Hazel & Teddy + Please don't tell me that it's too late for me to love you

Je l’avais vue. Je l’avais vue, assise à une table au restaurant. J’étais persuadé que c’était elle, autrement, jamais mon coeur n’aurait cessé de battre pendant quelques secondes comme ça, jamais je n’aurais été aussi troublé. Voilà maintenant bientôt cinq ans que je ne l’avais pas vue et pourtant, je pourrais la reconnaître entre mille. Et même si j’étais on ne peut plus certain, j’avais décidé de ne rien faire. Et ce n’était pas parce qu’elle ne me manquait pas. Au contraire, pendant tout ce temps, je l’avais regardée dès que possible, avec cette envie terrible d’aller la voir, de lui dire à quel point elle me manquait, justement. Mais je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas revenir dans sa vie comme ça, à tout hasard, alors que je ne savais pas où elle en était, qui elle voyait. Là, elle était seule, pas de conjoint apparent, mais rien ne me disait qu’il n’y avait pas quelqu’un d’autre, et même si ç’aurait pour effet de me briser le coeur, je ne saurais pas lui en vouloir. Avant que je puisse me faire une idée, elle était finalement partie, me laissant avec mes pensées. Au début, je tentai de me résigner à oublier cette rencontre à sens unique, avant de réaliser, le soir venu, une fois que je fus seul chez moi, que peut-être je devrais considérer cela comme un signe, un signe qu’il serait peut-être temps que je révèle que j’étais toujours là, en vie, et que je n l’avais pas oubliée. Maintes fois j’avais rêvé à ce moment, sans trouver ce que j’allais lui dire, reculant à l’idée de le faire justement parce que je ne savais pas ce que j’allais dire, ce que j’allais faire. Mais j’avais décidé d’abandonner l’idée de trouver les mots parfaits. Pour une rare fois dans ma vie, je n’allais presque rien calculer. C’était effrayant, mais j’avais envie de croire que c’était pour la bonne cause. Le lendemain matin, je ne travaillais pas, et j’allais en profiter pour me rendre à notre ancienne demeure - sa demeure actuelle, je l’espérais. Avant de partir, je pris le temps de me doucher, tailler ma barbe, même faire attention à ma coiffure, ce que je ne faisais presque jamais. Je pris même la peine de m’habiller du seul pantalon décent et de la seule chemise que je possédais encore. Seulement lorsque je fus certain que mon apparence était convenable, j’enfilai mon manteau, et je me mis en route. Je fis un seul arrêt, chez un fleuriste, pour acheter un bouquet de ses fleurs préférées, celles de notre mariage qui plus est. Ensuite, je ne m’arrêtai pas. Jusqu’à la maison, je ne m’arrêtai pas. Je ne regardai personne, je parlai encore moins, refermant ma main sur le bouquet, fort, tellement j’étais nerveux. Arrivé devant la demeure, j’eus un pincement au coeur, voyant que la maison n’avait pas changée, et je voulus rassembler mon courage pour avancer dans l’allée, et frapper à la porte, mais finalement, le courage ne vint pas, faisant en sorte que pendant un temps, je restai planté là, mon bouquet à la main, figé, réalisant que mon corps ne répondait plus, pas par un malaise, mais parce que la peur était en train de me paralyser comme jamais.

