fool me twice ≡ devon

Dans le climat actuel – l'emprisonnement de son frère, la suspicion de ses collègues et supérieurs - Nash s’attendait à ce que son quotidien soit bouleversé par des informations et des actions inattendues. La routine n’avait jamais vraiment fait partie de sa vie de toute manière. Le coup de fil qu’il reçu ce jour là, il n’aurait décemment pas pu l’anticiper. A des années lumières de ses préoccupations, il lui fallut d’ailleurs quelques instants pour qu’il comprenne ce qu’on lui racontait. Et qui lui racontait. Denise. Denise avec sa voix fluette et des intonations parfaitement étrangères. Loin de celles qu’il pensait côtoyer depuis presque un an. Elle comblait son silence d’une traite, relatant un speech qu’elle semblait avoir répété plusieurs fois avant de le délivrer à son audience de choix. Lui. Cet homme qu’elle aurait dû rencontrer dans un restaurant il y a plusieurs mois. Une opportunité gâchée qu’elle avait ressassée encore et encore avant de se dire qu’il était peut-être temps de se donner une deuxième chance. Ça n’était pas un bon moment pour Nash, si bien qu’il s’excusa d’une voix pâle, lui annonça qu’il avait à faire et qu’il la rappellerait. Car c’était la chose à dire. Car il lui devait bien ça pour avoir laissé une parfaite inconnue se faire passer pour elle. Nash se laissa tomber un instant dans son canapé avant d’enfouir son visage dans ses mains et d’y étouffer un soupire, puis un juron. Quel abruti. Evidemment qu’elle semblait différente du portrait qu’on lui avait dressé. Evidemment qu’elle exerçait un job des plus insolites, si loin des activités que l’on associerait à une assistante médicale. Denise n’était pas Denise et s’était bien payé sa gueule. Nash se releva furieusement, d’abord étonnamment déçu et – oserait-il le dire – blessé, avant de laisser la colère reprendre le dessus. Pourquoi ne lui avait-elle jamais rien dit? Après leur première nuit ensemble? Après les rencontres qui avaient suivies ? Évidemment qu’il fallait qu’elle soit une fraude, cette femme dont il ne semblait pas encore se lasser. Qu’il appréciait plus que toutes celles qui l’avaient précédées. La première depuis Carter. Finalement, il n’avait aucune idée de qui elle était. Aucune idée des motivations derrière ses actions. Mais Nash commençait à trouver une réponse plausible; un stratagème vieux comme le monde : séduire pour mieux se rapprocher, baisser sa garde et lui soutirer toutes les informations et preuves qu’elles souhaitaient.  N’était-ce pas une terrible coïncidence qu’ils se soient rencontrés au moment même où les premières rumeurs vis-à-vis de Rhett étaient apparues? Peut-être que ça avait été moins personnel que ça au début. Il avait assez d’informations sur les dessous de son parti pour que le jeu en vaille la chandelle.  Le champ des possibilités commençait à le rendre dingue, et il attrapa brusquement son téléphone qui reposait sur la table. Nash pouvait sentir l’humiliation se mêler au reste. Comment avait-il pu être aussi dupe! Sans y réfléchir davantage, Nash lui envoya un message. Le nom “Denise” en haut de son écran semblait presque moqueur. Il savait qu’elle finissait son travail bientôt et serait capable de le retrouver non loin dans une heure. Si ça n’était pas un mensonge. Il était temps de découvrir toute la vérité. Il méritait bien ça.

