same old love ☽ romabel

Cette journée était bien trop longue aux yeux de Roman. Il avait l’impression qu’elle ne finirait jamais. Ce n’était pas faute d’être occupé, pourtant il avait cette désagréable sensation que le temps s'écoulait au ralenti et que quelqu'un avait mis l'horloge sur pause. Il y avait des tonnes de choses à faire qui s’empilaient sur son bureau et pourtant, son esprit était ailleurs. Roman avait commis de nombreuses erreurs dans sa vie et ce n'était pas un fait nouveau. La plus grande avait probablement été celle qui l’avait envoyé tout droit derrière les barreaux, sans carte sortie de prison. Ce jour, il avait perdu sa sœur, qui avait décidé de faire sa vie sans lui, lassée de ses nombreuses erreurs. Mais le jeune homme avait sans doute fait une autre erreur. Celle de tourner le dos à ses amis. Par le passé, il avait eu la volonté de les préserver. Il valait mieux qu’elles pensent qu’il ne voulait pas garder contact avec elles, plutôt qu’elles s’inquiètent inutilement pour lui. Roman n’aurait jamais supporté qu’Eliott et Jesabel s’inquiètent pour lui, tout comme il n’aurait pas supporté de les voir se pointer un jour à la prison pour voir quel homme encore plus misérable qu’avant il était devenu. Mais ça, c’était avant, quand il pensait qu’il ferait vingt-cinq ans et qu’il pensait que sa vie n’avait plus d’intérêt. Maintenant, il était sorti, il était libre et il avait tout le loisir de prendre conscience de son idiotie. D’autant plus maintenant qu’il savait qu’Eliott vivait à Washington. Ce qui lui avait semblé être une idée parfaitement logique et sensée par le passé se révélait être la chose la plus idiote qu’il ait jamais fait. Le jeune homme en avait parfaitement conscience et pourtant, il ne pouvait pas y changer grand-chose. Ou peut-être que si … Il savait Eliott rancunière, mais dans le fond, il espérait pouvoir se faire entendre, se faire comprendre. Mais est-ce qu’il méritait vraiment son pardon ? Il n’en savait rien. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il avait vécu avec beaucoup trop de regrets dans son passé. Alors il était toujours temps de changer les choses. Au moins d’essayer. Le jeune homme avait donc effectué quelques recherches rapides et simples avant de trouver l’adresse de la petite brune. Peut-être qu’elle lui en collerait une ou qu’elle ne le laisserait même pas entrer chez elle, pour ce qu’il en savait. Mais il voulait essayer de se racheter. A peine l’horloge de son bureau afficha 17 heures qu’il se précipita à l’extérieur, sans demander son reste. En même temps, cette journée lui avait semblé suffisamment longue comme cela et il n’avait pas la moindre envie de la faire traîner d’avantage. Il ne prit pas le temps de rentrer chez lui pour se changer, prenant directement la direction de chez Eliott. Si elle l’envoyait sur les roses, il aurait tout le temps et le loisir de passer la soirée chez lui. Il ne mit d’ailleurs pas bien longtemps à rejoindre l’appartement de la brune et sonna à sa porte. Mais ce qu’il découvrit en l’ouvrant le laissa un long moment sans voix. Il n’aurait pas imaginé un seul instant trouver Jesabel derrière cette porte. Alors oui, à l’époque, ils étaient inséparables. Mais c’était il y a longtemps. Il n’aurait pas pensé qu’après toutes ces années, Eliott et Jesabel étaient encore en contact, ni qu’elles vivaient encore ensemble. Troublé, il lui fallut plusieurs secondes avant d’enfin réussir à réagir. « Jesabel ... », souffla-t-il, surprit de se trouver nez à nez avec la jolie brunette après toutes ces années. Par le passé, ils avaient été proches. Peut-être un peu trop proches. Roman se souvenait encore parfaitement de ce jour où elle lui avait déclaré sa flamme d'adolescente, bien des années auparavant. Il avait lui aussi des sentiments pour elle à cette époque mais il n'était ni prêt à franchir le pas, ni prêt d'ailleurs à l'entraîner dans son monde plein de dépravation. Ce