Cela faisait cinq ans qu’il était parti. Un peu moins qu’il avait disparu et que je n’avais plus de nouvelles. C’était dur à vivre. J’avais peur. Peur qu’il ne revienne jamais à la maison. Sans preuve, jamais je ne pourrai croire qu’il n’était plus en vie mais je ne pouvais m’empêcher de penser que c’était peut-être le cas mais que sans preuve on ne pourrait pas me dire qu’il n’était plus de ce monde. Chaque jour j’espérais un signe de sa part, de quelque nature qu’il soit. Souvent, je lui écrivais assez régulièrement, même si les lettres que je lui envoyais, ou plutôt les mots car je n’avais plus la passion de lui écrire de grandes lettres, restaient sans réponse. Je lui donnais de mes nouvelles, lui demandais des siennes, espérais qu’il me répondrait. Evidemment, je lui faisais part des progrès de notre fils. Peut-être ne pouvait-il pas me répondre et qu’il était content de toutes ces informations que je lui envoyais. Il me manque terriblement, il nous manque terriblement à Freddie et moi. Je fais bonne figure, il faut que je sois forte, je ne peux pas m’effondrer devant mon fils mais il m’arrive de craquer le soir en allant me coucher. Sa place vide, depuis si longtemps… Moi qui prend son haut de pyjama pour sentir son odeur, mais depuis cinq ans, elle a disparue, tout comme lui. Depuis son départ, rien n’avait changé dans la maison, si ce n’était que Freddie avait bien grandit. Il n’allait pas en revenir quand il serait de retour car le jour où il est parti, Freddie n’était encore qu’un bébé qui prenait des biberons, ne marchait et ne parlait pas. C’était tout autrement aujourd’hui car il courait partout et il fallait le suivre. Il était très curieux, me sollicitait sans cesse pour jouer avec lui. C’était un petit garçon heureux mais dans les yeux duquel je voyais qu’il manquait quelque chose, il nous manquait la même personne à tous les deux, il lui manquait son père et il me manquait mon époux. Ce n’était pas toujours simple de gérer la maison, les courses et de m’occuper de mon fils, mais j’avais appris à le faire et même si cela pouvait présenter quelques complications parfois, je ne m’en sortais pas si mal. L’heure du goûter, une heure à ne surtout pas manquer pour un enfant, et encore moins pour Freddie. Je lui avais appris sur l’horloge à reconnaître l’heure du gouter et il ne manquait pas de me le rappeler si j’avais oublié. Alors que j’étais en train de profiter qu’il jouait tranquillement pour faire un peu de nettoyage dans la cuisine, qui vis-je rappliquer en me montrant l’horloge accroché au-dessus de la porte ? Personne d’autre que mon fils. Cela me faisait sourire à chaque fois qu’il le faisait. Alors, je lui préparais son gouter avec quelque biscuit et un verre de lait. Il retournait ensuite à ses occupations. Pendant ce temps, je terminais mon ménage rapide et pour finir le tout, je me décidais à sortir ma poubelle à l’extérieur car elle était pleine. « Freddie, je sors deux minutes pour jeter la poubelle, pas de bêtise. » Je tenais simplement à le prévenir, ayant suffisamment confiance, je ne prenais la peine d’attendre de réponse pour empoigner la poubelle et me diriger vers la porte d’entrée. Finalement il m’avait répondu entre temps. « D’accord maman. » J’enfilais des chaussures qui me servaient uniquement quand j’avais besoin de sortir rapidement pour jeter la poubelle par exemple, ainsi qu’une petite veste histoire de ne pas attraper froid. En ouvrant la porte, je sursautais car je ne m’attendais pas à trouver quelqu’un devant. Finalement, je restais sans voix quand je me rendis compte de l’identité de cette personne. « Ted… » Je lâchais la poubelle, sentais mes jambes faiblir. J’avais la sensation que je ne contrôlais plus rien, et c’était le cas. Je ne croyais pas ce que je voyais. Et je ne parvins pas à parler plus.

