Savannah&Levi ▬ Ce soir, c'est mon tour de te sauver.

Sitôt que j’avais vu les gouttes de glace commencer à tomber durement dans la fenêtre et que je m’étais rendu compte que ce dont tout le monde parlait dans la salle commune était vrai, qu’une tempête de verglas était en train de s’abattre sur la ville et que cette dernière en serait profondément affectée, j’avais pris peur. Pas peur pour ma personne, parce que j’avais un toit sur la tête, probablement plus solide que celui de l’immeuble dans lequel j’avais vécu ces neuf dernières années, et de plus, j’avais des ressources, des gens qui m’entouraient pour me venir en aide en cas de besoin. J’avais eu peur surtout pour Haley, mais aussi pour sa mère, Savannah. Pourquoi les deux ? Parce que dans ma tête, les deux allaient ensemble, faisant en sorte que pour moi, c’était la normale des choses. Sitôt donc, j’avais envoyé un message à Savannah pour savoir ce qui en était, croisant les doigts nerveusement pendant l’attente de sa réponse qu’elles avaient choisi de rester à leur demeure pendant la soirée, même si cela impliquait probablement qu’elles y seraient avec Derrick, ce qui ne me plaisait pas, mais que je me devais d’accepter si cela signifiait qu’elles étaient en sécurité. Mais au final, je n’eus même pas à me soucier de cela, puisque quelques instants après, je reçus la réponse de Savannah qui me rassura concernant notre fille, mais qui ne me rassura pas la concernant. Sitôt, je compris que je ne pouvais pas me permettre de simplement lui dire que j’étais soulagé de savoir qu’Haley était chez une amie et qu’elle était dehors, dans la tempête. Rapidement, j’avais cherché à savoir où elle était, ce qu’elle comptait faire, surtout, si elle comptait se réfugier quelque part, dans un endroit beaucoup plus sûr qu’un abri d’autobus. Et là, quand j’avais su qu’elle était non loin de la clinique, j’avais pris la décision, sans consulter qui que ce soit, sans même me soucier que cela serait susceptible de la vexer ou quoi que ce soit, de lui demander, voire d’exiger, qu’elle franchisse la courte - je l’espérais - distance qui la séparait de moi afin qu’elle puisse venir se réfugier en ces lieux. Heureusement pour moi, elle ne protesta pas des masses, et après avoir su qu’elle était en route, j’avais délaissé mon téléphone sans lui répondre, parce que je me doutais bien que ce n’était pas l’idéal de lui répondre et qu’elle soit obligée de regarder son portable de nouveau dans un temps pareil, et sitôt, je m’étais précipité au rez-de-chaussée dans la salle commune, traversant celle-ci pour me rendre jusqu’à l’entrée, ce qui me valut rapidement un  « Monsieur Abberline, vous allez où comme ça ? » de la part de la réceptionniste, mais celle que je n’appréciais pas, celle qui semblait avoir un balai dans le derrière et qui pouvait être offensée à la vue d’une moustache trop proéminente, j’en avais l’impression. Légèrement embêté qu’elle me prenne en grippe de la sorte donc, ce fut d’un ton qui aurait pu être plus courtois que je lui dis:  « J’attends quelqu’un qui devrait arriver d’une minute à l’autre. »  « Vous savez que nous n’autorisons pas les visites à cause de la tempête, n’est-ce pas ? »  « C’est pas de la visite, c’est… » Découragé par son attitude des plus désagréables, je passai une main sur mon visage, histoire de garder ma contenance, puis je dis:  « C’est la mère de ma fille. Elle est coincée dans la tempête non loin d’ici. Vous n’allez certainement pas la laisser dehors au froid, n’est-ce pas ? » Pour la première fois de sa vie probablement, la dame réfléchit à la logique de tout cela, mais avant qu’elle ne puisse rétorquer quoi que ce soit, je vis une silhouette apparaître dans la porte vitrée de l’entrée. Sans lui laisser l’occasion de me rattraper ou quoi que ce soit, je me précipitai en direction de Savannah qui finit par franchir cette fameuse porte, puis je lui dis:  « Enfin, tu es là… Ça va ? », réalisant qu’il me fallut faire preuve d’un peu de retenue quand même, sinon pour sûr, j’en serais venu à lui avouer que j’avais eu peur, quelque chose du genre, et je ne savais pas si je me sentais prêt à le faire. Déjà que là, j’avais quelque peu trahi mon inquiétude, c’était déjà beaucoup, et je ne me voyais pas en faire plus, surtout pas dans l’ambiance un peu étrange dans laquelle nos derniers messages s’étaient terminés, enfin, avant ceux que nous nous étions échangés avant aujourd’hui.

