Dites-moi d’où il vient, et je saurai où je vais • Driam

C’est vrai qu’écouter son petit discours sur les mecs d’aujourd’hui, les jeunes de mon âge qu’il trouvait mignon, c’était assez gênant. Mais heureusement pour moi, ce ne fut pas très long. C’était toujours compliqué d’éviter ce genre de conversations sans vexer son interlocuteur, et c’est pour ça que j’avais choisi de ne rien répondre dans un premier temps. Je m’étais contenté de lui sourire sans pour autant répondre à ses avances, essayant de chasser tout comportement qui pourrait être ambigu. Alors autant dire que le passage de la culotte et des femmes était encore pire à supporter pour quelqu’un comme moi. Bien sûr sous la couette j’étais plutôt décomplexé, et j’avais des tendances particulières, mais s’il s’agissait de parler de ce genre de choses à voix haute, c’était une autre affaire. Je ne me sentais pas à l’aise entre hommes sur le sujet, sauf avec mon meilleur ami Jacob. Mais là, entendre ça de la bouche de mon père que je ne connaissais pas, c’était vraiment trop bizarre. Sans compter qu’il avait plutôt l’air porté sur ce genre de choses, ce qui ne me mettait pas vraiment en confiance pour la suite. Un peu embarrassé, j’avais terminé la dernière gorgée de ma bière, pour ne pas avoir à répondre, comme si j’étais trop occupé à boire. Je hochai de temps en temps la tête pour le satisfaire, appuyant un petit rire amusé quand il parlait des femmes. Je ne pouvais pas vraiment dire le contraire, c’était sûrement mon physique qui avait attiré ma petite amie, et puis quand je pensais à nos ébats sauvages, je ne pouvais que confirmer ses dires. Mais pour le moment, il n’avait pas besoin d’en savoir autant sur moi et encore moins sur des choses aussi personnelles. Heureusement pour moi, le sujet se retourna vite vers le jeune homme qui m’avait donné le nom de famille d’Adam. Apparemment il l’appréciait beaucoup, ça devait être un bon employé. C’est vrai qu’il avait été souriant avec moi, et qu’il était plutôt agréable. Sûrement qu’il était encore en train de fumer dehors ou alors qu’il avait fini son service, car personne n’entrait dans le bar. Comme si personne ne voulait nous déranger, ce qui m’arrangeait. « Oui il a l’air cool. Je serais bien resté lui parler un peu mais je ne fume pas alors… » J’haussai les épaules. Ça me permettait de balancer une petite information sur moi, l’air de rien, même si il s’en fichait sans doute. Pour une raison inconnue, même la chose la plus insignifiante, ça me faisait du bien de la dire alors bon. J’étais donc là, assis en face de lui, et je venais de lui déballer la vérité. Ma gorge me brûlait.

« Je…Je comprends que ce soit bizarre à entendre et que ça paraisse totalement dingue mais… » Je soupirais un peu, les joues rouges. Je ne savais pas trop où me mettre. Est-ce ce que j’avais bien fait de tout balancer comme ça ? J’avais été tellement nerveux que je ne contrôlais plus le rythme de mes phrases et j’avais simplement dit ce qui me passait par la tête. Sa tête complètement choquée ne me donnait pas envie de rester, mais je comprenais le choc que ça devait être. Après tout, j’avais ressenti la même chose en apprenant que mon père ne m’avait pas réellement abandonné à la naissance. « Quand ma mère est tombée enceinte elle a voulu avorter. Ma grand-mère l’a convaincu de ne pas le faire. Quand j’étais en âge de comprendre qu’il me manquait un père, elle m’a dit qu’il était parti avant ma naissance et qu’il ne voulait pas de moi. Alors elle m’a élevé toute seule. » Je baissais un peu les yeux, essayant d’être clair. Ma voix tremblait doucement, je pouvais l’entendre et le sentir. Mes émotions se mélangeaient toutes en même temps, et mes mains devenaient subitement moites. Mon souffle était court, ma tête faisait un vacarme de tous les diables. Mon ventre se tordait à chaque mot que je prononçais. C’était l’enfer dans tout mon corps. C’était sans doute ça le prix de la vérité. « Je…Je veux rien de vous, en tout cas pas d’argent, je voulais juste…Vous voir, c’est tout. J’ai jamais su…J’ai jamais connu mon autre famille, j’ai jamais eu de père, je voulais juste en avoir un comme tout le monde. » Je me redressai un peu, essayant de former des phrases correctes, sans bafouiller, mais c’était plus compliqué que prévu. « Il y a trois ans je suis tombée sur des lettres que ma mère écrivait. Il y en avait pour moi où elle s’excusait de m’avoir menti et…Certaines pour un certain Adam vivant dans cette ville. Elle disait qu’elle était désolé de pas l’avoir prévenu qu’elle attendait un enfant, mais que ce serait le sien et celui de personne d’autre…Je vous ai retrouvé comme ça, après trois années de recherches...Je suis venu étudier ici pour vous retrouver... » Je soupirais, me tenant la tête, confus. « Je… » Je me relevai subitement, comme si je prenais conscience de la situation. « Je suis désolé. Je peux repartir et…Je n’aurai pas du vous imposer ça pardon. » J’étais tellement mal. Je sentais presque des larmes me monter aux yeux. Fuir, à tout prix.

