Declan&Lennon + Welcome to your new life

Des nouveaux employés, il y en avait relativement fréquemment à la base, parce que du personnel de plus n’était jamais de trop. J’en étais conscient, mais j’étais rarement, voire jamais celui qui était chargé de leur souhaiter la bienvenue, leur faire visiter les lieux et s’assurer que tout était convenable afin qu’ils puissent commencer à travailler. Personnellement, cela serait une trop grande source de stress et ça, mes supérieurs le savaient. De plus, ils savaient que d’autres étaient mieux placés, davantage charismatiques que moi pour faire ce genre de boulot, et ça me convenait comme ça. Cependant, aujourd’hui, j’avais décidé de faire une exception, une exception qui avait étonné bien des gens en me proposant pour accueillir le nouvel employé, psychologue à la base. Et c’était si exceptionnel que personne n’avait su me dire non. Si ç’avait été le cas, je n’aurais pas fait tout un cas non plus, mais je fus particulièrement satisfait qu’on veuille bien me laisser ce boulot pour une fois. Après, si jamais je faisais un bon boulot, allait-on me demander de le faire de nouveau ? Je ne savais pas trop, mais pour sûr, je n’allais pas insister, parce que là, c’était une énorme exception, exception prévue depuis un bon moment maintenant. En effet, cela ne datait pas d’aujourd’hui que Declan était venu me voir pour me demander si j’étais en mesure de lui trouver un boulot. Suite à cette conversation, j’étais allé parler à mes supérieurs pour leur demander s’il n’y avait pas moyen de proposer sa candidature comme potentiel remplaçant pour le psychologue de la base qui avait choisi de prendre sa retraite plus tôt que prévu. Bien sûr, je n’avais pas eu l’occasion d’exiger que ce soit lui qui soit choisi, ce serait carrément injuste, mais j’avais pu au moins suggérer sa candidature et m’assurer que celle-ci soit prise en considération. Puis, suite à maintes démarches, démarches desquelles je n’avais pas pu me mêler, puisque ce n’était pas à moi de le faire, Declan avait obtenu le boulot. Inutile de mentionner que j’étais plus qu’heureux pour lui, heureux aussi pour ma cousine Carter par la même occasion, d’autant plus que si je ne me trompais pas, ce boulot tombait à pic, au vu de la naissance de leur prochain enfant qui surviendrait sous peu. Après, ce n’était que ma vision des choses, peut-être qu’eux, ils pensaient autrement, alors pour sûr, je n’allais pas aborder la chose. De toute façon, ce n’était pas dans mon descriptif de tâches de la journée. Ce que je me dus de faire, ce fut, une fois que j’eus déposé mes affaires et que je me sentis prêt, de me rendre à l’entrée de la base, là où, semblait-il, on avait dit à Declan de se présenter à l’heure venue. Pendant le trajet que je dus franchir à pied pour m’y rendre, je ne pus nier que je me sentis quelque peu nerveux, mais sachant que mon cousin par alliance me connaissait, connaissait mon comportement et ne serait pas du genre à m’en vouloir si je cafouillais, ce n’était pas la panique non plus. Enfin, ce ne fut pas suffisant pour que je sois totalement terrorisé lorsque je me retrouvai à l’attendre à l’entrée, compte tenu que j’avais un peu d’avance, et plus encore, ce fut même avec une certaine contenance que je patientai de voir Declan arriver.