Je venais de déposer Haley chez son amie, à pied, j’allais passer la soirée seule avec ma télé donc pour ça j’avais besoin de mon meilleur ami, la bouteille de vin rouge. A défaut d’avoir Derrick pour la soirée, j’avais un autre fidèle compagnon. Je marchais à la petite supérette en faisant attention à mes déplacements, c’était une catastrophe ce froid et ces trottoirs. Une vraie patinoire. Je rentre dans le magasin et fais vite le tour avant de ressortir pour sentir des gouttes de pluies, mais pas n’importe lesquelles, les verglaçantes. Je ne peux pas courir, ça serait prendre le risque de me casser la figure et je n’avais pas besoin de ça pour le moment. « Fais chier. » J’entends la sonnerie m’indiquant l’arrivée d’un message et arque un sourcil en voyant le prénom s’afficher. Levi. Je souris à son attention et de savoir qu’il se fait du souci pour nous. Mais Haley n’a rien à craindre, moi, juste à finir congeler et transpercer par cette pluie. Je regarde ma localisation et finis par lui dire où je suis puis suite à sa réponse, je n’ai d’autre choix que d’accepter sa proposition, l’appartement se fait trop loin et le centre est le plus près. Je soupire, mets correctement mon bonnet, et ferme mon manteau jusqu’en haut. Seuls mes doigts finiront congelés et détruits… Je peux sentir à quel point il m’est difficile de desserrer la bouteille que je tiens. Le froid n’est pas ce que je préfère. Rangeant mon portable, je me mets en route, ne marchant pas non plus rapidement. Comment j’ai fait pour passer à côté de la météo… Le boulot, j’en ai tellement que je ne fais plus attention à quoi que ce soit, passant mes nuits et mes repos sur des croquis puis à aider Haley dans ses devoirs. Pas facile cette période, surtout avec Derrick en tournage. Je lève la tête et j’ai le droit à une bonne douche de pluie pour voir apparaître devant moi le centre. Hallelujah ! Le bruit d’un klaxon attira mon attention et je me reculais pour tomber sur les fesses. « Je déteste l’hiver. » Je me relève, frottant mes fesses magnifiquement trempées. Tout pour m’arranger, sérieusement. Pestant, je continue ma marche et je vois enfin les grilles si réconfortantes du centre, je sonne et me présente en tant que visiteuse. On ne peut pas me refuser de la visite tout de même. J’entends les grilles s’ouvrir mais je dois encore faire face à la lourde porte d’entrée, je regarde à l’intérieur pour voir deux silhouettes. Elles vont m’ouvrir ou rester là à parler pendant que je gèle ? Puis la porte s’ouvre, enfin, et je dois dire que je ne me fais pas prier pour rentrer à l’intérieur, au chaud. Je m’affale contre la porte et regarde la secrétaire qui ouvre grand la bouche puis je tourne la tête vers Levi en esquissant un sourire. « Ca va, j’ai sauvé… Bref, ça va mais j’ai plus de doigts… » Je souris et montre mes mains à Levi en soufflant ensuite dessus. Je vois la secrétaire partir chercher de quoi me réchauffer sûrement et je sors la bouteille de vin rouge. « Je te laisse t’occuper de ça, j’ai sauvé la bouteille et elle est bien fraîche pour le coup. » Je souris puis me remets droite avant d’avancer dans le grand hall. C’est bien calme pour une journée ainsi en même temps ça ne donne qu’envie de rester dans sa chambre, dans son plaid et à glander toute la journée. Ce que j’aurais sûrement fait si j’avais pu rentrer chez moi. « Au fait, ça ne pose pas de problème que je sois venue, au moins ? » Je ne voulais pas qu’il ait des soucis à cause de moi. Cependant, je viens de remarquer une chose, une moustache, je ne veux pas rire mais un sourire pas innocent du tout s’installe sur mon visage. « C’est quoi cette moustache ? » Cependant je ne peux pas m’en empêcher, mon rire se fraie un chemin jusqu’à ma gorge et je ne peux pas cacher ce bruit. Je me calme en voyant revenir la secrétaire qui me jette un regard noir. « Excusez-moi. Merci. » J’attrape la couverture et plonge mon regard dans celui de Levi pour qu’il prenne la situation en main car je ne veux pas m’enfoncer encore plus.

Si Savannah avait été affectée qu’au niveau des mains, je pouvais faire avec. Enfin, je ne disais pas que c’était une joie non plus, rien n’entourant ce verglas ne l’était vraiment, mais disons que je préférais l’entendre dire que ça allait dans l’ensemble plutôt que de savoir qu’elle avait chuté et s’était gravement blessée, quelque chose comme ça. De ce fait, je hochai la tête pour signifier que j’avais accusé réception de l’information, puis avant que je ne fasse quoi que ce soit, je vis la secrétaire se lever, visiblement peu contente. Voulait-elle prévenir la sécurité, ou bien aider à sa façon ? Ne sachant pas trop, et bien décidé à ne pas laisser cela m’affecter, je reportai mon attention sur Savannah, adoptant un air quelque peu horrifié lorsqu’elle sortit une bouteille de vin de son sac. J’étais consciente que celle-ci n’allait pas exploser ou quelque chose du genre, mais faire rentrer de l’alcool dans un centre de désintoxication pour alcooliques et toxicomanes, c’était comme donner un bonbon à un enfant diabétique, ça ne se faisait pas. Fronçant les sourcils, je me demandai pendant un bref instant si c’était une blague, puis quand je me rendis compte que certainement, la jeune femme n’y avait pas songé, puisqu’il n’était pas prévue qu’elle vienne ici dans un premier temps, je décidai que rien ne servait de me fâcher pour autant. Je me contentai de simplement dire, maladroitement, en prenant la bouteille entre mes mains:  « Ouais euh… Je crois que par contre, il te faudra t’en passer. », me disant qu’à un moment ou un autre, elle allait faire le lien. Cependant, parce que je ne voulais pas non plus gâcher son achat, je décidai de ranger la bouteille dans le sac plastique, puis la dissimuler dans ma veste. Ce n’était pas élégant, mais je pouvais difficilement faire mieux pour le coup. Tout ce que j’espérais, c’était que Savannah serait d’accord pour la remettre dans son sac sans faire trop de chichis par la suite et que moi, je ne serais pas grillé ou embêté de quelconque façon avec ce malentendu. Aussi naturellement que possible, je la suivis dans le hall, soulagé qu’il n’y ait pas trop de monde nous considérant, ce qui me permit de la regarder et à sa question, répondre dans un haussement d’épaules:  « Que ça pose problème ou non, il était hors de question que tu restes dehors comme ça. » Et ça, j’y tenais. Pourquoi ? Je ne saurais pas le dire par contre. Parce que c’était la normale des choses, parce que je me sentais