Bien que mon corps ne bougeait pas vraiment, mon cerveau, lui, marchait à toute vitesse sans pourtant être des plus efficaces, dans le sens où je me posais une tonne de questions sans parvenir à trouver une réponse. Était-elle vraiment encore dans cette maison, ou bien avait-elle choisi préférable de déménager ? Si elle y était toujours, était-elle au travail ? Freddie était-il là ? Allait-il à l’école et si oui, à quelle heure il quittait ? Je savais que je n’avais pas été assez présent, voire pas du tout, pour avoir réponse à ces fameuses questions, et pourtant, je me sentais quand même pathétique. Pathétique de ne même pas être en mesure de me faire ne serait-ce qu’une petite idée d’à quoi ressemblait son quotidien. En fait, j’avais encore du mal à me faire une idée du quotidien de qui que ce soit, apprenant tout juste à m’habituer au mien, qui était fort peu garni. Mais le fait que je ne sois pas capable de savoir du tout ce que ma femme faisait ? Ça venait me briser le coeur un peu plus… Puis arrivait la possibilité qu’elle soit là et qu’elle finisse par me voir. Je n’avais pas encore su me décider sur ce que je pourrais lui dire, et même si je m’étais résigné à ne pas le savoir, à ne rien calculer ou presque, il n’en demeurait pas moins que ça m’angoissait au plus haut point. Et si elle ne me reconnaissait pas ? Et si elle ne voulait même pas me voir ? Évidemment que j’y avais pensé, que j’y pensais encore, et chaque fois, j’en venais à cette conclusion déchirante que je ne pourrais pas lui en vouloir. Que je l’aurais mérité, si elle avait décidé de faire un trait sur notre mariage, mariage qui aurait dix ans sous peu. J’avais beau ne pas avoir été présent, je n’avais pas su oublier la date, l’année. Jamais je n’aurais pu faire une chose pareille. Je me doutais bien que si effectivement, elle ne voulait pas me voir, certainement que je rebrousserais chemin et je tenterais de ne plus y songer, même si là, tout de suite, c’était impossible. Mais la simple éventualité vint installer une certaine angoisse, angoisse qui me fit même demander si je ne ferais pas mieux de quitter les lieux, mais au final, avant que je puisse totalement m’en convaincre, la porte d’entrée s’ouvrit. Terrifié, je restai sur place, les yeux écarquillés, fixant la silhouette qui sortit de la demeure, un sac poubelle à la main. Mais ce détail, il fut le dernier que je remarquai; je remarquai plutôt les cheveux blonds, le visage doux que j’avais aperçu il y avait de cela quelques jours, que je revoyais, plus proche. Et pour la première fois depuis cinq ans, j’entendis sa voix, autrement que dans mes pensées et mes rêves. Ce ne fut que le temps d’un mot, un mot qui n’était même pas complet, quelques lettres de mon prénom, qui furent suffisantes pour que je comprenne qu’elle m’avait reconnu. J’aurais dû en être soulagé, mais je n’y parvins pas. Parce que j’avais bien vu son malaise, parce que j’avais bien vu qu’elle était en état de choc. Moi aussi d’ailleurs, d’où le fait que je vins à lâcher, dans un souffle: « Hazel… » Conscient que je me devais de faire autre chose, mais refusant de me précipiter, je me contentai de faire qu’un pas, puis deux. Ainsi, j’étais à distance raisonnable, assez près pour pouvoir l’aider, la soutenir si elle ne reprenait pas d’aplomb rapidement, mais pas assez pour être envahissant. C’était peut-être mieux ainsi d’ailleurs, puisqu’alors que je la regardais, je me surpris à murmurer, surtout pour moi-même: « Tu es si belle… » Après-coup, j’espérai qu’elle ne m’avait pas entendu, non pas parce que je ne pensais pas le compliment, mais bien parce que je savais que je devais paraître idiot, comme ça, à m’attarder sur sa beauté qui n’avait pas changé, encore plus belle que comme je me l’imaginais, tout le temps, constamment, même si pour le coup, je n’avais pas pu m’en empêcher.