Lennon avait tenu sa parole. Declan n'en avait pas espéré moins de la part de son cousin par alliance. Une semaine, puis deux s'étaient passées depuis leur dernière rencontre, jusqu'à ce qu'il oublie même l'audace de sa démarche et la promesse qu'on lui avait faite. Puis il avait reçu un coup de fil un matin de la base militaire, alors qu'il aidait son fils à terminer un puzzle. Il n'aurait pas pu plus être pris au dépourvu. Heureusement, il ne s'agissait pas d'un pré-entretien par téléphone, juste une formalité pour convenir d'une date. Il ne se serait pas vu défendre ses atouts, vêtu d'un jogging et assis sur le tapis du salon, la moitié d'une écaille de dinosaure dans la main. Declan n’avait pas espéré grand-chose. L’entretien ne s’était pas mal passé. Rien n’avait suggéré un faux pas ou un désintérêt profond pour sa candidature. Il n’avait même pas eu l’impression d’être un traitement de faveur, une interview que l’on donne pour faire plaisir à un collègue sans intention de voir la chose aboutir. Tout avait été réglo de A à Z, comme s’il avait en effet une chance d’obtenir le job. Declan y avait cru un instant. En remontant dans sa voiture, la douce sensation d’espoir s’était emparée de lui, détendant les muscles de son visage et lui faisant imaginer un futur encore incertain. La distance et le trafic difficile avait eu raison de sa bonne humeur. Un feu rouge trop long et Declan avait commencé à douter de chacune des phrases qu’il avait pu dire. Une priorité refusée et Declan s’imaginait déjà le profil glorieux et imaginaire d’autres candidats. Arrivé chez lui, il n’espérait plus grand-chose. Le pessimisme, la plus efficace de ses armes, et indéniablement sa préférée. Declan s’y réfugiait plus que nécessaire. Comme promis, Declan n’avait rien dit à Carter, préférant attendre le verdict final. Celui-ci ne mis pas longtemps a tomber. Son cœur avait fait un bon en apercevant le numéro sur son téléphone, et c'était le souffle court qu'il avait décroché. La nouvelle avait achevé de le laisser sans voix. Il avait eu le poste. Lui, Declan Gardner, avait été accepté en tant que psychologue au sein d'une base militaire. L'ironie de la chose ne lui échappait pas, mais il était trop surpris et soulagé pour en tenir compte. Declan se souvenait à peine de ce qu'il avait répondu ; des mercis et des confirmations d'échanges administratifs, ainsi que la date et l'heure à laquelle il devait se présenter le jour J. Il s'était assis après avoir raccroché, un sourire aux lèvres et un air abasourdi sur le visage. Enfin un pas dans la bonne direction. Il n'avait qu'une hâte : que Carter rentre pour lui annoncer la bonne nouvelle. Evidemment, Il était en période d’essai pour les trois prochains mois, rien encore de garantie à 100%, mais c’était un début. Declan savait dans quoi il mettait les pieds. Il savait qu’il n’avait pas la mentalité d’un militaire, qu’il s’engouffrait dans un milieu inconnu et dur, mais on lui avait donné le job, non ? C’est qu’il devait en être capable. D’un point de vue professionnel, ce job était extrêmement intéressant. Les traumatismes et angoisses liés à ce corps de métiers étaient nombreux et complexes, et pour la première fois depuis de nombreuses années, Declan ressentait de nouveau la passion qui l’habitait sur les bancs de l’université. Malgré tout, c’est nerveux qu’il gagna la base pour son premier jour. Il n’avait pourtant rien à craindre. On allait lui laisser le temps de s’acclimater, de se familiariser avec les locaux et le staff, mais Declan craignait encore que quelqu’un réalise soudainement qu’ils avaient fait une grosse erreur et que Declan n’était pas du tout adéquat pour le job. Autant dire qu’il fut soulagé en voyant Lennon l’attendre à l’entrée de la base. Peut-être était-il juste là pour l’accueillir avant de retourner à ses occupations, mais le simple fait de voir un visage familier le rassura d’emblée. « Hey Lennon » le salua-t-il avec un sourire et une poignée de main chaleureuse. « Je crois que je t’ai déjà remercié une dizaine de fois, mais merci encore, je ne serais pas là sans toi » dit-il, un rire nerveux aux lèvres. Declan était persuadé que sa candidature n’aurait pas passé le premier tour des éliminations sans le soutien de Lennon. Le piston, il n’y a que ça de vrai. « C’est toi qui me fait la visite ? » demanda-t-il, espérant une réponse positive.  