énormément redevable envers elle et que je me disais que c’était qu’une banale façon de lui rendre la pareille, parce que j’espérais atténuer quelque peu le froid qui s’était installé entre nous depuis cet échange de messages salé par rapport à Derrick… Ou bien toutes ces réponses ? À déterminer laquelle était la meilleure pour le coup. Toutefois, avant que je puisse déterminer ce qui était le plus logique pour moi, Savannah en vint à attirer mon attention sur quelque chose que moi, j’avais totalement oublié. Voilà pourquoi, en première réaction, je dis:  « Oh euh… », puis, comme si je voulais être sûr qu’elle parlait bel et bien de ça, je passai ma main sur mon visage, sentant bien les poils qui se trouvaient sous mon nez, mais pas sur le reste de mon visage, ce qui me faisait étrange, je n’allais pas le nier, d’autant plus que la raison n’était pas très légitime. Si seulement ça avait été novembre, peut-être que ça aurait mieux passé, peut-être que j’aurais pu juste utiliser cette excuse, mais là, je me retrouvai à dire, de façon un peu idiote:  « On a fait un pari… » En gros, on avait parié sur lequel serait capable de se faire pousser la moustache la plus perverse du groupe en deux semaines. Et parce que je savais que j’avais des chances de gagner, je l’avais fait. Enfin, il fallait dire qu’on m’y avait encouragé aussi, mais bon, ça ne heurtait personne, alors il n’y avait pas de mal… Juste un peu d’amour-propre à ravaler. Après, rien ne servait de s’éterniser sur la question éternellement, donc sitôt que Savannah reçut une couverture de la part de la secrétaire qui, visiblement, avait décidé de se donner un peu de bonne conscience. Ne disant rien, je décidai de plutôt proposer à la jeune femme:  « Tu… Tu veux qu’on aille dans ma chambre ? Il y fait plus chaud qu’ici… » Et surtout, nous serions plus à l’aise pour parler, le tout semblait faire moins hôpital - surtout grâce aux dessins et bibelots apportés par Haley en majorité - et finalement, je pourrais cacher la bouteille de vin un peu plus adéquatement qu’en ce moment.

A la base, je n’étais pas censée être ici et je n’avais pas du tout pensé sur le coup de jeter ma bouteille. Mais j’étais arrivée ici, avec elle dans les mains et je dois avouer que pour le coup, c’était comme se jeter dans la gueule du loup là. Je hausse les épaules et pince les lèvres en rigolant légèrement, j’avoue vraiment que c’était une belle connerie que je venais de faire. « Heu ouais, bien sûr ! C’était que je voulais passer une bonne soirée chez moi … » je fais la moue puis reprends. « Et comme mes plans ont changé parce qu’un certain monsieur Abberline m’a invité à venir me réfugier ici, je n’ai pas pu la jeter. » Je lui souris et c’est surtout pour le remercier de son geste car il aurait très bien pu me laisser croupir sous la flotte et finir congeler. Mais non, il m’avait gentiment proposé de venir ici, ce qui n’était pas pour plaire à l’autre réceptionniste qui avait l’air d’avoir un balai dans le derrière. « Ca, je l’avais compris dans les messages que je n’avais pas le choix. » Je ne lui fais pas de reproches, une fois de plus, c’est un remerciement. Et je suis touchée, touchée de savoir qu’il a pensé à moi et qu’il ait bien voulu m’accueillir ici. J’avoue que je n’y aurais pas cru. Cependant, quelque chose me faisait envie de rire, mais vraiment rire. Je ne me serais pas permise devant lui mais ça avait été plus fort que moi, j’avais presque explosé de rire mais je m’étais retenue parce que cette secrétaire bizarre revenait. Je le vis faire ce mouvement sur sa moustache et je suivis ses gestes des yeux, c’était vraiment incroyable de le voir ainsi mais ça changeait. Cependant, j’aurais bien mis ma main à couper sur le fait que Haley aurait également rigolé. Il était sûr de finir premier pour être le plus ridicule. Quoi que, d’autre ferait pire. Je hochais la tête en souriant, un pari, voilà où sa mène parfois ce genre d’histoire. « Et… pour savoir, il y avait quoi en jeu pour que tu acceptes ce pari ? Tu ne l’as pas fait pour le plaisir, rassure-moi ? » Je me sentais bien en sa compagnie et j’étais heureuse, au final, d’avoir pu m’arrêter ici pour passer du temps avec Levi. Puis ça allait nous permettre de discuter, sans qu’Haley soit ici pour écouter. C’était le seul endroit où il n’y avait pas d’oreille indiscrète pour répéter une quelconque conversation. Surtout, on avait des choses à se dire depuis notre dispute par sms mais je n’avais pas envie de gâcher ce moment pour l’instant car c’était parfait… J’avais le sourire et j’avais l’impression que Levi allait parfaitement bien. Du moins, mieux et qu’il était tout aussi heureux de me voir. Sauf si c’était une impression que je me donnais. J’attrapais la couverture et commençais à avancer pour ne plus sentir son regard perçant dans mon dos. « Heu… oui, je suis d’accord. » Je haussais les épaules, prête à le suivre n’importe où car cet endroit n’était pas tellement celui que je préférais. Tout ce qui concernait ce qui rapportait aux hôpitaux, je détestais. Bref, j’avançais tout en regardant autour de moi, il y avait peu de monde. En même temps, c’était un temps à rester sous la couette à regarder des films romantiques. Ce que j’aurais dû faire, avec une bouteille de rouge en prime. Soupirant et une fois en dehors des regards des autres, je me rapprochais de Levi pour parler plus bas. « Pour la bouteille, ce n’était pas prévu que je vienne, du coup… Ce n’est en rien pour faire envier qui que ce soit. » Cette maladresse de ma part m’aurait valu beaucoup si j’étais arrivée en levant la bouteille en l’air pour crier ma victoire d’être arrivée saine et sauve dans cet établissement. Enfin devant sa chambre, j’ouvris la bouche et souriais en même temps. Qu’est-ce que sa fille ferait pour rendre cette chambre plus joyeuse. Ca m’attendrissait encore plus. Me tournant vers le beau brun, je posais mon manteau et le reste de mes affaires sur la chaise libre. « Haley ferait n’importe quoi pour que ta chambre ressemble à la tienne, pas vrai ? » Je jetais un œil par la fenêtre et n’essayais pas de l’ouvrir, ce n’était pas pour rien qu’il y avait des barreaux en prime. « Je suis contente d’être là. Enfin… pas là dans ce centre, mais avec toi. » Je tournais la tête vers Levi en lui offrant un sourire vraiment sincère. C’était rare qu’on se retrouve seulement tous les deux et c’était comme le signe pour nous dire qu’il était temps, temps que l’on s’ouvre l’un à l’autre ou que l’on se parle.