qui était certain, autant à l'époque qu'aujourd'hui, c'est que Jesabel méritait mille fois mieux que lui. D'ailleurs, elle semblait avoir bien vécu, ces dernières années loin de lui. En tout cas, son petit visage fin, gommé de ses traits adolescents, était plus beau que jamais. Il se souvenait encore des nombreux secrets qu'ils avaient partagés ensemble tous les deux. Cela semblait bien lointain maintenant. « Tu as l'air en forme », finit-il par dire après l'avoir observé pendant un long moment dans un silence méditatif. En vérité, Roman avait bien envie de se mettre une claque. Cela faisait plus de sept ans qu'il n'avait pas donné de nouvelles, depuis qu'il s'était retrouvé enfermé derrière les barreaux et il ne trouvait rien de mieux à dire que ça, sept ans après. Enfin ça aurait pu être pire, il aurait pu lui demander quoi de neuf. Et en même temps, après un tel laps de temps, qu'est-ce qu'il aurait dû dire ? Qu'il était désolé ? Il ne l'était pas. Il connaissait la douceur habituelle de Jesabel et il n'avait aucune envie de la voir en prison. Elle aurait bien été capable de le faire et c'était bien la dernière chose qu'il voulait. « Avant de m'en coller une, s'il te plait, laisse-moi t'expliquer », implora-t-il. L'idée que Jesabel puisse être en colère contre lui l'avait effleuré plus d'une fois pendant toutes ces années. Puis il s'était rendu compte qu'elle avait également dû être inquiète. Il n'avait jamais rien dit, tout aurait pu lui arriver. Et quand on savait quelles étaient ses activités à l'époque, il aurait pu lui arriver n'importe quoi, y compris de se retrouver six pieds sous terre. Mal à l'aise face à cette situation qu'il n'avait pas prévu, le jeune homme ne put s'empêcher de trahir sa gêne en se grattant nerveusement la nuque. « Enfin si tu veux m'en coller une, je comprendrais, ce serait mérité », finit-il par dire. Il pouvait même lui tendre la joue pour se prendre sa baffe tant méritée, si elle le voulait. Après tout, après sept ans de silence, peut-être ne méritait-il rien d'autre.

Roman Hollister n’était pas franchement ce qu’on pouvait appeler un mec bien. Ce n’était pas vraiment de sa faute dans le fond, c’était les circonstances qui avaient fait que. Oh, le jeune homme ne cherchait pas plus que ça à se trouver des excuses, là n’était pas la question. Mais sincèrement, avec la vie qu’il avait eu, il se demandait comment il aurait pu bien tourner. Depuis sa plus tendre enfance, son destin avait été biaisé. Les os étaient cassés à l’âge où il aurait dû casser ses jouets. Les hématomes marquaient son corps à l’âge où il aurait dû laisser son imagination mettre des couleurs sur des feuilles de papier blanc. Alors oui, le destin de Roman avait légèrement mal tourné. Les choses étaient bien rapidement devenues compliquées. Et quand ça avait été impossible de cacher que ses parents le battaient, il avait arrêté l’école. Roman n’avait pas eu d’éducation, ni par ses parents qui ne lui avaient jamais appris la politesse, le respect et les bonnes manières, ni par l’école, qui aurait pu le rendre cultivé et intelligent. Il n’était rien d’autre qu’un mec paumé, un raté qui manquait d’instruction. Il avait voulu changer, mais au final, il retombait bien vite dans ce qu’il connaissait. Partout où il allait on finissait par se rendre compte qu’il n’était rien, qu’il n’était personne. Il n’avait aucune qualification. Il était malin, mais on ne pouvait pas franchement dire qu’il était intelligent. C’était ce qu’on pouvait communément appeler un raté. Alors non, Roman n’était pas un homme bien. Son cœur avait été noirci par le poids des remords et des regrets. Et il y avait de fortes chances que cela ne change jamais. Ce n’était pas des excuses. Il ne sortait pas ce genre de phrase qui donnait envie de distribuer des claques du genre « ouais, mais je suis un mec entier ». Non, Roman n’était juste pas quelqu’un de bien, il le savait et il l’assumait.