Au vu de l’enthousiasme que me procurait cette idée d’être celui qui allait officiellement accueillir mon cousin par alliance dans mon milieu de travail, être calme, contrairement à mes habitudes, ne fut pas tant difficile dans un premier temps. Je savais que j’avais fait exprès d’arriver d’avance, histoire de ne pas le laisser poireauter si jamais il choisissait d’en faire de même. Mais plus les minutes passaient, plus je me surprenais à regarder l’horloge, plus je commençais à angoisser. Je n’angoissais pas pour Declan, pensant qu’il avait changé d’idée, serait en retard ou un truc du genre. J’angoissais surtout pour moi, me remettant en question lentement, mais sûrement. Est-ce que j’étais au bon endroit ? Est-ce que j’étais à la bonne heure ? M’étais-je trompé de jour, de semaine, de mois ? Y avait-il eu un quelconque malentendu ? Ça semblait idiot, mais me concernant, c’était le genre de détails susceptible de me faire angoisser. Et là, ça me fit angoisser pendant quelques secondes, mais heureusement, le tout se résorba quand je vis le jeune homme passer la porte. Détendu d’un seul coup - ce qui n’était pas une sensation qui me plaisait en temps normal, au vu du bouleversement émotif que ça provoquait - je fis comme si rien ne s’était passé dans ma tête, puis je servis à mon cousin par alliance un sourire chaleureux comme rarement je le faisais, non pas que je ne voulais pas, mais parce qu’en temps normal, ça ne me venait pas aussi naturellement qu’à cet instant précis. Mais il fallait avouer que là, je n’avais aucune raison d’éprouver du stress ou de la retenue; non seulement, j’étais content que tout ait marché pour Declan, qu’il ait trouvé un boulot dans son domaine et qui, je l’espérais, allait lui plaire, mais de plus, il faisait partie d’une des personnes avec qui j’étais le plus à l’aise. Je ne savais pas expliquer pourquoi ni comment, mais je n’avais pas honte d’être moi-même en sa compagnie. Était-ce parce qu’il m’acceptait ? Comprenait ce que je vivais au vu de sa formation ? Je ne savais pas trop, mais ça me faisait sentir bien, ça me faisait sentir plus normal qu’avec quiconque probablement. Pour cette raison, ce fut sans trop de mal que je lui rendis sa poignée de main avec une aisance similaire à celle que j’avais eue quand il avait franchi la porte, même si ce confort fut chassé d’un revers de la main quand il vint à me remercier encore une fois de lui avoir trouvé ce boulot. Retrouvant mon attitude gênée qui me caractérisait si bien, je lui répondis:  « Oh… Ce n’est… Ce n’est pas grand… grand-chose tu sais… » Je ne disais pas cela pour m’attirer des compliments ou jouer les humbles, je le pensais vraiment. Tout ce que j’avais fait en gros, c’était lui présenter un poste qui pourrait être dans ses cordes, mentionner à mes supérieurs que je connaissais quelqu’un. Le reste, je n’avais rien fait d’autre, parce que je n’avais pas voulu me mêler du processus et en subir des conséquences quelconques. Mais surtout, dans ma tête, ce que j’avais fait, c’était surtout aider ma cousine et son mari, pour que ça aille pour le mieux entre eux. N’était-ce pas ce que n’importe quel membre de la famille devrait faire ? Bon, ma propre famille n’était pas tant un exemple de ça, mais ça ne changeait pas mon avis sur la question, pas envers des gens à qui je tenais et qui avaient su me faire sentir, en quelques mois, plus intégré que mes parents en plus de trente ans d’existence. Et en fait, c’était plutôt moi qui étais en train d’exprimer ma reconnaissance envers Declan pour ça, en me portant volontaire pour lui faire la visite et tout ce qui vient avec, comme je pus lui confirmer en hochant positivement la tête à sa question, puis en ajoutant, sans trop réfléchir cette fois-ci:  « Normalement ce n’est pas à moi qu’on demande de le faire… » Et je le comprenais parfaitement, et je ne voulais pas le faire non plus, sauf aujourd’hui, parce que:  « Mais pour toi, je me suis dit que je ferais une exception. » Surtout qu’en fait, si on ne me laissait pas faire, ce n’était pas parce que je ne connaissais pas la base, le boulot et tout ce qui venait avec, mais surtout parce que j’avais bien du mal à interagir avec les autres. Mais avec quelqu’un que je connaissais, ça pouvait que bien aller, je l’espérais en tout cas. Après, ça ne voulait pas dire que je savais pile comment on faisait, donc ce fut un peu plus hésitant que je vins à lui demander, ou plutôt, lui suggérer:  « Tu… Tu veux aller déposer tes affaires quelque part ? Il y a un vestiaire pour les employés, sinon, je peux toujours t’emmener à ton bureau… » Je ne savais pas tant si c’était une bonne idée de lui montrer son bureau dans un premier temps, mais en même temps, je n’étais pas sûr qu’un vestiaire lui soit aussi utile qu’à d’autres gens comme moi, qui n’avait pas de bureau ou de local assigné, sauf pour les pauses, mais ça, c’était pas mal pour tout le monde, Declan y compris.