Bien confortable entre ses draps, Devon profitait de cette grâce matinée pour se prélasser dans son lit. La matinée était finie depuis belle lurette, mais ça n’empêchait pas la jeune femme de profiter du temps libre qu’elle possédait pour se relaxer. Elle en avait besoin, ces derniers temps elle semblait enchaîner les heures supplémentaires à celles d’une journée normale. Que ce soit par le travail, ses amis ou ses conquêtes d’une ou plusieurs nuits. Cette fois, elle n’avait rejoint personne après son boulot, atterrissant dans son lit, bras ouverts pour mieux accueillir sa chaleur réconfortante. Elle avait dormi comme une marmotte qui hiberne, rechargeant sa batterie pour mieux enchaîner les prochaines heures. Une jambe en dehors de ses draps laissait l’air tiède de la pièce caresser sa peau chocolatée. Elle peinait à ouvrir les yeux tant elle se sentait bien. Un confort comme elle ne l’avait pas ressenti depuis longtemps. Désormais qu’elle vivait seule, une tranquillité planait dans l’appartement et elle ne pouvait qu’en profiter un peu plus à cet instant alors qu’elle laissait les rayons du soleil caresser la peau nue de son dos. Elle se sentait bien et en aucun cas elle souhaitait mettre fin à ce moment de plénitude. Elle entendait son portable vibrer, un son incessant. Poussant un soupir, elle laissait les draps quitter sa peau pour retomber fluidement sur son lit, alors qu’elle se redressait pour regarder autour d’elle. En arrivant, elle n’avait pas trouvé mieux que de se dévêtir entièrement plutôt que de penser à mettre un pyjama. Elle remarquait un petit tas de vêtement près de son lit, cherchant à tâtons, elle trouvait son portable dans une poche de son short. L’heure s’affichant sur son écran verrouillé lui disait que l’après-midi laissait sa place à la soirée. Elle avait décidément choisi de se prélasser comme jamais ! Elle posait son regard sur le prénom qui s’affichait au-dessus du message. Nash. Un sourire étirait ses lèvres pleines. Elle répondait avec quelque chose de bref, mais si elle voulait y être dans une heure, elle devait bien faire vite. Elle sautait dans la douche, zappant de mettre des sous-vêtements sous les vêtements qu’elle avait tenté de sélectionner en pensant à ce que Denise aurait pu mettre. C’était ridicule, elle le savait, mais lui ignorait la vérité. Ce mensonge, elle le traînait depuis tellement longtemps qu’elle ne savait plus comment s’en sortir. Elle s’attachait à cet homme, plus qu’elle ne le devrait sans doute et face à lui, elle ne trouvait pas la force de lui dévoiler la pauvre fille qu’elle était. Pourtant, jamais il ne l’avait jugé, mais la peur de l’abandon, que ce qu’ils avaient changent, la conduisait à entretenir un mensonge. Elle enfilait des talons tout en appelant le central des taxis de la ville, n’ayant pas le temps de prendre les transports en commun. Fin prête, elle sortait, sautait dans le taxi se trouvant devant son immeuble. Elle arrivait au Cole’s avait quelques minutes de retard. Mordant sa lèvre inférieure, elle était rentrée dans le bar cherchant le brun du regard. Trouvant le politicien, elle s’était dirigée pour le rejoindre. « Je suis désolé de mon retard. » disait-elle en prenant place en face de lui. Elle lui adressait un sourire. « Tu semblais pressé de me voir. Si t’es en manque on pouvait se voir chez toi ! » elle plaisantait, même s’il y avait un fond de vérité. Elle ne comprenait pas pourquoi son message semblait si froid, mais en regardant son visage, elle comprenait que quelque chose n’allait pas : « Ça va ? » demandait-elle soucieuse de son état, elle levait même la main pour vouloir caresser son front voir s’il faisait de la fièvre, mais se ravisait aussitôt en voyant son regard. « Qu’est-ce qu’il y a Nash ? »  

Il était en avance. A peine le sms envoyé qu’il sortait en trombe de son appartement, animé par sa fureur et sa sachant incapable de rester passif chez lui. Ruminer et analyser chaque moment passé avec cette soudaine inconnue n’allait rien lui apporter de bon, et pourtant il ne pouvait s’en empêcher. Il décida de se rendre à pied à leur point de rendez-vous, convaincu que de grandes foulées et l’air frais de la soirée suffiraient à le faire redescendre en pression. Il jeta un coup d’œil à son téléphone: Devon lui avait confirmé sa venue. Ok. Ça allait donc se passer. Nash était prêt, du moins il le croyait. Il allait la confronter, et peut importe ce qui allait en ressortir, il avait besoin de savoir la vérité! Mais encore une fois, comment pouvait-il s’assurait qu’elle lui dirait les véritables faits? Pouvait-il croire une seule chose sortant de