Dites-moi d’où il vient, et je saurai où je vais • Driam

Le patron du bar m’avait servi ma bière, petit shooter en plus. L’air qu’il prenait avec moi ne m’inspirait pas vraiment confiance, et je ne savais pas où me mettre. C’était le genre de situation où j’aurai aimé pouvoir me planquer dans un trou de souris. Je commençais à croire que venir ici pour le rencontrer avait simplement été une erreur. Je fixai la boisson posée devant moi. Je ne savais plus quoi penser, je ne savais plus quoi dire. J’avais passé des années à préparer ce moment, et maintenant que j’y étais, je ne savais pas quoi faire, j’étais perdu, et j’avais l’impression d’être à nouveau un petit garçon perdu. Je soupirais doucement. Mon cœur battait de plus en plus vite sous la pression, et plus je me posais de questions, plus je me sentais mal. Sans réfléchir, je pris alors le shooter devant moi, le vidant d’une traite, tête en arrière, claquant le verre vide sur le comptoir. « Pas mal. » J’avais bien aimé ce petit mélange, mais j’avais bu bien trop vite pour pouvoir dire ce qu’il y avait dedans. Mais au moins, ça avait eu le mérite de me réveiller un peu. Ma gorge était moins sèche mais mon cœur ne battait pas moins vite et je ne n’étais pas moins angoissé par la situation. Il avait une allure assez fière, sa voix grave et son ton hautain voir agacé, ne m’encourageait pas du tout à dévoiler mon identité, et je voulais vraiment partir sans rien avouer. Ça aurait été bien dommage de faire tout ce chemin pour rien. J’avais bousculé toute ma vie et celle de ma famille pour pouvoir étudier ici, et espérer un jour le retrouver enfin. Sauf qu’il n’avait rien du père que j’avais imaginé. Je le trouvais rustre, angoissant et puis, il avait un petit comportement bizarre avec moi que je n’arrivais pas à comprendre. Peut-être qu’il était simplement charmant avec tous ses clients, je n’en savais trop rien. Toujours est-il, que pour le moment, je me sentais terriblement mal à l’aise, vissé sur ma chaise de bar. Je pris alors la bière en main, histoire d’occuper mes doigts que j’avais envie de tordre entre eux sous l’effet du stress. Je le trouvais terriblement agressif, et ça me faisait perdre toute confiance en moi. Déjà que je n’en avais pas beaucoup, là, c’était pire, j’avais presque atteint le point de non-retour. J’avalais doucement ma salive, prenant une gorgée de bière. Je ne devais pas me laisser abattre. Sinon, il penserait que son fils est un gamin qui ne sait pas répliquer face à un homme. Je ne voulais pas qu’il puisse se faire cette image de moi au moment où je lui avouerai tout. Enfin, si je le ferais un jour. Parce que pour le moment le regard qu’il me lançait ne m’aidait pas du tout à me lancer. Heureusement, sentir la chaleur de l’alcool dans ma gorge me rendait peu à peu le sourire et la motivation de lui parler. « Nouveau ? En ville depuis quelques années, mais ouais c’est la première fois que je viens ici. Puis, je vais pas chier sur ma chaise, sauf si tu prends plaisir à nettoyer, mais je trouverai ça plutôt bizarre. » Je m’étais un peu surpris moi-même à parler comme ça. J’essayais simplement de me mettre à sa hauteur, de l’étonner un peu, comme si j’essayais de lui prouver quelque chose. J’avais maintenant un air de faux méchant, plutôt craquant, mais ça je ne pouvais pas m’en rendre compte. Je voulais juste réussir à le remballer. Ce n’est pas parce que c’est sûrement mon père qu’il doit me parler comme à un con.