Dans son esprit, défilait tous les premiers jours qu'il avait pu avoir dans sa vie. Ses premiers jours de classes. Ses premiers jours au boulot. Dans ses souvenirs, il n'avait jamais été particulièrement nerveux. L'école n'avait pourtant pas toujours été tendre avec lui, mais il s'était vite forgé une carapace, puis plus tard, un désintérêt profond pour l'avis et les attentes de ses camarades. Pareil pour ses premiers pas dans le monde professionnel. Il faut dire qu'il n'y avait jamais eu beaucoup d'enjeu. Barman, serveur et d'autres encore; la pression était moindre et le risque l'était tout autant. Aujourd'hui, il ressentait la nervosité dans le creux de son estomac; un sentiment loin d'être handicapant, mais particulièrement désagréable. Declan n'était pas de ces personnes qui réussissaient à trouver de la motivation dans le stress. Il n'y avait rien de "sain" dans sa peur, rien qui allait l'aider à affronter cette journée. Ça, c'était le rôle de Lennon, malgré lui. Le visage familier dans un monde inconnu.  Une poignée de main chaleureuse avant de se lancer. Lennon était plus ou moins incapable d'accepter un compliment, même s'il savait que son cousin estimait réellement n'avoir eu aucun impact sur sa candidature. Peut-être pas. Mais il avait inévitablement donné un meilleur relief à son profil et surtout, surtout, il avait insufflé de la motivation chez Declan. En lui présentant ce poste, Declan s’était déjà imaginé le futur qu’il pourrait avoir. La fierté d’un emploi digne de ce nom, la sécurité et le confort pour sa famille. Ça n'était pas rien et ça avait fait la différence. « Merci quand même  » dit-il dans un sourire, une manière de clôturer la chose. Declan se doutait bien que Lennon n'était pas habituellement réquisitionné pour faire la visite aux petits nouveaux. Il était trop soulagé pour se sentir coupable de détourner Lennon de son travail pour un petit moment. « C'est sympa » lui dit-il. « C'est toujours plaisant d'avoir un visage connu  ». Une réduction du stress qui n'était pas négligeable. Il était temps de commencer ladite visite. L’idée même d’un bureau lui paraissait incongrue. Un espace rien qu’à lui, dédié entièrement à la bonne pratique de son métier. Un monde comparé aux simples vestiaires et salles de repos qu’il avait partagé avec ses collègues au fil des années. Ça lui paraissait être tout un luxe. Un bureau sur lequel poser des photos de ses gamins comme le sentimental qu’il jurait ne pas être, des étagères où ranger ses dossiers comme il avait pu l'imaginer il y a des années de cela sur les bancs de l'université; un vrai job. Il pouvait très bien s'agir d'un placard à balai, d'une pièce humide et sombre sans aucune âme, le simple fait qu'on lui consacre de l'espace semblait spécial. Tout devenait soudainement plus réel suite à ce détail anodin mais qui illustrait bien l'étape qu'il avait franchie. Il n'avait plus qu'à être à la hauteur à présent. « Uh...je veux bien voir le bureau  » dit-il, presque gêné de l'aveux, tel un gamin incapable d'attendre avant d'ouvrir ses cadeaux de Noël.  