ses lèvres? La chose la plus pathétique là-dedans était sans doute le fait que, par-dessus tout, il crevait d’envie de savoir comment elle s’appelait. C’était idiot, naïf et terriblement obsolète, mais être incapable de mettre un prénom sur ce visage qu’il connaissait si bien maintenant, lui paraissait insoutenable. Il avait beau y penser encore et encore, il ne voyait pas d’autres explications plausibles qu’un stratagème pour lui soutirer des informations! Sinon quoi d’autre?! Pendant des mois! Nash tourna à l’angle d’une rue brusquement et dû faire un pas de côté pour éviter un piéton déboulant en sens contraire. Il s’excusa précipitamment. Il n’était pas d’humeur. Il arriva au Coles Coffee avec toute la fougue d’un homme près à dépenser une petite fortune en boissons alcoolisées. Il connaissait bien les lieux; y avait passé ses jeunes années d’adulte à découvrir les joies de l’alcool, et celles d’après à y retrouver des amis d’enfance. Il avait beau ne plus y habiter depuis plusieurs années, Anacostia restait le quartier où il se sentait le plus chez lui. Soudainement, il lui parut idiot d’avoir convié Devon à le rejoindre dans ce lieu qui lui était si familier et si particulier. Il lui avait assez donné comme ça. Mais c’était trop tard à présent. Elle était sans doute en route. Nash commanda tout de même une bière en l’attendant, pour s’occuper l’esprit et ne pas donner l’impression d’un gars qui attend désespérément une gonzesse prête à lui poser un lapin. Puis finalement, elle arriva. Le regard de Nash s’accrocha automatiquement à sa silhouette, se faufilant parmi les tables et les clients jusqu’à le rejoindre. Elle s’excusa de son retard, un sourire aux lèvres, et Nash resta de marbre. Devon aurait sans doute pu continuer comme ça encore et encore, à le duper sans le moindre remord. Ça finissait aujourd’hui. La plaisanterie qu’elle lui délivra suffit à raviver sa colère. Ça l’aurait amusé s’il était resté dans l’ignorance, mais à présent, ça lui paraissait terriblement cru et malsain. Encore une fois, il ne dit rien, se contentant de la fixer et esquissant un mouvement de recul lorsqu’elle tendit sa main vers son front. Devon n’était pas bête, et elle finit enfin par poser la question qu’il attendait. « J'ai reçu un coup de fil très intéressant » entama-t-il avec une fausse nonchalance. « D'une certaine Denise » continua-t-il, observant l’effet de ses paroles sur le visage de la jeune femme. « Elle semblait tellement coupable de m’avoir fait faux bond à notre blind date. Elle aimerait une seconde chance ». La pauvre. Elle pouvait être parfaite que Nash serait incapable de consentir à la voir à cause de toute cette histoire. « Imagine ma surprise » acheva-t-il, une ironie acide aux lèvres.

Le mouvement de recul qu’eut l’homme en face d’elle, la surprenait, Nash n’avait jamais eu ce genre de réaction, renforçant ainsi son idée que quelque chose n’allait pas. Et c’était le cas. Elle n’avait juste pas idée à quel point, mais elle ne saurait tarder. Croisant ses bras sur la table, elle l’observait. Un coup de fil. Peut-être son frère ? Elle avait eu vent de cette histoire, mais elle n’avait pas rebondi dessus, estimant qu’il n’avait pas besoin d’une personne de plus pour lui rappeler que son frère était désormais derrière les barreaux. Elle avait plutôt fait le choix de lui changer les idées, de le détendre, lui faire penser à autre chose. Elle avait tout faux, ça n’avait rien à voir avec son frère et elle le comprenait alors qu’il nommait Denise. Si sa peau n’avait pas été d’un doux moka, elle serait devenue livide. Entrouvrant ses lèvres, elle affichait sa plus grande peur envers le jeune homme : qu’il découvre la vérité à son sujet. Elle baissait le regard, laissant ses ongles gratter la table. Honteuse. Minable. C’était ainsi qu’elle se sentait, alors qu’elle se trouvait devant le fait accompli. Désormais, il savait. Enfin, il savait qu’elle avait menti, qu’elle n’était pas Denise, cette femme qu’elle ne connaissait pas, mais qu’elle estimait bien mieux qu’elle. Elle relevait son regard vers le brun, elle n’avait osé parler et elle cherchait encore ses mots en le regardant. « Je suis désolée. » disait-elle finalement. Si elle se sentait terrifié à l’idée qu’il sache, elle sentait tout de même un poids se retirer de ses épaules. Elle n’avait plus besoin de se cacher, de mentir – enfin certaine chose elle préférait tout de même les garder pour elle – elle pouvait être elle, même si elle se doutait qu’il ne voudrait sans doute jamais savoir plus. Elle avait trahi cet homme et seule elle pouvait en payer le prix. Si elle lui avait