Savannah&Levi ▬ Ce soir, c'est mon tour de te sauver.

Bien souvent, trop souvent, j’en étais venu à me poser des questions sur ce qui avait pu motiver Derrick à avoir un tel comportement envers ma personne. J’avais tenté à chaque fois d’associer une autre conversation que nous aurions pu avoir précédemment sans jamais voir ce qui aurait pu faire en sorte qu’il se soit retourné aussi rapidement, à un tel point que j’avais fini par mettre le blâme sur moi. Mais cette conclusion faisant beaucoup trop mal, j’avais choisi de la changer, et décider que Derrick avait été égoïste, qu’il n’avait songé qu’à sa carrière et rien d’autre, parce que rien ne pouvait expliquer son comportement. Bien sûr, cela ne m’avait pas fait plaisir, mais me torturer pour cela fut finalement au-dessus de mes forces, ce qui me menait à l’attitude que j’avais aujourd’hui, cette attitude qui, au final, n’était pas parvenue à complètement me protéger de ma douleur et de mes regrets, comme je le prouvai malgré moi à cet instant présent. Tout cela m’enleva ma capacité à parler. Enfin, dans un premier temps, ce ne fut pas plus mal, puisque cela permit à Savannah de s’approcher pour m’étreindre, ce que je ne sus lui refuser, puisque je pus tenter, tant bien que mal, d’aller chercher un certain réconfort dans ce contact, même si ce fut beaucoup plus difficile que je l’aurais voulu dans un premier temps. Cependant, quand elle en vint à m’expliquer qu’elle était persuadée que Derrick avait ses raisons, je ne fus pas en mesure de lui expliquer mes raisons, lui faire part de tout ce qui avait pu me passer par la tête pendant des semaines, des mois, des années à son sujet. Tout ce que je fus en mesure de faire, ce fut de m’éloigner de son étreinte - en tentant de ne pas être trop brusque non plus quand même - et de secouer la tête comme un enfant obstiné qui ne veut pas obtempérer aux demandes de sa mère. Il fallut plusieurs secondes pour que finalement, après que Savannah ait proposé que nous reprenions contact, je sois capable de lui dire:  « Je ne veux pas de réponses… » Au fond, une petite partie de moi en voulait encore, et cela rendait la chose encore plus difficile, mais là, tout de suite, je refusais de l’admettre, parce que cela m’obligerait à revoir Derrick et ça, j’étais loin d’en avoir envie. Le voir une première fois, lorsqu’il était venu chercher Haley, et savoir qu’il voyait ma fille plus souvent que moi je pouvais la voir, parce que Savannah ne le tolérait pas, m’avait fait trop de mal pour que je ne fasse que songer à retenter l’expérience. Et puis, c’était probablement le pire dans tout cela, ce n’était pas le fait de revoir Derrick qui saurait être en mesure de régler tous mes soucis. Le fait qu’il ait décidé de me lâcher, ça n’avait été que le bouquet. Il avait été le dernier pilier sur lequel j’avais cru pouvoir m’accrocher avant de sombrer, et quand il m’avait lâché, ça avait été trop. Complètement seul, je m’étais enfoncé pendant neuf ans, et là, tandis que je pensais que j’étais débarrassé de la drogue, mon passé me rattrapait, me torturait le corps et l’esprit à un tel point que tout se mélangeait dans ma tête, comme en ce moment. Parce qu’à force de repenser à tout cela, à revoir dans ma tête le visage de celui que je croyais être mon meilleur ami, l’entendre me rejeter, me fit quelque peu paniquer, si bien que lorsque Savannah, dans toute sa gentillesse, me fit part de son souhait que j’aille mieux, je fus si peu convaincu que j’y parviendrais à ce moment précis que mes lèvres se mirent à trembler, et sans que je le veuille ou même que je le sente dans un premier temps, des larmes commencèrent à couler sur mes joues, et soudainement perdu dans mon monde, dans ma torpeur, je vins à dire:  « Il le savait… Il était le seul qui le savait… » Un hoquet mit fin à mon propos, et je me sentis obligé de passer une main sur mon visage pour tenter de me ressaisir, même si ce ne fut pas suffisant pour me pousser à ajouter quoi que ce soit, d’autant plus que je venais probablement d’en dire davantage en cinq minutes que j’avais pu en dire pendant dix ans, voire davantage.