Sachant qu’il serait probablement fort inutile que je vienne à argumenter, m’obstiner sur le fait que je n’y étais pas pour grand-chose concernant ce nouveau boulot qu’il avait décroché, je me contentai de simplement sourire pour montrer que je prenais le commentaire en considération, que j’accusais réception de celui-ci. Après, cela ne voulait pas dire que j’avais changé d’avis entre-temps, mais j’estimais que si jamais on venait à en discuter, cela pourrait durer un moment, tourner en rond pendant tout ce temps, et la dispute, cela me rendait nerveux, et je n’avais clairement pas envie d’être en froid avec mon cousin par alliance du coup, d’autant plus que nous avions fort à faire pendant la matinée. Passant outre donc, je lui annonçai que j’étais celui qui allait lui offrir la visite guidée des lieux, ce que Declan ne sembla pas détester, au vu du commentaire qu’il vint à passer. Ne pouvant qu’approuver celui-ci du coup, je décidai de profiter de l’occasion pour lui mentionner:  « Et si tu as besoin… Pas seulement aujourd’hui… Tu sais où me trouver… Enfin… Tu le sauras… » Sachant que je n’avais pas été aussi adroit que je ne l’aurais voulu dans un premier temps, j’eus un rire nerveux et surtout, je m’efforçai de ne pas m’étaler bien longtemps sur la question, sachant très bien que c’était le genre de chose qu’on disait à la fin d’une visite, et non pas au début comme je venais de le faire. Mais au moins, c’était chose dite, et ce n’était pas comme si je lui avais annoncé une bêtise ou un truc dans le genre au passage. En effet, je savais très bien qu’avoir une personne-ressource, surtout dans un environnement aussi large que cette base militaire, c’était toujours réconfortant. Personnellement, je n’étais pas celui qui aimait le plus déranger les autres, préférant trouver la réponse de façon autonome plutôt que d’interagir avec qui que ce soit et prendre le risque d’être jugé dans le processus, parce que ma question serait considérée comme étrange, ou complètement idiote. Évidemment, j’avais appris à le faire malgré tout, mais bien souvent, je me référais aux gens que je connaissais, en particulier mon chef d’équipe. Mais si jamais je pouvais être utile de quelconque façon à Declan, que ce soit pendant ses premiers jours ou ses premières semaines ici, alors pour sûr, j’en serais plus que ravi, comme il me faisait plaisir de l’accompagner aujourd’hui, à commencer pendant la visite, visite qui pouvait commencer de deux façons différentes. Voilà pourquoi je préférai laisser mon cousin par alliance choisir, m’amusant discrètement du fait qu’il paraissait excité comme un petit garçon qui était sur le point de recevoir un cadeau de Noël. Ou bien était-ce que mon imagination qui me jouait des tours ? Trop peu certain, je ne passai quelconque commentaire sur le sujet, me contentant d’acquiescer à sa réponse et lui dire:  « Allons-y. » Sur ces mots, je commençai à marcher passé l’entrée principale, attendant d’avoir franchi quelques mètres pour mentionner au jeune homme:  « Aujourd’hui tu es entré par la porte principale, mais tu n’as pas besoin de passer ici si tu ne veux pas faire de détour. Il y a une autre porte au début de l’aile médicale, tout près de là où tu pourras te garer. » En effet, il aurait une place assignée pour s’y garer chaque jour, comme tout le monde, y compris moi. Laquelle ? Ça par contre, je ne saurais le dire pour le moment, estimant que le département des ressources humaines saurait mieux répondre que moi. Poursuivant ma route, une fois que nous eûmes franchi des doubles portes, puis entré dans une autre section de la base, je dis:  « Ici c’est l’aile médicale. L’infirmerie et au bout, à gauche. » En gros, c’était là qu’il pourrait me trouver s’il avait besoin de quoi que ce soit, voilà ce que je voulais lui mentionner. Cependant, ce ne fut pas là où je me rendis en sa compagnie, m’arrêtant quelques portes plus loin, à droite, ouvrant celle-ci sans toutefois entrer dans la pièce, annonçant seulement:  « Voici ton bureau. » Ce que je fis par la suite, c’est que je me décalai, me disant que j’allais laisser à Declan le loisir de le découvrir de lui-même dans un premier temps, estimant que je n’avais pas à me mêler de ce moment.

