Help j'ai besoin de tes conseils de pro (Soan & Ezra)

Je n’ai jamais aimé l’ambiance des hôpitaux. Il y avait quelque chose d’impersonnel et de froid qui y planait, et je n’aimais pas ça. Le blanc, les odeurs bizarres, ces sourires hypocrites d’infirmiers, qui ne sont là que pour gagner leur argent et qui s’en fichent bien de savoir si son patient irait mieux un jour ou non. Je crois que, depuis petit, je n’avais mis les pieds dans ce genre d’endroit qu’une ou deux fois. Et le plus souvent, ça avait été pour rendre visite à quelqu’un. Comme aujourd’hui. Il y avait aujourd’hui, peu de monde, et ça me convenait parfaitement. Si ce n’était pas pour Soan, je serais sûrement déjà reparti chez moi, mais je tenais à lui, et il faisait partie de ces rares personnes pour qui j’acceptai volontiers de passer plus d’une heure dans un de ces bâtiments froid et blanc, trop blanc. Quand je comparai ça aux séries, je me disais que ça n’avait vraiment aucun rapport et qu’on se faisait bien avoir quand on regardait Urgences ou Grey’s Anatomy. Sans déconner, il y avait un fossé entre la réalité et ses conneries. Mais peu importe, j’étais là de mon plein gré, et avec plaisir tout de même, car cela faisait un petit moment que j’avais eu envie de venir rendre visite à mon petit protégé. Et enfin, au bout de quelques semaines, mon planning me le permettait, alors pourquoi s’en priver. Il était plutôt maigre, et ça me faisait grimacer. J’espérais sincèrement qu’on s’occupe correctement de lui dans cet endroit, et c’est bien pour ça que j’avais décidé de passer aussi souvent que possible le voir. Je pensais bien qu’il devait se sentir assez seul. Alors, en tant que grand frère d’âme, je devais m’assurer qu’il s’épanouisse le plus possible, même dans cet état, dans cet endroit.

« C’est vrai, je plaide coupable, c’est à moi de t’instruire, c’est mon devoir de professeur. Sois sûr qu’à ma prochaine visite t’auras un sac plein de classiques. Ça t’apprendra autre chose que ta romance là ! » Je l’avais poussé volontiers, accélérant un peu dans les couloirs, faisant mine de renverser les infirmières au passage. Elles semblaient peu amusées par mon attitude mais je m’en fichais complètement, l’important pour moi c’était uniquement Soan, et j’étais convaincu que ça le ferait un peu marrer. Alors que je le dirigeais vers l’ascenseur pour aller vers la cafétéria, j’étais en pleine réflexion sur sa convalescence. Je me voyais un peu à mon âge en fait. Depuis le collège, j’étais tombé dans pas mal de merdes, alcool, drogue, bien sûr, tout le classique, et puis le reste, qui était un peu plus fort parfois. J’avais déjà eu des soucis, mais j’avais évité l’hôpital de façon intelligente. En réalité, à chaque problème grave que j’avais rencontré, les personnes qui étaient avec moi à ce moment-là ne prévenaient jamais les secours. Elles essayaient de me réveiller à l’ancienne, et jusqu’à maintenant, ça avait toujours marché. D’aussi loin que je m’en souvienne, je m’étais toujours fait du mal de cette façon, et lorsque j’avais perdu mon amant dans un accident, tout était devenu pire.

