Have I seen you before ? | Kayijah

 « Sex on the beach, avec un surplus de vodka. » La commande avait été simple, rapide à passer. Y avais-je réfléchi pendant le trajet qui m’avait emmenée jusqu’à ce bar ? C’était fort possible. Non pas que je voulais tant faire changement, ce cocktail n’était pas tant différent de mes habitudes, de mes préférences, mais parce que ça faisait des heures que j’attendais le moment de prendre un verre. Je l’attendais depuis trois heures, si je ne me trompais pas. Je l’attendais depuis que j’avais eu cette conversation un peu violente avec un journaliste qui voulait à tout prix un commentaire de la part de mon patron sur ce scandale qui commençait à dater - à mon avis en tout cas - comme s’il voulait une nouveauté pour le relancer, faire tomber Neil dans la controverse encore une fois. Ça faisait partie de mon quotidien, mais lui, il était venu jouer sur mes nerfs, je ne saurais m’expliquer pourquoi. L’angoisse ? La pression ? C’était possible. Quoiqu’il en soit, j’avais compris, au moment de raccrocher, que je ne saurais rentrer chez moi, pas tout de suite peut-être même pas seule. D’où la destination, d’où la place que je pris au bar, d’où la commande que je vis, directe, presque sèche. L’arrivée du cocktail posé dans un verre fait en long, avec une cerise et une tranche d’ananas sur le dessus, fut presqu’un soulagement et la première gorgée, une délivrance. L’alcool me brûlait la gorge, d’une façon que j’avais apprise à peut-être un peu trop aimer. Je devais me montrer raisonnable, je devais m’imposer des limites, mais un verre, ce n’était pas ce qui allait me tuer, si ? Non, je ne pensais pas. Tranquillement, je commençai à savourer mon verre, ne pensant pas demander quoi que ce soit à personne pour le moment. Et au final, je n’eus pas à demander quoi que ce soit à qui que ce soit pour qu’on m’approche, avec une technique de de drague, un peu moche. Mais… C’était mieux que du grand sérieux, et là, tout de suite, ça me faisait sourire, voire rire doucement. C’était peut-être idiot de réagir de la sorte, mais ça me faisait sentir bien, moins tourmentée. Et puis, cet homme, il était quand même mignon. Pas de quoi désagréable à regarder, même qu’il me rappelait une personne, des temps plus heureux. Ayant envie de retrouver cette ambiance, je ne le repoussai pas, demandant avec un ton frôlant la raillerie:  « Et tu voudras un bisou après, c’est ça ? » Et s’il en voulait vraiment un, qu’est-ce que ça changerait ? Blasée comme c’était, je dirais… Rien du tout. Peut-être même que ce serait bénéfique. Levant ensuite mon verre en sa direction, je penchai la tête sur le côté, et je dis:  « Par contre… T’es sûr que tu veux trinquer tant d’avance ? T’as pas un truc moins nul à proposer ? » Je lui donnais la chance de se tirer de son propos un peu mauvais, espérant au fond qu’il avait mieux à offrir qu’une conversation sans issue. Mes espoirs étaient-ils trop élevés ? Me voyais-je trop loin en pensant que je pourrais effectivement ne pas rentrer seule ? Peut-être, peut-être pas, tout dépendait de ce qu’il allait me répondre.

