Charlie & Jordan | Summer School

Je me retrouvai à grimacer quelque peu quand Charlie me demanda si je parvenais à savoir ce qui pouvait embêter cet élève dans les moments plus difficiles. Puis, comme pour justifier ma réaction, je répondis:  « Pas toujours, pas tout en tout cas. Mais je peux comprendre à peu près. » Ou du moins, je pouvais déduire si c’était un problème survenu à l’école, à la maison ou en d’autres circonstances et ça, c’était ce que j’estimais être toujours un bon début. Certains pourraient dire que ce n’était rien, que c’était même ridicule que je me contente parfois du peu d’informations que je parvenais à obtenir, mais avec les élèves à qui j’enseignais, c’était ma réalité, et ça ne concernait pas seulement celui que nous étions sur le point d’aider. Après, chacun d’entre eux avaient leur particularité aussi, et les apprendre puis travailler avec, c’était, en mon sens, ce qui faisait la beauté de mon métier. Comme là, je savais que peut-être, dans un environnement plus familier, où il avait tendance à se sentir en sécurité, ce serait probablement plus facile pour lui venir en aide, d’où le fait que j’avais proposé ma classe, idée qui avait été acceptée rapidement. Esquissant un faible sourire à la réponse de Charlie, j’ajoutai:  « Son bureau est comme il était à la fin de l’année scolaire en plus. » Et la salle de classe aussi au passage. Au début, je ne pensais pas le mentionner, mais au final, je dis:  « Je n’ai pas tout rangé le dernier jour cette année… Je pensais plutôt le faire à la rentrée… Est-ce que ça dérange quelque chose ? » Personne ne m’avait dit que c’était un drame, mais je n’étais pas allé chercher très loin. Autant m’en assurer, et peut-être en profiter pour faire l’essentiel aujourd’hui, même si je n’étais pas nécessairement en condition pour faire de gros travaux manuels. Il y avait bien moyen de faire un entre-deux dans le pire des cas, non ?

Charlie avait recadré et recentré un peu la conversation sur la raison de leur présence ici. Non pas qu'elle ne souhaitait pas parler davantage de sa vie privée avec son ami Jordan, bien au contraire. Mais l'heure de la rencontre avec les parents et l'adolescent arrivait et tous les deux n'avaient encore rien préparé. Charlie devait savoir de quoi il s'agissait avant de voir les parents, et même si c'était sûrement principalement Jordan qui leur parlerai de leur fils, elle souhaitait être au courant et ne pas passer pour une plante verte juste là pour décorer. La proviseure avait demandé à son ami s'il arrivait à connaître les causes de son renfermement la plupart du temps. Elle savait que ce n'était pas chose aisée, elle en avait conscience, mais Jordan connaissait bien les enfants de sa classe alors peut-être qu'il saurait. « D'accord. Est-ce qu'il arrive à sortir de son mutisme seul ? Ou tu dois l'aider ? Ça dure longtemps ? » Ce n'était pas simple du tout. Le mutisme pouvait être la cause d'énormément de choses. Jordan proposait  qu'ils se rendent tous dans sa classe, il pensait que ça pourrait aider le jeune adolescent dans cette situation. Charlie adhérait vraiment à cette idée. Si ça pouvait le mettre en confiance, tant mieux ! "Non, ça ne dérange pas. Tu fais ce que tu veux... Si tu veux laisser ta classe comme elle l'était, c'est ton choix. C'est toi qui voit." En tout cas, Elle, n'y voyait pas d'inconvénients. Tant qu'elle était rangée un minimum pour que les agents de nettoyages puissent passer sans soucis, ce n'était pas un problème pour elle. Et puis, l'aménagement de l'espace c'est une sacré question qui demande réflexion.

