Alvin&Jordan ▬ I could think of worse places to waste some time

L’arrivée du bébé approchait à grands pas, plus rapidement que je ne l’aurais cru dans un premier temps. Je n’avais pas peur que Zara et moi nous soyons pas prêts. Les préparatifs allaient de bon train, et tant du côté de sa famille que la mienne, nous avions eu beaucoup d’articles, vêtements qui seraient plus qu’utiles une fois que notre fils serait au monde. Cependant, il fallait que je prévois autre chose à l’extérieur de l’arrivée du bébé. En effet, il fallait que je prenne en considération que j’allais cesser de travailler pendant quelques semaines pour m’occuper de ma femme et de notre fils. Avec la classe que j’avais, je ne pouvais pas vraiment penser quitter sans assurer quelconque transition. Quelqu’un allait me remplacer, c’était certain, mais je ne pouvais pas ne rien laisser et penser que tout irait bien à mon retour. Progressivement, il me faudrait habituer mes élèves à mon absence, ce qui ne serait pas chose facile et surtout, je devais m’assurer que tout allait bien se passer. De plus, je n’avais pas envie de tout faire à la dernière minute, alors j’y allais progressivement. Comme aujourd’hui, j’avais l’intention d’y travailler, d’autant plus que la situation s’y prêtait. En effet, j’avais une rencontre avec l’éducateur spécialisé et les parents d’un de mes élèves pour faire son suivi. J’allais en profiter pour avancer le fait que je ne serais pas là, et que peut-être certaines choses seraient perturbées. Pas devant les parents, je ne voulais pas faire ça maintenant avec eux. Pour commencer, je voulais prévenir l’éducateur, Alvin, avec qui je travaillais de plus en plus fréquemment et avec qui je m’entendais plutôt bien. En revanche, je n’avais pas eu le temps de lui dire quoi que ce soit avant la rencontre, tout le monde étant arrivé à peu près en même temps, faisant en sorte que je n’avais pas pu lui parler seul à seul. Sachant que c’était ma seule chance si je voulais lui dire quoi que ce soit aujourd’hui, je décidai de proposer au jeune homme, tandis que je rangeais mes notes:  « Dis, est-ce que tu es occupé ? » Je lui laissai un petit délai raisonnable pour qu’il puisse prendre ma question en considération, et ensuite, me doutant bien que le « pourquoi » allait suivre, j’ajoutai:  « J’ai un peu de temps libre, je me demandais si nous pourrions aller boire un café ou quelque chose comme ça… » En plein coeur de l’après-midi, je ne me voyais pas tant lui proposer d’aller boire un verre, surtout que je ne pensais pas que ce soit très approprié pour la conversation que je voulais avoir, même si surtout, je souhaitais que ce soit informel, et non pas similaire à ce que nous avions pu faire pendant l’heure précédente avec la famille de cet enfant.

Alvin me parut quelque peu tendu lorsque je lui proposai ce fameux, à croire que j’avais été un peu trop sérieux dans ma suggestion, que peut-être il s’attendait à que je lui parle de quelque chose de grave, concernant sa façon de travailler. Ce n’était pas du tout le cas, et j’aurais voulu le rassurer en lui disant que c’était une conversation informelle, rien de plus. Mais je n’en eus pas le temps qu’au final, il accepta ma proposition, me soulageant et m’arrachant un petit sourire pour le prouver. Même s’il m’avait précisé qu’il allait me suivre, faisant de moi le guide vers le café, je crus quand même bon de préciser:  « Il y a un café juste de l’autre côté de la rue. » Comme ça, pas trop de route à faire par un temps plus froid, et surtout, une distance raisonnable à marcher, une distance que je pouvais parcourir aisément sans ressentir une douleur ou une fatigue quelconque. Il y avait de cela quelques mois ce ne serait juste pas possible, mais j’étais content de voir que je faisais ne serait-ce qu’un peu de progrès. Sur ces mots, je commençai à marcher en direction de la sorte, en compagnie d’Alvin. Gardant le silence, lui jetant des coups d’oeil de temps à autre, me rendant compte qu’il était encore et toujours tendu, comme il m’avait semblé l’être pendant la rencontre. Tout s’était bien passé, il n’y avait eu aucun problème, aucun malaise, mais j’étais perspicace. Après tout, ça faisait partie de mon métier. En plus, je travaillais avec des enfants qui avaient de la difficulté à s’exprimer, exprimer ce qu’ils ressentaient. Inutile de mentionner que je me devais d’être perspicace avec eux pour savoir ce qui se passait, ou avoir un petit indice pour voir s’ils étaient confortables ou pas. Une fois que nous fûmes à l’extérieur du bâtiment, marchant tranquillement, je me décidai donc à demander:  « Ça va ? », le faisant de la façon la plus informelle et candide qui soit, adoptant un air qui se voulait rassurant, espérant que ce serait suffisant pour lui montrer que je ne voulais pas lui reprocher un truc, que je voulais juste parler, tout simplement, même si ce que j’avais à lui dire vraiment devait attendre un peu. Je n’étais pas tant pressé.

