien achevé, mais le simple fait de se trouver dans les lieux et d’en imaginer le résultat final l’excitait. C’était toujours un grand moment ; l’inauguration d’un nouveau restaurant. La déco flambant neuve, le personnel discipliné et un poil anxieux, les regards méticuleux des journalistes, les premières réactions face au menu, tout un orchestre de petits moments qui ne devaient faire aucune fausse note. Et Avri était la chef d’orchestre. Les challenge, elle adorait ça, et celui-là n’échappait pas à la règle. Elle fit quelques pas, s'éloignant de la cuisine pour explorer du regard les alentours. Elle aurait tout le loisir de visiter et répertorier les moindres recoins dans les jours et semaines à venir. Elle étouffa un léger rire en entendant Lowen réagir à sa remarque. Avri posa sur lui un regard peu impressionné, les sourcils haussés et les bras croisés sur sa poitrine. Il savait de quoi elle voulait parlait. « Je ne parle pas de tes plats, et tu le sais très bien » répondit-elle. S'il arrivait à Avri de donner son opinion ou quelques suggestions sur la cuisine, Lowen était seul maître du menu et la jeune femme n'avait en général rien à en redire. Il savait parfaitement ce qu'il faisait. S'il y avait bien quelque chose que Lowen ne surjouait pas, c'était son don pour la cuisine. Avri n'avait pas honte de ses propres compétences, mais elle savait qu'elle n'égalait pas Lowen. Il avait un instinct qui ne s'apprenait pas. « Tu as de la chance que je sois là pour m'occuper du reste » plaisanta-t-elle. De la chance, elle n'en savait rien, mais elle se doutait que ça arrangeait bien le Chef de ne pas avoir à se soucier de tout le côté administratif de la chose. Elle s'approcha lorsqu'il lui confirma qu'il s'agissait potentiellement d'une nouvelle recette. Elle goûta la sauce qu'il lui tendait et s'autorisa une seconde pour la savourer, et faire durer le suspens. « C’est parfait » conclu-t-elle en hochant la tête. L'air était aromatisé par l'odeur des herbes, des tomates, et du poisson qui cuisait. Avri y retrouvait les saveurs de la cuisine Méditerranéenne, celles qui avaient bercé son enfance, celles qui lui rappelait la Grèce et la voix chaleureuse de sa mère. Elle fut happé de sa nostalgie par la proposition de Lowen. « Si tu me prends par les sentiments... » dit-elle en guise de confirmation. Ça n'était pas un secret qu'Avri avait une bonne descente, et le vin du vignoble? Elle savait mieux que personne à quel point il était bon. Lowen alla chercher la bouteille et ils s'en servirent un verre. « Alors, tu te fais à Washington? » demanda-t-elle sur le ton de la conversation. Si elle devait y rester un certains temps, autant s'assurer qu'elle puisse s'y plaire.

