La pause déjeuné (Teddy)

Depuis quelques jours, le self de l’hôpital ; autrement dit le restaurant du personnel ; est fermé. La raison officielle est qu’il se trouve en travaux, mais la réalité est tout autre. En effet, s’il est fermé, c’est tout simplement parce que les employés ; du cuisto au serveur ; se sont mit en grève. Je les comprends, travailler comme un chien pour un maigre salaire et jamais une seule augmentation, ce n’est pas du tout motivant. Moi-même, ces dernières semaines, j’ai eu envie de me mettre en grève. A cause du nombre d’heures que je fais, du salaire qui reste stable ; les heures supplémentaires ça fait bien longtemps que je ne compte plus dessus ; l’absence de vacances et des jours de repos presque inexistants. Vous l’avez compris, je suis épuisée ! Mais, je pense à mes patients, à mes collègues et je me dis que me foutre en grève, ça serait jeter de l’huile sur le feu, alors je ne le fait pas. Je prends sur moi. Mais, là n’est pas le propos puisque je parlais du restaurant de l’hôpital, celui réservé au personnel et donc, à moi. Je m’apporte des casse-croûtes, mais bon, il faut reconnaitre qu’un sandwich au thon tous les jours, on en a vite assez. Et je ne parle pas des Pasta Box, que je trouve de plus en plus dégueulasse. La solution serait donc le restaurant, mais je n’ai pas vraiment les moyens de m’y rendre tous les jours. Pourtant, ce jour-là, c’est ce que je décide de faire. J’en ai vraiment plus qu’assez de ne faire que ce que l’on attends de moi, alors pour une fois, je ne vais pensé qu’à moi et aller au restaurant. Tant pis si j’empiète sur mes heures de travail. Je suis la seule parmi toutes les infirmières de mon service ; et peut être même de l’hôpital ; à accepter la surcharge de travail. Alors, pour une fois, c’est leur tour ! Je pousse donc la porte d’un restaurant juste en face de l’hôpital, en espérant que ça ne vas pas me couter les yeux de la tête de manger ici, mais même si je me sent d’humeur rebelle, je n’ai pas envie pour autant d’aller manger à des dix bornes de l’hôpital !

C’était une journée occupée comme on en voyait rarement au restaurant. C’était ainsi depuis quelques jours même. En temps normal, le restaurant roulait, mais il n’y avait pas de débordement, de cas d’urgence et surtout, il était possible d’avoir des temps morts, ce qui n’était pas le cas ces derniers jours. Que se passait-il ? Je ne saurais pas le dire. Évidemment je ne pouvais pas me plaindre d’avoir du boulot, et je ne disais pas un mot depuis quelques jours. Mais lorsqu’à un moment, peu de temps après que mon service ait commencé, la propriétaire vint me voir, me demandant d’aller prendre quelques commandes en salle à manger parce qu’une serveuse ne s’était pas présentée pour son service, il me fut bien difficile de garder contenance comme je le faisais d’habitude. Hésitant, je lui avais demandé si elle était sûre d’elle, que je ne pensais pas être bien placé pour le faire. Mais visiblement, elle était désespérée, puisqu’elle me tendit un bloc-notes, me pointant une table à laquelle je devais aller prendre une commande. Une personne, ça ne devait pas être si horrible, si ? Inspirant profondément, je tentai de me donner un air présentable, un peu plus… gentil que d’habitude, si je pouvais le dire ainsi. Puis, j’arrivai à la table, et ce fut à peine si je parvins à dire:  « Bonjour, je peux prendre… votre commande ? » Non, je n’offrais pas quelque chose à boire ou quelque chose comme ça, non pas que je ne voulais pas, mais servir des tables, je n’étais pas fait pour ça, tant par manque de formation que le fait que ce n’était pas du tout compatible avec ma personnalité. Heureusement, ce n’était pas le genre de restaurant avec des repas trois services, ça passerait peut-être mieux, même si quand même, je me trouvais un brin - non, très - pathétique.