dit depuis le départ qui elle était, rien de tout cela ne se serait produit. « Je n’ai pas d’excuse pour ce que j’ai fait… mais tu as bien droit à la vérité. » Elle avait tout simplement envie de se cacher sous la table, beaucoup trop honteuse de ce qu’elle avait osé lui faire. Avant qu’il ne sache, elle se disait que ce n’était pas grave, qu’elle pouvait être Denise pour lui si ça lui permettait de la voir, mais maintenant qu’il savait elle réalisait aussi qu’il ne connaissait pas qui elle était. « Ce fameux soir, j’ai longtemps hésité à te dire que je n’étais pas cette femme. J’ai été envieuse d’elle. Je ne sais pas pourquoi, je désirais être elle. » C’était définitif, elle se sentait idiote, puérile. Elle continuait toutefois sur sa lancée : « C’est absurde, je le sais. Je n’aurais jamais dû faire ça. Seulement, plus je parlais avec toi, plus je découvrais une personne tellement loin de ces gens que je connais. J’ai pris la place de celle que j’estimais être la mieux pour toi… Je ne pensais même pas te revoir, mais ce fut tout le contraire. On s’est revu et chaque fois j’ai pensé à te le dire, mais je n’y arrivais tout simplement pas. » Par peur, mais cela elle n’osait lui dire. Elle ne comprenait même pas pourquoi elle avait cherché à être si parfaite à ses yeux. Elle se prenait la tête entre ses mains. « C’est tellement… Je me sens idiote. » disait-elle surtout pour elle-même, ne souhaitant d’aucune manière qu’il retourne le couteau dans la plaie, alors qu’elle savait pertinemment qu’elle méritait bien pire. Elle écartait ses mains pour le regarder. « Je m’appelle Devon. »

Nash n’avait pas espéré un quiproquo miraculeux qui réduirait ce moment à une anecdote un peu gênante dont ils pourraient rire tous les deux. Il ne faisait aucun doute que la jeune femme lui avait menti sur toute la ligne, mais s’il avait eu l’ombre d’un doute, celui-ci se serait évaporé à la vue du visage de son interlocutrice. La teinte animée de sa peau devenait terne au fur et à mesure de ses mots, jusqu’à laisser sur son visage un profond sentiment de malaise. Elle paraissait sur le point d’être malade. Pire, elle semblait terrifiée. Ses lèvres s’entrouvraient autour de mots qu’elle n’avait pas encore choisi; sans doute des excuses qu’elle jugeait insuffisantes. Elle n’avait pas tord. Nash imaginait mal comment elle pouvait justifier de telles actions. Et pourtant, une part de lui était curieux de les entendre, telle une anarque particulièrement bien ficelée qu’on crève d’envie d’en apprendre les dessous, même en étant la victime. Sans surprise, elle s’excusa d’emblée. Elle n’avait que ça à faire, que des platitudes à délivrer pour se défendre à défaut de pouvoir rester silencieuse. D’une certaine manière, Nash était quelque peu déçu. Il s’était plus à l’imaginer comme une femme vénale et forte, déçu de voir son plan échouer mais certainement pas embarrassé de sa mascarade. Une femme fatale qui ne s’écrase devant personne et ne dispose d’aucuns regrets. Peut-être aurait-ce été plus facile si ça avait été le cas. Plus facile de l’oublier, plus facile de la haïr. Elle reconnaissait au moins n’avoir aucune arme pour se défendre, mais elle avait raison: elle lui devait bien la vérité. Du moins, sa version. Nash restait de marbre, les bras croisés sur la table et le regard vissé sur elle. Il allait écouter son histoire. Après ça, il ne lui devait rien de plus. La chose lui paraissait presque construite : une histoire à l’eau de rose où elle se dépeignait comme le vilain petit canard et lui le prince charmant. Nash n’avait jamais cherché la princesse dans l’histoire. Ne s’en était-elle pas rendu compte lorsqu’il n’avait rien dit en apprenant son activité dans le club de strip-tease? Et qu’avait-elle à envie de cette Denise? Nash n’avait su d’elle que son prénom et son métier. Rien de plus. Il ne voyait vraiment pas quoi ce qui provoquait de la jalousie dans cette description sommaire. C’était complètement idiot. Elle avait été complètement idiote en effet. Puis, finalement, elle proposa un prénom. Nash la regarda un instant, imperturbable. « Et ça, c’est la vérité? » demanda-t-il d’une voix calme, intransigeant. Oui, ça lui paraissait bête. Peut-être trop bête pour être vrai, ou juste assez pour être crédible, il n’en savait rien. « Tu t’appelles Devon et tu m’as menti à cause d’un complexe d’infériorité face à une parfaite inconnue? » continua-t-il, plus sèchement, dans un haussement d’épaule. Elle ne l'avait pas encore du tout convaincu que l'arnaque ne venait pas d'ailleurs. Qu'elle n'avait pas joué sur des sentiments fictifs pour des raisons plus néfastes.