« On dit bien que la sauce est l’âme d’un chef. » Un art compliqué, mais qui démontrait le talent de plusieurs chefs et comme beaucoup, j’étais passé par l’étape saucier avant même de préparer des plats dans une cuisine. Une chose que je ne regrettais pas, puisque cette expérience m’avait permise de développer d’autre talent. La sauce était souvent l’essence même d’un plat. Elle pouvait lui donner vie comme lui retirer. Laissant Avri vaquer dans notre futur restaurant, je continuais de m’occuper du repas, laissant tout de côté pour me tourner face à elle. Elle ne parlait pas de mes plats… Ouais, là, je n’avais pas tant d’argument. Faire des bêtises était une seconde vocation pour moi. Ma grande gueule m’attirait plus d’ennui qu’autre chose, mais je n’étais pas prêt à changer qui j’étais pour le simple plaisir des autres. Je pouvais délaisser un instant mes habitudes et mon caractère, mais ceux-ci revenaient bien vite au galop et c’était quelque chose dont je ne pouvais me séparer. Le jeu faisant parti aussi intégral de moi. « Ah. » finissais-je par dire, sachant que j’avais ma petite idée sur l’allusion qu’elle faisait. Je ne m’en offusquais pas, après tout, elle n’avait pas tout à fait tort. Pour de la chance, j’en avais. Elle n’avait pas encore rendu son tablier et on savait tous les deux que parfois on marchait sur une corde raide ensemble. Notre « complicité » n’avait pas toujours comme celle qu’on affichait en ce moment, on avait mis souvent de l’eau dans notre vin et bien des fois on avait marché sur des œufs sans pour autant laisser tomber. On avait notre caractère, mais je restais reconnaissant de la savoir près de moi. Répondant à mes caprices et mes exigences comme elle le pouvait et bien que dur avec elle par moment, j’avais un grand respect pour cette femme. Mais comme avec le reste des gens, je ne faisais pas savoir ces petits détails, ces choses que je pensais d’eux. Mon estime à leur égard était une chose tenue secrète, bien qu’on pût l’entrevoir parmi mes gestes. La faisant goûter la sauce, je laissais un sourire m’échapper. « Ça n’aurait pu en être autrement. » Fausse modestie. Je lui avais tout de même demander son avis, même si je savais déjà ce qu’elle gouttait et sa perfection. Encore une façon de flatter mon talent, discrètement ou non, ça m’amusait. Mettant le poisson à cuir, laissant le reste mijoté. Je me dirigeais vers ce qui deviendrait le sellier, ouvrant une caisse déjà entrouverte. Je sortais une bouteille de blanc, que j’allais ouvrir avant de nous sortir deux coupes à vin où j’y versais le breuvage à la robe clair et l’arôme fruité. Lui tendant un verre, je prenais le second en m’accotant sur le plan de travail. Je prenais un instant pour réfléchir à sa question. « Je crois. » avouais-je. Si j’avais abouti ici ce n’était pas de mon plein gré, donc si j’appréciais la ville c’était le peu que j’en avais vraiment vu. Je me grattais le menton, poussant un soupir en posant mon regard sur mon verre que je n’avais pas entamé. « Elle semble animée, plus que ce que j’aurais cru. Mais je ne sais pas si ça serait une ville où je voudrais vivre. » Je prenais une gorgée du vin, le faisant rouler sur mon palais. « De toute façon, je ne reste jamais bien longtemps au même endroit. » Un sourire fendit mes lèvres et je posais mon regard sur la brune. Elle était la mieux placé pour savoir que j’étais plus souvent dans un avion que les deux pieds sur terre. Passant une main dans mes cheveux, je me redressais pour aller sortir une petite meule de chèvre que je déposais sur ce qui allait nous servir de table avec une petite miche de pain frais. « Au moins, il a de beaux produits dans le coin. Je crois qu’on pourra faire quelque chose de bien ici. » Je m’accoudais sur la table improvisée, lui adressant un sourire. « Tu crois que j’ai fais le bon choix en voulant ouvrir dans la capitale ? »