Qu’importe si Savannah tenait là des propos à titre de plaisanterie ou de reproche, je choisis de ne pas répondre, tout simplement parce que je n’avais pas l’intention de justifier par rapport à ce que j’avais fait. Rares étaient les moments où j’assumais parfaitement mes choix et mes actions, parce que je savais bien souvent que je n’arrivais jamais à prendre la bonne décision, mais là, dans le cas présent, je savais qu’il n’y avait pas d’autre option logique, que si jamais je l’avais laissée dans le froid à tenter de rentrer chez elle, je me serais senti coupable de ne pas lui demander de venir ici plutôt et tout au long, je me serais inquiété, je m’en serais voulu et j’étais d’avis que je n’avais pas besoin de ça, comme Savannah n’avait pas besoin d’une grippe, pneumonie ou même une cheville brisée par une mauvaise chute. De ce fait, je me contentai de simplement la regarder en souriant, en venant même à montrer mes dents sous ma moustache pour montrer que j’étais parfaitement satisfait de ce que j’avais fait et que je n’allais pas m’en excuser, même si à un certain point, elle me l’exigeait. Mais ça, ça ne sembla pas prêt d’arriver, puisque la jeune femme préféra se concentrer sur cet amas de poil qui poussait sur mon visage ou plutôt, qui avait déjà pas mal poussé. Justifiant maladroitement la raison, ce fut sans surprise que j’accueillis son hilarité discrète, mais tout de même évidente dans ses yeux et son attitude. Plus encore, plutôt que de me mettre mal à l’aise, elle me permit d’accepter la situation avec une attitude plus légère, puis de répondre de façon moins coincée à la question qui suivit en affirmant dans un haussement d’épaules:  « Il me semble qu’on avait parlé que le gagnant raflait les portions des perdants quand il y aurait des cornichons ou un truc du genre… Enfin, on verra. » En gros, le prix n’avait rien à voir avec de l’argent ou une gloire quelconque, mais franchement, ce n’était pas grave. Et puis, à qui cela faisait mal, une moustache pendant deux semaines ? Peut-être à mon égo quelque peu, mais à ce point, en ces lieux, je devais admettre qu’il ne volait pas bien haut à la base. De toute façon, puisque le concours avait été lancé il y a quelques jours et que rien n’avait été décidé, inutile de m’étaler sur le sujet bien longtemps, d’où le fait que je me permis de proposer à Savannah de monter à ma chambre, ne serait-ce que pour quelques minutes, sachant que je ne saurais pas rester normal si nous restions dans la salle commune avec la bouteille de vin. Heureusement pour moi, celle-ci acquiesça, alors je n’attendis pas plus longtemps pour la guider jusque là, même si à ce point, elle connaissait fort probablement le chemin par coeur. Mais après, je ne saurais l’affirmer sans hésiter, puisque lorsqu’elle me payait une visite, nous ne venions pas toujours dans cette pièce pas mal petite et qui s’avérait bien déprimante, ou du moins, l’était avant qu’Haley décide de prendre les choses en main, pour mon plus grand plaisir. Inutile de mentionner donc que ce fut avec un large sourire que j’accueillis son commentaire sur ma décoration, et que ce fut sans gêne que je lui précisai:  « Elle m’a textuellement dit qu’une chambre laide comme ça ne pourrait pas m’aider à aller mieux, donc elle a décidé de rendre le tout un peu plus joyeux. » Et en mon sens, franchement, elle avait réussi. Pour certains, ce n’était peut-être que quelques dessins, une boule de neige en verre représentant Washington, un coussin et une peluche, mais pour moi, ça faisait toute une différence, parce que dès qu’elle me manquait, j’avais de quoi penser à elle, m’accrocher, me dire que peut-être, au fond, elle pensait peut-être un peu à moi, elle aussi. Mais là, tout de suite, rien ne servait de me sentir déprimé ou quoi que ce soit, parce que même si les choses n’étaient pas au beau fixe entre Savannah et moi, au moins, elle ne me faisait pas la gueule d’être ici avec moi, et je jugeais que sommes toutes, c’était un bon début. Me rassurant avec cette constatation, je fus en mesure de lui répondre:  « Moi aussi… » avec un sourire timide, mais ce fut au moment de poursuivre sur ma lancée que je me rendis compte que je ne savais pas vraiment quoi lui dire. Je n’aimais pas tourner autour du pot, mais je n’aimais pas non plus me lancer dans la discussion rapidement et ainsi, risquer de ne pas me sentir à l’aise. Un peu lâchement donc, je décidai plutôt de lui demander:  « Euh… Est-ce que ça va aller avec la couverture ou bien tu veux autre chose ? », me disant que ce n’était pas si mal, au bout du compte. Et puis, ce n’était pas comme si j’étais démuni de ce côté; j’avais quand même quelques vêtements chauds, une autre couverture sur mon lit, et je pourrais toujours aller lui prendre quelque chose de chaud à boire à la cantine, dans le pire des cas. Ou bien une bouteille de jus de raisin à vider pour y mettre son vin rouge, si elle tenait tant que ça à le boire, même si je ne lui présentai pas cette option tout de suite, parce que si je pouvais l’éviter, alors je n’allais pas le refuser.