Je ne savais plus trop comment réagir avec Levi, c’était si imprévisible, je souffrais même pour lui de le voir dans cette détresse qui semblait horrible et douloureuse. J’aimais tellement le comprendre, savoir ce qu’il a enduré, ce qu’il a vécu mais je me refuse de poser ce genre de questions, ce n’est pas à moi de demander, c’est à lui de me le dire, de son plein gré sans que j’ai à le forcer. Alors j’allais attendre le temps qu’il faudrait, mais j’attendrais quand il serait capable. Je le regardais, reprenant cette distance petite qu’on avait entre nous. Je comprenais son besoin de se sentir à l’écart après tout, je n’avais pas osé qu’on me touche à la mort de mon père, ni à ce que ma mère repose la main sur moi. Le contact physique n’était pas ce que je faisais de mieux, du moins quand on me le faisait, car quand ça venait de moi, c’était différent et là, voir Levi dans cette détresse j’avais simplement envie de le tenir contre moi et de l’écouter parler. Hochant la tête, je laissais mon bras redescendre le long de mon bras, me retenant de le toucher encore une fois. Je me devais de l’écouter. « Je comprends… mais sans ça tu ne pourras pas avancer non plus. » Et il le savait, sans avoir des réponses à des questions non posées, ni à ce qu’il pense, jamais il ne pourra tourner la page et j’en sais quelque chose. Il doit aller mieux et je veux qu’il aille mieux. Je laissais ce blanc s’installer entre nous, c’était sûrement ce qu’il y avait de mieux pour le moment, le temps qu’il parle à nouveau. Sans que je ne sache pourquoi, je vis des larmes couler sur ses joues et mon cœur se serra automatiquement. Je détestais le voir ainsi, la dernière fois c’était lorsque je l’avais surpris drogué et planant dans son appartement alors que je voulais qu’il garde Haley pour l’après-midi. Je m’approchais de lui et m’arrêtais quand il parla, qu’il était le seul à savoir. J’arquai un sourcil, posant ma main sur sa joue, le forçant à me regarder. J’essuyais du bout des doigts ces larmes qui coulaient et avalais ma salive pour lui poser la question. « A savoir quoi ? » Je parlais doucement, je ne voulais pas le brusquer et surtout il fallait qu’il parle, il en avait besoin. Je finis par prendre son visage entre mes mains, prenant une grande inspiration. « Respire, Levi, t’es avec moi maintenant. » Je ne savais pas ce qu’il avait vécu, ni ce qu’il était en train de revivre en me disant cela, mais j’allais attendre, et je ne comptais pas partir avant même qu’il aille mieux et me le dise par lui-même mais là, j’étais certaine qu’il n’allait pas bien. Je gardais mes mains sur ses joues, laissant mes doigts caresser ces dernières pour l’apaiser, je respirais lentement histoire qu’il se cale à mon rythme qu’il puisse lui aussi respirer doucement et se calmer, qu’il voit que j’étais là, avec lui et non je ne savais où. Soupirant, je posant mes lèvres sur son front, c’était des gestes si anodins mais qui voulaient dire tant de choses entre nous. Jamais on n’avait eu ces rapprochements durant ces dernières années, là c’était un grand pas de franchi. J’aurais dû être là dès le début aussi, lui dire de se soigner depuis bien plus longtemps que cela. Peut-être qu’on n’en serait pas là aujourd’hui. Mais le mal était fait. Le passé le hantait et l’empêchait d’aller mieux et d’avancer, maintenant c’était à lui d’y faire face et de se donner une claque mentalement pour y arriver et moi j’y croyais. Je le savais capable de réussir. Je m’écartais de lui de quelques centimètres, le relâchant pour qu’il puisse être libre de tout mouvement. Maintenant c’était à lui de faire ce qu’il voulait ou bien dire ce qu’il avait à me dire, ou bien ne rien dire et laisser ce poids sur ses épaules s’alourdir encore pendant longtemps.