« C’est vrai » concéda-t-elle dans un hochement de tête. En cuisine, il n’y avait aucun poste à dénigrer, et encore moins celui de saucier. Elle aussi avait fait ses armes là-dedans et en avait compris l’importance. La sauce pouvait faire et défaire un plat, et il n’y avait pas plus gratifiant qu’une assiette qu’on éponge jusqu’à la dernière goutte avec un bout de pain pour en chasser la saveur. Et Lowen savait très bien les faires, ces sauces-là. Lowen ne cherchait pas à défendre l’indéfendable, et Avri s’autorisa un sourire en observant encore un peu plus la pièce autour d’elle. Il savait qu’il ne pouvait gagner ce débat de toute manière. Lui-même n’était pas assez obtus pour nier les aléas de son caractère et sa fâcheuse tendance à ouvrir sa bouche au moment le plus importun. Ça faisait aussi partie de son personnage, et la presse se délectait parfois autant de ses plats que de ses sautes d’humeur. Avri, ça ne l’amusait pas autant en général, sachant que c’est elle derrière qui risquait de s’occuper des pots cassés. Leur relation avait démarrée sur les chapeaux de roues, si bien qu’elle ne s’était jamais attendue à un long fleuve tranquille en acceptant son offre d’emploi. Puisqu’elle aussi avait du tempérament, les clashes et les prises de tête étaient monnaie courante, mais ils savaient malgré tout s’écouter et travailler ensemble. Ils s’en sortaient même plus bien. Lorsqu’elle complimenta sa sauce, la remarque de Lowen lui fit lever les yeux au ciel. « Evidemment » railla-t-elle en lui assenant un léger coup dans le bras avec le dos de sa main. Lowen n’avait jamais besoin de se faire mousser, mais il aimait parfois rappeler à tout le monde qu’il était sacrément doué. Il était rare qu’Avri lui donne satisfaction, mais dans l’intimité de leur restaurant en construction, elle s’y était autorisée. Elle le laissa vaquer à ses plats et chercher une bouteille de blanc à partager. Ca la mettait sacrément en appétit, bien qu’elle était venue là pour parler boulot à la base. Mais dans le milieu gastronomique, plaisir et travail avaient toujours été particulièrement lié. Elle remercia Lowen lorsqu’il lui tendit un verre, et observa l’effet de sa question sur son visage. Sa réponse semblait mitigée à première vue, et elle s’en étonna. Puis il élabora. « ça m’étonne même que tu sois toujours là » renchérit-elle, amusée, avant de prendre une gorgée de vin. Délicieux. Elle savait très bien que Lowen avait la bougeotte, encore pire qu’elle. Et s’il était là pour lancer ce nouveau restaurant, il n’allait certainement pas y passer le restant de ses jours. Elle avait pourtant cru comprendre qu'il avait de la famille ici, mais comme elle, ça ne suffisait pas à l'ancrer dans un lieu en particulier. Il se détourna un instant pour aller chercher du fromage et un peu de pain, puis lui posa une question assez inattendue. « Je pense que lorsque tu mets ton cœur dans un resto, il y a peu de chances que ça foire » dit-elle après un battement de silence. Cela sonnait presque étrange sortant de sa bouche, comme trop doux, voire naïf, pour être une parole jamais prononcée entre eux. Mais elle le pensait sincèrement. Il n’y avait aucune raison que ce restaurant soit un fiasco. Il était après tout un chef étoilé ouvrant un énième restaurant dans la capitale du pays. C’était loin d’être un projet téméraire. Lowen n’avait plus rien à prouver à personne quant à ses capacités culinaires, et son simple nom allait remplir leurs tables pendant le premier mois au minimum. « Washington correspond à ta cible client, on a un bon concept et les recettes vont plaire. Je ne me fais pas de soucis » continua-t-elle avec assurance. Avri n’était pas là pour alimenter son égo. Elle ne l’avait jamais fait et n’aller pas commencer maintenant. Mais il ne s’agissait pas seulement de lui. Ils étaient partenaires à présent, et c’était son investissement à elle qu’elle mettait également en jeu. Ils avaient déjà fait le plus dur en amont, lors des premières discussions autour de l’ouverture de ce nouveau restaurant. Ce n’était plus le moment d’avoir des doutes, mais de se lancer corps et âme.  « Et c’est mon boulot de me soucier de ces choses-là » conclu-t-elle en arrachant du bout des doigts un morceau de pain avant de le manger.  