Il y avait foule dans ce petit restaurant. J’espérais que le service ne serait pas trop long. C’est que je devais reprendre le travail juste après, je n’avais donc pas toute la journée devant moi. Malheureusement. Mais, je n’étais pas le genre de personne à faire un esclandre parce que ça n’allait pas aussi vite que je le désirais. Je n’étais pas comme ça et je ne supporterais pas d’être comme ça. Je n’aimais pas les gens comme ça. Je croisais des impatients tous les jours à l’hôpital et c’était insupportable ! Il y a des gens qui se prennent pour tout et n’importe quoi, ce n’est pas nouveau. Des gens qui, sous prétexte qu’ils ont un nom, se croient tout permis et croient surtout que tout leur ai dut. Qu’ils doivent prendre la place d’un autre par exemple … Et bien sûr, pour ce genre de personne on a toujours tort, c’est bien connu ! Bref, tout ça pour dire que je ne suis pas ce genre de personne. Je ne suis que moi, une fille bien, enfin, je l’espère. Une serveuse débordée m’a installé à la dernière table libre qu’il restait. Me voilà un peu coincé derrière un mur, mais je n’ai pas le temps d’aller chercher un autre endroit ou déjeuner. La faim commence à se faire sentir et surtout à s’entendre, si vous voyez ce que je veux dire. C’est donc ici et pas ailleurs. Et puis, les gens ont l’air des ravis, donc, c’est que ça doit être bon. Mais, au bout de cinq bonnes minutes, la fille n’est toujours pas revenue avec la carte, de ce fait, je ne sais toujours pas ce qu’il y a au menu. C’est là que ce jeune homme fait son apparition pour me demander s’il peut prendre ma commande. Je bafouille un bonjour car son visage ne me semble pas inconnu ; j’ai juste un mal de chien à me souvenir d’où je peux bien le connaitre. « Je ne sais pas ce qu’il y a à la carte ! » avouais-je au jeune homme.

Super. Alors que je venais tout juste de me convaincre que ce ne serait pas si compliqué, que c’était que pour une personne, je semais la confusion totale. Pourquoi ? Parce que je n’avais même pas pris la peine de vérifier si elle avait un menu entre les mains. Et le pire dans tout ça, c’était que je ne parvins même pas à m’en excuser dans un premier temps. En vérité, je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas pourquoi elle n’en avait pas un, alors que son arrivée n’était pas immédiate, alors que ça semblait pressant d’aller m’occuper de sa table. On ne donnait pas les menus immédiatement d’habitude ? Qui devais-je blâmer ? La réponse à cette dernière question n’était pas bien difficile; moi, dans un premier temps. Déterminé à ne pas rendre la situation trop étrange bien longtemps, je m’éloignai sans rien dire, allai prendre un menu pour le lui apporter. Ensuite, je dis:  « Je vais aller vous chercher un verre d’eau. » Parce que ça, elle n’en avait pas eu un non plus. Il fallait vraiment que le manque de personnel soit terrible pour que le service soit tel. Je m’en doutais depuis qu’on m’avait demandé d’aller dans la salle à manger, mais c’était pire ce que je pensais. M’éclipsant au comptoir de transition, je versai un verre d’eau, puis comme je l’avais prévu, je retournai vers la jeune femme. Déposant le verre sur la table, je voulus regarder la jeune femme pour lui demander si elle avait fait un choix ou si elle avait besoin d’un peu de temps, mais compte tenu que c’était la première fois que je la regardais vraiment depuis qu’elle était arrivée, je figeai un peu. Parce que son visage me parut familier pendant un temps… Mais où l’avais-je vue ? Je ne savais plus, je tentais d’y penser, mais en ne bougeant pas, et en la considérant ainsi, ce n’était certainement pas la façon la plus agile de le faire. Pendant les premières secondes, je ne le réalisai pas, puis je secouai la tête, essayant tant bien que mal de me reprendre, même si ce fut de façon maladroite que je repris la parole et je dis:  « Désolé je… » Passant outre cette impression au final, je demandai:  « Avez-vous… Des questions… Sur le menu ? » En espérant sincèrement que celles-ci seraient seulement liées à la nourriture, non pas aux prix ou autre, parce que pour ça, je ne pourrais pas l’aider, et visiblement, ce serait difficile de lui trouver quelqu’un qui serait capable de lui répondre en ce moment.