Dans un état plus normal, j’aurais pu prédire que Savannah voudrait connaître la suite de ce que j’avais laissé en suspens dans mon propos. En fait, n’importe qui aurait pu le prédire, parce que mon propos était si abstrait, manquait tant de contenu que bon, il était évident qu’il y avait quelque chose au bout de celui-ci. Cependant, puisque je n’étais pas dans mon état normal, cette question arriva comme un poignard de plus en plein coeur, une autre raison d’avoir peur, une autre raison d’avoir mal, une autre raison de penser au fait que si Derrick était au courant, s’il était le seul à être au courant, c’était parce qu’il était le seul en qui j’avais eu suffisamment confiance pour lui avouer ce genre de chose, parce que je savais qu’il n’allait pas le dire à qui que ce soit, ou bien que ça ne se retournerait pas contre moi ou quelque chose du genre. Mais Derrick, il avait brisé cette confiance, et c’était un autre mal que je supportais, par-dessus tout ce qui me hantait à chaque jour, que seul la drogue parvenait à momentanément effacer. Sauf que là, je ne consommais plus pour oublier et apaiser mes peines et mes peurs. Elles étaient là, prêtes à exploser, en train de me rendre dingue. Voilà pourquoi j’avais toujours tout gardé pour moi, mais là, j’étais acculé au pied du mur. Je savais que Savannah ne me demandait pas de parler pour mal faire, au contraire, sa présence était rassurante, si bien que pour cela, parce qu’elle avait fait tant d’efforts pour moi et pour mon bien-être, je me devais de lui répondre, je ne pouvais pas me refermer à ce moment précis. Au moins, elle ne me forçait pas, et j’espérais que dans un moment aussi critique, elle ne me jugerait pas. Tentant de me convaincre de tout cela, je pris mon courage à deux mains, tentai de faire fi de tout ce qui me passait par la tête, et finalement, je finis par dire, d’un seul trait, comme si je craignais de manquer d’air pour arriver au bout:  « Il était le seul qui savait que notre manager abusait de moi… » Suite à cela, il me fallut déglutir, comme si je craignais que ne pas le faire m’aurait obligé à vomir devant la jeune femme, et par la suite, je soutins le regard de Savannah, comme si je voulais lui montrer que je ne mentais pas. Étrangement, ce fut moins troublant que je ne l’aurais cru, dévoiler mon plus grand secret, mon pire démon. Je ne pouvais pas dire que j’étais complètement rassuré, au contraire, ce petit soulagement ne fut que momentané, puisque par la suite, je me mis à paniquer, et je balbutiai, tout en secouant la tête dans tous les sens:  « Ça a duré trois ans. Il me menaçait de me jeter hors du groupe et m’empêcher d’avoir l’argent nécessaire… » Quand je me rendis compte de ce que j’étais sur le point de dire et à qui j’étais sur le point de le dire surtout, je m’arrêtai pour passer une main dans mon visage, et c’est qu’après-coup que je me permis de dire:  « Pour subvenir aux besoins d’Haley… » En effet, pendant tout ce temps, j’avais envoyé à Savannah autant d’argent que possible, tout ce dont elle avait besoin, qu’importe si c’était pour des rendez-vous médicaux, des couches. Tout ce que je voulais, c’était participer à la vie de ma fille, lui faire savoir que je ne parlais pas dans le vide quand je disais que je serais là pour elle. Je voulais juste protéger Haley, protéger Savannah par la même occasion. J’avais laissé cet homme abuser de moi, me violer, me faire sentir vulnérable et emprisonné pendant tout ce temps. Pour quoi ? Pour rien, parce qu’au final, j’étais devenu une loque, et puis:  « Malgré ça, je n’ai plus rien à lui offrir… » Évidemment, il y avait encore ce compte bancaire avec de quoi lui payer toutes ses études universitaires, logement et livres y compris, mais à ce moment, j’étais trop troublé pour y songer, et au final, ce fut sur des sanglots amers que je terminai mon discours, sachant que j’étais allé au bout de ce que je parviendrais à dire pour le moment, qu’importe à qui je m’adressais pour le coup.