« Bah ça j’imagine bien ! Quand j’vois leur purée qui colle au plat quand tu le retournes, c’est aussi peu appétissant que le cul du cantinier. » J’avais souri en lui ébouriffant les cheveux. J’imaginais bien comme ça devait être chiant d’être coincé dans cet endroit. J’espérais sincèrement que ma visite lui ferait du bien, au moins un peu. J’avais vraiment envie de lui être utile malgré tout, même si je ne pouvais pas faire grand-chose pour lui, je pouvais au moins faire en sorte qu’il garde le moral. Et c’était sûrement déjà bien. Finalement, j’étais arrivé à la cafétéria. J’avais choisi une table un peu isolée, mais à l’accès facile, où nous serions tranquille, sans que personne vienne nous emmerder pour prendre une chaise ou autre. « Ok patron, je vous apporte ça tout de suite. » J’avais aussitôt dirigé mes fesses vers la queue, attendant à peine une petite minute, prenant tout ce que Soan m’avait demandé, et pour moi, un café serré. Je l’avais rejoint finalement, lui posant en face sa commande et une serviette. « Et voilà, rien que pour toi. » La salle était presque vide, il y avait à peine quelques médecins qui profitaient enfin de leur pause en retard. Ravi que nous soyons enfin au calme, je m’étais retourné vers lui, tout sourire. « Alors dis-moi, tu tiens le coup ? T’as des beaux médecins à mater au moins ? » Rire pour dédramatiser.

J'avais haussé un sourcil. J'observais l'environnement qui se déroulait autour de moi. L'endroit n'était pas très occupé, il y avait surtout du personnel médical. C'était un de ces jour où personne ne venait rendre visite à la famille, ni aux amis. Un jour où tout le monde était occupé ailleurs, à faire autre chose, avec on ne sait qui. Je pensais subitement à tous ces enfants qui devaient s'ennuyer jour et nuit dans cet endroit, sans personne à qui parler, sans leur mère pour leur raconter des histoires avant de dormir. Petit, je n'avais eu qu'elle, alors, j'avais toujours évité de finir aux urgences, déjà pour ne pas lui faire de peine, et ensuite parce que justement, je ne me serais pas imaginé dormir trop éloigné d'elle. En tout cas petit, en grandissant j'avais appris à faire mes armes, je sortais à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, je partais et venais dans les rues, dans les quartiers, et je lui donnais chaud, je l'inquiétais pour un rien, je prévenais jamais de mon programme. Il lui arrivait parfois, de passer sa nuit à m'attendre devant la télé, juste pour s'assurer que rien ne m'était arrivé. Elle avait eu la bonne idée en grandissant de m'acheter un portable, mais ça n'avait pas changé beaucoup de choses, seulement que je pouvais l'appeler bourré. Avec le temps, j'ai regretté de lui avoir fait subir tout ça, surtout qu'elle avait toujours bien pris soin de moi. Mais quand on est jeune, on est souvent très con, et je n'ai jamais échappé à la règle. Aujourd'hui, je lui rends souvent visite, et elle sait à quel point je l'aime. C'est moi désormais, qui me fait du souci pour elle. Elle vieillit, mais heureusement, son nouveau mari s'occupe d'elle correctement. Je ne le considère pas comme un père, mais au moins comme quelqu'un de fiable pour la surveiller et prendre soin d'elle.

« T'inquiètes pas, tu les auras tes bouquins. Et tu m'en diras des nouvelles. » J'avais pris note et bien sûr, je m'engageais à lui ramener de bons livres, j'en avais tellement chez moi que je ne voyais plus le sol. Des piles de livres partout, qui cachaient mes meubles et mes murs, ils tombaient par terre, se chevauchaient, s'empilaient comme des tours de pages, et j'adorais ça. Je pouvais vivre sans aucun problème dans le bordel, alors quand en plus il me permettait de lire quand je le voulais et où je le voulais, je n'allais certainement pas me priver. J'avais déjà quelques idées de bouquins que je pourrais prêter à Soan. D'habitude, je ne prête pas mes biens, mais avec lui j'avais toute confiance, et c'était plutôt rare, il était donc quelqu'un d'important à mes yeux car de confiance. J'aurai aussi sans doute besoin de lui en offrir un, histoire qu'il ne me prenne pas non plus pour un égoiste sans nom, et puis même, ça me faisait plaisir. J'étais content de pouvoir le faire rire, cet endroit était tellement peu réjouissant, que le voir amusé faisait tout de suite mieux passer la pilule de l'imaginer dans un endroit aussi chiant pendant des semaines. Mais je savais très bien que, quelque part, c'était quand même pour son bien, et il avait le droit à une chance, même si moi à sa place, j'en aurai sûrement pas voulu, pas par simple fierté mais parce que j'aimais la destruction c'était comme ça.