Je ne m’étais pas habituée à voir Levi avec une moustache. Je le voyais plus souvent ces derniers temps mais là, je devais avouer qu’il avait une sacré touffe. Bah oui, je ne pensais pas que ça pouvait pousser aussi vite les poils de moustaches. Je secouais la tête car ça n’avait ni queue ni tête ce à quoi j’étais en train de penser. Mais ça me faisait sourire de le voir ainsi, ça se voyait qu’il allait mieux et j’étais ravie pour lui, ravie de le voir en forme et surtout rayonnant. Oui, il était rayonnant et je ne pouvais m’empêcher de lui sourire à présent. Ca me faisait chaud au cœur d’être ici, de me retrouver avec lui. Je secouais la tête à sa réponse et rigolais, ce n’était pas anodin comme récompense mais au moins c’était sympathique. « Intéressant, sinon je peux faire en sorte de donner quelque chose de plus appétissant à ceux qui te doivent ça comme ça, tu seras parfaitement bien nourri. » Je lui fis un clin d’œil et souriais à nouveau, jetant un œil à la secrétaire qui, elle, ne trouvait pas ça tellement drôle. Je haussais les épaules en sa direction avec un sourire satisfait avant de suivre Levi dans cet établissement. Je n’aimais vraiment pas ce genre de trucs mais je n’avais pas le choix. C’était soit resté dehors à risquer de me faire du mal ou être ici tout en contrôlant mon anxiété. Mais j’avais un point d’accroche qui était Levi et ça me mettait plus à l’aise. Une fois dans sa chambre, je respirais un grand coup, c’était assez confiné mais voir les dessins de Haley et les touche qu’elle avait pu y mettre me faisait sourire et me rassurait. « Je vois ça oui, en tout cas c’est réussi au moins tu l’as avec toi quasiment tous les jours. » Et c’était important pour son rétablissement d’avoir des choses personnelles qui lui rappelaient sa fille. En tout cas, moi j’aurais apprécié ces gestes là. Ca permet la guérison plus rapide, j’en suis sûre. Je me balançais d’avant en arrière suite à ce que je venais de dire. C’était comme se lancer dans la gueule du loup et à nous voir j’avais l’impression qu’on était des ados de quinze ans en train de se tourner autour avant de se dire ce qu’on ressentait. Enfin je n’en étais pas là mais j’étais sincère en disant cela, ça se lisait dans mes yeux et aussi sur mon visage. Moi qui ne laissait rien paraître d’habitude, je ne pouvais pas lui faire ça, pas à lui. Il en avait besoin, tout comme moi. Mon sourire s’élargit quand j’entendis sa réponse et je me tournais vers la fenêtre pour éviter d’être encore plus embarrassée par ces petits mots. Je mis mes mains dans mon dos puis m’assis sur la chaise du bureau, posant la couverture sur mes jambes. Ca faisait du bien de sentir cette chaleur réconfortante qui émanait du plaid mais aussi de Levi. « Ca ira merci. » Je pinçais les lèvres pour me concentrer sur la suite de la conversation. On devait passer par ce moment, lui et moi le savions et on n’avait pas le choix. Autant en profiter, puis je n’étais pas prête de sortir alors bon… On allait avoir le loisir de hausser le ton et de se rabibocher ensuite, j’en étais certaine. Soupirant, je posais mes mains sur mes genoux et levais le regard vers celui du beau brun en faisant une légère moue. « Je pense qu’on doit parler, tu en penses quoi ? » Je vis à son regard qu’il pensait la même chose et je croisais mes doigts pour reprendre la parole. « Je ne savais pas que toi et Derrick vous connaissiez… Et je ne savais pas non plus que vous aviez un passé. » Je savais qu’ils en avaient un, vu ma discussion avec Derrick la dernière fois je l’avais compris. Je n’avais pas poussé non plus car je savais très bien que ce n’était pas le moment. « Je sais qu’on a jamais mis les formes dessus, mais … il est peut être temps qu’on apprenne à se connaître, je veux dire… Avant qu’on se rencontre la première fois. » Il ne savait rien de moi à part depuis la naissance de Haley et je ne savais rien de lui également. Alors il était temps qu’on affronte nos vieux démons pour passer à autre chose. Du moins, essayer.

