the nightmares within ≡ kaya

La tournure de ma phrase laissait à désirer, je m’en rendais bien compte. Et pendant un instant, je crus sincèrement que mon patron le prenne mal, qu’il prenne ma question pour un jugement envers sa personne et ses décisions de revenir au travail suite à cet accident d’envergure, d’importance quand même. Mais au final, il me répondit, de la façon à laquelle je m’attendais en posant ma question. Pas tant que j’aurais exigé qu’il me dise ça, mais c’était ce que je voulais savoir, le pourquoi il revenait au boulot exactement, si ce n’était pas en toute tranquillité d’esprit pour son fils. Et comme je m’y en attendais un peu, ce n’était pas pour ça. Peut-être était-il hors de danger, mais Neil avait besoin de sortir de chez lui, se changer les idées, d’où le fait qu’il était là, au boulot. Certains pourraient se montrer totalement contre ce genre de mentalité, mais moi, je ne pouvais dire qu’une chose, la plus sincère qui soit, à savoir:  « Je te comprends. » Je le comprenais peut-être mieux que quiconque. Pas tant pour la partie de l’accident, je n’avais pas vraiment vécu un truc pareil précédemment, mais surtout la partie de se changer les idées grâce au boulot. J’avais fait ça, sur un temps, quand ma vie personnelle n’était pas idéale. Elle ne l’était toujours pas, mais elle était un peu plus supportable. Enfin, surtout parce que je me devais de tenter de tout balancer, raison étant que sinon, j’allais mal réagir, comme précédemment, et peut-être que là, je ferais quelque chose de beaucoup plus regrettable que la fois précédente. Du coup, je faisais avec, mais je tentais de tout équilibrer. Je ne pouvais pas pousser Neil à faire de même, mais au moins, je pouvais lui dire:  « Par contre ce n’est pas mieux si tu te tues à la tâche et qu’après, tu ne sois plus là pour ton fils quand il en aura besoin. » Je savais que Chip était un jeune adulte, mais bon, il devait certainement avoir besoin d’un coup de main après un tel accident, non ? Enfin, c’était mon hypothèse, rien de plus. Et ayant l’impression que ce n’était pas suffisant, je regardai ma tasse de café, et je dis:  « Et si tu veux mon avis, c’est pas ces murs et le boulot à faire qui va vraiment te changer les idées. » Ce n’était pas un secret que ce boulot n’était pas mon favori, n’était pas mon boulot de rêves, bien loin de là, et je n’essayais plus de le cacher. Au moins, j’avais trouvé des échappatoires, que je ne partageais pas vraiment, même si là, je me dis que cracher un de mes « secrets » n’était pas trop mal. Du coup, je dis:  « Le temps est bon dehors, et le toit est un endroit bien agréable pour prendre l’air. » Pourquoi ne pas aller terminer le café là-haut ? C’était ce que j’aurais peut-être dû ajouter, mais je me disais que mon discours était assez évident. Après c’était une idée comme ça, comme le fait que j’avais haussé les épaules en prononçant mes dires le prouvait, même si je pensais que ça ne pourrait pas lui faire de mal, et à moi non plus, d’ailleurs.

J’avais l’impression que qu’importe ce que j’allais dire à Neil, je ne pourrais pas le faire changer d’idée, je ne pourrais pas avoir raison et surtout, je ne pourrais pas arriver à lui faire admettre que sa façon d’agir n’était pas la meilleure dans la situation présente. Je n’allais pas m’en vexer pour autant, je savais d’emblée que c’était un combat perdu d’avance. Neil avait sa force de caractère comme j’avais la mienne - ce qui faisait des flammèches parfois, tout le monde sur l’étage le savait - et il l’imposait de nouveau, me laissant comprendre que peut-être le mieux était de ne pas provoquer de dispute, il n’en avait pas besoin et moi non plus. Bon, je n’allais pas rester sans rien dire non plus, supposant que j’avais bien le droit de l’embêter un peu lorsqu’il me demanda s’il avait l’air de se tuer à la tâche, répondant plus ou moins sérieusement:  « Bah je sais pas ce que tu fais, mais ça ne te réussit pas ! » Il s’inquiétait, je le savais. Il ne devait pas être productif non plus, je m’en doutais bien. Je ne pouvais pas dire que je ferais de même, ma situation ne pouvant se comparer à la sienne d’aucune façon, mais mon point était surtout qu’il ne semblait pas prendre du mieux, que ce soit chez lui ou ici. Je ne dis rien quand il renchérit en disant que rien ne servait de rester non loin de son fils et se montrer étouffant, haussant juste les épaules, comme si, en quelques sortes, j’admettais que je ne gagnerais pas, même si je le savais d’emblée. J’avais tenu tête un moment, je supposais, mais pas suffisamment, il fallait croire. Parce qu’au final, il me dit que d’une certaine façon, j’avais raison, que le boulot n’était pas la meilleure idée qui soit pour se changer les idées. Inévitablement, j’eus un sourire en coin, mais encore une fois, garder le silence me parut un peu plus approprié que d’ajouter quelque chose. Cela donna l’occasion à Neil de poursuivre ses propos, auxquels je répondis d’un hochement de tête, encore une fois sans rien dire. Enfin, je ne dis rien sur le sujet, proposant plutôt d’aller prendre l’air. Ce n’était pas comme si nous allions faire quoi que ce soit de productif ici et maintenant pour le coup. Rapidement, il acquiesça, et refusant d'attendre plus longtemps, je pris, en sa compagnie, la direction de la sortie de la salle. L’air frais me fit frissonner dans un premier temps, mais je ne tardai pas à m’y habituer. Ce n’était pas de quoi demander à rentrer. Tournant la tête vers mon patron, je soupirai à sa question, répondant:  « Ça va. » Volontairement, je ne m’étalai pas trop pour le moment, ayant besoin de réfléchir à si oui ou non, je voulais m’étaler. Parce que ce serait ennuyant, parce que je ne pensais pas que Neil avait besoin d’être embêté par des tracas au-delà des siens. Mais pour ne pas rien dire non plus, j’ajoutai, dans un rire nerveux:  « Il n’y a pas grand-chose à raconter en fait. Ces derniers temps je passe mes journées ici. » En gros, je venais de dire la chose à ne pas dire, je sentais bien. Me sentant un peu honteuse, je crus bon de me rattraper en disant:  « Enfin, c’est pas comme si c’était si terrible. Je n’ai pas une vie bien chargée à l’extérieur. » Et tristement, c’était vrai. Je n’essayais pas de le faire sentir mieux - enfin, peut-être un peu - mais il n’y avait nul besoin de s’attarder sur ma vie, c’était plutôt ça que je voulais dire, j’en avais l’impression.