« J’te connais pas sinon, j’aurai pas besoin de demander ton nom. » Je soupirais doucement, reprenant un peu de bière en levant les yeux au ciel. Il avait un caractère de merde, en tout cas, de première impression, il n’avait pas l’air commode. Je n’étais pas habitué à ça, dans ma famille, on ne supporte pas les personnes comme ça. Alors me dire que j’avais des gênes en commun avec lui, ça me faisait plutôt bizarre. Mais c’était mieux que d’en n’avoir avec personne. En tout cas je crois. Je me demandais bien ce qui avait pu attirer ma mère chez lui. Il était bel homme, c’était sans doute ça, sinon je crois que je ne serais pas en mesure de comprendre. Je jetai un regard rapide autour de moi, observant encore un peu le bar. C’était plutôt cool d’avoir réussi à devenir propriétaire d’un tel endroit. C’était sûrement rentable. L’alcool ça l’est toujours. « Pas la peine de t’exciter comme ça, je vois pas pourquoi je serais là pour foutre la merde. J’viens juste parce qu’on m’a recommandé ce bar, apparemment il est animé et le patron est sympa. Apparemment on m’a dit des conneries. » Je n’aimais pas qu’il soit aussi agressif, il n’avait pas de raison de l’être. Sur le moment, j’ai eu un mouvement de recul, j’avais été sur le point de prendre ma veste, la ramenant près de moi. Je ne comprenais pas pourquoi il était comme ça, mais si c’était vraiment mon père, ça ne m’intéressait pas. Je ne voulais pas avoir à faire avec un homme si brutal. « Dommage. » J’haussai les épaules.

Dans ce bar, en ce jour d’hiver, il y avait moi, et il y avait lui. Contrairement à tout à l’heure, je n’avais plus vraiment envie de fuir. Je n’avais plus envie de me détourner de cet homme, de claquer la porte sans avoir pris le temps de lui parler, même un peu, de découvrir sa voix, de découvrir qui il était vraiment. J’étais toujours dans l’hésitation, j’étais toujours un peu confus et intimidé, mais cette fois, j’étais plus que décidé. Le calme qui s’était installé dans le bar, ne me rendait plus docile. J’avais su lui répondre comme je le devais, à ses commentaires que j’avais jugé peu sympathiques. Je fixais ma bière, et mon shooter vide que j’avais avalé d’une traite. J’avais imaginé beaucoup de choses petits, mais pas qu’il était barman. Moi qui était issu d’une famille de droit et aux postes plutôt élevés, je trouvais ça vraiment agréable, de pouvoir constater que quelqu’un de ma famille pouvait avoir une idée précise et réelle de la vie et de la société actuelle, qui vivaient dans des conditions banales, sans artifices et sans postes mondains. J’aimais l’idée de le voir servir les clients, écouter leur vie, et même si ça ne devait pas être un métier toujours facile, j’adorais m’imaginer un père en train de rire derrière un comptoir, qui me raconterait ses histoires de bar et d’adolescence compliquée. Je crois qu’au fond, j’avais envie de changer d’air, j’avais envie que mon père soit totalement différent de tout ce que j’avais vécu jusqu’à présent. Et j’avais comme l’impression que c’est ce qui allait se passer. Je n’aurai pas trop su dire pourquoi exactement, mais j’avais cette sensation au fond des tripes, que je devais me faire confiance et tout lui avouer, qu’il me rejette ou non, je ne voulais rien regretter plus tard, une fois que je me retrouverai père de famille à mon tour. Je ne voulais pas me demander, si j’avais raté une occasion de retrouver mon père, je voulais faire ça ici et maintenant, je voulais lui imposer la réalité. Je savais désormais que ma mère m’avait menti, et qu’il n’avait jamais ri su de ma naissance, ça me donnait des chances supplémentaires qu’il ne m’en veuille pas, qu’il décide de me connaître. En prenant une grande inspiration, je buvais une gorgée de bière, laquelle se vidait de plus en plus dans ma gorge, tandis qu’il me parlait encore, le visage si près du mien. Je commençais d’ailleurs, à trouver son attitude étrange, et le ton mielleux qu’il prenait, était tout à fait curieux. J’avais haussé un sourcil d’un air interrogatif, me demandant pourquoi il était aussi bizarre dans ses propos. Certaines phrases sonnaient presque comme des sous-entendus, et je me demandais de plus en plus si il n’était pas attiré par les hommes. Je ne m’étais pourtant pas trompé, après tant d’années de recherches. Ou bien il était bisexuel, pour ce que j’en savais. Je soupirai, essayant de ne pas m’influencer, je devais à tout prix lui parler, peu importe si je me plantais ou non, je le saurai bien assez vite. Je reprenais une gorgée de bière, écoutant ses commentaires plutôt explicites, qui commençaient à me mettre mal à l’aise, très.