Alvin ne m’apprenait pas quelque chose dont je n’aurais pas su me douter. Plus encore, je pouvais totalement comprendre sa situation, considérant le fait que moi-même, j’étais passé par cette phase où les habitudes n’étaient pas là, où c’était difficile et où la fatigue se faisait sentir. Volontairement, je ne réagis pas trop vivement, histoire qu’il ne pense pas que j’étais en train de me moquer de lui, mais je ne sus retenir un petit sourire en coin. Me voyant retourner la question, je ne pus lui dire quoi que ce soit qui me passait par la tête, disant seulement:  « Moi ça va. » Évidemment que j’aurais pu ajouter quelque chose après ça, mais je me dis que ce n’était pas vraiment le moment de continuer le discours que j’aurais voulu lui faire. En effet, avant de faire quoi que ce soit, je jugeai préférable d’entrer dans le café, en remerciant d’un sourire Alvin qui avait eu l’amabilité de tenir la porte. Sur place, je considérai les environs, constatant qu’il n’y avait pas tant de monde, et que trouver une table ne serait pas difficile. Rapidement d’ailleurs, je me retrouvai à lui en pointer une, suggérant:  « On va s’asseoir là ? » Laissant Alvin avoir le dernier mot sur notre place, nous allâmes nous asseoir. Et c’est là que je choisis de reprendre la parole de façon plus élaborée, lui disant:  « Tu sais, c’est normal de devoir s’adapter au début, et c’est normal de ne pas trouver ça simple. » Au final, plutôt que de lui faire un gros discours direct, j’avais commencé comme ça, histoire de voir si j’allais dans la bonne direction, me laissant l’occasion d’ajuster mon discours si c’était nécessaire.

La pression des premiers jours, des premiers contrats, Alvin semblait clairement la sentir, et celle-ci paraissait l’angoisser au plus haut point. Au final, j’avais quand même visé juste dans ma supposition, dans le sens où il venait de me le confirmer par ses mots, par ses questionnements sous-entendus. Et autant cela me brisait le coeur, puisque j’estimais que personne ne devrait passer par un tel épisode - même si c’était un incontournable et ce, dans probablement chaque métier - autant je ne pouvais pas vraiment me morfondre sur son cas et le plaindre. Non pas que je ne compatissais pas, au contraire, c’était parce que je savais ce qu’il était en train de vivre que j’avais envie de dire, faire quelque chose pour l’aider un minimum. Dans un premier temps, je ne sus toutefois qu’hocher la tête pour lui montrer que je ne plaisantais pas. Non pas que je manquais de mots, mais faute de temps, puisque rapidement, quelqu’un vint prendre notre commande. Je laissai Alvin commander le premier, suivant en commandant un café pour moi-même, ne me cassant pas la tête. Une fois que la serveuse eut acquiescé, pris en note notre commande respective et tourné les talons, j’attendis qu’elle se soit suffisamment éloignée, puis je finis par dire, ayant eu le temps de réfléchir un peu à mes propos:  « Tu sais, dans ma première semaine de travail, j’ai fait pleurer trois élèves. » Pourquoi je lui racontais ça ? Pour détendre l’atmosphère, avec un sourire amusé pour agrémenter mon propos, mais aussi en lien avec son stress, comme je le prouvai en ajoutant:  « C’est normal de faire des erreurs les premières fois, même plus tard. » Moi-même, j’enseignais depuis presque quinze ans maintenant et pourtant, je faisais encore des erreurs, parce que la réalité des enfants change, les enfants aussi. Mais là n’étant pas encore précisément mon point, je ne tardai à ajouter:  « L’essentiel c’est que tu apprennes de ces erreurs. Et si tu as besoin, tu peux demander de l’aide. » Tristement, on ne le disait probablement pas assez, surtout dans un tel milieu, où il fallait bien souvent travailler seul, au vu du caractère exceptionnel du métier, du milieu de travail. Aller chercher l’aide de ses supérieurs, parfois, c’était un peu délicat, d’où le fait que même si je ne savais pas si c’était le cas d’Alvin ou non, je me proposai en disant:  « Si tu sens que c’est nécessaire… On peut discuter de certains cas à l’extérieur des rencontres. Ça ne me gêne pas, si ça peut t’aider. » Je décidai de m’arrêter là toutefois, estimant que j’en avais suffisamment dit. J’espérais juste ne pas avoir dit quoi que ce soit qui allait trop loin, à caractère déplacé où je-ne-sais-trop. Volontairement, je n’avais pas pris un ton trop insistant, me proposant pour l’aider comme si c’était à tout hasard, même si bien sûr, il me ferait plaisir de lui donner un coup de main s’il en avait besoin, et s’il le souhaitait, évidemment.

