Collin || After dark

L'horaire. Tu te répètes le mot dans ta tête. L'horloge qui donne l'horaire, horaire que tu dois suivre maintenant que le temps devient si important. Mais tu ne comprends pas encore ses subtilités alors tu regardes bien quand il te montre sur le calendrier. Aujourd'hui, vous êtes dans une case et quand il viendra te voir, vous serez dans une autre. Curieuse manière de compter le temps, que de s'enfermer ainsi. Surtout qu'à part leur place, les cases sont exactement les mêmes. Tu prends le calendrier dans tes mains et tu appuies avec ton index sur chaque case. Ainsi, t'as l'impression de voyager dans le temps. Ton imagination le fait en tout cas. Tu prends ensuite le petit post-it qui te colle sur les doigts... tu les secoues pour le faire partir, le bruit du fin papier se fracassant contre l'air. Du coup, tu fais bien attention de le toucher ailleurs et de pouvoir t'en défaire quand tu le voudras. « La grande sur le douze et la petite sur le deux. C'est facile. » T'as un sourire franc et sincère. C'est facile parce qu'il vient de te le dire, surtout.

Tu relèves la tête quand il te demande si tu as des questions. Oui, des tonnes, sur tout et n'importe quoi. T'en as même une dizaine rien que pour la pièce où vous êtes, d'autres encore pour le couloir dehors. Plusieurs sur sa voix aussi. Tu as toujours des questions sur tout de toute façon Collin. « Oui ! T'es un débile toi aussi ? T'as l'air de me ressembler plus que tout ceux que j'ai rencontré avant. Eux, ils n'avaient rien à voir avec moi. Et beaucoup disaient que j'étais débile. Certains le criaient et d'autres le disaient plutôt bas. Ou alors c'est parce que je viens de la Terre Sacrée que je suis un débile. C'est un mot que je dois retenir ? » Tu te poses la question à toi-même. C'est peut-être une appellation pour un certain type de personne. Peut-être une ponctuation que tu dois utiliser et c'est pour ça qu'on te trouve étrange : Tu ne sais pas comment et quand l'employer.

Tu t'attends à des tas d'explications qui se bousculent dans ta tête, mais pas celle là. Tu perds un peu ton sourire et plisses tes lèvres, le cœur blessé parce que tu entends. Tu ne manquais pas d'intelligence... Tu... avais la tienne. D'ailleurs, ce n'était pas un défaut chez vous de ne pas être le plus cérébral. Mais au ton d'Alvin, tu comprends qu'ils se moquaient de toi. C'est arrivé à la Terre Sacré, tu t'es moqué aussi. Mais toujours avec regret. C'est un sentiment compliqué à gérer que tu ressens parce qu'il est négatif et que tu sais jongler comme le meilleur des acrobates juste avec ceux qui font du bien. Tu baisses un peu la tête, par pudeur et gêne,  « Je sais reconnaître leurs visages mais je ne sais plus leurs noms. Je retiens bien les visages en général. » Toi, tu n'aimes pas les conflits. Vraiment pas. Alors tu prends peur un peu et tu déglutis. Tu cherches un peu de courage pour le regarder à nouveau, ton air donnant l'impression que t'es effrayé. « J'ai pas envie que tu sois en colère. La colère n'amène rien de bon. Juste. Ils ont raison aussi. Moi je suis un débile pour ici, parce que je ne connais pas grand chose. Comme eux seraient des débiles à la Terre Sacrée. Je pense qu'ils ont voulu le dire pour ça. Pas pour te mettre en colère. »

Il t'explique encore. De toute manière, c'est ce qu'il va faire le plus avec toi. T'as encore cette impression d'être comme celui qui est la tête de turque de tous les autres. Mais c'est comme ça. Ça te fait mal alors que tu ne les connais pas, c'est absurde Collin. « Ma mère disait souvent que beaucoup parler était un cadeau de la nature. Elle disait aussi que ce cadeau était très délicat. Je parle beaucoup trop et je le sais, mais j'aime tellement parler et créer des liens. » Tu souris. C'est ce que tu fais naturellement de toute façon. Mais comme t'es encore un peu gêné, tes mains passent naturellement dans tes cheveux. Tu les coiffes un peu, tu enroules une pèche dans ton index et tu la regardes devenir une de ces boucles négligée faite à la va vite. Tu les repousses en arrière ensuite, tu te fais une queue en les tenant d'une main puis tu les relâches. « Il y avait le tout premier homme que j'ai vu. Quelqu'un de très austère. Puis deux autres habillés un peu pareils. L'un avec des lunettes rouges, trop grandes pour son visage et l'autre avait deux grains de beautés en dessous de l'oeil droit. C'est une chance d'en avoir à cet endroit alors je l'ai retenu. Il y a eu la dame qui m'a montré où j'allais vivre aussi, parce que j'ai voulu poser mes mains un peu partout pour tenter de trouver l'âme de ce lieu. Elle s'est offusquée je crois. Peut-être par jalousie de ne pas les ressentir elle-même. C'est tout. Ah ! Pardon. La dame portait aussi des lunettes, les cheveux frisés et blonds et blancs en même temps. Blanc plutôt là où commence le cheveux, blond sur la fin. Je n'avais jamais vu une couleur de cheveux comme ça, je me suis dit qu'elle avait de la chance, il n'y a que les animaux normalement pour avoir de la fantaisie dans leurs pelage. » Voila, tu as fini. Comme toujours, parler t'apaise, te souvenir des instants aussi, de ce que tu as retenu de bon des autres personnes.

Il est gentil Alvin. Bien plus que tous les autres que tu as rencontré depuis ta soirée de la Terre Sacrée. Un peu comme ceux qui y vivent en réalité. A toujours voir ce qui est le mieux, à toujours pointer les qualités des autres plutôt que les choses à revoir. Il a élevé la voix déjà, c'est un défaut de ce monde là, mais pas contre toi. Tu te dis que c'est bien de l'avoir, que la nature t'aime encore malgré tout, parce qu'elle te permet d'avancer avec une personne qui semble te correspondre. « C'est bête un peu alors. » Tu pouffes malgré toi en te relevant aussi. Vraiment, donner des couleurs autres que celles qui sont déjà existantes. Tu ne vois pas l'intérêt. « Sauf si on aime vraiment vraiment une couleur. Ici, vous aimez le rouge, il y a du rouge partout partout. » Dans les rues, et même dans le centre où on t'a ordonné de vivre. Des chaussettes trop grandes pour les hommes sur les murs, rouges, des boules, pas toujours rouges mais souvent. Des espèces de grandes ficelles toutes touffues qui brillent, de plusieurs couleurs aussi.

Tu hoches la tête, t'as tes documents dans la main gauche, de toute manière et tu vas faire en sorte de bien tout comprendre. Tu pourras demander aux autres de toute façon. Il est temps pour toi de partir. Tu t'approches de lui et tu le prends dans tes bras, collant ta joue contre son épaule. C'est ainsi qu'on se quitte d'où tu viens, alors c'est un geste mécanique. Un geste un peu nostalgique aussi, car c'est la première fois que tu le fais à nouveau. « La grande flèche sur le douze et la petite sur le deux ! » C'est bien ça. Tu peux t'en aller.