« Comment ça tu l'as pas vu ? Attends t'as jamais essayé de mater le cantinier ? Tu te fous de moi ? Pourtant il est pas trop...Non ok il est immonde laisse tomber. » Je lui avais souri. C'est vrai que j'avais déjà vu plus beau comme mec, j'allais pas mentir, il n'avait pas grand-chose à se mettre sous la dent ici. Pour le moment je n'avais pas croisé de médecin particulièrement charmant, ni une infirmière assez mignonne. Le pauvre, il devait se faire encore plus chier que je ne le croyais. J'avais soupiré, secouant la tête. « En fait c'quoi ici, l'antichambre des repoussants ? » J'avais haussé les épaules, tant pis, ma présence remonterait le niveau pour au moins quelques heures. Une fois qu'il était enfin servi, je m'étais finalement installé, prenant une chaise, celle qui me paraissait la plus confortable car j'avais pu remarquer en arrivant que la plupart avait tendance à grincer de façon plutôt agaçante, et je ne tenais pas à passer pour une personne trop grosse au moindre mouvement qui me ferait remarquer dans la salle de la cafétéria. J'espérais qu'il avait le droit de manger tout e sucre que je lui avais donné en main, et puis même au fond, tant pis, il n'avait pas le droit de faire énormément de choses ici, alors autant qu'il profite du moindre petit plaisir. J'avais jeté un rapide coup d'oeil sur le personnel qui prenait sa pause, apparemment, de toute façon, ils n'avaient pas l'air particulièrement concernés, alors qu'il mange ce dont il a envie, après tout, on n'a qu'une vie.

Finalement, le nom de Julian était venu tout seul dans la conversation, et ça m'avait fait sourire doucement, nous y voilà. Depuis quelques temps, je savais que mon petit Soan avait le coeur qui battait pour son ami, ce n'était pas difficile à deviner, quand quelqu'un parle de tout le temps d'un garçon et qu'il a les yeux pétillants, en général, ça voulait dire quelque chose. J'étais bien content qu'il finisse par m'en parler, je me doutais que le sujet arriverait un jour. En tant que grand frère a la sexualité plutôt libérée, il savait qu'il pouvait me parler et me demander tout sur n'importe quoi. Après tout mon premier et unique amour avait été un homme, mais je ne crois pas lui avoir parlé de cette histoire un jour, elle me faisait encore trop mal. « Je sais pas pourquoi mais je m'en doutais presque que tu viendras à m'en parler bientôt, et ça me fait plaisir que tu penses à moi pour ce genre de discussion, tu sais que je suis là pour toi. » J'avais rapproché la chaise de la table comme si la conversation allait être importante et grave. Bon, c'est vrai que c'était quand même le cas. « Attends, déjà, je peux que être content pour toi, si tu es certain qu'il t'aime bien sûr. Il te l'a déjà dit, ou bien t'en as l'impression ? » Je voulais pas que Soan souffre, alors je voulais les détails de l'histoire. « Il a déjà été avec un garçon ? » Tout.

