La pause déjeuné (Teddy)

Je n’étais pas de nature curieuse, mais une chose était certaine, après un tel « truc », je n’étais pas prête à me montrer à nouveau curieuse. Sans doute même que je n’aurais pas dû. J’imagine que je me sentais tout simplement seule et que c’était le moyen que j’avais trouver pour palier à ma solitude. Mais il faut bien reconnaitre, que ça n’était vraiment pas l’idée du siècle. Loin de là. Bref, je ne recommencerais pas et pris l’initiative de m’excuser d’avoir été trop loin. Il m’indiqua que ce n’était pas grave, mais ça sonnait faut. Enfin, c’est l’impression que j’en avais. Ou alors, il était tout simplement comme moi, d’un naturel pudique et réserver, voir timide ? Je ne sais pas et je ne le saurais sans doute pas, car je n’insisterais pas d’avantages. Il m’indiqua ensuite qu’il allait s’occuper de ma commande et je me contentais d’acquiescer d’un signe de la tête. Une fois n’est pas coutume, je préférais fermer ma gueule. Il s’éloigna, me laissant seule comme une idiote avec mes regrettables questions. Je vivais seule et ce n’était peut-être pas plus mal, car, si c’était pour dire des choses totalement inappropriées à tout bout de champ ! Enfin bref. Pour patienté, le temps que mon repas soit près, j’attrapais mon téléphone mobile dans mon sac à main. Comme le reste de mes affaires, il était vieux et usé, mais je m’en moquais. A quoi donc ça pouvait bien servir de changer de portable tous les six mois alors que l’ancien marchait parfaitement ? J’avais le mien depuis quatre ou cinq ans maintenant. C’était un ancêtre à côté des téléphones sortis récemment, mais il marchait. Je fis défiler mon fil d’actualité sur Facebook, plus par habitude que par envie. Je n’avais rien publier depuis des mois. En fait, j’étais sur ce réseau pour pouvoir communiquer avec mes amis et collègues, mais j’y allais à peine. Ce jour-là, c’était vraiment pour patienter, parce que je n’avais pas de bouquins sous la main et lire ce qui était écrit au dos des tubes de moutardes et de ketchup, n’avait pas grand intérêt. Finalement, il revint vers moi peu de temps après pour me demander ; non sans s’excuser au cas où il se tromperait ; si je n’avais pas déjà fait du bénévolat dans quelque refuge que ce soit. « Oui, ça m’arrive de temps à autre, lorsque mes horaires me le permette ! » répondis-je alors. J’étais bien tenter d’ajouter, pourquoi, mais je ne le fis pas. La situation précédente me pesait encore sur la conscience, alors je ne voulais pas, une nouvelle fois, me montrer trop curieuse.

Ça y est, j’avais mis le doigt dessus, sur ce qui nous rassemblait, sur ce qui faisait en sorte que son visage m’était familier. Enfin, je ne lui avais pas demandé précisément si elle faisait du bénévolat dans un refuge pour sans-abri précisément, mais au vu du fait que je lui avais partagé ma situation, au vu de sa réponse positive, je me disais que je ne pouvais pas me tromper. Qu’est-ce que je ressentis à l’idée d’avoir vu juste et de maintenant savoir pourquoi je semblais la connaitre ? Un certain soulagement, si je pouvais le qualifier ainsi. Soulagement parce que je ne m’étais pas ridiculisé autant que je l’aurais craint dans un premier temps, soulagement parce que j’avais maintenant espoir que cet épisode déjà horrible pour moi d’être serveur allait peut-être se passer un peu mieux, puisque ce serait avec une personne qui connaissait un peu par quoi j’étais passé. Ou bien serait-ce pire ? Je ne voyais pas en quoi ça pourrait l’être en fait. Soupirant discrètement, je rassemblai mes mots, finissant par dire:  « Je me souviens alors… » Maintenant que je savais par quoi commencer, à quoi m’en tenir, progressivement, mes souvenirs devenaient un peu plus clairs. Marquant une pause, je poursuivis ensuite en disant:  « Un soir je suis arrivé et le refuge était rempli. Mais vous avez quand même trouvé un endroit pour me laisser dormir… » Maintes fois je lui avais même dit que je pourrais me débrouiller, que j’irais dormir ailleurs, que je trouverais un endroit pour me réfugier dehors, malgré le temps hostile, froid, avec de la neige qui plus est. Je m’étais montré reconnaissant dans l’immédiat, mais pas assez, j’en avais l’impression, un peu trop enfermé dans mes propres problèmes. Devrais-je le faire maintenant ? Encore fallait-il que je ne me sois pas trompé sur la personne. Du coup, j’attendis, voir si je n’en avais pas trop dit, si je n’étais pas à côté de la plaque, même si j’avais cette impression que ce n’était pas le cas, et que je ne me trompais pas sur l’identité de ce regard bienveillant qui avait fait une différence, même si ça n’avait été que pour une fois.