Monsieur ne veut pas un bisou. Monsieur veut un baiser. C’est plus intime, c’est plus intense. Ça fait de Monsieur un exigeant. Est-ce que ça voulait dire que pour autant, il était embêtant, voire repoussant ? Non, pas vraiment. Là, tout de suite, j’avais envie de croire que sa volonté avait quelque chose de drôle, voire mignon. C’était plus agréable de penser ainsi. Du coup, je ne grimaçai pas, je ne jouai pas la femme farouche, gardant le rythme de la discussion, venant à lui répondre:  « Non, c’est plutôt ton non-anniversaire qui manque d’originalité. » À deux mois de différence quand même… N’aurait-il pas pu trouver autre chose ? Je me le demandais, mais ce n’était pas pour autant que je lui en tenais rancune. En fait, je plaisantais, de façon pince-sans-rire pour le coup, mais quand même. Et clairement, je ne voulais pas qu’il parte pour autant. Je ne lui dis pas clairement quand il me le demanda, me contentant de pencher la tête sur le côté, mais je tentai de le lui faire comprendre en ajoutant:  « Je n’irais pas jusqu’à dire ça. » Je lui avais laissé une chance de faire mieux, mais il ne la prenait pas, je n’allais pas en faire tout un cas non plus. Prête à laisser tomber l’affaire, je ne m’attendis pas à ce qu’il rectifie le tir, pour tomber en plein dans le mile. Même qu’en fait, ce fut troublant. Enfin, je savais bien que je n’avais pas adapté une attitude de fête, de la fille qui n’a aucun souci dans la vie, mais je ne m’attendais pas que ce soit si évident. Inutile de dire que ça me perturbait quelque peu, mais ça m’exaspérait surtout. Par orgueil, je tentai de ne pas paraître trop décontenancée, ou du moins, pas le temps de répondre:  « Ça me semble approprié. » Je ne tentai pas de complètement me cacher non plus, sachant que ce serait ridicule, ce serait hypocrite. Trinquant finalement avec le jeune homme, je pris une nouvelle gorgée de mon verre, et comme si celle-ci venait de me donner le courage d’admettre que ça ne tournait pas nécessairement hyper rond chez moi en ce moment, j’ajoutai:  « Ça se voit à ce point donc ? » Que j’avais eu une mauvaise journée. Voilà ce que je voulais dire, mais que je n’ajoutai pas, puisque pour moi, ce n’était pas nécessaire, le sous-entendu étant suffisamment clair. À la place, je jugeai plus pertinent de dire:  « Je préfère le savoir, parce que justement, j’aimerais bien l’oublier. » Me rendant compte après-coup que peut-être que mon propos pouvait paraître un peu trop dépressif et impertinent, j’ajoutai, me ressaisissant:  « Tu aurais… Une suggestion, pour me changer les idées ? » Qui sait, peut-être qu’il pourrait être vraiment la solution à mes problèmes pour un temps ? Après, je n’en demandais pas autant, pas tout de suite, pas encore. Je verrais bien ce qu’il allait me dire.

C’était idiot, mais j’avais cette crainte que la déprime suite à une journée difficile paraisse sur mon visage, fasse en sorte qu’on me colle une étiquette et que je ne sois pas capable de m’en départir, malgré ma bonne volonté. Parce que la bonne volonté, elle avait encore du mal à venir dans mon cas, surtout sans aide. Mais là, mon interlocuteur vint dire pile ce que je voulais entendre, créant ainsi un chemin vers ce que j’étais venu chercher, soit un meilleur dénouement à ce que j’avais pu vivre ces dernières heures. Ce ne fut pas suffisant pour complètement me changer les idées, mais j’estimais que c’était un bon début, un bon début qui se poursuivit sur une lancée plus qu’acceptable. Non pas tant que je désirais à tout prix me faire reluquer comme l’individu ne tarda pas à le faire, me montrant que c’était ainsi ça, son idée de se changer les idées, mais c’était mieux que de penser au boulot, déjà, c’était certain. Nullement insultée, même que d’une certaine façon, ça me faisait du bien de voir que je n’étais pas juste bonne à rejeter, je roulai les yeux en signe de fausse exaspération, lui laissant le temps de se calmer, suggérer quelque chose de plus banal. Mais avant que je puisse ne serait-ce qu’accuser réception de l’idée, il revint à la charge, proposant quelque chose qui, inévitablement, me fit éclater de rire. À ça, je répondis la première chose qui me passa à l’esprit, toujours en riant, soit:  « Bon déjà, tu as quel âge pour avoir des idées pareilles ? » Consciente qu’il n’y avait pas d’âge pour ça, je disais ça surtout en taquinerie, même si me concernant, je ne me souvenais pas de la dernière fois que j’avais fait une chose pareille. Ça datait certainement du lycée, avec mon premier petit-ami qui, lui, ne manquait jamais une occasion de le faire. Ça me rappelait un temps d’innocence que je retrouvais dans le comportement du jeune homme à côté de moi, un temps où les choses étaient beaucoup plus simples et agréables. La combinaison de ces souvenirs avec cet air un peu juvénile qu’il avait au visage faisait en sorte que je trouvais son innocence, ou du moins, celle que je voyais dans son visage, dans son regard, particulièrement adorable. Était-ce pour autant que j’allais craquer ? Pas tout à fait, pas encore. Après tout, on ne se connaissait pas, et ce n’était pas des souvenirs d’un passé outre, d’une personne outre, qui allait me convaincre. Reprenant mon sérieux au bout d’un petit moment, essentiellement parce que je m’étais obligé à le faire avec une nouvelle gorgée de boisson, je finis par demander:  « Tu dois avoir un métier pas mal plus chouette que moi, je me trompe ? » En gros, j’avais décidé de jouer le jeu qu’il avait proposé; apprendre à se connaître. Et là, je lui demandais une question banale, pour savoir ce qu’il faisait dans la vie, en espérant que ce soit suffisant pour continuer la discussion sans la ramener sur moi et mon métier bien monotone et générique.