Alors franchement je ne sais pas pourquoi ce cantinier revenait aussi souvent sur le tapis, c’était sans aucun doute ma faute, j’avais commencé à en parler. C’est normal, même dans Grey’s Anatomy les cantiniers sont censés être sexy, je devais sûrement être flouté par toutes ces séries, ah oui c’était bien vrai que la vraie vie était beaucoup moins amusante. Le personnel était assis, tirant une tête pas possible, comme si un fantôme se baladait sur la table en train de danser sur les Backstreet Boys. Les rares visiteurs regardaient leur café froid sans parler, juste dans le silence à observer autour d’eux, à se tortiller sur leur chaise inconfortable. L’image, était franchement glauque, cet endroit n’avait pour ainsi dire rien d’amusant, et je crois bien je n’aurai pas tenu plus d’une semaine ici. A vrai dire, non, certainement pas deux jours en réfléchissant bien. Je saluais la patience et le courage de Soan. Je ne savais pas comment quelqu’un d’aussi jeune pouvait rester aussi souriant dans une situation pareille, mais d’aussi loin que je me souvienne, ça avait toujours fait sa force, l’optimisme. Je l’avais trouvé adorable dès que je l’avais rencontré, et pour moi, trouver quelqu’un supportable et agréable à ma compagnie, c’était plutôt rare en soi. Mais lui, il dégageait quelque chose de tendre, j’avais tout de suite eu cette envie de le protéger. Sans doute que je me découvrais l’âme d’un grand-frère avec lui, moi qui avait toujours refusé d’en être pour ce demi-frère et cette demi-sœur dont je ne savais rien. J’avais souri en secouant la tête. J’avais connu mieux, je n’allais pas tomber ci-bas quand même. Et puis de toute façon, ça aurait pu être Matthew Daddario, que je serais resté à ma place. « Non sans façon mais c’est adorable de penser à moi, vraiment… » J’avais ris. Le pauvre cantinier quoi.

Heureusement la discussion reprenait, et le sujet sérieux pointait le bout de son nez. J’avais l’impression que quelque chose le tracassait, et c’est vrai que, je l’avais sans doute remarqué parce que je le connaissais bien, en fin de compte, j’étais toujours très attentif à ses besoins et à ses façons de faire. Je m’inquiétais bien souvent pour lui, je ne pouvais tout simplement pas m’en empêcher. Je me trouvais moi-même un peu lourd, ça faisait vieux chiant, et je n’aimais pas ça mais voilà, quand on aime quelqu’un, on fait le vieux chiant. Je lui avais souris doucement, c’était sans doute parce que j’avais le sens de l’observation concernant les personnes que j’aime, mais oui ça se voyait. J’avais cette impression étrange qu’il s’était retenu de me parler, d’être libre dans ses paroles, comme si il avait hésité avant de lancer la discussion. Après tout, il m’avait avoué que si il m’avait fait venir c’était pour me parler de quelque chose de précis, alors mon instinct ne me trompais sûrement pas. Je me demandais juste de quoi il s’agit, si ce n’était pas trop grave. Je voulais juste qu’il n’a pas d’ennuis, je voulais qu’il me rassure. Soan, c’est un petit gars qui compte réellement à mes yeux, on avait fini par tisser ce lien spécial, on était bien plus qu’amis, c’était comme un frère. Et je me devais d’être là pour lui. « Un peu, disons que je suis observateur, je te connais bien. Et puis je sais que tu m’as fait venir pour me demander quelque chose de précis, donc je me doute bien que t’as un truc en tête…J’espère que tout va bien tu m’inquiètes un peu. » J’avais bu une gorgée de café. Tirant la langue pour lui faire comprendre que ce n’était franchement pas bon. J’avais repoussé ma tasse en souriant. « Tu sais que tu peux tout me dire, je te jugerai pas, d’ailleurs je ne suis pas vraiment bien placé pour le faire. Je suis là pour toi, quoique tu me dises, quoique tu fasses. » C’est vrai, je ne juge personne, je ne peux de toute façon pas me le permettre. Je faisais partie de ces gens, qui avaient déjà trop vécu, trop dit, trop vu pour se permettre de donner des leçons aux autres. Moi, je me contentais d’écouter les autres. Sans rien penser, sans rien affirmer. En général, mon métier de professeur consistait aussi à ça, rester attentif, rester à l’écoute, trouver des solutions. Je fonctionnais avec mes élèves, comme je fonctionnais dans la vie. Patience et écoute. Voilà.

