N°202 _ but tonight it is just you and me with our friends pop-corn and beers

Depuis combien de temps j’avais quitté ma demeure ? Je ne m’en souvenais pas. Tout ce que je savais, c’était que ça datait du moment où j’avais été arrêté après une soirée particulièrement éreintante. À partir du moment où j’avais été libéré sans trop de conséquences, pas de quoi perdre mon boulot en tout cas, j’avais décidé de ne plus rentrer chez moi, pas quand je savais que Maureen était là. Je me glissais en douce dans la maison seulement lorsque j’étais certain de son absence, mais simplement pour y prendre certaines affaires; des vêtements, des trucs utiles du quotidien. Je ne préparais même pas un déménagement, je cherchais juste à avoir le nécessaire pour survivre et voilà tout, parce que pour le moment, je n’avais pas besoin de plus; j’avais un toit sur la tête, de quoi me nourrir, et c’était convenable comme ça. Bon d’accord, il fallait aussi avouer que mon bureau dans le gymnase de l’école n’était pas la chambre idéale, et les micro-ondes de la cantine, loin d’être le meilleur outil pour se faire à manger, mais ce n’était pas plus mal. Étrangement, je me sentais libéré, et les premiers jours, j’avais même pris plaisir à dormir en ces lieux. Au moins, il était certain que je n’avais aucun cours qui n’était pas préparé, limite, j’étais en train de préparer l’année suivante à ce point. Par contre, ce que je ne pensais pas, c’était qu’à un moment ou un autre, je finirais par me lasser, me lasser de passer tout mon temps au lycée, d’où je pouvais difficilement sortir, sous peine de me retrouver enfermé à l’extérieur. Évidemment, les préposés de l’entretien étaient au courant que je restais tard, mais jamais je ne pourrais leur demander de me filer une clé, le code de l’alarme ou un truc du genre. Non seulement, ce serait les déranger mais en plus, ça viendrait griller mon hébergement temporaire, et je n’étais pas prêt à avouer à qui que ce soit ce qui se passait. De ce fait, je restais bien souvent, trop souvent, au même endroit, d’autant plus que je ne me voyais pas tant en parler aux autres pour le moment, tant que je ne saurais pas ma décision finale, ce qui allait se passer concernant mon mariage. Par contre, lorsque j’eus, à tout hasard, un message de la part d’une de mes amies, Zara, je ne sus pas tant résister à son invitation, aussi surprenante celle-ci soit-elle aux premiers abords. Réfléchissant à peine, je lui répondis par la positive, avant de finalement me préparer pour quitter le lycée pour la première fois depuis ce qui me semblait être une éternité. Sans regarder derrière, je pris la route, faisant un détour au supermarché pour aller chercher de quoi nous mettre sous la dent et ce, même si Zara m’avait clairement dit que je n’avais pas à apporter quoi que ce soit. Pour moi, c’était la moindre des choses, et ma façon de la remercier pour cette invitation. Lorsque j’eus pris tout ce que je souhaitais, je me rendis finalement chez elle, et mes victuailles en main, bien placées dans un sac, je frappai à la porte, attendant une réponse.

Zara travaillait sur ses photos, mais comme beaucoup de fois depuis son retour d’Irak : elle avait du mal à se concentrer. Quelque chose en elle s’était brisée et jamais elle ne pourrait retrouver cette paix intérieure. La plaie avait été causée par son erreur qui a coûté la vie de Miranda ; aggravée par la vérité de la guerre puis sa blessure. Elle posa son Mac sur la table basse et se leva pour aller s’ouvrir une bière. Isaiah n’était pas encore là certes, elle avait de mauvaises habitudes. Boire s’était ajoutée à la liste des choses qui l’énervait à propos d’elle. Elle mit du bon vieux rock avec en vedette Elvis et se remit au travail : prête à en découdre avec ses photos.
Lorsqu’on sonna à l’interphone puis à sa porte : elle se mit à sourire. Isaiah faisait partie de ces patients dont elle avait apprécié la compagnie dès le début. Arriver aux urgences alors qu’elle était de garde, elle avait compris mais n’avait rien dit quant à la possible nature des coups et des blessures. Elle lui avait simplement faire comprendre que s’il avait besoin : il trouverait asile en ces murs. Parce que non : elle avait beau être féministe elle ne supportait pas la violence gratuite. Que cela soit des femmes ou des hommes abusés : cela était inacceptable.

Elle sauta sur ses pieds et s’empressa d’aller lui ouvrir.