Je m’attendais à tout, sauf à ça, si bien que je reculais de deux pas quand j’entendis ce qu’il venait de me dire. Je posais ma main sur ma bouche tellement j’étais choquée par ce que j’entendais. Je n’aurais jamais pensé qu’on aurait abusé de lui, qu’on aurait profité de lui. Je me sentais totalement dépassée par tout ça et je comprenais pourquoi alors il s’était réfugié dans la drogue. C’était son moyen de s’évader et de ne pas y penser. Je le comprenais, je m’étais réfugiée dans la colère et la délinquance suite à la mort de mon père et l’abus de ma mère quand elle me tapait et me laissait enfermée dans le placard pendant plusieurs jours. J’avais pété les plombs mais … heureusement dans un sens j’avais rencontré Levi pour une nuit et ce qui m’avait fait remonter la pente avait été Haley qui grandissait en moi. Grâce à cette petite qui allait naître, je m’étais reprise en main, essayant d’aller mieux pour lui offrir une vie convenable. Maintenant, j’étais sauvée même si les démons de ma mère me hantaient encore parfois, je me disais saine et sauve. Mais lui, le pauvre, il subissait encore ça pendant tout ce temps, se souvenir et se remémorer ce genre de chose. J’avalais ma salive et croisais mes bras sous ma poitrine, sentant mon cœur se serrer. Je sentais les larmes me monter aux yeux. « Oh Levi… » Je ne pouvais rien dire d’autre, ma voix chevrotait déjà et je sentais que si je continuais j’allais finir par pleurer parce que personne n’avait rien vu et personne ne l’avait aidé jusqu’à maintenant. Mais la suite, là, j’étais littéralement sur le cul en fait même physiquement, je me sentis tomber sur le sol posant mes mains sur mon visage et laissant mes larmes couler sur mon visage. Levi avait laissé cet homme lui faire ce genre de choses tout ça pour subvenir aux besoins de sa fille car je le lui avais demandé. C’était aussi de ma faute, j’aurais pu ne pas lui demander mais j’étais tout aussi fauchée qu’il me fallait de l’aide. Je déglutis et laissais mon sanglot s’éterniser pendant que je continuais de l’écouter. C’était horrible de ressentir ce genre de chose, de savoir qu’on était coupable en quelque sorte de ce malheur et c’était le cas. Je m’essuyais les jours du revers de la main et levais le regard vers Levi. Il éclata lui aussi en sanglot. Je n’aurais jamais pensé qu’on en serait là à pleurer de notre sort à tous les deux. Au contraire de ce qu’il disait, il avait tant à lui offrir qu’il ne s’en rendait pas compte. Je lui attrapais le bras et l’attirais à moi, au sol, le tenant contre moi. « Je suis désolée. » Ce fut tout ce que je pouvais dire, tout ce que j’avais à dire. Je ne pouvais en dire plus car j’étais si désolée pour lui. Je posais mes lèvres sur sa joue et lui murmurais les seules paroles que je réussis à trouver à sa dernière phrase. « Tu as tant à donner à Haley, elle te voit comme un superhéros, tu es son superhéros. Tu comptes pour elle, tu comptes pour moi, tu comptes énormément pour moi Levi. Tu as tellement à nous donner. » Je pose mon front contre le sien et essuie ses larmes avant de faire la chose la plus improbable que j’aurais fait auparavant. Je regarde ses yeux et plonge mon regard dedans avant d’approcher mon visage du sien, hésitante et finissant par ce dont j’avais envie de faire. Je posais mes lèvres sur les siennes, retrouvant cette chaleur que j’avais perdue. Pourquoi j’avais fait cela ? Car j’en ressentais le besoin, le besoin de lui montrer physiquement et moralement que j’étais là. Peut-être que c’était une bêtise, surement d’ailleurs mais durant toutes ces semaines, je n’avais cessé de ressentir quelque chose. Enfin de ressentir de nouveau ce quelque chose que j’avais eu en moi quand j’avais croisé son regard la première fois. Je me reculais, restant proche de lui et laissant mes doigts lui caresser la nuque pour l’apaiser et l’aider à ce qu’il se sente mieux. Et moi aussi ça m’aidait à aller mieux, à surmonter ça avec lui.