 « Ça dépend de ce qui l’embête. » Si c’était quelque chose d’assez futile, ce n’était pas tellement compliqué. Si c’était plus lourd, alors là, ça pouvait devenir plus compliqué. Et si nous étions ici en plein milieu de l’été, c’était que ça ne devait pas être tout simple. Voilà pourquoi je ne dis rien pour la suite, supposant que Charlie saurait le deviner d’elle-même, et refusant d’être un peu trop pessimiste. Qui sait, peut-être que cette fois-ci, ce serait différent, peut-être qu’il n’aurait besoin que d’un coup de main, peut-être que ce serait moins long. Je l’espérais en tout cas, parce que ce serait désagréable pour pas mal de gens qui devaient se déplacer et être là. Bien sûr, je prendrais tout le temps qu’il fallait pour que tout le monde puisse lui venir en aide, c’était mon boulot et j’étais dévoué à celui-ci, même si je devais être en vacances en temps normal. Et si je pouvais le faire dans un environnement propice, c’était mieux, je me disais. Après, je ne voulais pas avoir des reproches de ne pas avoir rangé ma classe comme on nous demandait de le faire, mais rapidement, je compris que ce ne serait pas le cas au vu de la réponse de mon amie, réponse qui me rassura et qui m’arracha même un petit sourire. Réfléchissant à ce que j’allais dire par la suite, j’ajoutai ensuite:  « Tu veux qu’on aille s’y installer maintenant, ou tu préfères les attendre ici ? » Et par conséquent, essayer de voir s’il voudrait parler ici ? Un ou l’autre, quelqu’un pourrait les guider, non ? Enfin, ce n’était que ma supposition, à voir ce que Charlie préférerait. C’était à elle que revenait la décision après tout.

La jeune femme n'était pas vraiment calée sur tout ce qui était trouble du comportements ou encore trouble du spectre autistique. Du coup, Jordan était son allié dans ces moments là. Si elle se posait des questions sur un élève, ou encore qu'elle se trouvait en difficulté, elle savait qu'elle pouvait se rabattre sur son collègue pour avoir des réponses à ses questions, la majeure partie du temps. Cela dit, elle tentait parfois de se renseigner en lisant des livres, en regardant des émissions ou encore des témoignages. Mais Jordan était presque une encyclopédie par ses connaissances et surtout son expérience. Elle savait qu'elle avait bien fait de lui confier cette classe.
Bref, Jordan avait ensuite proposé, pour mettre en confiance son élève de faire l'entretien avec ses parents plutôt dans un endroit familier, à savoir sa classe. Charlie n'y voyait pas de problème, au contraire même, c'était une très bonne idée. D'autant plus que Jordan n'avait pas encore fait l'aménagement pour l'année prochaine alors cet élève aura ainsi encore tout ses repères dans la salle. « Je pense qu'on va les attendre ici, et les guider ensuite vers ta classe. Ce sera peut-être plus simple, ils seront moins perdus. » Oui parce que sinon, ils risquaient de les chercher partout vu qu'ils n'étaient pas prévenus.

L’idée de me rendre directement à la salle de classe était surtout pour éviter de perdre du temps en ce qui concernait le déplacement, conscient que je n’étais pas celui qui pouvait me mouvoir le plus rapidement en ce moment. Mais sachant très bien que nous n’étions pas en plein coeur de l’année scolaire, je n’en voulus clairement pas à Charlie de remettre en question ma proposition, acquiesçant aussitôt par un petit hochement de tête, lui signifiant ainsi que clairement, ça ne me gênait pas. Peut-être ce serait un brin plus gênant lorsqu’il nous faudrait nous déplacer et que je ne serais pas en mesure de le faire aussi rapidement que les autres, mais c’était ma condition, je devais vivre avec, et mon élève le savait déjà, donc peut-être que par sa présence, ce serait moins étrange. Je repris ensuite la parole, pour dire:  « C’est vrai. Et puis il y a pas mal moins de gens qui trainent dans l’école en ce moment que pendant l’année scolaire, je suppose. » En réalité, je faisais plus que supposer; j’étais persuadé que c’était ainsi, parce que je l’avais bien constaté quand j’étais entré ici. Si ça n’avait pas été du fait que je connaissais l’établissement comme le fond de ma poche, peut-être me serais-je retrouvé un peu démuni, je devais l’avouer. Compte tenu qu’il nous devait, pour le coup, d’attendre un peu plus, je décidai de demander à Charlie:  « Et toi, en sais-tu un peu sur le cas ? » J’avais beau connaître l’élève, j’en savais trop peu sur la raison pour laquelle nous avions été appelés ici, et puisque Charlie avait été celle qui me l’avait demandé, je me disais que peut-être elle était au courant de quelque chose d’autre, et je me disais que le mieux était peut-être de combiner les informations que nous avions pour fournir la meilleure aide qui soit à ce jeune élève et à sa famille.