Si Lennon avait eu pour objectif de le rassurer dans cette première journée, il s’y prenait à merveille. Peut-être trop bien même, au point où Declan se demandait s’il n’allait pas se sentir comme jeté dans la cage aux lions une fois que Lennon retournerait à ses obligations professionnelles. Une entrée en la matière trop douce, qui ne pouvait que rendre la suite plus brutale. Mais Declan était un grand garçon, et il n’allait pas s’accrocher à pleine mains à son cousin par alliance pour atténuer ses doutes et appréhensions. Lennon continuait à lui tendre toutes les perches possibles, lui assurant qu’il serait là et disponible pour l’aider en cas de besoin. C’était extrêmement gentil, encore une fois, mais Declan s’imaginait mal importuner Lennon pour la moindre chose. S’il commençait dès le début à s’en servir comme pilier, ça n’allait pas l’aider pour la suite. Il allait avoir besoin d’une période d’ajustement, une chose normale dans toute prise de poste. Mais il allait falloir qu’il apprenne à se faire un peu mal, chose qu’il avait toujours évitée, comme le prouvait la farandole de jobs à faible responsabilité et enjeux qu’il avait eu jusqu’alors. « Je n’hésiterai pas » dit-il plutôt que d’essayer de mettre ses pensées en ordre et risquer de vexer Lennon. Il aurait aussi pu simplement dire "t’inquiète, je ne vais pas faire mon boulet et d’embêter toutes les deux minutes", mais  Lennon aurait sans doute cherché à le rassurer et contrer son autodérision. Il était gentil comme ça. Puisque tel était le but premier de cette orientation, Lennon entama la visite. Declan lui emboîta le pas, observant avec attention ce qui se trouvait autour de lui pour l’intégrer en mémoire. S’il pouvait éviter de demander son chemin à tout le monde dans les semaines à venir, ça l’arrangerait! Lennon lui expliqua où se trouvait l’autre entrée qu’il pouvait emprunter et il hocha la tête. Heureusement que l’établissement était divers dans ses employés et leurs qualifications, car sa voiture aurait fait pâle figure face aux bolides bien plus modernes et performants de certains haut gradés de la base. Peut-être pourrait-il en acheter une autre dans le futur proche. Maintenant qu’il allait avoir un salaire régulier et plus conséquent. Son véhicule actuel, il l’avait acheté en urgence auprès d’un particulier peu avant la naissance de Steve, conscient que se contenter de prendre le bus n’allait pas être compatible avec un nouveau-né. Son seul critère avait été que la voiture roule et soit aux normes ! Declan n’avait jamais fait partie de cette catégorie de mecs obsédés par les voitures, mais il ne cracherait pas sur un modèle un peu plus appréciable, dans lequel transporter agréablement ses enfants.  Lennon lui indiqua ensuite l’infirmerie, là où il travaillait, puis finalement, le fameux bureau. Son anticipation était exagérée face à la réalité de la chose, mais Declan ne pouvait s’en empêcher. Il entra dans la pièce, quadrillant chaque coin du regard jusqu’à ce que l’information s’ancre bien dans son esprit : il s’agissait de son bureau. La pièce n’avait rien d’exceptionnelle en soit, un bureau comme tant d’autre, mais encore une fois, le simple fait d’avoir son propre espace était gratifiant. Il se tourna vers Lennon, un sourire aux lèvres. « Tu sais aussi ou me trouver » dit-il, lui renvoyant ses mots d’un peu plus tôt. Car oui, ça marchait dans les deux sens. Declan savait très bien que Lennon n’allait pas avoir besoin de son aide niveau boulot, mais s’il avait un coup de mou, ou juste envie de parler de quoique ce soit, sa porte sera toujours ouverte également. « C’est comment niveau ambiance de travail ? »  demanda-t-il. Il s’agissait après tout de quelque chose d’assez important. Même le meilleur job du monde ne pouvait convenir si l’environnement de travail était médiocre. Alors certes, Declan n’avait jamais été le plus sociable, jamais partant pour apprendre à connaître ses collègues et parler avec eux, mais là il allait quand même falloir qu’il fasse un effort. Au moins, il y avait Lennon.  