Jamais elle n’avait suée autant et pourtant, dans son dos, quelques gouttes de sueur venaient prendre place glissant le long de sa colonne pour s’évanouir au contact du tissu. La nervosité s’était emparée d’elle, bloquant toute rationalité dans ses idées. Elle se sentait coupable et idiote tout au long de ses propos. Comment avait-elle pu ? Elle se demandait bien pour quoi elle avait fait tout cela ! Mais au fond d’elle-même, elle en connaissait la réponse. Facile lorsqu’elle savait que tout ceci n’était pas bien différent de sa vie d’avant. Mentir. Elle l’avait toujours fait. Elle ignorait même comment être entièrement honnête. Son prénom n’était qu’un souvenir dont elle ignorait s’il était vrai ou non, sans papier pour affirmer ses pensées elle ne pouvait que forger sa vie sur un songe. « Oui. » Pour elle se l’était. Si elle avait perdu la mémoire de sa naissance à ses six ans, oubliant tout, elle savait que Devon était pour elle son véritable prénom. Glissant ses doigts dans ses cheveux tressés, elle poussait un soupire. « Dis ainsi me semble bien plus idiot encore, mais oui. Je m’appelle bien Devon et j’ai voulu être quelqu’un que je ne suis pas. » Sa main retombait mollement sur la table. « Je comprends que tu m’en veuilles. Je ne te demanderai pas de pardonner mes actes. J’avais fait ça parce que j’ai toujours caché ma vie. Je ne te demande pas de me croire, mais pour moi, n’importe quelle vie serait meilleure que la mienne. » Elle ne pensait pas dire cela, mais les mots lui échappaient. Une part d’elle désirait qu’il comprenne, alors qu’une autre ne cherchait qu’à survivre face à lui. Elle réussissait tout de même à se taire, empoignant sa lèvre inférieure de ses dents, signe qu’elle retenait se flot de paroles qui affluaient en elle alors qu’elle posait son regard sur l’homme devant elle. Son regard le détaillait, cette nonchalance ne lui plaisait pas particulièrement en le regardant, mais elle ne pouvait faire autrement que de perdre son regard sur lui, cherchant une infime ouverture. Mais rien. Elle n’en voyait aucune de sa part. « Tu accepterais qu’on recommence à zéro ou tu préfères que tout prenne fin ici ? » C’est tout ce qu’elle pouvait faire, lui laisser le choix de leur avenir. Bien qu’elle ne pensât n’en avoir aucun même si elle serait prête à lui dire une part de vérité.

Devon. Nash se surprenait à tester le prénom sur ses lèvres, comme pour appréhender cette nouvelle identité qu’on lui proposait. Ce n’était pas chose aisée; de défaire pièce par pièce tout ce qu’il savait de la jeune femme face à lui, tout ce qu’il avait aimé chez elle et qu’il avait cru sincère. Il se devait maintenant de repartir de zéro, avec le poids du mensonge entre eux. Du moins, s’il décidait de lui donner une seconde chance; et rien n’était moins sûr. Comme la plupart des personnes sur cette Terre, Nash détestait qu’on le prenne pour un con, et se voir berner par une personne qu’il appréciait sincèrement n’en était que plus dur à digérer. Même s’il décidait de les croire, les explications de Devon lui paraissaient toujours absurdes. Elle en avait également conscience et ne manquait pas de lui dire. Nash se contenta de l’écouter, impassible, se sentant presque à l’étroit dans ce bar pourtant paisible. Nash ne pouvait pas vraiment compatir. Ce n’est pas un sentiment avec lequel il était familier: jamais il n’avait souhaité être quelqu’un d’autre. Même lorsqu’il était môme et ancré dans la misère financière de ses parents, il ne s’était pas pris au jeu de l’illusion, à se torturer inutilement en imaginant un autre quotidien. Non, au contraire, ceci lui avait donné la motivation de tout faire pour changer lui-même sa situation. Évidemment, il ne connaissait pas le passé de la jeune femme et les horreurs qui pouvaient s’y cacher, mais il avait la conviction qu’on a toujours le choix et qu’il ne tient qu’à nous de baisser les bras ou de réagir. Peut-être surfait-il seulement sur la vague de sa déception et sa colère, mais il ne trouvait pas en lui la force de la plaindre. « ça ne tient qu’à toi d’en faire quelque chose de mieux » dit-il, histoire de faire son difficile sans pour autant dénigrer ce qui pouvait être une expérience traumatisante. Il n’était pas là pour jouer l’amant meurtri qui devient cruel après s’être fait avoir par une nana.  