Cette habitude de toujours chercher un moyen pour le complimenter était chez Lowen une seconde nature. Et pourtant, il ne passait pas des heures à lire les critiques animés sur ses restaurants, bien au contraire, il n’y accordait aucune importance. On lui résumait en général et il balayait les mots avec ennuie. Des éloges pour la plus part, des jaloux pour d’autres, Lowen ne voyait pas la critique négative comme une forme d’apprentissage le poussant à devoir s’améliorer, ça, il savait qu’il devait le faire. La perfection il ne l’avait pas encore atteint, mais il cherchait à le faire, mais le jour où cela sera fait, il n’aurait tout simplement plus rien à accomplir et dès lors sa vie ne mènerait rien à rien. Une chose qu’il était pleinement conscient, même s’il préférait se vanter en toute circonstance de son talent si souvent adulé. La petite claque que lui faisait son assistante sur son bras le fit rire. Avri était bien la seule qu’il laissait le traiter de cette façon. Généralement, il ne s’ouvrait pas aux gens, gardant ce visage austère et professionnel qu’il affichait la majeure partie du temps. Il pouvait, lorsque l’envie lui prenait, laisser cette attitude de grand chef de côté. Il offrait donc à la jeune femme une soirée plus conviviale qu’une soirée illustrant le business dont ils allaient causé durant les prochaines heures. Coupe à la main, un sourire brodait ses lèvres alors qu’elle affirmait un point que lui-même ne comprenait pas. Pourquoi était-il toujours dans la capitale ? Les fourmis le démangeant, envahissant son corps depuis quelques jours maintenant. Lowen n’avait jamais été un sédentaire, rester au même endroit, s’établir, ce n’avait jamais été pour lui. Il préférait l’aventure, vivre pleinement, plutôt que de ressembler à un oiseau en cage. Et pourtant, il était toujours là, attendant quelque chose. Quoi ? Il ne saurait lui-même le dire, peut-être qu’il attendait de pouvoir pimenter sa vie par l’intermédiaire de Trent, son meilleur, et seul, ami. Mais il n’était pas de ceux qui se nourrissent de la vie des autres, il n’en voyait pas l’importance et ça ne changerait jamais. Quelque peu individualiste sur les bords. Même son frère et sa sœur n’avaient pas le secret pour le garder dans cette ville, personne ne l’avait et tôt ou tard, il partirait comme il était venu, allant où lui dictait sa raison et non son cœur. Son sourire s’élargissait au mot foire qu'utilisait Avri pour décrire sa ténacité. De sa bouche ça ne semblait pas aussi vulgaire que ça aurait pu l’être et il aimait bien cette part d’elle. Il ne lui avait jamais dit, mais elle était celle qui le poussait à se surpasser. Qui l’obligeait à mettre un pied devant, si au début il faisait tout pour la faire avancer maintenant les rôles étaient inversés. Il s’appuyait un peu trop sur ses épaules désormais. « Tu as raison. » concluait-il sans détour, sans allusion. Prenant place sur une chaise, il posait son regard sur sa coupe de vin. « Alors comment se portent les investissements ? » Il ne pouvait retenir la part de lui qui se tourmentait sur son nouveau restaurant, les finances, mais aussi tout le reste.

La situation n'était pas terriblement habituelle. Celle de devoir rassurer Lowen Zimmer de la pertinence de ses choix, de le convaincre un peu plus de la bonne décision prise et d'apaiser ses doutes. Ce n'était pas tant que Lowen refusait de se remettre en question ou rechignait à demander l'avis de qui que ce soit, mais Avri se voyait un instant décontenancée par la question qu'il lui avait posé. Et pourtant, dans l'intimité de leur restaurant, ça n'avait pas été si absurde que ça. Il y a avait de nombreuses facettes chez son partenaire, des couches sans doute insoupçonnées par la plupart du monde. Avri n'avait pas la prétention de dire qu'elle en savait bien plus que les autres. Naviguer l'esprit créatif et tortueux du chef n'était donné à personne, et elle doutait qu'il en ai jamais donné l'accès à qui que ce soit. Mais elle le connaissait, malgré tout. A force de passer du temps en sa compagnie et grâce à la perspective