L’endroit était charmant, mais je n’avais sans doute pas choisie le bon jour pour venir déjeuner ici. Attendre ne me dérangeait pas, n’allez pas me faire dire autre chose que ce que je pensais, mais comme il s’agit de ma pause déjeuner et qu’ensuite, je suis sensé reprendre le travail, je ne disposait pas de tout mon après-midi. Malheureusement. Ce n’était pas la faute du serveur, enfin je crois. Pour moi, il ne faisait que son travail, je n’allais donc pas le houspiller si on ne m’avait pas donner de carte. D’ailleurs, je ne pouvais pas le blâmer, puisque la fille qui m’avait installer à cette table m’avait dit m’apporter la carte le plus vite possible et que, malheureusement, je ne l’avais pas revue. Ou plutôt, j’avais aperçu sa chevelure de feu ; elle était rousse et toute frisé façon Merida, la princesse rebelle de Disney ; juste avant un bruit de verre brisés. Elle avait ensuite disparu toute rougissante. J’avais deviné qu’elle avait du faire tomber de la vaisselle. Depuis, plus rien. Je me demandais pourquoi il y avait autant de monde aujourd’hui. Je suis plutôt casanière comme fille aussi, j’ignore peut-être qu’il y a une manifestation ou autre dans le quartier. C’est bien possible après tout. Finalement, un serveur s’approche de moi pour me demander ce que je désire et ma première réaction est de lui dire que je n’ai pas de menu ! En ces conditions, il est difficile pour moi de choisir quoique ce soit. Il ne réponds pas, préférant me dire qu’il vas me chercher un verre d’eau. Il revient toute fois rapidement, avec le dit verre d’eau et la carte. Je me dit que j’ai peut-être été grossière ? Si tel est le cas, ce n’était pas mon intention. Loin de là. Je n’ai pas franchement l’habitude des relations humaines, je n’ai pas beaucoup d’amis. Ils se comptent sur la moitié des doigts d’une seule main, c’est dire, alors, je suis parfois un peut maladroite, mais ce n’est en aucun cas un reproche ou de la méchanceté. Je le remercie d’un sourire. J’ai le sentiment de connaitre. J’ai l’impression de l’avoir croisé à plusieurs reprises au refuge, mais je me trompe sans doute. C’est peut-être quelqu’un qui lui ressemblait. A moins que ça ne soit à l’hôpital ? Après tout, j’ai fait quelques mois aux urgences, c’est peut-être bien là que je l’ai rencontré. Et ça expliquerait sans doute pourquoi il me regarde comme s’il me connaissait, lui aussi. Quoiqu’il en soit, je me vois mal lui poser la question. Ça ne se fait pas et je l’ai dit, je suis plutôt maladroite, il prendrait sans doute ça pour de la curiosité mal placée. A la place, je préfère lui dire : « j’ai l’impression de vous connaitre ! » lui dis-je, alors qu’il s’excuse. Il me demande ensuite si j’ai des questions à propos du menu. « Le plat du jour, qu’est-ce que c’est ? » lui demandais-je alors. Car, après tout, si c’est quelque chose que j’apprécie, je pourrais prendre ça, ça me permettra de rattraper les dix minutes passé à attendre que la rousse m’apporte la carte des plats.

Au bout du compte, peut-être que je n’étais pas idiot, peut-être que je n’hallucinais pas complètement. Jamais je n’aurais pensé ça par moi-même, évidemment. Ce qui me permit de penser ainsi, ce fut le fait que la jeune femme affirma quelque chose que moi-même je n’avais pas osé dire. Est-ce que ça voulait dire que je me sentais à l’aise pour autant ? Certainement pas. Je trouvais ça étrange, et finalement, je me posais encore plus de questions. Ces questions, je les gardai pour moi-même toutefois, et je me savais chanceux que ça n’avait pas eu d’impact sur la suite de la discussion, grâce à mon interlocutrice du moment qui avait eu la bonne idée de me poser une question plus banale. Ce fut d’ailleurs pour moi un soulagement que ce soit effectivement une question banale, concernant le menu, mais à laquelle je pouvais facilement répondre. Et pour la première fois depuis quelques minutes, ce qui me semblait quand même être une éternité, je parlai sans hésitation, disant:  « Sandwich au poulet grillé avec des frites maison. » Non, ce n’était pas de la grande gastronomie, mais ça restait un dinner, un endroit à mi-chemin entre le fast food et le restaurant de base. Il fallait s’y en attendre. Pensant que ce serait suffisant pour me changer les idées un minimum, je réalisai bien rapidement que non, que son propos, mon impression, tout cela venait encore me chicoter. Fronçant les sourcils, je revins en mode maladroit, et je demandai:  « On aurait pu… Se rencontrer où… ? » Ç’aurait pu être une question banale qui passe bien et pourtant, le fait que je le demande alors que moi-même j’étais en train d’y réfléchir, et que je réalisais progressivement que je trouvais ça absurde parce que j’avais rencontré que trop peu de gens depuis mon retour ici - et encore moins quand j’étais outre-mer - avait fait en sorte que j’avais grimacé en même temps, ce qui avait certainement résulté en quelque chose de bien étrange et surtout, peu digne d’une discussion entre deux personnes normales. Et encore une fois, je n’avais que moi à blâmer, et histoire de couvrir mon ridicule, je baissai le regard, comme si je n’avais rien demandé, pensant que je pourrais écrire quelque chose sur mon bloc-notes, pour me rendre compte qu’elle n’avait même pas encore commandé… Bref, de quoi me sentir vraiment, vraiment mal à l’aise.