Actuellement, avec ce désespoir horrible que j’étais en train de ressentir, cette douleur qui me déchirait les entrailles, comme si on m’avait torturé pour que j’avoue finalement ce qui représentait mon plus sombre secret, j’étais convaincu que non, je n’avais rien à offrir, et d’un point de vue réalise, c’était encore plus vrai. De l’argent, je n’en avais plus depuis longtemps au quotidien. Des conseils de vie ? J’étais le dernier qui pouvait en proposer à mon avis. Le fait d’être un exemple, un modèle pour ma fille ? Ça non plus, je ne l’étais pas vraiment. Si je devais me convaincre de trouver une chose à pouvoir lui donner, et ça, jamais je ne cesserais de lui en donner, c’était de l’amour. Ça, jamais je n’avais cessé de lui en offrir, et jamais je ne cesserais de le faire. Ça, c’était sans équivoque, à condition bien sûr qu’Haley veuille bien le recevoir. Mais si jamais, après cette cure, au moment où elle allait connaître la vérité à mon sujet, qu’elle allait savoir que je n’étais pas enfermé dans ce centre parce que j’étais malade, mais parce que je m’étais rendu moi-même dépendant, pour un type qui, au fond, n’en valait pas la peine ? Je craignais profondément qu’elle m’en veuille, au point de ne plus jamais vouloir me parler. Ça, je le savais, aurait sitôt pour effet de me briser et me faire perdre ma raison de vivre, alors le simple fait d’y songer me terrifiait, tout simplement. Dans cette terreur, dans ce manque d’estime envers moi-même, inutile de mentionner que je ne savais clairement pas ce que Savannah pourrait me trouver, pourrait penser que je pourrais lui donner. Ces visites au centre représentaient les premières fois où nous parlions vraiment et ce, en treize ans maintenant. Avant, nos paroles n’étaient qu’échanges formels, pas nécessairement chaleureux, qui avaient pour but de dire l’essentiel, voilà tout. Qu’est-ce qui avait changé ? Comment cela se faisait-il que Savannah semblait persuadée que je pourrais offrir quelque chose alors qu’à ses yeux, je n’étais rien d’autre que le géniteur de sa fille ? Pourquoi s’attardait-elle au boulet que je pouvais être, qui l’obligeait à visiter un endroit qu’elle détestait ? Comment cela se faisait-il que mon histoire la touchait soudainement à ce point, à ce point où elle se sentait mal, elle en pleurait aussi, tandis que de mon côté, j’étais trop brisé pour la réconforter ? C’était à ne rien y comprendre, et tout devint encore plus flou au moment où soudainement, Savannah approcha son visage du mien et sans que je ne bouge, parce que de toute façon, j’étais trop tendu, trop perturbé pour bouger de moi-même, nos lèvres vinrent à se toucher. Surpris dans un premier temps, je ne sus pas vraiment réagir, mais progressivement, quand je me rendis compte que ce contact, aussi léger et furtif soit-il, me faisait du bien, d’une certaine façon, parce que ça en était un que je n’avais pas eu depuis ce qui me semblait être une éternité, il était soudainement trop tard. Je ne sus en profiter, puisque sitôt, le baiser prit fin, nos visages retrouvèrent une distance close, mais raisonnable, et je me retrouvai à considérer Savannah, ses yeux brillants dans mon regard brouillé, y cherchant une réponse, une explication. Puis, je constatai le contact de ses doigts autour de ma nuque, ce contact rassurant, qui, au final, me fit carrément céder. Sans réfléchir, ce fut à mon tour d’approcher ma bouche de la sienne et de l’embrasser, mais avec un peu plus