Il fut presque surpris lorsque Devon lui proposa d’en finir. Il s’agissait là d’une drôle formule d’une certaine manière. Qu’étaient-ils vraiment? Des amants? De simples amis profitant du physique avantageux de l’un et l’autre? Le début d’une relation? Nash laissa son regard dévier de son interlocutrice tandis qu’il se reculait contre le dossier de sa chaise, agacé et tiraillé. Il était entré dans ce bar comme un homme en mission; là pour découvrir la vérité et peu enclin à poursuivre quoique ce soit avec elle. Mais sa rage s’était épuisée face à ce bref échange et le visage démuni de la jeune femme. Dans une pensée qui menaça de lui arracher un sourire aigri, il réalisa qu’il avait toujours eu raison de ne pas trop s’impliquer avec les filles qu’il fréquentait. C’était plus simple ainsi. Mais il aimait bien cette foutue fille, et ça l’énervait plus qu’autre chose d’être miné par la perspective de ne plus jamais la voir. Recommencer à zéro ne serait-il pas un acte de faiblesse? Pouvait-il vraiment lui faire confiance? Bon sang, il n’en savait rien.  Jusqu’à ce qu’il prenne une décision. Nash se redressa sur sa chaise, plantant ses coudes sur la chaise pour lui donner son propre ultimatum. « Ok, on recommence à zéro » dit-il en hochant la tête, un brin trop intense. « Parle-moi de toi » continua-t-il, presque un défi.

Un soupir brisait la barrière de ses lèvres. Non pas lasse, mais épuisé. Ce que venait de lui dire Nash, ce n’était pas la première fois qu’elle entendait ce discours, mais parfois changer de vie, se prendre en main n’est pas une chose aisée. Elle le savait plus que quiconque. Elle avait essayé de changer, de s’offrir quelque chose de mieux, elle y était parvenue à son sens c’était beaucoup mieux, mais elle ne pouvait améliorer son sort plus que cela. Elle serait sans doute danseuse dans ce club jusqu’à être trop vieille pour exciter la moindre personne. Et sans doute que ça arriverait plus vite qu’elle le pensait. Tant qu’elle ne recommençait pas à voler, qu’elle se gardait un toit sur sa tête, elle s’estimait chanceuse. Toutefois, par moment, elle se demandait si elle pourrait avoir mieux que tout cela ? Cette réponse, elle l’ignorait et même si elle avait tenté d’avoir mieux en jouant un rôle face à Nash, elle se rendait compte qu’elle perdait plus au change. Elle continuait de l’observer, le voyant s’adosser contre la chaise, elle venait gratter sa joue avec nonchalance. Elle tentait de se montrer distante, de ne pas afficher la moindre émotion, mais au plus profond d’elle-même, elle craignait sa décision. Et s’il décidait de mettre fin à tout ça ? Elle ignorait l’étendu de leur relation, mais elle l’appréciait. Elle ne voulait pas mettre fin à tout ce qu’ils avaient, seulement, elle venait de faire le choix. En un instant elle pourrait tout perdre, elle le savait et ça la terrorisait. Les secondes s’éternisaient et le voir bouger sur sa chaise ne la rendait que plus inconfortable. Elle ne détournait pourtant pas son regard de lui. Il acceptait. Il acceptait réellement ! Si elle restait de marbre, son visage s’illuminait à cet instant même. Telle une enfant face à la majestuosité d’un sapin de noël décoré et un sol couvert de millier de cadeau. Son sourire s’étirait pour enjoliver son visage. Elle se sentait envahir par une chaleur qu’elle ne pouvait décrire. Des réactions excessives, mais Devon n’avait jamais fait comme personne. Faisant toujours dans la double mesure. Son sourire ne se voyait pas effacé par la requête du brun, elle était trop heureuse qu’il lui accorde une seconde chance pour se voir attrister de dévoiler une partie de sa vie. Elle s’avançait dans sa chaise, comme si elle tentait de lui révéler un secret. « D’accord. » disait-elle en plongeant ses prunelles dans les siennes. « Je me souviens de pratiquement rien de mon enfance, je connais mon prénom, je sais que je suis née à Santa Monica. Je crois que j’avais une jumelle, mais je n’en suis pas certaine. » Elle marquait une pause, fronçant les sourcils. Un vieux souvenir, un prénom résonnant dans son esprit. Une