Alors que de mon côté, je n’avais pas osé aborder le sujet directement avec Savannah, cette dernière, elle, n’hésita pas une seconde à le faire. Effectivement, sitôt qu’elle eut refusé ma proposition de prendre quelque chose de plus chaud, elle se lança dans le sujet, comme ça, sans trop de préambule. Et même si c’était quelque peu déstabilisant, pour être franc, je ne m’en montrai pas trop étonné. J’avais beau ne pas la connaître des masses, apprendre un peu plus à la connaître ces derniers temps, je savais toutefois qu’elle avait tout un caractère, qu’elle était déterminée, et qu’il était difficile de lui dire non pour une raison ou pour une autre. Mais là, serais-je vraiment en mesure de plier à ses questions ? Le hochement de tête que je lui servis pour lui montrer que j’étais d’accord que nous devions parler le montrait, mais rapidement, je fus trop peu convaincu de ce que j’avais fait, c’est-à-dire quand elle mentionna Derrick. Sitôt, je me raidis, mais je me promis de me faire violence et ne pas dire ou faire quoi que ce soit que je serais susceptible de regretter, comme cet échange de SMS qui n’avait pas été suffisamment réfléchi. Le souci, c’était que j’en avais pris conscience trop tard, et je n’avais jamais trouvé comment m’excuser, parce que chaque fois, je ne voulais pas me risquer à envenimer les choses davantage, et je ne savais jamais comment aborder le sujet, parce que c’était trop délicat, parce que c’était trop difficile. Et ça, ça n’avait pas changé, bien malheureusement. De ce fait, serais-je prêt, ici et maintenant, à en parler ? Trop peu convaincu, je ne fis que pincer les lèvres, mais je ne me fis certainement pas prier pour être un peu plus rassuré au moment où elle ne s’acharna pas sur la question de ma relation avec Derrick. Enfin, j’étais conscient que certainement, il me faudrait aborder le sujet à un moment ou un autre, mais si ce n’était pas maintenant… Ce ne serait pas la fin du monde non plus. Mais au moins, j’espérais pouvoir me conforter dans cette idée un moment, mais ce moment, au final, fut beaucoup trop court; en effet, Savannah me fit rapidement comprendre que ce qu’elle voulait savoir, c’était savoir qui j’étais, avant que nous nous rencontrions pour la première fois, voire même après, je supposais, compte tenu que nous avions passé trois ans sans nous croiser. Et encore aujourd’hui, je me doutais qu’elle ne savait pas grand-chose, comme moi je ne savais rien d’elle. Je ne savais même pas qui était le fameux homme que ma fille appelait « tonton », à savoir son colocataire, on ne pouvait pas faire pire… Et pourtant, même si c’était logique que nous ayons cette discussion, je demeurai quand même quelque peu sur la défensive et je commençai à lui dire:  « Il n’y a rien à… » mais je me ravisai aussi rapidement que possible, sachant que même si cela ne me faisait pas plaisir, cela n’allait mener à rien, et j’étais persuadé que Savannah, tout comme moi, ne voulait pas commencer à hausser le ton et éventuellement une conversation qui allait mener nulle part. Réfléchissant pendant un bref moment, je me rendis compte que toutefois, il était hors de question que je commence à parler de ma vie comme ça, sans rien dire. Voilà des semaines qu’on me pressait de le faire sans que je ne sois en mesure de me bouger, je ne me sentirais certainement pas d’attaque à le faire ici et maintenant. Premièrement, je ne saurais pas par où commencer et puis, jamais je n’avais été habitué à m’exposer, alors je n’allais pas commencer ici et maintenant. Ce n’était pas contre Savannah mais bon… Je ne pouvais pas tout changer de ma personne comme ça, d’un seul coup. Mais parce que j’avais accepté de discuter un peu, parce que je savais qu’au fond, c’était le mieux, je me résignai à dire, dans un haussement d’épaules:  « Que veux-tu savoir ? » Inévitablement, je me sentis un peu plus nerveux à l’idée qu’elle en vienne à me poser des questions, surtout en ce qui concernait mon passé. Enfin, mon enfance, limite le début de mon adolescence, ce n’était pas si terrible, même si Derrick était bien souvent dans le portrait, à mon plus grand regret désormais.

Je savais qu’en venant on devrait avoir cette discussion mais dans un sens on était tellement bien que je ne voulais pas rompre ce sentiment de bien-être que je ressentais avec lui. Cependant, si on réglait ça au plus vite, peut être qu’on pourrait passer à autre chose plus rapidement et à en revenir à ce moment si bien qu’on avait là tout de suite ? Je n’en savais rien, j’avais tellement envie d’en savoir plus sur lui et de le connaître, de savoir ce qui l’unissait à Derrick, ce qu’ils avaient en commun. Je voulais le connaître, vraiment le connaître et ne pas raconter n’importe quoi à Haley quand elle me posait des questions. Cependant, je voulais aussi qu’on dépasse ce stade de bonjour et de ça va, si banaux soient-ils. Je voulais plus, venant de sa part et je devais aussi faire un effort et s’il fallait que je parle de mon passé et de ce que j’avais vécu dans ce cas oui, j’étais prête à faire ce genre de chose pour lui, pour qu’il se confie, qu’il me dise quelque chose. Pas grand-chose, juste un début et ça me suffirait. J’étais assise sur la chaise de son bureau, la pièce était petite mais je m’y sentais bien, c’était peut être le fait que Haley était passée par là qui me faisait ça. En tout cas, je posais mes mains sur mes cuisses, attendant une réaction de sa part. Je savais bien que j’avais été brusque mais plus tôt on aurait parlé, plus vite on pourrait passer à autre chose. Je me levais finalement pour faire le tour de sa chambre, c’était plus fort que moi, j’étais incapable de rester en place dans ce genre de circonstance, quand il s’agissait de moi et de quelqu’un d’autre, la plupart du temps j’étais en mouvement. Surtout pour des sujets de discussion comme ça. Quand j’assistai à des procès, je ne disais rien c’était mon rôle de dessiner les détenus et le reste de l’audience mais là j’étais la principale concernée alors je ne pouvais pas rester assise. Je me pointais devant lui, souriant légèrement pour lui montrer que je n’étais pas là pour la guerre comme il avait l’air de le faire comprendre à sa première phrase, où il s’arrêta net. Je retenais mon souffle et je fis un mouvement vers lui, posant ma main sur son bras en la retirant quelques instants plus tard. Je n’étais pas ici pour le forcer à quoi que ce soit. Je