Quand il m’avait encouragé à continuer dans ma bataille contre la cigarette, ça m’a fait sourire, un peu bêtement sans aucun doute, mais sourire quand même. Ça me paraissait étrange, mais j’avais l’impression, que c’était son premier conseil de père. Je ne le connaissais pas, il était un inconnu pour moi, et pourtant nous partageons le même sang et les mêmes gènes. J’avais le même ADN que cet homme, que je venais de découvrir. Physiquement, je crois que je lui ressemblais un peu aussi, même si j’avais beaucoup pris des traits de ma mère. J’essayais de regarder son visage de façon discrète comme si j’avais envie, comme si j’avais besoin de retrouver en lui, quelque chose de moi, et en moi, quelque chose de lui. Ma tête semblait cogner doucement, et je sentais tout mon corps qui tremblait, pris de frissons de panique, et certainement de tétanie. Je venais d’avouer à cet homme, qui jusque-là avait eu une existence tranquille, qu’il était probablement mon père. Je venais de mettre fin à des années de recherches, des années de silences, des années d’incompréhension, des années de souffrance et de regrets. Fermant les yeux un instant, je reprenais alors mon souffle, comme si je commençais à m’étouffer. Je n’en revenais pas vraiment d’avoir eu le courage nécessaire pour me dévoiler, pour affronter cet homme qui pendant de années n’avait jamais su que j’existais, que quelque part dans le monde, grandissait un enfant, et qu’il avait besoin de lui chaque jour de sa vie. Bien sûr, je savais que c’était uniquement la faute de ma mère, et d’ailleurs, je ne lui parlais plus beaucoup. Surtout en ce moment, à chaque fois que j’entendais sa voix, son mensonge qui m’avait privé de tant de choses, me soulevait le cœur, et je n’étais plus capable de lui parler sans haine. « Je…Je sais que ce n’est pas votre faute, et que vous n’étiez au courant de rien. Elle m’a longtemps fait croire que vous m’aviez abandonné en apprenant sa grossesse, mais c’est en trouvant toutes ses lettres que j’ai compris. Alors, j’ai voulu déménager à Washington, pour essayer de vous retrouver. Ça parait peut-être extrême j’en sais rien, mais…C’était un choc pour moi d’apprendre que finalement, mon père ne savait même pas que j’existe alors… » J’haussai un peu les épaules. Je me demandais bien comment j’avais pu tenir aussi longtemps, sans le connaître. Comment ma mère avait réussi à me mentir de façon aussi légère durant tellement d’années ? Je me souvenais encore de son visage doux, quand elle me tenait dans ses bras, et que je rentrais en pleurant de l’école quand on se moquait de moi, parce que mon père ne me cherchait jamais. Me retrouver devant cette personne, qui aurait dû venir me chercher, qui aurait pu m’apprendre des choses aussi banales que de savoir se raser, que de comprendre les filles, ou encore que d’apprendre à jouer au foot. Mais j’avais grandi sans ça, je m’étais habitué petit à petit à faire mes armes seul, mais aujourd’hui peut-être, que tout pourrait finalement changer. « Je pense pas du tout que vous êtes un salopard. De toute façon je suis en froid avec ma mère à cause de cette histoire. Je suis désolé d’intervenir aussi brusquement dans votre vie, je n’en ai pas le droit. C’est sûrement injuste de ma part de perturber votre quotidien d’un coup, vous avez sûrement une femme ou des enfants, et je comprendrais que la nouvelle ne vous réjouisse pas… » J’allais poursuivre, mais en entendant qu’il ne me repoussera pas, mon cœur fit un énorme bond, et mon visage se mit à sourire, étonné, et interdit, comme si j’avais mal entendu. Est-ce que ça pouvait être réel ? Est-ce que cet homme pouvait réellement m’accepter, au moins le temps d’une journée ? Il voulait que j’arrête de m’excuser, mais je croyais rêver. J’avais toujours imaginé les pires des scénarios possibles si je rencontrai un jour mon père, mais aujourd’hui, c’était tout l’inverse qui se produisait devant moi. Je passai une main nerveuse dans mes cheveux, avalant doucement ma salive, essayant de rester calme, comme si j’étais face à une illusion. Je sentais mon corps qui tremblait j’étais particulièrement nerveux, et je ne savais pas comment réagir, tellement j’étais surpris. Est-ce que je devais me risquer à demander de le revoir, je ne sais pas. « J’aimerai…Enfin…J’aimerai apprendre à vous connaître. » Soupirais-je.