J’eus un sourire léger au moment où Declan vint m’assurer qu’il allait faire appel à moi s’il avait des questions, ne cherchant pas à aller plus loin, ne cherchant pas à insister. Je n’étais pas un expert pour déceler l’expression des gens, sauf quand je les soignais, surtout pour voir s’ils avaient mal ou pas, mais quelque chose me disait que sur ce point, mon cousin par alliance me ressemblait un peu, dans le sens où peut-être il ne serait pas enclin à débarquer à l’infirmerie pour tout détail. Je ne m’osai pas à le lui dire, surtout qu’il était fort possible que je sois à côté de la plaque, le laissant plutôt considérer son bureau, ou plutôt, le bureau qu’il allait occuper, puisqu’au vu de sa sobriété, rien ne laissait voir que c’était le sien. C’était normal, après tout; de ce que j’avais compris, et en me basant sur ce qui arrivait, bien souvent, tout avait été dépouillé. Il y avait le nécessaire, mais rien d’extraordinaire. Après, ce n’était pas horrible non plus, comme je pouvais moi-même le constater depuis l’embrasure de la porte, là où j’avais décidé de rester en attendant, ne souhaitant pas m’inviter dans le bureau, laissant au nouveau psychologue de la base le temps d’arpenter les lieux comme il le souhaitait. Il fallait dire que de mon côté, l’attente me rendait quelque peu nerveux, dans le sens où je ne voulais pas que ça lui déplaise ou quelque chose du genre. C’était idiot, sachant que je n’avais pas eu tant de pouvoir sur son embauche, mais il n’en demeurait pas moins que j’étais celui qui lui avait parlé de ce poste en premier lieu, alors si cela ne lui convenait pas, pour sûr, je prendrais une part du blâme, si ce n’était pas entièrement. Tendu, je ne m’osai pas à lui demander son avis, patientant, sans que ce soit vain au final, puisqu’il vint à passer un commentaire similaire à celui que j’avait fait plus tôt, ce qui eut pour effet de me soulager quelque peu, m’arrachant même un petit sourire. Supposant que ça lui convenait, je crus quand même bon d’ajouter:  « Tu sais, si tu veux, tu peux… ajouter, changer des trucs… » Je savais qu’il ne l’avait pas demandé, mais ça me trottait dans la tête, et ça n’aurait pas cessé tant et aussi longtemps que je ne le lui aurais pas mentionné, alors j’avais décidé de le lui dire, tout simplement. Je ne perdis pas le fil de la conversation pour autant, attentif au moment où Declan vint à me poser une nouvelle question, question pour laquelle je n’étais pas si bien placé que ça pour répondre, enfin, peut-être pas autant qu’il le voudrait. Mais s’il pouvait se contenter de mon point de vue, alors c’était tant mieux. Prenant le risque que ce soit suffisant, je lui répondis donc:  « C’est bien. Enfin, ce n’est pas la fête tous les jours, mais tout le monde se respecte et se salue. » Après, il fallait s’attendre qu’une base militaire, ce n’était pas un endroit où se la couler douce et fêter. Mais en mon sens, ce n’était pas une raison pour ne pas aimer l’ambiance - mais après, ça restait encore et toujours que mon avis - d’où le fait que je poursuivis:  « Je crois aussi que certains seront bien contents d’avoir l’aide que tu peux leur apporter. » Et ça, je le dis avec un sourire plutôt confiant, ayant vécu ces derniers temps ce que Declan allait sûrement vivre au quotidien. Et franchement, je l’admirais pour ça, puisque moi-même, je n’y parvenais pas. Après, pour ne pas lui donner l’impression que je lui mettais une pression supplémentaire sur les épaules, je conclus:  « Et tout le monde s’accepte… » C’était en fait ce que je préférais ici, au vu de ma situation. Cette base, ce groupe de gens, c’était un des premiers endroits où je m’étais vraiment senti chez moi. Et ces gens, ils étaient devenus comme une seconde famille pour moi - la première étant, dans ma tête, celle de ma tante, même pas mes parents, qui passaient au troisième plan - et tout ce que j’espérais, c’était que Declan allait le sentir également. Si je pouvais aider, pour sûr, j’allais le faire, bien que là, tout de suite, je ne saurais dire comment précisément.

Ils prenaient sans doute plus de temps que nécessaire. Declan ne savait pas qu'elles avaient été les directives de son supérieur; si Lennon avait juste été réquisitionné de lui faire une visite rapide et de le balancer à son bureau, emploi du temps en main, avant de lui souhaiter bonne chance. C'est que son cousin par alliance avait sans doute autre chose à faire. Des choses nettement plus importantes que jouer les guides et babysitter jusqu'à ce que Declan se sente à l'aise. Il n'y avait pas de remède miracle cependant: il allait être nerveux aujourd'hui et sans doute pour les jours à venir. Peut-être même jusqu'à la fin de sa période d'essai ! C'était ainsi. La pression d'être à la hauteur, de faire une bonne impression et surtout, de se montrer utile. Declan s'amusa de la remarque de Lennon, lui renvoyant un sourire lorsqu'il précisa qu'il pouvait mettre sa touche personnelle dans le bureau. Loin de lui l'idée de refaire toute la peinture, mais il ne se serait en effet pas gêner pour ajouter des petites choses ici ou là, histoire de donner un peu d'âme à cette pièce vide où il allait passer