d’insistance, presqu’avec désespoir, ce désespoir qu’on m’insuffle la force de passer au travers de cet aveu, cet espoir que je serais peut-être capable de ne pas passer une nuit blanche, les yeux ouverts, à me lamenter sur mon sort, comme trop souvent je l’avais fait précédemment. Ces soirées, ces nuits, ces journées, à être misérable, je n’en pouvais plus. Mais clairement, ce n’était pas ici et maintenant que cela changerait, d’autant plus qu’une fois que je trouvai la force de détacher mes lèvres des siennes, je compris bien rapidement que j’avais été stupide, égoïste, et que j’avais empiré la situation. Embêté, je me décalai, et je secouai la tête en disant:  « Je suis désolé je… Je sais pas ce qui m’a pris… » Au fond, je savais un peu ce qui s’était passé dans ma tête, à savoir que je voulais un peu d’affection, que je n’en avais plus depuis trop longtemps, et que j’avais profité de la situation. Devant me résigner à cette réalité, j’ajoutai finalement:  « C’était égoïste de ma part, pardon… » Et pourtant, je pensais ainsi alors que c’était Savannah qui m’avait embrasser en premier. Elle, que cherchait-elle ? Avait-elle été emportée par le moment aussi ? Ne m’osant pas trop à lui demander, mais ne voulant pas céder non plus, je me reculai légèrement, sans toutefois mettre une distance outrageuse entre nous, histoire qu’elle n’en soit pas vexée, parce que c’était la dernière chose dont j’avais besoin en ce moment.

Je ne savais pas ce qui m’avait pris à ce moment-là, j’avais tellement envie de le toucher mais autrement, de sentir ses lèvres contre les miennes. De pouvoir sentir de nouveau le goût de ses lèvres. Je savais que c’était mal, que ça n’allait pas arranger les choses mais l’impulsivité était présente et je n’avais pas pu la nier. Vu notre passé, je ne pensais pas que cela pourrait aggraver encore plus les choses. Je n’avais pas pensé à ma fille, ni à comment elle aurait pu réagir si elle avait été présente et au fond, je m’en fichais car tout ce que je voulais en cet instant, c’était lui. Levi. Personne d’autre. Et à tout attente, je n’espérais pas que Levi accepte ce baiser, non j’aurais pensé l’inverse. Du moins, je n’étais pas du tout en colère du fait qu’il ne m’est pas repoussée, au contraire, ça me donnait l’espoir qu’entre nous ce n’était peut-être pas si mort que ça au fond. Qu’il y avait toujours un espoir pour qu’on réussisse à former une famille tôt ou tard. Mes doigts étaient toujours contre sa nuque et je me séparais de lui pour reprendre mes esprits. Je le regardais, en souriant prête à m’excuser d’ailleurs pour ce que j’avais pu faire mais aucun son ne sortit. Je n’en eus pas le temps également car ce fut au tour de Levi de poser ses lèvres contre les miennes. Une fois de plus je pus ressentir ce contact et j’étais tout aussi heureuse à cet instant. Des papillons dansaient dans mon ventre et c’était tellement appréciable de sentir ce genre de chose. Ca faisait si longtemps que je ne voulais pas que ça se termine, que c’est à contre cœur que je sentis le beau brun se détacher de moi. J’arquai un sourcil avant de respecter cette distance qu’il avait instauré. Je n’allais pas non plus aller dans son cercle vital où il se trouvait bien en ce moment. Secouant la tête, je baissais les yeux avant de parler à mon tour. « Tu n’as pas à l’être, je le suis tout autant. » Je finis par lever mon regard vers le beau brun avant d’attraper sa main et de la serrer dans la