Charlie savait que Jordan ressentait encore des difficultés pour se déplacer. Elle en avait conscience et son but n'était pas de le mettre de côté ou de lui mettre des bâtons dans les roues. Non, elle trouvait juste cela plus simple d'attendre les parents et l'élève ici puisqu'ils ne seraient sinon, pas au courant pour le lieu de rendez-vous. Et comme le lycée était quasiment vide en cette période de l'année, peu de monde serait disponible pour les renseigner. Donc, c'était le plus simple pour tout le monde. La classe de Jordan n'était cependant pas à côté. Mais ils s'adapteraient au rythme du professeur. Après tout, ils n'étaient pas pressés. En tout cas, pas Charlie. « Oui, c'est un peu désert en ce moment. Les vacances sont là et on s'en rend bien compte ! » La secrétaire, les conseillères d'éducation, les professeurs... la plupart étaient en vacances. Et si certains planchaient déjà sur la préparation de leur classe ou cours de l'année prochaine pour s'avancer, d'autres devaient déjà être dans un avion ou au bord de la plage. Charlie ne pouvait pas leur en vouloir, ils avaient raison et même elle aimerait en faire autant.
Jordan interrogeait ensuite son amie pour savoir si elle en savait un peu plus sur la raison de cette entrevue avec cette famille. Elle secoua la tête. En réalité, non. Pas vraiment. « Ils ne m'ont rien dit de spécial, du coup, je ne sais pas trop. Je pense que c'était surtout pour faire un bilan. Même si je trouve ça étonnant qu'ils demandent ma présence. Peut-être qu'ils veulent nous annoncer quelque chose. » Les raisons pouvaient être diverses : allaient-ils déménager, être descolarisé, ou devoir être absent plus souvent parce qu'il avait réussi à obtenir des rendez-vous dans le but de l'aider ? Ils seraient bientôt fixés.

Il était vrai que prendre rendez-vous avec une directrice et un enseignant en plein milieu de l’été, c’était particulier, d’où le fait que je supposai que Charlie connaissait la raison, pouvait me dire pourquoi c’était si urgent, et finalement ce n’était pas le cas. Pouvais-je lui en vouloir ? Pas vraiment. Si elle ne savait pas, elle ne savait pas, et je ne pouvais pas faire un drame avec ce fait. J’avais quand même pris la peine de le lui demander, et j’écoutai attentivement sa réponse, les hypothèses qu’elle vint à me fournir. L’idée du bilan n’était pas bête, je ne pouvais pas le nier, mais en même temps, ça me paraissait trop simple pour que ce soit ça, pour que ce soit fait dans un contexte pareil alors que normalement, ce genre de chose pouvait très bien attendre au début de l’année scolaire, si ça n’avait pas été fait à la fin de l’année. Un gros changement ? Ça, c’était un peu plus plausible, mais je ne pouvais pas tant le savoir. Résigné au fait que nous devions attendre et voir ce qui en serait, je finis par hausser les épaules et dire:  « On verra. » Je l’avais dit d’un ton qui ne se voulait pas négatif en quoi que ce soit. Les imprévus, ça arrivait, ça faisait partie de mon métier, ce n’était pas la fin du monde, loin de là. Sachant que nous n’en saurions probablement pas plus tant et aussi longtemps qu’ils n’arriveraient pas, je décidai de changer un peu le sujet, et demander:  « Et après ça, aujourd’hui, tu as beaucoup de choses à faire ? » Je savais que nous avions parlé de faire des plans pour aller au restaurant ou quelque chose comme ça un autre chose, mais si elle n’était pas trop occupée, peut-être pourrais-je me permettre de l’emmener manger, ne serait-ce qu’un sandwich avant qu’elle revienne s’enfermer ici ? Il fallait l’admettre, une école pleine de vie, c’était bien, mais dans des couloirs vides, cela me semblait un peu déprimant. C’était une des raisons que silencieusement, j’admettais préférer mon boulot au sien.