beaucoup de temps. Et quitte à recevoir des personnes, autant rendre l'endroit un peu plus chaleureux. « Je n'y manquerai pas » dit-il. « Ca habillera un peu l'endroit ». Il allait faire comme ces personnes dont il s'était moqué dans le passé, et mettre des photos de sa famille sur son bureau, comme s'il n'allait pas les voir chaque soir en rentrant du boulot. Lennon s'attarda ensuite à répondre à sa question. Il était évidemment que Lennon n'allait pas lui dire que l'environnement de travail était horrible! Il n'était pas question de le faire fuir lors de son premier jour. Et Declan se doutait qu'il ne lui aurait pas parlé de ce job si l'ambiance de travail était très mauvaise. Declan avait tout de même conscience de l'endroit où il se trouvait. Ça n'était pas une start-up jeune et décalée, mais une base militaire, et cela impliquait une certaine atmosphère. Il fut tout de même rassuré d'entendre Lennon dire que la relation entre collègues était bonne. Il hocha la tête. Le respect, c'était déjà une bonne chose. Il avait assez travaillé avec des gens qui se crachaient tout le temps sur le dos. « J'espère, c'est pour ça que je suis là » dit-il, un tantinet gêné et essayant de ne pas laisser la pression le gagner. Des attendes, des responsabilités, voilà des choses dont il n'était plus trop habitué au niveau professionnel. Devenir père lui avait donné un bon coup de pied aux fesses cependant, et il se sentait plus apte à affronter la réalité de son métier qu'il l'aurait été il y a quelques années. « C'est le principal » conclut-il en entendant Lennon lui dire que tout le monde s'acceptait. « Je devrais pouvoir me débrouiller si tu dois retourner travailler » ajouta-t-il après un battement, désireux de ne pas être un boulet trop longtemps.

Spoiler:

Comment Declan comptait-il décorer son bureau ? Avait-il besoin de quoi que ce soit en particulier ? Ferais-je mieux de le lui demander ? L’idée me traversa l’esprit pendant un instant, mais au final, je décidai de me raviser. Je me ravisai parce que j’estimais que ce n’était pas à moi à le pousser de ce côté. Après tout, il venait de découvrir son bureau, il venait de découvrir les lieux. Étant une personne qui n’aimait pas être précipité d’un côté et de l’autre, il serait tout à fait idiot de ma part de lui faire subir un sort similaire. Je me contentai donc de sourire, acquiescer à ses propos, me disant que peut-être, à un moment ou un autre, j’allais voir ce qu’il avait fait des lieux. Certainement que nous allions nous croiser dans le cadre de nos fonctions, mais après, il était évident que je ne me sentirais pas embêté ou quelque chose dans le genre à l’idée de passer mon temps de repas en sa compagnie, s’il voulait bien de moi, évidemment. Parce que j’appréciais la compagnie de Declan, qui me rendait pas mal plus à l’aise que celle de bien des gens dans mon entourage, parfois même de celle de certains membres de ma famille. C’était triste dit ainsi, mais c’était la triste réalité, à laquelle j’étais maintenant habitué. Mais encore une fois, je ne me précipitai pas, répondant plutôt à ses questions, ses craintes et ce, du mieux que je le pouvais. Je lui parlai de l’ambiance, de comment je percevais les choses en ces lieux, ne cherchant pas à enjoliver la vérité. Après, peut-être bien que ma perception n’était pas complètement objective non plus, compte tenu du fait que l’armée, c’était ma seconde famille, mais pourquoi lui cacher que j’étais bien ici ? Je n’en voyais pas l’intérêt, et plus encore, je m’en congratulai quand je me rendis compte que j’avais certainement satisfait sa curiosité de ce côté. Que pouvais-je faire d’autre pour lui du coup ? Ne sachant pas vraiment, je compris bien rapidement que le mieux, c’était que je le laisse découvrir son nouvel espace, s’installer, prendre connaissance des dossiers, bref, ce qu’il avait à faire, me doutant bien qu’il le savait. Je le compris à ses propos, que je ne pris nullement mal, me contentant de lui dire: « D’accord… S’il y a quelque chose… Tu sais où me trouver… » Sachant que c’était là le moment de tirer ma révérence, je tournai les talons, fis quelques pas, mais avant de quitter, je me permis de m’arrêter, lui dire: « Je… Je suis content, que tu travailles ici. » Je n’allai toutefois pas plus loin, lui servant un sourire poli, avant de finalement quitter, retourner vaquer à mes occupations, non sans toujours jeter un coup d’oeil à la porte d’entrée de l’aile, au cas où je voyais Declan apparaître, ou simplement parce que j’avais une pensée pour lui, en cette première journée qui, je l’espérais, allait bien se passer.