Ce qu’il assumait un peu moins en revanche, c’était les erreurs qu’il avait commises dans sa vie. Par exemple, tomber amoureux. C’était une très mauvaise idée, il l’avait su dès le départ. Tomber amoureux, c’était pour les gens faibles. Hors, faible, il ne l’avait jamais été. Mais cette femme avait débarqué dans sa vie et elle avait tout changé. Elle lui avait donné envie de trouver un boulot sérieux, elle lui avait donné envie de vivre dans un appartement où les lattes de parquets ne servaient pas à dissimuler des sachets de cocaïne et où les murs n’étaient pas recouverts de moisissure à cause de l’humidité. Il n’aurait jamais du offrir son cœur à une quelconque femme. C’était un plan à tout foutre en l’air. Et ça avait été le cas. Car quand le jeune homme avait eu des rêves de famille et de vie bien rangée, elle, elle couchait avec tous les mecs de Brooklyn dans son dos. C’était l’amour et la stupidité qui l’avaient poussé à tirer sur cet homme ce soir là, manquant de peu de le tuer. Il avait eu de la chance finalement, parce qu’il était passé à un fil d’être jugé pour homicide volontaire. Tomber amoureux avait été une terrible erreur, qui l’avait fait finir en prison. Et qui l’avait fait perdre les personnes les plus importantes dans sa vie. Sa sœur d’abord. Sa sœur qui avait choisi de s’offrir une nouvelle vie loin de lui, loin de ses problèmes. Elle avait raison. Jamais elle n’aurait pu devenir quelqu’un de respectable en continuant à vivre à New-York. Et puis, il y avait eu Eliott et Jesabel, bien entendu. Il avait tout gâché avec les deux filles. Certes, elles avaient déjà quitté New-York depuis un moment quand tout ceci s’était produit. Mais ils se donnaient des nouvelles. C’était avant. Avant qu’il ne finisse derrière les barreaux.

Alors aujourd’hui il se dirigeait vers l’appartement d’Eliott avec l’air d’un petit garçon prit en faute. Il ne savait pas si elle aurait envie de le voir. Il ne savait même pas ce qu’elle savait. Il avait arrêté d’écrire, si ça se trouve, elle pensait simplement qu’il avait été tué. Ça aurait été plus que possible, vu la vie qu’il menait à l’époque. Mais lorsqu’il sonna à la porte, ce n’était pas Eliott qui vint lui ouvrir et cela le surprit. Des dizaines de souvenirs se dessinaient soudain dans son esprit. Jesabel. La première fille qu’il avait aimé, sans qu’il n’ait osé le lui dire. Elle avait pourtant fait un pas vers elle, mais sa vie était si misérable qu’il n’avait pas voulu la mêler à tout ça. Jesabel, son visage toujours aussi radieux et ravissant, même après toutes ces années. Malgré lui, il se mit à sourire. Pourtant, il savait qu’elle lui en voulait. Du moins, il ne pouvait en aucun cas imaginer que cela puisse être différent, après des années de mensonge et de silence. Il s’attendait même à se prendre une baffe. En fait, il s’attendait à tout, sauf à ce qu’elle ne lui saute dans les bras. Les années avaient passées, mais elle était toujours aussi petite dans ses bras. D’un geste maladroit, il enserra sa taille de ses bras pour la soulever légèrement du sol, la tenant tout contre lui. Il avait du mal à croire que tout ça pouvait réellement arriver. Et pourtant, elle ne semblait pas lui en vouloir. Il la serra un petit moment, profitant de cette étreinte qu’il n’aurait jamais cru possible. « J’ai connu pire », concéda-t-il. Avant son arrivée à Washington, il avait même connu bien pire. Il avait connu les coups. Les menaces. La prison. La faim. Maintenant, il devait bien reconnaître qu’il avait de quoi être bien plus heureux. Il embrassa brièvement sa joue avant de la laisser retomber, frissonnant au contact de ses doigts frais contre la peau chaude de son cou. « J’veux bien quelque chose de frais, merci », répondit-il en tentant de cacher que cette situation le mettait un peu mal à l’aise. Il s’attendait à ce qu’on l’engueule, pas qu’on l’accueille à bras ouverts. Quoi que, connaissant le caractère d’Eliott, il serait sans doute accueilli différemment. Finalement, il suivit Jesabel à l’intérieur, constatant que son train de vie avait changé. On était clairement loin de leur vie à Brooklyn. « J’ai cru reconnaître Eliott l’autre jour. Au début je me suis dis qu’une coïncidence pareille ne pouvait pas être possible. Alors j’ai fait quelques recherches et j’ai trouvé son adresse. Je ne savais pas que tu vivais ici aussi », expliqua-t-il, comme pour justifier le fait qu’il était venu voir Eliott et non elle. Évidemment que s’il avait su que Jesabel vivait elle aussi à Washington, il aurait tout fait pour la retrouver. Mais il n’avait pas imaginé que les deux femmes vivaient ensemble. Pourtant, il aurait du. Après tout, elles étaient inséparables à l’époque. Enfin … eux aussi. Avant qu’il ne gâche tout. « J’imagine que tu ne devais pas t’attendre à me voir après toutes ces années. Je suis désolé. Il y a eu … quelques complications », expliqua-t-il en se grattant nerveusement la nuque. Des complications. Doux euphémisme pour justifier sept années de taule.