C’était vrai que j’étais encore jeune, c’était vrai que je pourrais faire autre chose, que je pourrais sortir, aller boire un verre, en profiter et rentrer au travail le lendemain avec un léger mal de tête et une grosse fatigue. Il était vrai que je pourrais faire autre chose que de me tuer au travail chaque jour, encore plus ces derniers temps, vu l’absence de mon patron. Rien ni personne ne m’en empêchait vraiment, sauf une personne; moi-même. Pourquoi précisément ? Le pire, c’était que je ne saurais même pas le dire. Je n’en avais pas envie, je n’en voyais pas l’intérêt. Ou était-ce parce que je me sentais mal d’en profiter quand je savais que je pourrais très bien faire quelque chose de plus productif, de plus concret. Ou bien était-ce la peur au fond de moi d’être jugée par mon entourage, comme toujours je l’avais été pendant ma vie ? Mon psychologue me l’avait dit; j’étais une personne avec un bagage compliqué, une expérience de vieille personne. J’étais une vieille personne au fond de moi. Quoique… Peut-être pas si vieille que ça. Peut-être l’âge de mon patron. Évidemment, je ne le lui dirais jamais comme ça. Pour être franche, je ne savais même pas ce que je pourrais lui dire. Le fait que personne ne devrait passer du temps de plus à son boulot, j’étais d’accord. Je ne pouvais pas ajouter quoi que ce soit. Son autre propos, il était bien flatteur, mais tout ce qu’il m’arracha, ce fut un sourire triste. Ce sourire triste toutefois, il disparut à son dernier commentaire, pour prendre un air simili amusé. Cette partie, ce fut probablement la plus simple à rectifier, d’où le fait que je ne tardai pas à dire:  « Tu n’es pas une mauvaise compagnie. » Même que dans un cadre informel, il n’était pas de mauvaise compagnie du tout. Dans un cadre plus formel non plus, même si bien souvent, c’était moi qui lui rendait la vie un peu plus dure, quand quelque chose ne convenait pas ou que je me prenais la tête avec un fournisseur ou un distributeur. Au quotidien, en gros, autant le dire ainsi. Soupirant doucement, j’ajoutai:  « Honnêtement je ne vois pas l’intérêt de sortir bien souvent. Même lorsque je finis à l’heure, je réfléchis, puis je finis toujours aux deux mêmes endroits. » Mon appartement avec mon cochon dinde ou bien le refuge pour sans-abris ou j’aimais faire du bénévolat. Sachant que ça ne venait pas tout justifier, que ça me faisait passer pour une paresseuse, je finis par conclure avec un:  « Pour être franche je préfère économiser plutôt que d’aller dilapider mon argent dans du mauvais alcool et des restaurants. » C’était probablement une des premières fois que je me permettais de parler de mes éventuels projets, même si c’était que de façon sous-entendue. Enfin, Neil avait probablement déjà deviné précédemment que rester son assistante n’était pas mon grand projet de vie, mais jamais je n’en avais vraiment discuté ouvertement. Peut-être parce que je ne voulais pas qu’il le prenne mal, ou peut-être parce que l’occasion ne m’avait jamais vraiment été donnée comme maintenant. Les deux options étaient plausibles, d’autant plus qu’il y avait encore une possibilité qu’il n’en sache pas plus, parce que je n’allais pas commencer à faire un monologue sur ça alors que peut-être il n’avait même pas envie de l’entendre, ce que je ne pourrais pas lui reprocher.