voix qui lui parlait. Mais elle ignorait à qui celle-ci appartenait. Une sœur ? Une mère ? Un souvenir erroné ? Elle passait sa main dans ses cheveux. « Ce que je sais c’est que je suis orpheline depuis mes six ans. » Elle se grattait le menton, triste, mais vrai, elle ne se sentait pas affecté d’être orpheline. Peut-être parce qu’elle ne se souvenait tout simplement de rien. Ses parents. Sa vie. « J’ai été recueilli par un homme et il m’a élevé avec d’autre enfants comme moi. » Son regard cette fois s’attristait, elle détournait la tête. Parle de tout ça, de tout ce qu’elle avait fait et vécu, elle ne s’en sentait pas prête. Pas ainsi. Pas de cette manière. Elle voulait bien lui parler d’elle, mais qui était-il pour connaître tous ses secrets ? Un battement de cil et elle reprenait contenance, reportant son regard sur Nash. « Y’a environs deux ans, je suis partie et j’ai abouti ici. Je… » elle pinçait ses lèvres, avant de continuer : « J’ai vécu à la rue. J’ai fait la rencontre de quelqu’un qui m’a beaucoup aidé. N’ayant rien et aucune scolarité, j’ai cherché comme je pouvais un emploi. Je suis vraiment danseuse dans ce club. Ce n’est pas un boulot d’appoint. » Elle plissait le nez, avant de réfléchir. « Je pensais pas dire tout ça, mais sache que ces moments qu’on a eut ensemble, même si tu pensais que j’étais Denise, c’est toujours avec Devon que tu étais. » Elle le regardait, étirant une main pour venir chercher l’une des siennes et y enlacer ses doigts même si ça ne pouvait que durer qu’un bref instant. « Je n’ai jamais menti sur ça. Tu me plais. Et même si je ne peux pas dire ce que nous sommes l’un pour l’autre, ça m’attristerait de le perdre… »

A peine l’ouverture lancée qu’il la regrettait. Nash était entré dans ce bar comme un homme en mission, animé d’un seul but et peu enclin à se montrer clément. Et voilà qu’il lui donnait une deuxième chance, s’accrochant à ses paroles sans aucune preuve de leur véracité. Aurait-elle l’audace de lui mentir deux fois de suite, même démasquée? Pour quel but? Nash n’avait jamais été particulièrement paranoïaque, et si son boulot ne l’avait pas rendu de la sorte, ça n’allait certainement pas être une jeune femme qui allait aggraver son cas. Devon ne semblait pas particulièrement partager son avis quant à la possibilité de changer sa situation par simple volonté. Il savait cette remarque particulièrement idéaliste, mais Nash avait rencontré trop de gens se complaisant dans leur misère sans faire le moindre effort. Il n’avait aucune idée de la vie qu’elle avait mené jusque-là. Aucune idée de la moindre chose à son sujet. C’était sans doute le plus frustrant : son attirance pour la jeune femme n’avait pas changé. Même là, assis face à elle pour lui faire payer le poids de ses mensonges, Nash ne pouvait se défaire de toutes les choses qui faisait de Devon quelqu’un qu’il avait envie de revoir encore et encore. Des choses qui pouvaient être complètement obsolètes, fausses, surjouées. Alors oui, peut être que Nash était faible, mais il souhaitait lui donner l’opportunité de s’expliquer et de regagner sa confiance. Et Devon semblait enchantée de l’entendre. Un sourire perça la tension de son visage, et Nash fut presque tenté de lui faire écho. Il réfréna tout réflexe en passant une main devant sa bouche, un geste bref pour se donner le temps de reprendre contenance. Dans le même temps, Devon s’avançait sur sa chaise telle une écolière avide de donner une bonne réponse. C’était plutôt adorable. Nash ne comprenait toujours pas ce qui l’avait poussé à se faire passer pour une autre; une parfaite inconnue de surcroît. Nash croisa les bras sur sa poitrine et se laissa reposer contre le dos de sa chaise, prêt à écouter la vérité (du moins il l’espérait) de la bouche de son interlocutrice. Il ne fut pas déçu. Nash n’avait pas eu une enfance facile, mais ses soucis avaient toujours été d’ordre financier. A côté de ça, il avait eu tout l’amour et la camaraderie dont un enfant a besoin. L’histoire de Devon était tout autre; un récit ancré de misère et de tristesse qui lui fit froncer les sourcils. Nash avait l’impression qu’elle lui racontait la version édulcorée de ce qu’elle avait