mienne. « Arrête de penser que tu es seul à agir bon sang. » Je soupirais mais parlais d’une voix douce et attentionnée à la fois. Je ne voulais pas le brusquer mais il fallait aussi qu’il sache qu’il n’était pas seul dans cette histoire. « Tu n’es pas égoïste et ne pense pas qu’à toi. Tu ne penses pas que je peux être égoïste aussi à avoir fait ça ? » Je resserre mes doigts entre les siens et souris en reprenant la parole, fixant le mur devant moi. « Je suis la seule fautive dans l’histoire. J’ai craqué, j’en avais envie et voilà. En aucun cas, tu es responsable. » Je détache ma main de la sienne et finis par me lever pour aller regarder la fenêtre et observer le temps qu’il fait dehors. Ca se calme et intérieurement après cet épisode, enfin celui du baiser et celui-ci par rapport au fait qu’il ne pense qu’à ses actes et non les miens par la même occasion, il est temps pour moi de partir. Je me tourne vers Levi et tousse légèrement avant de me balancer d’un pied sur l’autre. « Le temps se calme dehors… Je vais peut être y aller. » Je laisse un peu ma phrase en suspens car je veux partir mais pas dans ces conditions, pas où il y a quelques minutes je vivais quelque chose d’incroyable et que la fois d’après je suis en train de voir Levi regretter ce geste qui est le sien et ne penser qu’à son acte. Alors j’attends, m’appuyant contre le mur, attendant patiemment qu’il réagisse et qu’il me dise quelque chose pour que je parte la conscience tranquille. Je suis tellement contente d’avoir pu passer ces instants avec lui, qu’il ait pu s’ouvrir à moi et me dire ce qui n’allait pas. C’était tellement énorme pour lui de me confier tout ça que je ne pouvais pas lui en demander plus pour l’instant. J’appréciais cette confiance qu’il me faisait, mais à son tour il allait devoir me faire confiance pour certaines choses mais ce n’était pas gagner. Mais chaque chose en son temps.

Ce que je venais de vivre, c’était des montagnes russes émotionnelles comme rarement j’en avais vécu avant aujourd’hui, ou du moins, comme rarement j’en avais vécu ces dernières années. Bien sûr, j’avais ressenti certaines émotions fortes dans ma vie, tant tristes qu’heureuses, mais depuis neuf ans maintenant, chaque fois que ce que je ressentais était trop fort pour que je puisse le supporter, surtout quand cela me faisait du mal, je noyais ces sentiments dans une injection, une ligne, un joint, tout ce qui me tombait sous la main et était susceptible de me faire aller mieux. Sauf que là, je n’en avais pas, et même si j’avais eu des bas, beaucoup en plus, depuis que j’étais arrivé ici, jamais je ne m’étais effondré de la sorte, jamais je ne m’étais rendu vulnérable ainsi. D’abord complètement perdu, heurté de plein fouet par tout ce que je refoulais depuis maintenant des années, je m’étais surpris à trouver sur les lèvres de Savannah un réconfort qui ne ressemblait à rien à ce que j’avais vécu précédemment. Bien sûr, j’avais embrassé des filles avant, et j’avais été embrassé également, mais là, ces baisers que nous échangeâmes eurent quelque chose de spécial, quelque chose qui parvint presqu’à me convaincre que tout pourrait bien aller au bout du compte, que peut-être je serais capable de trouver de quoi me conforter autre que de la drogue, même s’il fallait que je souffre comme pas possible pour y parvenir. Pendant un instant, cet échange me rendit optimiste, me rendit plus fort, jusqu’à ce que soudainement, la réalité me rattrape, que je