Pourquoi j’avais l’impression d’avoir entendu une phrase similaire auparavant ? Pourquoi j’avais l’impression d’avoir déjà eu à faire avec une personne capable de prononcer de tels mots au quotidien, le gamin éternel qui s’assume totalement ? Tout ça me semblait souvenirs lointains, mais des souvenirs qui étaient là, suffisamment présents pour me perturber l’espace d’un instant. L’instant se fit bref toutefois, puisque rapidement, je me ressaisis, lui demandant son métier, me sortant l’idée dans la tête pendant un instant. Ensuite, je me concentrai sur le fait de garder contenance, et ne pas soupirer à cette façon que le jeune homme eut à tourner ma question, m’obligeant à dire mon métier, comme je n’avais pas tant envie de le faire tout de suite. Heureusement, il n’insista pas davantage, me faisant part du sien, ce qui me valut d’accuser réception en hochant la tête, avec un air rempli d’intérêt, signe que je confirmais qu’il avait effectivement un métier plus intéressant que le mien. Je n’ajoutai quelconque commentaire, le laissant poursuivre, me signifier qu’il y avait un ajout à cela, avec un commentaire qui me fit rire un peu nerveusement, pour finalement m’arracher une grimace, accompagné d’un:  « C’est mignon, mais je ne crois pas. » Je regrettai aussitôt de l’avoir dit, puisque même si je travaillais fort sur mon estime de moi et que je ne pensais pas être complètement désagréable à regarder, mais il y avait toujours ces fichues marques sur mes bras, qui allaient me suivre, toute ma vie, que je ne pouvais pas tant oublier, et que je ne me voyais pas immortaliser sur une photo. De toute façon, ça n’avait jamais été dans mes plans de vie, ça n’aurait jamais pu être dans mes plans, pas avec la famille que j’avais. À la place, je m’étais retrouvé avec le métier que je pratiquais actuellement, celui qui me fit soupirer discrètement quand je confirmai que le garder silencieux ne serait pas une option dans la discussion actuelle. Me résignant, je répondis donc:  « Je travaille comme assistante dans une entreprise pharmaceutique. » Volontairement, j’avais tu le nom de la dite entreprise, non pas que je voulais encore garder du mystère, mais bien parce que je savais que le nom n’avait rien de prestigieux en ce moment, et comme je l’avais dit précédemment, j’avais envie d’oublier, non pas de commencer à parler des déboires de l’industrie. Et puis, ce n’était pas comme si c’était tant le métier que j’étais fière de décrier comme étant le mien, pour le moment en tout cas. Donc ne pas en parler, c’était le mieux. Mes études ? Le temps depuis lequel je vivais ici ? Déjà plus acceptable, passable. Et si ç’avait été une question par curiosité, ç’aurait pu être parfait, mais ce ne le fut pas. Et en évoquant ses raisons de le demander, le jeune homme ramena ces doutes que j’avais eu plus tôt, d’où le fait que j’hésitai, avant de répondre:  « Hum… Le lycée oui, puis je suis partie pour l’université. » Je ne m’éternisai pas, les propos de mon interlocuteur ayant eu au moins pour effet positif de me faire comprendre que je n’avais pas besoin de m’étaler sur le sujet, et que le faire ferait juste en sorte de s’éloigner du point central, et de cette impression qui, désormais ne me quittait pas. Ne voulant pas paraître insistante pour autant, je décidai de me la jouer curieuse, quand je demandai:  « Tu crois m’avoir croisée… Où ? », attendant en prenant une autre gorgée, un air inquisiteur au visage, essayant de m’amuser un peu avec le fait, même si pour tout dire, je n’étais pas convaincue de rien de concret.