Déterminé. C’est donc comme ça qu’il me voyait, c’est donc la première impression qu’il avait eu de moi, après m’avoir trouvé assez beau pour avoir eu envie de me draguer de façon assez poussée, ce qui me gênait encore d’ailleurs quand j’y repense. J’avais baissé un peu les yeux. Je n’aurai peut-être pas dû lui dire que je t’étais venu pour lui, j’aurai peut-être du inventer, prétexter que ma venue à Washington n’était que pour mes études, même si c’était totalement faux. J’avais terminé ma bière depuis longtemps, et je n’en demandais pas une nouvelle, j’ai toujours mal tenu l’alcool, alors que mon père puisse être barman, ça avait quelque chose de plutôt amusant, ou étrange, c’était au choix. Je n’avais pas vraiment le même mode de vie, je sortais uniquement le week-end, et encore, quand j’avais réussi à terminer mes révisions. Je buvais toujours de façon modérée, et je ne fume pas. Quand je regardais l’homme qui était mon père depuis maintenant toujours, mais pour depuis une heure, je me disais que on n’avait pas grand-chose en commun à part le sang. Mais je me trompais peut-être, après tout je ne le connaissais pas. Pour le moment, il semblait déçu et en colère de ne pas avoir su que j’existais, et ça suffisait à me faire incroyablement plaisir, moi qui avait pensé qu’il me rejettera aussitôt qu’il apprendrait mon existence. Le fait qu’il n’avait pas de famille me donnait une chance plus grande, il regrettait peut-être d’être seul sans enfants, et si c’était le cas, je serais désormais là avec grand plaisir. Tout ce que je demandais c’est d’apprendre à le connaître. « Merci, disons que j’ai toujours tout fait pour réussir quand je le voulais, je pense qu’il faut se donner les moyens dans la vie. » J’ai toujours pensé que si on n’essayait pas, on n’arrivait pas. Je préférais échouer en tentant plutôt que de ne jamais essayer de saisir ma chance, je croyais plus au travail qu’au hasard, et depuis petit je travaille dur pour obtenir ce que j’ai maintenant. De toute façon, tout se doit à notre ambition et notre motivation dans la vie, on n’obtient rien sans rien comme on dit. « Oh je vois, moi j’ai toujours été habitué aux grandes familles, avec ma mère on vivait chez nos grands-parents, ils l’ont aidé à m’élever. » Je me demandais alors si j’avais aussi des grands-parents de son côté, mais je n’osais pas trop poser la question, pas tout de suite. « Heu oui…J’ai cru comprendre ça quand vous m’avez, enfin, quand vous avez essayé de me draguer quoi. » J’avais un peu rit jaune, mine de rien la situation avait été sérieusement embarrassante, mais maintenant qu’il était au courant de notre lien, ça devait être encore plus gênant de son côté. Moi j’essayais de ne pas trop repenser à ce moment. C’était assez étrange comme première rencontre, même si ça ne me gênait pas de savoir que mon père appréciait plus les hommes, puisque mon meilleur ami était lui aussi dans ce cas, et que je le respectais tout à fait. Par contre penser qu’il aimait se faire des garçons de mon âge, c’était tout de suite plus compliqué à accepter. Mais je préférais ne pas trop penser à ce genre de détails, je ne voulais pas le juger sur ça. J’avais pris le papier qu’il m’avait donné, le mettant dans ma poche. « Merci…Je ne veux pas être trop intrusif, je vous dérangerais pas. Je vais vous donner mon numéro aussi, comme ça vous pourrez me contactez de vous-même si vous vous sentez l’envie de le faire. » Je ne voulais pas m’introduire aussi subitement dans sa vie, je préférais attendre qu’il se sente prêt à me connaître. Moi je l’étais depuis longtemps, mais pas lui. Je voulais tout de même rester encore un tout petit peu, continuer à le regarder, détailler si je lui ressemblais un peu, même physiquement. « Vous êtes barman alors, je trouve ça plutôt cool. » Je le regardais. C’est le genre de métier de mauvais garçon qui passait toujours.