Rester bienveillante et aider les élèves en difficultés étaient vraiment une des priorités de Charlie dans le cadre de son travail. En tant que proviseur, elle devait avoir les yeux partout, être également un peu partout et ce n'était pas toujours facile. Etant donné que c'était enfin les vacances scolaires, les grandes, les plus longues, celles d'été, Charlie avait davantage de temps à accorder. Et c'est pour cette raison qu'elle avait accepté de rencontrer des parents et leur élève, autiste. Pour autant, elle n'avait pas d'idée sur la raison de ce rendez-vous. Jordan, son professeur serait également présent et c'est pour cette raison qu'ils s'étaient retrouvés un peu avant afin d'en discuter. D'abord de leur vie privée, et ensuite de ce rendez-vous. Ils avaient donc convenus qu'ils feraient cet entretien dans la salle de classe afin de mettre à l'aise l'élève le plus possible et non pas le mettre en position qui pouvait le mettre en difficulté. Elle avait confirmé à son ami qu'elle ne connaissait pas la raison de ce rendez-vous. Tous les deux espéraient que tout allait bien pour cet élève et que ce n'était que "futile" si on puis dire. Jordan l'interrogea ensuite sur ce qu'elle avait à faire après. Cela faisait un moment que Charlie était dans son bureau et elle ne comptait pas y passer encore trop de temps. Les vacances allaient bientôt s'annoncer pour elle aussi.  « Non, deux trois papiers à trier et je m'en vais. Enfin ! » Elle lui souriait.

Avant d’avancer quelconque suggestion, je préférais savoir à quoi m’en tenir. Je ne connaissais pas tous les détails du métier de mon amie, mais considérant que de mon côté, alors que je n’étais que simple enseignant, je considérais que le boulot n’était jamais vraiment terminé, qu’il y avait toujours quelque chose à faire, alors je n’osais pas imaginer pour elle. Mais au final, sa réponse ne fut pas si horrible, même qu’en fait, elle n’était pas si horrible du tout. Quelques papiers à trier, au vu de la façon qu’elle en parlait, ce n’était clairement pas la fin du monde. J’avais de quoi patienter à mon avis, quitte à rester dans ma classe pendant quelque temps, histoire de ne pas être trop encombrant. Enfin, c’était si ce que j’avais en tête fonctionnait. Je me refusais d’imposer quoi que ce soit à la jeune femme aussi. Mais ayant maintenant réponse à ma question et ne voyant pas pourquoi je ne pourrais pas lui faire la suggestion, je ne tardai pas plus longtemps pour lui demander, tout en lui rendant son sourire au passage:  « Ma femme travaille le reste de la journée. Si tu as le temps et l’envie, on pourrait peut-être aller manger une bouchée ensemble après ? » J’avais pris soin de lui mentionner que Zara n’était pas à la maison, comme pour affirmer de plus belle que cela ne me gênait pas et qu’au contraire, il me ferait plaisir de passer du temps en sa compagnie, même si ce n’était pas tout à fait prévu. Mais encore une fois, il me fallait son accord, que j’attendis par la suite, l’air neutre, signifiant que qu’importe si elle disait oui ou non, je ne la jugerais pas sur sa décision et si c’était la négative qui en résultait, je ne lui en voudrais pas.