Alors que précédemment, j’étais catégorique, certaine que je ne pouvais être jolie pour qui que ce soit, là, je me montrai soudainement sceptique lorsque le jeune homme voulut me faire croire le contraire, que je devais faire confiance à son avis, et tout ce qui venait avec. Sceptique, mais pas beaucoup, pas assez pour lui demander quand on allait commencer, s’il faisait des photos dans le nu et tout ce qui venait avec. Son enthousiasme avait été tout juste suffisant pour me faire sourire légèrement, peut-être chasser toute mauvaise pensée qui aurait pu venir gâcher ne serait-ce qu’un peu la soirée. Et pour ça, j’étais reconnaissante, parce que c’était pour ça que j’étais venu dans ce bar dans un premier temps, et je n’allais pas nier que ça me faisait le plus grand bien. Ça ne m’échappa pas des conversations un peu moins intéressantes, comme lorsque je lui fis part de mon métier. Au moins, je n’eus pas droit à une lecture comme quoi tout métier était pertinent, mais plutôt une approbation comme quoi mon métier n’avait rien d’excitant. Était-ce vraiment ça que je cherchais ? Je n’irais pas jusqu’à dire ça, mais ça me gênait beaucoup moins d’hausser les épaules pour dire que oui, tous les goûts étaient dans la nature, mais que moi, ce n’était pas tant mon goût à moi. Comme ça, sans parler de mes ambitions, sans me faire du mal quelconque, changer de sujet sans ajouter quoi que ce soit. Parler du lycée était sommes toutes un peu plus simple, surtout que je n’eus pas, à mon soulagement, à parler de la suite. Sans attendre donc, essayant de passer outre la réflexion que nous tentions de nous faire, je répondis:  « Ça fait environ sept ans… » En fait, j’étais revenue après être partie avec Médecins Sans Frontières et depuis, tout avait défilé un peu trop vite, le temps m’avait échappé, et je le prouvais à cet instant précis. Passant outre, je cherchai à faire ma part des choses dans cette recherche, posant une question, amusée, si je pouvais le dire ainsi, de constater que je n’étais pas la seule à le faire. Mais ce fut mon interlocuteur qui eut une réponse en premier, plus rapide que moi. Et la réponse, elle fut surprenante, me faisant écarquiller les yeux, avant de me faire rigoler doucement. Et là, ce fut moi qui adoptai un air plus taquin, pour lui dire:  « Peut-être, mais tu ne penses pas que si tu avais couché avec moi, tu t’en souviendrais mieux que ça ? » Non, mon égo n’était pas démesuré à ce point. Et non, je n’avais plus, plus maintenant, l’audace de dire des choses pareilles et me croire. Ce n’était pas tout le monde qui pouvait avoir l’assurance du brun que j’avais devant moi, après tout. Me rétractant donc petit à petit, ce fut d’une voix bien moins confiante que j’ajoutai par la suite:  « À moins que ça fasse longtemps, bien longtemps… » Réflexion au hasard, sommes toutes, dans laquelle je me remettais inévitablement en question, dans le sens où moi-même, je n’avais pas de tel souvenir. Ou bien est-ce que tout ça n’était qu’une blague ? Une blague pour me faire marcher, ou bien une ligne d’entrée un peu plus crédible que l’histoire du non-anniversaire ? Je ne savais pas trop, je n’osai plus vraiment aller plus loin, même si, dans un autre monde, j’aurais aimé avoir l’assurance de dire quelque chose de mieux, comme « Tu veux qu’on vérifie ? », même si ce n’était pas une éventualité à laquelle je saurais fermer la porte, pas totalement en tout cas.