A mon avis, rien n’aurait pu me faire plus plaisir que ce qui était en train de se passer entre nous. Alors que j’avais à peine rencontré mon père depuis quelques minutes, l’homme que j’avais attendu, imaginé pendant des années, se tenait devant moi, et il me posait des questions sur ma vie personnelle, sur tout ce qui pouvait me concerner de près ou de loin, il s’intéressait à moi. J’avais subitement un goût amer en bouche, une sensation de malheur, malgré la joie des retrouvailles. Je pensais à tout ce temps gâché, alors que nous aurions pu nous retrouver, nous connaître, et que nous aurions sans doute pu gagner des années, et que nous aurions pu tellement partagés tous les deux. J’avais perdu toutes ces secondes précieuses à cause de ma mère, et je lui en voulais plus que tout, terriblement. Depuis que j’étais tombé sur ces fameuses lettres, je ne voulais plus lui parler, je faisais le minimum pour donner des nouvelles mais rien de plus. C’était sans doute pour ça, qu’elle s’était mise en tête de venir à Washington, pour se rapprocher de moi, et sans doute essayer de m’éloigner de ce père que je venais à peine de retrouver. « Je suis étudiant en droit. Là j’ai eu ma licence dernièrement, et je suis passée en année supérieure pour continuer au niveau suivant. Sinon je suis aussi modèle photo depuis mes 14 ans, je pose pour les magazines, les pubs… » Je souriais un peu, je me sentais écouté, et ça me faisait plaisir de parler de choses et d’autres avec lui, qu’il puisse me découvrir un peu, et moi le découvrir lui par la même occasion. J’espérais qu’il ne soit pas dessus de moi, peut-être qu’il aurait aimé avoir un fils moins sérieux, et plus cool, comme lui. « Dans ma famille, tout le monde a fait du droit. Mon grand-père était un juge très réputé, ma grand-mère avocate et ma mère également. » Je crois que c’est une affaire de famille, mais ils m’avaient transmis la passion du droit et de la justice, même si pour ma part, une carrière de procureur me convenait bien. Quant aux photos, ça m’amusait, et ça plaisait aux filles aussi. Quand je parlais, j’entendais mon accent Italien qui était très fort, et le sien, Américain. Ça me faisait étrange. Moi j’ai toujours pensé que j’étais Italien pur, et maintenant je savais que je ne l’étais qu’à moitié. « Oh. Je suis désolé, j’imagine que c’est compliqué d’avoir des parents qui ne nous comprennent pas. En tout cas, à mes yeux vous êtes tout sauf un échec, je veux dire, vous travaillez, vous êtes sympathiques avec les clients apparemment, et puis, vous ne rejetez pas votre fils inconnu. » Je souriais un peu, haussant les épaules. Les histoires de famille sont toujours compliquées, je savais bien de quoi je parlais, en tout cas, je ne tenais pas à rencontrer des gens qui jugeaient mon père aussi durement, pas pour le moment. « C’est pas grave. Vous ne saviez pas. Et puis mon meilleur ami aime aussi les hommes, alors je n’ai pas de préjugés là-dessus. » J’haussai les épaules, ça faisait quand même beaucoup à savoir sur mon père en une journée. « Ok, alors, merci en tout cas de m’avoir écouté, j’espère que je vous reverrai rapidement. » Je détournais les yeux, un peu gêné. Je me sentais comme un gamin, j’avais enfin un père, je savais qui il était et à quoi il ressemblait, c’était comme un rêve pour moi. « Je trouve ça super d’avoir son propre bar, ça prouve qu’on bosse dur et qu’on est capable d’être responsable. » Je ne partageais pas l’avis de ses parents, j’étais content d’avoir un père barman, ça faisait vraiment cool. Et puis je trouvais que ça lui allait bien, je le regardais, derrière son bar, et je ne le voyais pas du tout ailleurs finalement. « Moi je n’ai pas peur, en tout cas tant que vous ne me draguez pas. » Je riais un peu.