voulais juste éclaircir certains points et notamment celui de Derrick. En fait, je voulais tout savoir mais le chemin allait être long avant que je ne puisse savoir la vérité mais j’étais patiente et heureusement. Je soupirais en entendant sa deuxième question. Par où commencer ? Il y avait tellement de chose que je voulais savoir que faire le tri était compliqué. Je croise les bras sur ma poitrine et expire bruyamment avant de passer une main dans mes cheveux, c’est tellement dur… « Par le début ? En fait, je veux surtout savoir qui était pour toi Derrick, j’ai l’impression qu’à tes yeux il est le diable et dans les siens, c’est l’incompréhension. Je veux pouvoir comprendre le ressenti du père de ma fille et de mon meilleur ami… » Peut être qu’il devait savoir ? Je me mordis la lèvre et réfléchissais à comment lui dire sans faire de vague ni le blesser. Je pris sa main dans la mienne et la serrais avant de regarder nos doigts puis de relever le regard vers lui. « Je… Il faut que tu saches que Derrick et moi sommes colocataires depuis que Haley est petite… il l’a vu grandir, elle a appris beaucoup de choses avec lui et c’est devenu comme son oncle… Levi… je ne savais pas que vous aviez un passé ensemble, c’est pour ça que je veux savoir ce qui vous unissait avant… » Je savais que j’avais mis les pieds dans le plat mais je n’avais pas le choix et surtout j’avais choisi mes mots, parlé doucement même. J’avais resserré mon étreinte autour de sa main, lui faisant comprendre que je n’étais pas prête de le lâcher. Je plongeais mon regard dans le sien, m’y perdant presque. Tu m’étonnes que je sois tombée sous son charme la première fois que je l’avais vu. Cela me fit sourire et je secouais la tête. « Je ne souriais pas pour tout ça, je souriais car je repensais à quand j’ai croisé ton regard la première fois… » Je me sentais totalement stupide mais il fallait que je lui dise, ça permettait d’alléger les tensions qui venaient de monter, ça se sentait d’ailleurs. Mais repenser à ce moment, c’était comme si c’était hier. J’avais ressenti comme je ressens à ce moment même et bordel le moment était mal choisit pour repenser à ce genre de chose.

Bien que je m’attendais à ce que Savannah me pose des questions concernant mon lien avec Derrick, il n’en demeura pas moins que cela ne me fit pas nécessairement plaisir. Voilà pourquoi, sans trop réfléchir, je grimaçai quelque peu à ce moment, mais malgré tout, je n’en fis rien, écoutant jusqu’au bout son point de vue, le pourquoi elle voulait savoir tout cela, si je comprenais bien. Inspirant profondément, je pus réfléchir assez droit pour comprendre pourquoi elle voulait le savoir, comment tout cela pouvait affecter sa vie. Le souci, c’était que pour moi, ce n’était pas tout à fait la même chose dans ma tête, alors je ne pus pas seulement ouvrir la bouche, commencer à tout lui dévoiler, comme ça, comme si nous avions une discussion sur la pluie et le beau temps. Pire encore, la simple idée de lui en parler me rendait nerveux, si bien que je me forçai à inspirer, puis expirer, tout en réfléchissant à ce que je pourrais lui dire. Tandis que je m’affairais à faire cela, je vis soudainement Savannah sourire, faisant en sorte qu’il fallut que je m’arrête. Ne comprenant pas ce qu’il pouvait y avoir d’amusant dans cette situation, je fronçai les sourcils, pour finalement m’adoucir quelque peu au moment où elle me fit comprendre pourquoi elle réagissait de la sorte. Enfin, je n’allai pas jusqu’à sourire également, mais disons qu’étrangement, ce fut suffisant pour m’apaiser quelque peu. Pourquoi ? Parce que j’en déduisais que je n’était pas qu’une personne qui avait mis sur ses épaules le fardeau de la maternité il y a douze ans, puis ce boulet qui ne parvenait pas à sortir de désintoxication et faire quelque chose de bien dans sa vie, être un modèle convenable pour sa fille, notre fille. Et pour cette raison, elle était en droit de mettre de l’ordre dans sa tête, même s’il me fallait brasser des souvenirs difficiles pour que ce soit chose faite. Trouvant le courage alors de parler, j’inspirai une dernière fois avant de finalement dire, le regard baissé:  « J’avais huit ans quand on s’est rencontrés, comme ça, au hasard… J’étais en train de chanter dans la rue, pour avoir quelques dollars afin qu’on puisse se payer un bon repas de Noël et… Il est venu, comme ça, sans rien demander… » À mon étonnement, je n’avais pas eu trop de mal de parler de cette partie. Mais dans l’ensemble, c’était là des souvenirs heureux, des souvenirs qui me rappelaient que j’avais aimé chanter comme ça, pour le plaisir, comment l’innocence de l’enfance pouvait être rafraichissante, comment tout était simple à cette époque…  « Et puis, nous sommes devenus inséparables. C’est devenu encore plus évident quand nous avons joint le groupe… Il était comme mon frère, celui à qui je pouvais tout dire… » Puis, si j’avais gardé un air plutôt neutre pendant ce temps, au moment où je terminai ce propos, mon regard s’assombrit quelque peu, et ce fut avec plus de mal que je vins à lui dire:  « Puis quand le groupe s’est séparé, il m’a laissé tombé… Il m’a dit… » Je m’arrêtai pour grimacer de nouveau en me remémorant ses propos, puis j’ajoutai, tentant tant bien que mal de ne pas m’emporter:  « Il m’a dit que je le gênais pour son avenir… Que j’étais de trop… » Était-ce parce que la célébrité lui était monté à la tête ? Si ce n’était que de ça, pour sûr, ça n’aurait pas été aussi douloureux. Mais le truc, c’était que c’était plus que ça, pour une raison qui me torturait encore chaque jour, qui me torturait depuis plus de neuf ans, qui était la cause de ma dépendance, de mon besoin d’oublier le monde quelques minutes par jour, afin d’ensuite y survivre. Sauf que le dire, c’était trop me demander. Tout ce que je sus faire, ce fut de terminer mon discours en disant vaguement:  « Il m’a trahi, il m’a abandonné… » Je ne parvins pas à aller plus loin, parce que non seulement, j’avais senti que ma voix manquait d’assurance mais de plus, ma main qui n’était pas dans celle de Savannah se mit à trembler, violemment. J’étais limite persuadée que Savannah le sentait également, et puisque je ne le contrôlais pas, je ne parvenais juste pas à me faire violence. Déjà que j’étais capable de garder un semblant de contenance, c’était immense, alors il n’était juste pas possible de m’en demander davantage pour le moment.