« Hésitant ? Ouais sûrement. Je sais pas si c’est vraiment mignon, mais merci du compliment, ça fait toujours plaisir je suppose. On me le dit souvent d’ailleurs. » Jusque-là j’essayais de paraître poli, même si ses commentaires me paraissaient de plus en plus dirigés. Est-ce que c’était réellement possible qu’il puisse seulement me…draguer ? Je n’osais pas vraiment y penser, c’était tellement glauque. Même si il ne savait pas qui je suis, il avait bien remarqué que je devais avoir au moins vingt ans de moins que lui. J’essayais de me conforter en me disant qu’il essayait simplement d’être courtois, comme n’importe quel barman, de parler et de rendre la soirée agréable avec quelques compliments. Ça commençait à se bousculer dans ma tête subitement. Je me demandais pourquoi il agissait aussi rapidement, et si il aimait vraiment les jeunes garçons. Je me raclais la gorge. Je ne devais vraiment pas commencer à me faire des idées, mais la situation ne m’aidait pas vraiment à penser le contraire. Tant pis, j’étais là, et je devais faire ce pourquoi j’étais venu. Peu importe qui il est, qui il aime et ce qu’il fait de sa vie, je ne voulais pas m’en aller, quitter un jour le monde sans qu’il sache. « Le répondant ça vient de ma mère, c’est une vraie tornade. Mais ravi que ça plaise à quelqu’un. » C’est sûr, que je ne pouvais que dire ça. Je ne savais pas si j’avais quelque chose de mon père en fin de compte, et en venant dans ce bar j’espérais pouvoir le savoir un jour. A bien regarder, je lui ressemblais physiquement, au moins un peu. Même si j’avais beaucoup gardé des origines Italiennes de ma mère, ce qui ne me dérangeait pas, ça avait au moins le don de plaire aux filles, et ça, ça m’aidait pas mal.

Beau et craquant, sérieusement ? Ok, là je crois que j’avais plus trop de doutes possibles. L’ambiance allait devenir vraiment gênante. Mais je ne pouvais pas le remballer et lui balancer que je suis son fils en jetant ma bière et lui demandant si il se tapait sérieusement des garçons de mon âge. J’allais donc essayer de lui faire comprendre, que je ne suis pas comme ça, sans paraître brusque ou quoi. Je soupirais un peu, la situation était vraiment dingue, et pire que ce que j’avais imaginé. Honnêtement, je m’étais préparé à beaucoup de choses mais pas à ça. « Personne ne connait votre nom sérieusement ? Pourtant on me l’a donné assez facilement. J’ai juste demandé à un serveur tatoué, un grand blond qui fumait à l’entrée qui était le patron et il m’a donné votre nom comme ça. » Je souriais un peu, haussant les épaules. « En même temps il vaut mieux qu’un employé connaisse le nom de son employeur, c’est plus recommandé. » Je buvais une gorgée de bière, elle était encore fraîche. « Promis je vais pas vous faire chier, sauf si vous y tenez vraiment. » Je souriais encore. J’aimais bien cette joute verbale même si il semblait prendre ça sur un ton plus flirt que moi. « A vrai dire…Je suis pas venu que pour ça. Mais je suis réellement venu pour voir le patron. Parce que j’ai besoin de lui parler. C’est…Compliqué. Mais, j’aimerai qu’il m’écoute attentivement et jusqu’au bout. Ce n’est pas pour affaires, c’est personnel. » Je soupirais doucement, me donnant du courage.