Son visage ne m’était pas inconnu, d’où ma question. Ce n’était pas indiscret, je voulais juste éviter de passer pour une idiote pour le cas où l’on serait allé à l’école ensemble par exemple. Mais, j’étais loin de me douter que ma question le mettrait aussi mal à l’aise. Parce que je voyais bien et je ne comprenais pas trop pourquoi. Nous n’avions peut-être pas la même vision de l’indiscrétion. C’était sans doute ça. Dans tous les cas, comme il ne disait rien, je n’insistait pas. Comme quoi, il était impossible de me qualifier de personne trop curieuse, car j’étais loin d’en être. Le jeune homme me demanda si j’avais des questions concernant le menu et je lui demandais aussitôt quel était le plat du jour. Du sandwich au poulet grillé avec des frites maison. Pas besoin de méditer là-dessus pendant des heures, mon choix était fait. « Alors je vais en prendre un. Avec un gourmand pour le dessert ! » que je réponds, satisfaite. C’était rapide et parfait pour une pause déjeuner qui ne pouvait pas s’éterniser pendant des heures. Quoique sur ce point, si j’étais vache, je pourrais parfaitement faire le coup à mes collègues de travail et ne pas revenir avant 14 heures 30. Après tout, rares étaient celles qui ne le faisait pas ! J’étais sans doute la seule. Nous n’avions pas la même définition du mot respect. Je pensais à mes patients avant tout le reste. Finalement, la question de savoir si nous étions ou pas, deux inconnus l’un pour l’autre était revenu sur le tapis puisqu’il me questionna sur l’endroit ou nous aurions pu nous rencontrer. Je haussais les épaules. A dire vrai, je n’en avais pas la moindre idée. Ce que je sais c’est que son visage ne m’était pas inconnu. Alors, ancien camarade d’école ? Patient ? Ou pourquoi pas, bénévole au refuge ? Car, ça aussi s’était possible. « Je ne sais pas. À l’hôpital peut-être ? Je suis infirmière ! » que je réponds alors. Je n’évoquais pas l’école pour le moment, ni le bénévolat, parce que l’hôpital me paraissais être une réponse plus que plausible.

Acquiesçant à la commande, heureux qu’elle ne soit pas compliquée, je la pris en note. Et plutôt que d’y aller par des abréviations comme tous les employés travaillant en salle à manger le faisaient, moi, j’écris tout au long. Évidemment ce fut plus long, et me sentant incapable de faire deux choses en même temps, je restai planté là pendant que j’écrivais, me poussant à réfléchir davantage, puis oser demander pourquoi j’avais l’impression de l’avoir vue. C’est là qu’elle fit une hypothèse qui aurait pu paraître tout à fait plausible pour la majorité des gens - ce fut ce que je supposai dans ma tête en tout cas - mais qui ne l’était pas pour moi. Et plutôt que d’avoir une réponse posée et simple, je réagis sans réfléchir, en ayant un sourire nerveux, puis en répondant, d’un ton bien sarcastique:  « Pas moyen que j'y aille, je n’ai pas d’argent pour payer des soins. » Ni d'assurance ou quoi que ce soit d’ailleurs. Ça pouvait sembler de base pour bien des gens mais moi, je commençais tout juste à me payer un appartement. Mais ça, elle ne le savait probablement pas, et par conséquent, mon commentaire pouvait paraître un peu étrange, voire un brin déplacé, puisque je ne l’avais pas dit avec le ton le plus gentil et agréable qui soit. Un peu honteux et sachant que c’était pire puisque j’étais serveur et elle, une cliente du restaurant, je me calmai, puis je dis, gêné:  « Je suis désolé c’est juste que… » Pourquoi avais-je ajouté le « c’est juste que » ? C’était stupide de ma part, et ça me plaçait au pied du mur maintenant, puisque là, je me devais de me justifier un minimum. Résigné, je dis:  « J’étais à la rue il y a peu de temps. » Voilà, c’était tout, et c’était bien assez. Je n’en parlais pas généralement et j’osais espérer que je ne devrais pas rentrer dans les détails, quoique je pourrais toujours m'en sauver et aller en cuisine pour préparer la commande de mon interlocutrice et cliente. En fait, j’aurais pu le faire dès maintenant, mais je ne le fis pas, attendant, parce que quand même, j’étais un minimum poli.