Je ne pensais pas qu’il parlerait, à vrai dire, je pensais que j’allais me heurter à un mur. Mais non, il osait me parler et je n’étais pas au bout de mes surprises. Jamais je n’aurais cru que Derrick et lui seraient amis. Enfin du moins, l’était. Qu’ils s’étaient connus et que j’aurais pu connaître Derrick plutôt que prévu. Je l’avais peut être même croisé ce fameux jour où j’ai fini avec Levi. Repensant à ce souvenir, je sentis comme le rouge me monter aux joues. Pour quelles raisons ? Je n’en étais pas trop sûre mais en tout cas, c’était un souvenir assez précieux. J’étais si proche de lui qu’il pouvait, j’en étais sûre, entendre mon cœur palpiter avant d’entendre sa réponse. C’était comme si je n’attendais que ça. Cet instant pour faire la connexion, pour savoir de quel côté me ranger même si je savais très bien que je ne saurais pas où aller. En fait, je ne voulais surtout pas choisir entre ces deux personnes qui étaient chers à mes yeux. L’un m’avait supporté pendant de longues années, et me supportais encore d’ailleurs, et l’autre, je venais de le retrouver et je me sentais de nouveau vivante et heureuse. Resserrant mon emprise sur sa main, je suivais son regard, essayant de le capter pour ne pas qu’il ait honte de quoi que ce soit en me parlant. « Je ne savais même pas que ça faisait si longtemps… » Et je me rendais compte que je ne connaissais pas le passé de Derrick ni même celui de Levi, que je n’en m’étais jamais préoccupée car c’était ainsi, on ne se parlait pas de notre passé et c’était mieux. Mais je savais que Derrick était quelqu’un de bien et que s’il avait agi ainsi avec Levi, c’était pour une raison bonne ou mauvaise, il l’avait fait dans l’intérêt du brun qui se trouvait devant moi. Je sentais sa main trembler et je la serrais dans la mienne. Je l’écoutais, imperturbable, ne laissant aucune émotion me trahir. Il fallait que je l’écoute, c’était primordial, il s’ouvrait à moi et je ne pouvais pas passer à côté de ces révélations. Ca lui coutait quelque chose, je pouvais le sentir et ça se sentait au niveau de son corps. Il était tendu et il faisait un effort incroyable pour ne pas craquer devant moi. Je sentis même cette différence dans son regard au moment où il parla de trahison, je ne pouvais pas reculer mais je ne pensais pas Derrick d’une chose pareille. Ce n’était pas possible, pas lui. Mais voir cette haine sur le visage du brun me fit un peu peur, je devais l’avouer. Voir cette rage n’était pas bon, ni pour lui, ni pour moi, ni pour personne. Cependant, je n’intervenais pas, je savais qu’il n’avait pas terminé. Je l’écoutais, sans cesser de tenir cette main qui demandait du réconfort en sentant cette tremblote. Ce n’était pas un signe qu’il fallait occulter, non, c’était le besoin d’avoir quelqu’un, là, tout de suite et il se trouvait que c’était moi. Une fois que j’étais sûre qu’il était terminé, j’étais en train de chercher quoi faire. Quoi dire surtout. Comment réagir face à ça ? Je n’avais pas les compétences pour dire des choses sans blesser ou autre, j’étais plutôt franche mais là… Je devais avouer qu’il me touchait et que je ne voulais pas le détruire plus qu’il ne l’était. Je m’approchais de lui, prenant son visage entre mes mains avant de planter mon regard dans le sien, ne disant rien. Laissant simplement parlé mes yeux pour moi, lui faisant comprendre que j’étais là. Je finis par le prendre dans mes bras, quelque chose que je n’avais pas fait depuis longtemps, je sentis mon cœur battre un peu plus fort de cette proximité. Je plaçais ma main dans sa nuque, laissant mes doigts lui caresser le haut du cou pour l’apaiser. « Il ne l’a pas fait pour te blesser, j’en suis certaine. Il avait une raison, tout le monde à une raison d’agir ainsi. Il suffit de la découvrir. Je suis sûre que tu ne connais pas toute l’histoire comme je ne la connais pas, comme Derrick ne connaît pas la tienne. » Je le gardais contre moi, murmurant ces paroles pour ne pas briser ce charme qui s’installait mais surtout ce cocon dans lequel on était. Il lui fallait ça, pour qu’il aille mieux, pour qu’il remonte la pente maintenant. « Il va falloir reprendre contact si tu veux des réponses… » J’étais sérieuse, il fallait vraiment qu’il parle à Derrick de ce passé qui le rognait et qui le hantait tous les jours. Je me reculais, posant mes lèvres sur sa joue avant de reprendre une certaine distance entre nos deux visages. « Vous devez tous deux faire face à cette situation… » Je laissais ma main venir sur sa joue et je repris la parole toujours en le regardant tendrement. « Je veux que tu ailles mieux. » Et cette fois il n’était pas question d’inclure Haley dans la phrase. Je voulais vraiment qu’il s’en sorte, pour moi cette fois et lui bien évidemment.