Alors cette fois, c’était certain. J’étais en train de me faire draguer par un barman en Amérique. Pire, je me faisais draguer par un homme qui, était certainement mon père biologique. J’avalais ma salive avec peine, tandis que mes oreilles étaient obligées de supporter son discours mielleux, et quelque peu…Déplacé ? Je ne savais pas trop quoi penser de cet homme. S’il était bien mon père, qu’il aime les garçons, je m’en fichais pas mal. Après tout, chacun fait ce qu’il veut, et je ne me permettrai jamais de juger quelqu’un sur ses préférences sexuelles ou amoureuses. Pour l’heure, je buvais encore une autre gorgée de bière, essayant de me donner du courage comme je le pouvais. Cette fois, je devais lui dire toute la vérité, je n’avais plus le choix. Déjà, ça me permettrait d’éviter de continuer à me faire draguer, parce que mine de rien ça devenait plutôt gênant, mais j’étais quand même venu pour ça à la base. Je soupirais doucement, relevant les yeux vers lui. J’essayais de détailler les traits de son visage pour voir si je lui ressemblais vraiment, mais je ne voulais pas qu’il croit que je le matte. Je faisais donc mon investigation physique de la façon la plus discrète possible, même si c’était compliqué, puisqu’il était juste en face de moi et qu’il ne semblait pas vouloir regarder ailleurs. Mes yeux évitaient les siens, mais je restais bien évidemment troublé par toute cette histoire. Je me retenais de soupirer, ne voulant pas qu’il croit que je puisse être affligé. J’étais surtout stressé, car le moment que je redoutais arrivait doucement mais sûrement, il s’imposait à moi de par notre conversation. Je n’avais pas le choix, il faudrait bien que je m’y mette à un moment donné de toute façon. « Sans doute…En général ce sont plutôt les femmes qui me disent ça mais ça fait toujours plaisir. » Ouais, enfin je crois. J’essayais de ne pas le vexer. Je ne voulais pas faire fuir mon père ou faire en sorte qu’il me déteste avant même de lui avoir avoué qui j’étais ce serait quand même un peu con. Je repoussais ma bière que je venais de terminer, sentant que j’aurai sûrement encore besoin de quoi me remonter. Je venais de boire et pourtant, je sentais ma gorge qui séchait encore. Mon cœur se serrait doucement, tandis que je continuais de l’écouter à me déverser des compliments encore et encore. Je croisais les doigts pour que tout se passe bien. Au moins, il me trouvait beau garçon, c’était déjà ça, physiquement au moins, il ne me repoussera pas. Et puis, j’avais cru voir comme des airs de famille. Peut-être que je me faisais des films, après tout, j’avais tant eu envie d’avoir un père pendant toutes ces années que j’espérais.

« Eloan ? Ah ok. Il a l’air sympa en tout cas, c’est le seul qui a bien voulu me répondre. » C’est vrai que, il avait tout de suite accepté de m’aider en m’indiquant qui était le patron, bien que j’aie sans doute fini par deviner en regardant l’âge du personnel, qui était en général presque au mien. Mais il m’était apparu comme un mec sympa, et je serais resté fumer avec lui pour discuter, si seulement j’avais été fumeur, ce qui n’est de toute façon pas le cas. Je me raclais la gorge silencieusement, tandis que mes membres commençaient à frissonner un peu. J’angoissais doucement, et j’essayais de me contrôler. Mais voilà, quand on attend ce moment depuis des années, impossible de se calmer en deux minutes. Mon cœur battait tellement vite qu’il semblait prêt à sortir de ma poitrine. J’aurai pu en avoir mal. Mais j’avais l’habitude, c’était comme ça depuis que j’avais franchis la porte du bar. Une chance que nous étions tous seuls dans le bar, nous pouvions au moins discuter tous les deux. Prenant mon courage à deux mains, je plongeais mon regard dans le sien. C’était maintenant ou jamais. Il fallait que je commence à débiter le discours que j’avais en tête depuis tout ce temps. Je ne pensais ni aux conséquences, ni à ce qui se passera ensuite avec ma mère, j’avais besoin, de connaître ce père. J’avais besoin, qu’il me connaisse. « Non rien de grave enfin…Ce sera sûrement à vous de juger. » J’avais pris une grande inspiration. Mes mains tremblaient presque d’angoisse, et j’essayais de le cacher comme je le pouvais, même si ce n’est pas évident. Un long frémissement me parcourut le long du dos. C’était là que tout allait changer pour moi, mon monde, ma vie, mon avenir. Qu’importe si il me jette dehors, j’aurai eu le courage de lui avouer. « Je m’appelle Adriano Serantoni. Je viens d’Italie, de Florence. Il y a 24 ans, vous êtes allez en vacances là-bas avec des amis. Vous avez rencontré une jeune fille qui s’appelait Lucia, et…Enfin, vous l’avez vu une nuit. » Je soupirais, tentant de reprendre mon calme, lui laissant monter les informations au cerveau, le temps de comprendre. « C’est ma mère. Et je crois que…Vous êtes mon père. »