me rende compte que profiter de ce contact qui n’avait peut-être pas lieu d’être entre nous était malsain, était justement égoïste. Égoïste parce que j’avais l’impression que je n’avais pensé qu’à moi pour le coup, que j’en étais même venu à abuser de la tendresse et de la bonté de Savannah pendant un instant, alors que fort probablement, je ne la méritais pas. Je m’étais permis de l’embrasser encore une fois comme si limite, je voulais profiter de la situation, profiter du fait que je faisais fort probablement pitié. Voilà pourquoi j’en vins à m’excuser, ce qui ne sembla pas plaire à la jeune femme, qui semblait se sentir tout aussi coupable que moi, tellement qu’elle en vint à me reprocher limite que je m’en veuille autant. Troublé, parce que je ne pensais pas avoir vraiment tort pour le coup, je ne sus que hausser les épaules d’un air confus au moment où elle me demanda si je pouvais vraiment me sentir égoïste de cela, parce que je ne savais pas comment je pourrais me sentir autrement. Euphorique ? Soudainement serein ? J’aimerais bien, j’aimerais tant que ces émotions prennent le dessus, je ne pouvais pas le nier, mais je n’y parvins pas, pas encore. Et malheureusement, je n’en aurais pas l’occasion, puisque pas le temps ce soir, au vu de ce que Savannah me dit par la suite, soit qu’elle allait prendre la route pour rentrer chez elle. Dans un premier temps, je ne fus pas convaincu que c’était là une bonne idée, mais en regardant moi-même dehors, je vis que le tout s’était un peu calmé. Enfin, je n’étais toujours pas convaincu que c’était sûr dehors pour autant, mais pouvais-je vraiment la confronter ? Jamais je ne m’étais osé à le faire avec Savannah, parce que j’admirais sa force et sa ténacité, bref, ce que je n’avais pas. Cependant, je me permis quand même de lui demander, après avoir hoché la tête pour lui signifier que j’allais me plier à son désir:  « S’il te plait, sois prudente… Et envoie-moi un message quand tu seras arrivée. » C’était peut-être complètement idiot comme demande, mais au moins, cela m’empêcherait de m’en faire pendant des heures, à me demander si elle était bien arrivée. Parce que je savais, clairement, que j’allais m’inquiéter pour elle. Que si ce n’était que de moi, je lui aurais demandé de passer la nuit ici. Mais je ne le pouvais pas, et de toute façon, je me doutais bien que cela aurait provoqué un trop gros malaise pour le coup. Est-ce qu’après, nous saurions passer outre ce malaise ? Je ne savais pas, je l’espérais en tout cas, puisqu’alors que je regardais Savannah quitter ma chambre, sans un mot de plus, je comprenais désormais que sans le vouloir probablement, elle m’apportait une force encore plus grande que je ne pourrais l’imaginer. Qui aurait cru qu’un jour, elle aurait un tel impact sur ma vie ? Certainement pas moi, en tout cas, mais j’aimais cet impact qu’elle pouvait avoir, et désormais, je me disais que je me devais d’aller mieux non seulement pour Haley, mais également pour elle. Et pour y parvenir, il me fallait faire plus que simplement lui avouer, en larmes, ce qui m’était arrivé précédemment. Il fallait que j’accepte de parler, à des experts qui sauraient me faire aller mieux, faire ce que jamais je ne m’étais osé à faire avant, parce que je n’étais pas prêt. Mais là, je savais que dès demain matin, je me rendrais dans le bureau de mon médecin, et je lui dirais que désormais, après cette soirée qui avait tout changé, j’étais finalement prêt.