J’avais écouté ses aveux, sa tirade concernant Julian. Calmement, sans l’interrompre. Les yeux fixés sur son visage, sur ses mimiques. Je ne pouvais m’empêcher de sourire, car quelque part, je me doutais bien de toute cette histoire. Je trouvais ça mignon malgré moi, j’avais l’impression de m’entendre et de me retrouver il y a de ça quelques années. Sauf que sa situation à lui n’avait rien d’enviable et que je ne me souviens pas avoir vécu quelque chose d’aussi compliqué. « Ouais je vois bien le genre…La première chose, et c’est une bonne chose, c’est que tu connais ses sentiments pour toi, tu n’es pas dans le flou, tu sais que tu l’attires et que quelque chose est possible entre vous malgré tout. Donc c’est déjà une bonne nouvelle pour toi, tu peux te permettre de te laisser en amour sans craindre de te prendre un mur. » C’est vrai que c’était plutôt encourageant même si rien n’était encore gagné. « Par contre, le problème, ça vient de lui. Visiblement il a peur de s’engager, pas seulement pour lui mais à cause des autres, et souvent, le regard des autres, ça nous paralyse très longtemps voir toute notre vie. Mais il a admis ressentir quelque chose pour toi, il a déjà fait beaucoup de chemin vers toi Soan. » Je me souvenais de mes jeunes années, de mes premiers amours, de mes premiers copains. Ça me faisait bizarre de repenser à tout ça, c’était si loin et si proche à la fois que je me perdais dans mes souvenirs.

« Dis-toi qu’il n’assume pas pour le moment, mais qu’il en a pris conscience, c’est déjà énorme tu sais. Quand on ne connait pas tout ça, quand c’est nouveau ça fait peur, et certains ne se l’avouent jamais. Julian ne le nie pas et c’est déjà beaucoup. Mais je comprends, toi tu veux juste être avec lui, comme tout le monde peut être avec la personne qu’il aime. Je pense que tu devrais lui parler de tout ça, lui écrire si tu veux. Lui demander pourquoi le regard des autres le gêne tellement, essaye de comprendre ses craintes. » J’essayais d’être bon psychologue, après tout, la situation, je la connaissais depuis des années.

Pas de quoi s’inquiéter, c’était facile à dire. En réalité, dès qu’il s’agissait de Soan, je m’angoissais rapidement, j’étais un peu trop protecteur je le savais bien, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Depuis que nous routes s’étaient croisées, je ressentais ce besoin de le protéger, de veiller sur sa personne, de le conseiller. En fait, sans même m’en rendre compte, ça m’était tombé dessus un jour comme une évidence, je me comportais comme un grand frère avec lui. C’était plutôt surprenant de ma part, moi qui d’habitude ne supportais pas grand-monde de son âge en dehors du travail. Pourtant, avec lui, c’était tout de suite passé, je l’avais beaucoup aimé, et j’avais eu envie de l’aider à évoluer. C’était assez ironique comme situation quand on sait que quelque part en ville se trouve mon vrai demi-frère, de sang cette fois-ci. Et pourtant, de lui, je ne voulais rien savoir encore aujourd’hui. Je ne voulais aucun lien avec mon père, aucune personne qui puisse me lier à son souvenir. Je n’avais jamais vu son visage, et je ne voulais pas le connaître un jour, ni celui de ses enfants. Dans ma tête comme dans mon esprit, j’ai toujours été et je suis encore fils unique, ça s’arrête là. Alors bien sûr, avoir Soan, c’était particulier. Ce petit bout de garçon avait réussi à m’attendrir, et je ne me ferais plus avoir deux fois. Désormais il y avait lui, et ça s’arrêtera là. Je soupirais un peu, finissant ce café infect digne de toute mauvaise cantine. La prochaine fois que je viendrais lui rendre visite, je saurai qu’il faut plutôt prendre celui de la machine. Tant pis. J’haussai les épaules en allant lui ébouriffer les cheveux doucement, soupirant un peu en l’écoutant. « N’importe quoi, c’est normal de s’inquiéter pour son petit frère non. » Je lui souriais doucement. D’habitude je n’aimais pas avouer que je le considérais comme ça, mais vu la situation actuelle je pensais que ça ne pourrait lui faire que du bien. Je montrais rarement mon affection, alors il avait tout intérêt à en profiter. J’étais plutôt du genre discret, et les effusions de sentiments, ça n’avait jamais été pour moi. « J’en sais rien mais je n’ai pas envie de m’y habituer, la prochaine fois je passerai au Starbuck avant de venir. Et je te prendrai autant de beignets que tu veux. » Sans déconner, je ne pouvais pas le laisser se nourrir ici encore une minute de plus. En général on fait toujours des vannes sur les bouffes de cantine mais je devais bien avouer que c’était finalement vrai tout ce qu’on racontait. Je n’aurai pas tenu une heure dans un endroit comme ça. De toute façon, je n’ai jamais voulu me faire soigner dans un hôpital.