Je n’en revenais toujours pas de le voir devant moi. Je devais rêver, ce n’était pas possible autrement. Je clignais des yeux à plusieurs reprises et secouais doucement la tête. Il était bel et bien là, devant moi, bouquet de fleur à la main. Je ne pouvais pas le croire. J’avais attendu ce moment depuis tellement de temps… Cinq ans que je n’avais pas vu mon mari. Cinq longues années durant lesquelles j’avais chaque jour attendu un signe, son retour… Cela arrivait enfin et je n’y croyais pas. Je vacillais et il avait dû constater que j’étais à deux doigts de flancher car il s’était un peu avancé vers moi. Il avait prononcé mon prénom, sa voix était si douce, si délicate, si belle. Je sentis les larmes me monter aux yeux, je tentais de me retenir, mais comment contenir ma joie de le voir devant moi ? Car oui, si je pleurais ce serait de joie et de soulagement après ces cinq longues années de souffrance, sans lui. Bien qu’il ait ensuite tenté de parler doucement, j’étais parvenue à entendre ce qu’il avait dit. Il avait chuchoté que j’étais belle, et cela me fit un pincement au cœur. Voilà si longtemps que j’attendais de l’entendre me parler, me dire tout et n’importe quoi. Il m’avait tant manqué. Mais où était-il passé durant toutes ces années ? Pourquoi n’avais-je pas eu de ses nouvelles alors que je lui avais écrit de nombreuses lettres ? Il allait falloir qu’il m’explique tout, j’avais besoin de savoir, dans les moindres détails. A ces mots, je ne pu retenir mes larmes plus longtemps. En cet instant, je tendais ma main vers la sienne. « Merci… Et toi alors… Je suis contente de te voir mais… » Je soupirais en tentant de contrôler mes larmes. J’avais de plus en plus de mal à parler, il fallait que je me calme un peu. J’essuyais les larmes qui ruisselaient sur mes joues et inspirais profondément. « Où étais-tu pendant tout ce temps Teddy ? »

J’étais parfaitement conscient que je ne pouvais pas revenir comme une fleur et me dire que tout irait pour le mieux. En fait, ce n’était nullement dans mes plans, persuadé qu’elle aurait plein de questions, voire même qu’elle allait m’en vouloir et me demander à ne plus me voir. Mais là, le contraire se passait. Elle ne s’était pas jetée dans mes bras - et je ne le lui reprochais pas non plus, au contraire, il y avait si longtemps que je n’avais pas eu de contacts affectifs humains que je n’étais pas certain que j’aurais su comment réagir - mais il n’en demeurait pas moins qu’elle ne me chassait pas, bien au contraire. Elle tendit sa main, ce que je tardai à me rendre compte, me disant ensuite qu’elle était contente de me voir. Ce dernier propos me conforta suffisamment que je ne restai plus sans bouger encore bien longtemps, tendant ma main vers la sienne pendant un instant, puis finissant par me raviser quand elle reprit la parole, venant me poser la question la plus légitime qu’elle pouvait poser, et pourtant, c’était celle que je ne pouvais pas entendre. Mon coeur se serra inévitablement, puis ce fut à mon tour de baisser la tête. Le geste me rappela que j’avais des fleurs pour elle, et au vu de sa main tendue, je crus bon de les lui donner, et lui dire maladroitement:  « Ce… Elles sont pour toi… » Évidemment que je me trouvais idiot de les lui présenter ainsi, mais je ne me voyais pas prendre sa main. Non pas que l’envie me manquait mais c’était comme si je me disais que ne le méritais pas. Ne parvenant pas à aborder la question encore une fois, j’ajoutai:  « Ce sont celles que tu avais le jour de notre mariage… » Oui, pendant un instant, j’avais supposé que cela viendrait aider ma cause, parce que je savais que qu’importe ce que j’allais lui dire, ce ne serait pas ce qu’elle voulait entendre, dans le sens où ce ne serait pas la vérité. Je devais dire quelque chose par contre, mais quoi ? Je me résignai à dire ce que je pensais. J’avais accepté d’improviser, je devais faire avec. Soupirant, je dis :  « C’est… C’est si compliqué… » Ça ne se racontait pas sur le pas d’une porte, ça ne se racontait juste pas j’avais envie de dire. Je n’en avais parlé à personne, je ne voulais pas en parler à qui que ce soit non plus, et le simple fait de ne pouvoir le partager avec ma femme, celle à qui je pouvais tout dire, me faisait mal, mais pas autant que les souvenirs traumatisants qui commençaient à se former dans mon esprit. Secouant la tête comme pour tenter de les chasser, j’ajoutai ensuite:  « Je te le dirai à un moment… Mais… S’il te plait, pas maintenant… L’important c’est que… Je suis là maintenant… » Et je n’avais pas l’intention de repartir. Mais était-ce pour autant que je pouvais revenir dans sa vie ? Je ne pouvais pas lui imposer, je ne pouvais même pas lui demander. Voilà pourquoi je laissai mon propos en suspens, la regardant pour la première fois depuis un moment maintenant, voyant les larmes qui faisaient briller ses yeux, me brisant le coeur un peu, me donnant surtout cette envie terrible de venir les essuyer moi-même de mon pouce, toucher de nouveau sa peau de porcelaine, mais ce serait trop, et je n’osais pas, pas pour le moment.