Il était plutôt rare que je me montre curieuse. La raison à ça était plutôt simple, la vie des gens ne me concernait pas ; pas plus que la mienne ne les concernait d’ailleurs ; et puis, il fallait bien le reconnaitre, ça ne m’intéressait pas plus que ça tout compte fait. Mais, parfois, on n’avait pas d’autre choix que de ce montrer un tout petit peu curieux ! Principalement avec les gens que l’on connait, mais aussi avec ceux que l’on croit connaitre. Il faut être logique, parfois, on tombe sur les gens et on est persuadé de les connaitre ; ne serait-ce qu’un tout petit peu ; alors si on ne se montre pas un brun curieux, on ne risque pas de savoir si on connait oui ou non cette personne ! Alors oui, je le reconnais, je me suis monter un peu curieuse. Mais, je ne pensais vraiment pas à mal. Voilà pourquoi je suis vraiment surprise de sa réaction et plus encore du ton qu’il emploi lorsqu’il m’indique qu’il n’y a aucune chance que nous ayons pu nous rencontré à l’hôpital puisqu’il n’a pas les moyens de payer les soins. Je fronce les sourcils, car à dire vrai, je n’étais pas sensé le savoir. Ce genre de détails n’est pas écrit sur la tête des gens ! Et à moins d’avoir le don de lire dans les pensées des gens ; ce qui est impossible on est tous d’accord là-dessus ; je ne risquais pas de le savoir. Je comprends néanmoins sa réaction, voilà qui m’apprendra à me montrer curieuse. Aussi, je préfère ne rien dire de plus. Après tout, ça ne me regarde pas ! « Oh ! » fais-je, navrée, en entendant la vraie raison du pourquoi du comment. « C’est moi qui suit désolée, je n’aurais pas me montrer curieuse ! » avouais-je finalement, embarrassée. Je préférais ne rien dire de plus et certainement pas que je l’avais sans doute croiser au refuge pour sans abris ou je suis bénévole depuis plusieurs années. Cela risquerait d’alourdir encore plus l’atmosphère déjà oppressante de la pièce.

J’avais beau ne pas avoir tant interagi en société ces derniers mois, ces dernières années, mais je me doutais bien qu’un sans-abri, bien que j’avais bien compris que je n’étais pas le seul dans une telle situation, c’était un sujet un peu tabou, inconfortable à discuter. J’aurais dû me douter que le dire allait provoquer un certain malaise et pourtant, je ne m’en doutai pas. En fait, je ne m’en rendis même pas compte jusqu’au moment où la jeune femme réagit de façon désolée, et vint s’excuser d’avoir insisté ou quelque chose du genre. Déjà inconfortable à la base, inutile de mentionner que je me montrai davantage mal à l’aise à l’idée d’avoir jeté un malaise encore plus grand dans cette discussion qui était tout sauf informelle et agréable à soutenir. Serait-ce là un bon moment pour fuir la suite ? Peut-être bien. Enfin, pas tout de suite non plus. Je commençai par dire:  « Ce… Ce n’est pas grave. » J’aurais pu continuer en me justifiant et en disant que si je n’avais pas voulu le faire, je ne l’aurais pas dit - bien qu’au final, j’avais trop parlé pour ne pas le mentionner au passage - mais au final, je ne le fis pas, marmonnant plutôt:  « Je vais aller passer votre commande. » Prenant congé par ces mots, je me rendis vers la cuisine, donnant le petit papier sur lequel j’avais écrit la commande. J’attendis quand même quelques secondes pour voir si tout était en ordre, à défaut d’être assuré de ce que je faisais, et pendant ce temps d’attente, c’est là que je fus frappé par ce qui me parut être une révélation. Pourquoi je n’y avais pas songé avant ? Était-ce le fait d’avoir parlé de mon statut précédent qui avait tout changé ? Je ne saurais le dire. Secouant la tête, je regardai la jeune femme de nouveau, et je me dis que je ne devais pas avoir totalement faux. Quand je compris qu’il ne servait à rien que je reste planté là plus longtemps, je me retournai, attendant, hésitant. Puis finalement, je fis quelques pas dans sa direction, et timidement, je dis:  « Il se peut que je me trompe et si c’est le cas, je m’en excuse… Mais… Avez-vous déjà fait… Du service, bénévolat, quelque part ? » Je me mordillai la lèvre, comme si gêné de prendre une telle initiative, attendant, nerveux, de voir si j’étais à l’Ouest ou pas, ne sachant même plus si je devais avoir peur d’avoir raison ou d’avoir tort.