« Bien sûr que non, tu n’es pas égoïste. C’est tout à fait humain d’en demander plus. Quand on aime quelqu’un, on le veut pour soit, on veut pouvoir se montrer avec, passer toutes nos minutes main dans la main. Vouloir être heureux, ça n’a rien d’égoïste Soan. Je sais que ça doit être dur pour toi de vivre cette situation, toi tu t’es assumé, alors forcément attendre après lui ça doit être compliqué. A mon avis s’il t’a écrit c’est qu’il prend déjà conscience de la vraie nature de votre relation et c’est déjà beaucoup. Pour le moment, tu dois être présent pour ton ami, le soutenir. Je sais que ce n’est pas facile mais il n’y a que lui qui puisse faire évoluer les choses, et tu ne peux pas le forcer à aller plus vite. Sois là pour lui, fais lui comprendre que tu l’attendras. Ecris lui toi aussi, ça pourrait te soulager un peu. » Ce n’était pas du tout une situation évidente pour Soan, je le voyais bien, et je le comprenais tout à fait. Ce garçon partageait sans aucun doute ses sentiments mais s’assumer au grand jour n’est pas facile pour tout le monde. D’expérience je ne savais que trop bien qu’il ne fallait pas forcer ce genre de révélation à soi-même. C’était déjà dur de s’accepter, alors d’accepter qu’on puisse être différent des autres. Soan devait être à l’écoute, et bien que ça puisse être dur, être patient. Cette lettre était clairement encourageante, et il ne fallait pas brusquer les choses et risquer de tout gâcher par caprice. Je ne l’avais pas lu, mais de toute façon rien qu’en écoutant mon ami j’avais pu deviner son contenu, on n’apprend pas à un vieux sage à faire des grimaces après tout. J’en avais aussi reçu des lettres de ce genre à l’époque. Par contre, je n’en avais jamais écrite. J’ai toujours été l’aimé plutôt que celui qui aimait. A vrai dire, je n’ai été réellement amoureux qu’une seule fois dans ma vie. Les autres, n’avaient été que des petits amis de passage, ou petites amies. Mais peu importe, j’avais depuis longtemps perdu le seul qui avait su me faire découvrir l’amour. Désormais, je ne voulais plus revivre tout ça. Je laissais ces sentiments à la jeunesse. « T’en fait pas, je suis là pour ça tu le sais bien. N’hésite jamais à m’appeler pour parler de quoi que ce soit. Tu sais pour nous c’est naturel, mais pour d’autres, c’est presque une honte. On a eu de la chance de s’accepter, alors le mieux qu’on puisse faire c’est aider les autres. » J’ébouriffais ses cheveux en souriant. « Mais dis-moi plutôt, comment tu l’as rencontré ce Julian ? »