J'ignorais totalement pourquoi Teddy avait été absent tout ce temps. Je ne savais également pas pourquoi il n'avait pas donné de nouvelles. Pour autant, même si une tonne de questions se bousculaient dans ma tête, même si je ne savais pas de quoi l' avenir serait fait à présent, j'étais heureuse de le voir, de le savoir en vie. Lorsque je l'avais épousée il y avait de ça plusieurs années, jamais je n'aurai pu croire que mon mariage prendrait la tournure qu'il avait pris. Je savais pertinemment à cette époque que m'engager avec Teddy pouvait être risquer au vu de son métier, pour autant, je n'aurai jamais cru le perdre un jour... Toutefois, durant ces cinq dernières années, n'ayant eut aucune preuve du fait qu'il puisse ne plus être de ce monde, j'ai espéré chaque jour le revoir, et ce jour arrivait enfin. Il m'avait été, durant toutes ces années, tout simplement inconcevable de refaire ma vie avec un autre homme. Pour la simple et bonne raison que Teddy était l'homme de ma vie et que je l'aimais jusqu'au plus profond de mon être. Il était la deuxième personne la plus importante à mes yeux après notre fils Freddy. Lorsque j'avais tendu ma main vers la sienne, il n'avait pas été receptif et cela m'avait un peu vexée, à vrai dire je ne comprenais pas et cela eut pour conséquence que je me fis je ne sais combien de scénarii différents dans ma tête. Toutefois, s'il n'avait pas su tendre sa main en retour, il m'avait offert ce bouquet de fleurs qu'il tenait à la main, ce qui eut tout de même pour effet de me faire sourire. Je ne savais pas trop quoi dire en prenant le bouquet de fleurs qu'il me tendait. « Je... » Plutôt que de rester sans voix, je me contentais de le remercier. « Merci Teddy… Elles sont magnifiques... » En effet, il s'agissait des mêmes fleurs que j'avais le jour de notre mariage, des tulipes, blanches. J'aimais les roses mais je trouvais cela trop cliché, et en apprenant que la tulipe, qui était ma fleur préférée, était également idéales pour exprimer son amour, j'avais décidé que mon bouquet de mariée serait composé de ces fleurs, et Teddy ne l'avait pas oublié. « Oui, exactement les mêmes, mes fleurs préférées… » Même si j'aurai aimé qu'il me le dise maintenant le pourquoi il avait été absent ces cinq dernières années, je comprenais que ce ne soit pas vraiment possible. Pourtant, j'avais hâte qu'il m'expliquer, je me posais tant de questions, j'attendais des réponses, et vite. « Ces cinq années passées sans toi ont été compliquées aussi... » Je baissais la tête, tentant de contrôler mes larmes pour ne pas pleurer plus que je ne le faisais déjà. Visiblement, je n'aurai pas de réponses à mes questions dans l'immédiat. J'allais devoir attendre... Combien de temps ? Je n'en savais rien... « Je comprends Teddy... Mais j'espère que tu ne me feras pas trop attendre... j'ai besoin de comprendre ton absence... » Je soupirais doucement, j'avais envie qu'il me prenne dans ses bras mais il ne semblait pas franchement en avoir envie, enfin je ne savais pas bien ce qu'il ressentait en ce moment. « Mais c'est vrai, le plus important c'est que tu sois là... Entre, ne reste pas dehors... » Je me décalais un peu afin de le laisser entrer, j'en profitais pour filer jusqu'à la poubelle pour y jeter mon sac d'ordures, ce que je m'apprêtais à faire avant de tomber nez à nez avec Teddy sur le pas de la porte.