HJ:

Je me sentais complètement sotte de m’être à ce point montrer curieuse. Mais, je ne savais plus sur quel pied danser. Quand je ne pose aucunes questions, que je ne cherche pas à connaitre la personne avec qui je parle, on me fait savoir que je suis aussi froide qu’un glaçon, une sorte de reine des glaces, c’est comme ça qu’un interne me surnommait. Et quand je me montre curieuse, j’ai encore tort, parce que je demande des choses qui ne me regardent pas. Bref, comme je viens de le dire, à la longue, je ne sais plus du tout sur quel pied danser. Ça me rappelle un anniversaire ou je m’étais rendu ; pour une fois sans ma cousine Chloe ; lors que j’avais huit ou neuf ans, je ne sais très bien. On m’avait fait croire que la vieille dame qui habitait la maison en face était une sorcière, et que, si je ne les croyais pas, je n’avais qu’à sonner chez elle, pour vérifier. Pas peureuse pour un sou, j’étais aller voir par moi-même. Elle s’était montrer gentille, jusqu’à ce qu’elle comprenne l’objet de ma visite ; je voulais voir ou elle enfermait les enfants qu’elle kidnappait. Je n’étais qu’une enfant et naïve par-dessus le marché, jamais je n’aurais dû croire une telle sottise. Elle m’avait chassé de chez elle à grand renfort de hurlement. C’est ce jour-là que je me suis promis que je ne me montrerais jamais plus curieuse. C’est idiot, complètement débile, je le sais bien, mais en ce moment précis, je me sentais aussi mal que ce jour-là, sinon pire. Parce que je n’étais plus une enfant depuis longtemps et que cette fois, je ne pouvais pas me cacher derrière une certaine naïveté. Oui, je m’étais montrer curieuse et j’en payais le prix en vexant ce pauvre homme qui ne m’avait rien demander. Mais, il avait fini par revenir vers moi pour me demander s’il m’était déjà arriver de faire du bénévolat. Il n’avait pas préciser dans quel domaine, mais étant donné ce qu’il m’avait dit, ça ne pouvait être que le refuge pour sans-abris qu’il évoquait. Comme je lui indiquais que oui, il reprit la parole pour me dire ce dont il se souvenait. Et je m’en souvenais aussi. J’avais passé outre les recommandations du centre communal d’action social. Je m’étais d’ailleurs fait taper sur les doigts, mais je ne regrettais pas d’avoir offert à ce jeune homme un abri pour la nuit, alors qu’il neigeait dehors. Si c’était à refaire, je le referais sans hésiter. Je le referais cent fois, je ne craignais pas le président de l’association. Loin de là. « Oui, je m’en souviens aussi ! » dis-je, quelque peu mal à l’aise. Cette fois c’était mon tour, et très franchement, je ne comprenais pas pourquoi, parce que, visiblement, ce n’était pas un reproche.

Spoiler:

Je fus rassuré de voir que je n’étais pas tant à côté de la plaque, que mes souvenirs n’étaient pas si mauvais ou flous que ça. Comment je me rassurai ? Principalement lorsque la demoiselle me dit qu’elle se souvenait également de cet épisode que je m’étais osé à lui raconter, ou lui remémorer dans le cas présent plutôt. Tout étant clair maintenant, je souris doucement. Pas un grand sourire, mais compte tenu du fait que je souriais que peu souvent, pour moi, c’était beaucoup et surtout, c’était significatif, pour moi, en tout cas. Ne reprenant pas la parole tout de suite, je réfléchis un peu à ce que j’allais ajouter. Reprenant mon sérieux, laissant disparaitre mon sourire - sans devenir austère pour autant - je finis par dire:  « Je crois que je ne vous ai jamais dit à quel point j’étais reconnaissant pour tout ce que vous avez fait… » Pas seulement pour cet épisode, mais pour son bénévolat en général. Je l’avais remarquée que cette fois-là, mais je l’avais aperçue ailleurs. Plus encore, cet épisode, c’était probablement la seule fois que je lui avais à peu près adressé la parole, mais que trop peu, pas suffisamment. Du coup, je jugeai important, voire essentiel d’ajouter:  « Mais… Merci beaucoup… » Bon, c’était une évidence, je n’étais clairement pas doué pour ce genre de discours, mais ce que je lui avais dit, c’était sincère, et même si bien souvent, je me souciais peu de comment mon message passait, parce que j’avais que trop peu d’interactions avec d’autres personnes, là, j’espérais franchement qu’elle verrait que ce remerciement, il venait du fond du coeur, et qu’il exprimait vraiment ma reconnaissance par rapport à ses gestes.

Il ne m’avait pas dit grand-chose ce soir-là, il ne m’avait pas remercier, mais ce n’était pas grave. Je ne faisais pas du bénévolat pour avoir des congratulations et des remerciements de la part des gens, je le faisais parce que j’en avais envie, que ça me plaisait d’aider les gens. Évidemment, ma famille n’approuvait pas. Mais, je m’en fichais. Ma mère participait bien à des œuvres caritatives, alors pourquoi ne ferais-je pas du bénévolat auprès des sans-abris ? C’était le moyen que j’avais pour venir en aide au plus démuni et à leur place, j’apprécierais que des gens qui ne sont pas dans le besoin me permettre de passer une nuit dans un vrai lit et de prendre des repas au chaud en hiver. Si ma famille n’était pas capable de le comprendre, tant pi pour eux. Moi, je savais que je faisais ce qu’il fallait et n’est-ce pas ce que l’on attend d’un bénévole ? Et puis, je ne sais pas, mais je trouve que ça allait de pair avec mon métier. J’étais infirmière, donc au service des gens dans le besoin, alors, faire quelques heures de plus en hiver pour servir de la soupe dans un refuge, je trouvais ça normal. « Ce n’est pas nécessaire. Je n’ai fais que si me semblait juste ! » lui dis-je, comme il voulait me remercier. Je lui fit un sourire sincère. J’étais contente qu’il est pu trouver un travail, ça allait lui permettre de sortir la tête de l’eau. Du moins, je l’espérais. Mais, comment le dire sans le mettre mal à l’aise comme tout à l’heure ? J’étais passé pour une personne bien trop curieuse, ce dont je m’en voulais encore, alors je voulais éviter de me montrer à nouveau indiscrète. Je préférais donc me taire, ne sachant pas comment bien dire les choses.

Je savais bien que les bénévoles qui décidaient de donner de leur temps et leur énergie à certains endroits comme à des refuges comme ceux où j’avais pu crécher à quelques reprises avaient bonne volonté, même si certains le faisaient, j’avais pu le remarquer, pour se donner bonne conscience. Je n’étais pas celui qui interagissait le plus avec les gens, mais j’avais bien compris que certains donnaient juste du temps pour les apparences, pour faire joli dans une discussion. Et pour tout dire, ce fameux soir, je n’aurais pas été surpris d’en entendre plusieurs me dire qu’ils ne pouvaient rien faire pour moi parce que tout était complet. Voilà pourquoi je tenais à la remercier, pourquoi je ne pensais pas que ce n’était pas grand-chose. C’était nécessaire, et quelque chose me poussait à le lui confirmer, à lui montrer que son geste n’avait pas été ordinaire. Du coup, à ses propos, je secouai la tête, et je dis:  « Croyez-moi, ce n’est pas tout le monde qui a votre bonté. » Parce qu’en effet, je supposais que si elle avait eu l’amabilité de porter un tel geste à mon égard précédemment, c’était parce qu’elle avait un bon fond. Comme là, elle ne m’avait nullement jugée sur la façon que je la servais, même si je savais clairement que celle-ci laissait à désirer. Peut-être que j’avais faux aussi, j’étais un peu mauvais pour cerner exactement les gens, mais là, tout de suite, j’avais envie de croire que non. En tout cas, elle n’avait pas été méchante avec moi ce fameux soir, bien loin de là.