Je ne proposais pas à Alvin de l’aider parce que je voulais l’obliger à le faire, mais surtout parce que je voulais lui montrer qu’il n’avait pas à être seul dans cette épreuve qu’était un début de carrière, dans un milieu qui, on ne pouvait se le cacher, n’était pas toujours simple. Mais je ne pouvais nier que j’étais ravi qu’il prenne la main que j’étais en train de lui tendre, et le voir aussi heureux de cette aide que je lui proposais - alors que pour moi, ce n’était pas grand-chose. À ses remerciements, je souris sans retenue quelconque, puis je lui répondis, en toute sincérité:  « C’est normal. Et il me fait plaisir de t’aider. Tu as mon numéro, ne te gêne pas si tu as besoin. » Ce à quoi je ne m’attendis pas toutefois, c’était que cette proposition rendait soudainement ce que j’avais à lui dire un peu plus difficile. Je m’en rendis compte que lorsqu’il reprit la parole, me demandant ce de quoi je voulais lui parler, la raison pour laquelle je lui avais proposé d’aller prendre ce café que nous étions en train de boire. Pendant un bref instant, je me sentis limite hypocrite de lui avoir dit tout ça, mais bien rapidement, je revins à la raison, sachant très bien que mon absence était temporaire, courte, et que de toute façon, j’allais avoir mon téléphone sur moi si c’était nécessaire. Rassuré à cette idée, il me fallut quand même prendre le temps de rassembler mes idées. Pas trop par contre, même si je sentis quand même le besoin de remplir un peu la discussion, en disant:  « En fait, oui, je voulais te prévenir d’un truc aussi. » Le dernier mot de ma phrase, je l’avais cru nécessaire, pour lui faire comprendre que je ne l’avais pas fait que pour lui mentionner ça, mais aussi pour lui parler, voir comment il allait, comme je l’avais fait. Peut-être pas suffisamment, mais j’allais me rattraper plus tard. Je n’étais pas prêt de finir mon café, de toute façon. J’en pris d’ailleurs une gorgée, avant de finalement lâcher:  « En fait je voulais te prévenir que début février, au plus tard, je vais prendre congé pour quelques semaines. » N’ayant aucune honte de dire pourquoi, j’ajoutai rapidement:  « Ma femme est enceinte, et j’ai droit à un congé paternité. » Plutôt convenable comparativement à d’autres milieux même, je ne pouvais pas m’en plaindre. Enfin, ça ne me plaisait pas nécessairement de laisser mes élèves comme ça, mais ils étaient prévenus, et bien que nerveux à l’idée d’avoir un autre enseignant, ils étaient compréhensifs, et savaient que ce n’était pas permanent. Ç’avait été un travail de les rassurer, donc là, ce fut limite facile de faire de même avec Alvin, en disant:  « Je vais laisser toutes les informations nécessaires à la personne qui prendra ma place pendant ces quelques semaines, et je serai toujours joignable, mais je préférais te prévenir, et voir avec toi s’il y avait quelque chose que tu voulais voir, savoir, avant mon absence. » Et si c’était juste de se rassurer sur un truc ou un autre, j’étais là pour ça. Je préférais de loin avoir cette conversation maintenant, m’y prendre d’avance, et surtout, en parler dans une ambiance plus détendue. Avais-je bien fait ? C’était ce qui restait à déterminer, d’où le fait que je me tus, attendant de voir la réaction du jeune homme devant moi, principal concerné par rapport à tout ça.