“Hey ! Je suis contente que tu aies accepté.” Zara -d’une nature tactile- le prit brièvement dans ses bras et s'écarta pour le laisser entrer en libérant ses mains. “Tu n’étais vraiment pas obligé d’apporter quoique ce soit tu sais ?” Elle jeta un rapide coup d’œil dans le sac. “Mais à ce que je vois on partage les mêmes goûts concernant son les snacks !”

Elle posa le sac sur la table de la cuisine et ouvrir le réfrigérateur pour sortir une bière et l’ouvrir. Zara donna la bouteille à Isaiah et alla prendre la sienne. Elle trinqua.

“À cette soirée.’’ Quelques gorgées suivirent ce toast pour le sceller. “Tu as l’air fatigué.” La photographe toujours brute de pommes ne passait jamais par quatre-chemins. “Ce sont les ados en pleine puberté qui t’épuisent comme ça ?”

Elle lui montra le canapé et ouvrir le paquet de chips pour les mettre dans un saladier. Ce dernier plein, elle se laissa tomber dans le canapé.

“Comment tu vas ?” Finit-elle par demander en espérant avoir une réponse complète. Elle était là pour lui.

Quelques instants après que j’eus frappé à la porte, celle-ci s’ouvrit sur mon amie, à qui je souris timidement en lui rendant son étreinte en guise de salut. Puis, une fois que nous nous fûmes décalés, ce fut plutôt fièrement que je lui présentai les victuailles, haussant les épaules au moment où elle en vint à me dire que ce n’était pas nécessaire. Ce fut à ce moment que je pris la parole vraiment pour la première fois, histoire de lui dire:  « C’est la moindre des choses. c’est gentil de ta part de m’avoir invitée, je ne me voyais pas arriver les mains vides. » On m’avait toujours appris que c’était là une normalité, et j’avais toujours continué à suivre cette voie, même si ce n’était qu’un petit quelque chose, une petite attention. Mais là, dans le cas présent, je devais admettre que je n’avais pas lésiné, et je ne le regrettais pas, d’autant plus que visiblement, j’avais bien choisi, au vu des propos de la jeune femme. Tout sourire, je pénétrai dans la demeure avec elle, débarrassant le tout et acceptant la bière qu’elle vint à m’offrir avec un sourire et un petit:  « Merci. » J’attendis avant de prendre une première gorgée, trinquant avec elle avant de finalement boire pour une première fois, appréciant grandement le goût de la boisson que j’avais toujours aimée. Malheureusement, je n’en buvais plus tant qu’avant. D’abord parce qu’à la maison, je me contentais de le faire que lorsque Maureen n’était pas là, et plus encore maintenant, je ne me voyais pas tant apporter de l’alcool à l’école. Je squattais déjà la nuit, c’était bien suffisant. De ce fait, je profitais pleinement de celle que Zara venait de m’offrir. Après, cela ne m’empêcha pas non plus de reporter mon attention sur la discussion, fronçant les sourcils lorsqu’elle me dit que je semblais fatigué. Malheureusement, je devais plaider coupable, et encore plus devant la jeune femme, qui m’avait vu en des circonstances bien pires, donc qui savait mieux que bien des gens comment je me sentais. Sachant que je ne pouvais pas lui mentir, j’hésitai toutefois à lui dire ce qui me donnait ce regard si creux. Dans un premier temps, je pus m’en sauver, puisqu’elle en vint à formuler une hypothèse qui m’arracha un sourire amusé, et à laquelle je pus répondre:  « Non. Eux, ils sont la meilleure partie de ma journée. » Et je ne disais pas cela que pour passer pour le professeur idéal et tout mignon; je le pensais vraiment. Oui, parfois, ils étaient difficiles, mais je les appréciais quand même, grandement, parce qu’ils me faisaient oublier mes problèmes, ils me faisaient sentir utile quelque part dans ce monde. Donc non, ce n’était pas cela, bien loin de là, et je savais ce que c’était. Mon problème, c’était de lui avouer comme ça, d’emblée. Choisissant d’attendre un peu, puisque j’avais toute la soirée pour me décider à le lui dire ou pas, je finis par ajouter:  « Ça va, t’en fais pas. », ce qui n’était pas faux non plus. En effet, je me sentais mieux depuis que je ne vivais plus à la maison, je me sentais plus libre, moins blasé. Bon d’accord, vivre dans mon bureau, ce n’était pas l’idéal non plus, mais c’était mieux que d’entrer à reculons dans une demeure, craignant des représailles à tout moment. Gardant ce propos pour moi dans l’immédiat, je préférai prendre une autre gorgée de bière, puis finalement demander à mon amie:  « Et toi, comment tu vas ? », parce que je ne me voyais pas non plus parler que de ma personne pour le coup, bien loin de là.