Je suis plutôt bizarre comme fille.et très contradictoire aussi. Je n’aime pas les gens parce que je me rends bien compte que la nature humaine laisse à désirer. Les gens se trompent de cible. Tu es victime d’une injustice ou d’un voisin trop brillant, tu le fait savoir, mais, c’est tout de même toi qui à tort. Oui, les humains sont particulier et méchants. Nous ne sommes clairement pas des gens bien. Il y a « animal » et « animal » mais en ce qui nous concerne, nous, les êtres humains, nous sommes plus « animal » qu’» humain ». Mais, je ne dis rien. Je préfère me dire que tout le monde peut changer. Et c’est là que je suis bizarre, que l’on se dit que, dans le fond, je dois vivre un peu au pays des Bisounours, car, je suis toujours à me dire que si les gens fond du bénévolat dans les refuges, c’est parce qu’ils ont bon fond. Alors qu’en réalité, la plus part le fond, pour se donner bonne conscience, parce que ça fait bien dans un curriculum. En gros, ils s’en fichent bien des sans-abris. Ils le fond un peu par obligation, pas par vocation. Et oui, ça, j’ai tendance à l’oublier. Quand il évoque ce soir-là, je sais qu’il eut de la chance de tomber sur moi, parce que oui, clairement, les autres ‘n’auraient pas fait ce geste de lui trouver une place, alors qu’il n’y en avait plus. Voilà une preuve de plus, que l’humain est « pourri » et que nous ne vivons pas dans le pays des Bisounours. « Vous avez sûrement raison ! Je ne sais pas pourquoi, mais je veux toujours croire que les hommes ne sont pas tous mauvais ! » que je réponds. Je n’ajoute pas que je sais que c’est faux, mais il doit sans doute le penser aussi. Sinon, pourquoi aurait-il dit ce qu’il vient de dire ?

J’aimais et j’admirais l’ouverture d’esprit dont faisait preuve mon interlocutrice, même si je n’irais pas jusqu’à dire que j’étais quelqu’un de bien pour autant. Je ne voulais pas du mal à qui que ce soit, mais je ne pensais pas que je serais capable de faire preuve de générosité envers qui que ce soit comme elle, elle l’avait fait. Par conséquent, il fallait que je comprenne que j’avais eu une vraie chance de l’avoir croisée à ce moment, et qu’elle ait bien voulu prendre soin de moi. L’ayant déjà remerciée et ayant amplement exprimé ma reconnaissance, j’eus l’impression que si je réitérais encore une fois, encore et toujours, cela deviendrait quelque peu gênant au final. Par conséquent, je me contentai de simplement lui sourire, en silence, gardant un certain mutisme qui était susceptible de provoquer un malaise, ou un moment un peu étrange dans la discussion. Heureusement, un « ding » qui était devenu familier - parce que souvent, j’étais celui qui le provoquait - vint me tirer de cette situation. D’instinct, je me retournai vers la cuisine, croisant le regard de mon collègue, ce qui me poussa à regarder la jeune femme et dire:  « Je crois que votre commande est prête. » Ce fut par ces mots que je pris congé de la jeune femme, pour retourner à la cuisine et voir que je ne m’étais pas trompé. En effet, c’était bel et bien le repas commandé précédemment. Comme je le faisais toujours d’habitude, je vérifiai que celui-ci était bien conforme à la commande - certains ne le faisaient pas mais moi, ça faisait partie de mes principes desquels je ne me voyais clairement pas déroger - et quand je vis que c’était le cas, je le lui apportai. Je le déposai sur la table, lui souhaitant ensuite:  « Bon appétit. » d’un sourire timide, bien que cette fois-ci, c’était qu’il se voulait poli, prêt ensuite à m’éloigner pour la laisser manger tranquille, comme, je le supposais, je me devais de le faire, parce que qu’importe si je l’avais reconnue, il n’en demeurait pas moins qu’elle était venue manger certainement tranquille et moi, j’étais toujours en service, même si ce n’était pas les clients qui abondaient pour le moment.