qu'elle avait gagné au cours des années; en passant de petite commis de cuisine employée sur un coup de tête à une véritable collaboratrice. Avri pouvait admettre qu'une vraie relation de confiance et de respect s'était installée entre eux. Ils en avaient parcourus du chemin depuis leurs débuts, à l'époque où le Chef lui sortait complètement par les yeux. Lowen sembla convaincu par sa réponse et c'était une bonne chose. Il était trop tard pour faire marche arrière, et Avri n'avait jamais aimé ne pas finir quelque chose qu'elle avait commencé. « Evidemment que j'ai raison » dit-elle, pas vraiment taquine mais plutôt désireuse d'enfoncer le clou une dernière fois. Leur projet avait été réfléchi et bien exécuté, et si toutes les variables du succès étaient impossibles à prédire, ils n'avaient a priori aucunes craintes à avoir. Puisqu'ils étaient lancés pleinement sur le sujet du boulot - après tout, la raison de leur présence ici malgré leur petite dégustation improvisée - Lowen s'engagea sur la voie des finances. Avri esquissa un sourire. « Les investissements sont stables Lowen. Tout ce passe comme prévu sur tous les tableaux pour le moment » dit-il, pas forcément motivée pour rentrer dans les détails. Ils avaient des suivis et des comptes rendus pour le but précis de suivre leurs investissements. Aucun restaurant, aucune autre propriété de Lowen étaient déficitaires, et ceux dont ils attendaient encore le retour sur investissements suivaient le schéma anticipé. Tout allait bien. Et pourtant, les questions de Lowen l'intriguaient. «Pourquoi, tu as des inquiétudes? Un autre projet fou qu'il va falloir financer? » le titilla-t-elle un peu. Lowen pouvait toujours avoir quelque chose derrière la tête, des petites préoccupations et projets qu'il gardait pour lui. Avri devait toujours être prête à y faire face. Mais elle savait qu'il ne lui cacherait jamais rien de grave. Il avait tout à y perdre et rien à en gagner.

Si Lowen pouvait mettre quelqu’un dehors d’un simple claquement de doigts, face à Avri, il ne trouvait rien de mieux que sourire. Le genre dont on ignore ce qu’il y cache. Certes elle avait raison, mais Lowen n’était pas du genre à alimenter d’avantage la conversation, surtout si cela servait à complimenter quelqu’un. Aigri, il était loin de chercher à plaire ou mettre quelqu’un à sa botte. Il ne l’avait jamais fait et ne le ferait sans doute jamais. C’est ce qui avait fini par lui plaire chez la jeune femme, le fait qu’elle ne l’idolâtrait pas, qu’en fait, sur un certain point, elle lui ressemblait. Ce qui aurait pu créer des étincelles avait fini par prendre une toute autre tournure. Il ne s’en plaignait pas, après tout, elle était sans doute le meilleur choix de sa vie – après ses choix culinaires. Son regard perdu dans la robe de son vin, il acquiesçait d’un signe de la tête. Lowen était ainsi, bien qu’il pût lui-même amener le sujet, autant il pouvait sembler s’en désintéresser l’instant d’après. Pourtant, il écoutait ce que lui disait son associée. « Hum. » Une réponse digne de ce nom, il n’en disait pas plus réfléchissant à certaine chose qu’il avait omis de lui dire, mais qu’il tenait toujours autant à cacher. Mais avec ce qu’elle venait de lui dire, il ne ressentait pas la crainte qu’elle découvre le pot aux roses, ses dettes causés par le jeu d’argent. Il aimait vivre dangereusement, c’est ainsi qu’il avait toujours régit sa vie. Prendre des risques, jouer avec la chance, s’il n’avait pas été ainsi, sans doute qu’il ne serait pas là avec elle discutant de l’ouverture de leur nouveau restaurant. « Non, non, aucunes. » Il relevait son regard vers elle, un sourire à la commissure de ses lèvres. « Mes projets ne sont jamais fou, sinon tu n’y adhérais pas. » Avri avait la tête sur les épaules, elle était bien plus rationnelle que lui pouvait l’être. Sur cette touche plus rêveuse, il se levait retournait cuisiner pour finir ce qu’il avait entamé et ainsi servir la jeune femme en lui faisant goûter cette nouvelle recette qu’il avait imaginé pour ce nouveau restaurant : the fat dock.