vraiment vécu, et il dû se retenir de lui demander plus de détails. Elle arriva bien vite à sa situation actuelle pour renchérir à nouveau sur l’honnêteté de ses propos. Elle poussa le vice jusqu’à poser sa main sur la sienne et Nash sentit ses doigts tressailler, partagé entre l’envie de répondre à son étreinte et de dégager sa main de sous la sienne. Alors il fit les deux. Dans un soupir, il laissa son pouce caresser le sien. Un bref geste de tendresse avant qu’il retire lentement sa main pour la dissimuler sous la table. « Je suis désolé que tu ai eu un passé aussi difficile » entama-t-il après un battement. C’était la vérité. « Mais je me sens toujours un peu con d’avoir été berné de la sorte pendant des mois...j'aimerai être assez compréhensif pour passer à autre chose d’emblée, mais ça doit être mon pauvre égo de mâle blessé » continua-t-il dans un sourire dépréciateur. Ça n’était plus vraiment une attaque envers elle et plus un constat de son propre ressenti. Il se sentait idiot et malavisé. « Tu me plais » dit-il après un court silence en rencontrant son regard. C’était un fait, brut et honnête, et il était rare qu’il le verbalise. « Et j’ai envie d’apprendre à te connaître réellement et reprendre là où on s’est arrêté ». Nash avait l’impression d’avoir un train de retard et une grande quantité d’information à rattraper. Il voulait des mois entiers avec la vraie Devon, afin de la connaître comme il avait pensé la connaître. Nash avait l’impression d’avoir fait de nombreux pas en arrière, lui qui s’était senti tomber tête la première comme jamais depuis Carter.

Devon avait décidément poussé la chose un peu trop loin avec son geste. Cette main qu’elle avait posée sur celle de Nash, pourtant, elle ne pensait pas à mal, elle souhaitait simplement le toucher, sentir le contact de sa peau contre la sienne. Un geste prématuré contenu les événements. Son regard n’avait pas quitté cette main qu’il avait dissimulé sous la table, la laissant avec un goût amer. Une boule au ventre, la peine broyant ses entrailles. Il ne voulait sans doute pas mal faire, une protection, mais un refus, un rejet aux yeux de la femme. Taisant ses craintes, elle écoutait ses excuses. « Tu n’as pas à l’être, tu n’y es pour rien dans cette histoire. » Devon ne cherchait pas de la pitié, elle n’en avait jamais cherché, pour la simple et bonne raison qu’elle ne pouvait voir toute l’étendu de son malheur. Sa vie n’était pas faite de guimauve, mais comment en rêver si on ne connaissait pas une seule fois ce sentiment. Si elle avait cherché à être Denise, elle ne pouvait comprendre la vie de cette femme dont elle usurpait l’identité. Tout n’était que faux semblant. Et pourtant, elle regrettait, voyant comment Nash prenait la chose, elle se maudissait d’avoir eu cette idée, d’avoir joué ce rôle, mais le mensonge était parfois plus facile que la vérité. « Tu n’es pas con. C’est plutôt moi qui aie été idiote de croire que la personne que j’étais ne pourrait pas te plaire. » Une chose qu’elle craignait, redoutait plus que tout. Et si elle ne lui plaisait pas ? Pourrait-elle tourner la page ? Oui, le cœur lourd, effrité, malheureuse, elle pourrait tourner la page, se renfermant comme elle avait toujours fait, usant du mensonge et de la comédie pour régir sa vie. Son regard posé sur le brun, elle ne détournait pas celui-ci, affichant son étonnement malgré elle. Trois mots et son cœur s’emballait. Trois mots pour qu’elle retrouvait l’espoir, qu’elle laissait ses pensées dérivées sur une vague d’espérance. Pinçant ses lèvres, elle lui adressait un sourire. « Plus de mensonge, plus de personnage, plus de cachotterie. » disait-elle en levant la main, tendant son auriculaire droit vers lui en signe de pacte. « Je serai Devon tout simplement. Sans artifice… » Gardant sa main tendue vers lui, elle se levait de sa chaise pour contourner la table, venant se poster près de lui. Son regard se posant sur le brun, elle lui souriait gardant son doigt lever. « Laisse-moi te montrer que tu n’as pas été totalement berné, que celle que tu dis te plaire est bel et bien celle qui te plait. » Elle avait tout d’une gamine avec son doigt tendu, prêt à sceller une promesse.