Le fait que je ne prenne pas la main qu’elle m’avait tendue avait provoqué un malaise, j’en avais eu l’impression, mais heureusement, j’eus aussi ce sentiment que le fait que je lui donne ces fleurs que j’avais prises pour elle était venu atténuer celui-ci. Évidemment que ce n’était pas parfait, évidemment que je pourrais faire mieux, mais la nervosité, la crainte du rejet, tout ça faisait en sorte que je n’agissais pas comme j’aurais voulu. Et le pire, c’était qu’avant, tout était facile avec Hazel. Par mes lettres, je lui racontais tout. Quand je pouvais l’appeler, je peinais à raccrocher, parce que j’avais tant à lui dire, trop à lui dire. Le fait de ne pas lui parler m’avait fait du mal aussi. Mais soudainement, lui dire me faisait sentir égoïste, en l’entendant me dire que ç’avait été difficile. Je m’en doutais bien, mais l’entendre me faisait plus de mal. Et juste pour apaiser un peu sa peine et sa souffrance, j’aurais aimé l’exaucer, lui dire ce qui avait pu se passer, mais tristement, je n’y parvins pas. À la personne à qui je disais tout. L’idée me fit un pincement au coeur, qui s’estompa quelque peu quand elle se montra compréhensive et n’insista pas pour que je lui en dise davantage. Mais refusant de l’obliger de rester dans l’abstraction trop longtemps, je répondis à sa demande:  « Promis… » Combien de temps il me faudrait pour être capable d’en parler pour la première fois depuis les faits ? Je ne savais pas par contre. Voilà pourquoi je ne pouvais pas mettre un jour, une heure, même pas un temps quelconque. Mais j’allais le faire, si elle me permettait de le faire, si elle voulait bien attendre pour moi. Le moins longtemps possible, je l’espérais, je faisais cette promesse à moi-même, bien que je devrais prendre sur moi, bien que je devrais faire des efforts qui me paraissaient insurmontables, surhumains à cet instant précis. Je n’eus plus à en parler pour le moment, Hazel reprit la parole, me proposant de rentrer à l’intérieur. Un peu gêné, puisqu’aux prises avec ce sentiment que je ne le méritais pas, j’acquiesçai d’un signe de tête, mais je ne rentrai pas dans la maison, faisant en sorte que j’étais toujours sur le pas de la porte quand elle revint après être allée sortir les poubelles - corvée de laquelle je l’épargnais dès que j’étais à la maison, je m’en souvenais très bien. Pour moi-même, je dis:  « Ça n’a vraiment pas changé… », un peu ému de la constatation, alors que normalement, je n’exprimais pas toujours ce que je ressentais. Reprenant le dessus sur ça en me raclant la gorge, je tournai la tête vers Hazel, lui demandant:  « Est-ce que… Freddie est là… ? » Évidemment, je voulais revoir mon fils, mais l’idée me rendait un peu nerveux. Et s’il ne savait pas qui j’étais ? Et si je n’étais pas le bienvenu à ses yeux ? Comme envers Hazel, je ne saurais pas lui en vouloir, mais tout était si flou de ce côté que le stress que j’avais ressenti en me présentant devant la maison, qui s’était un peu apaisé, était en train de revenir, de plus belle même, au point que je ne parvenais pas à faire les quelques pas qui me permettraient d’entrer dans la maison que j’avais appelé la mienne avant, que je voudrais appeler la mienne de nouveau, si les circonstances me le permettaient un jour.

Il venait de me promettre qu'il ne me ferait pas trop attendre pour m'expliquer pourquoi il avait été absent tout ce temps... Toutefois, je sentais que sa promesse n'était pas totalement sincère. Il semblait me cacher quelque chose et je ne savais pas quoi. Il était évident que j'étais heureuse de le voir aujourd'hui, que j'attendais ce moment depuis tellement longtemps... Cependant, cela me rongeait de ne pas savoir pourquoi. J'allais devoir me montrer patiente, mais cela n'était pas une de mes qualités. Même si j'avais pu attendre tout ce temps de le retrouver, je ne pensais pas pouvoir attendre autant de temps pour avoir la vérité. Je prendrais sur moi, je l'avais perdu une fois, je ne voulais pas le perdre une deuxième fois à cause de mon impatience. Teddy savait qu'il pouvait avoir confiance en moi, j'étais sa femme, je lui avais promis le jour de notre mariage de l'aimer, de le chérir, de le respecter, de lui être fidèle, de lui porter secours et assistance au besoin et ce, jusqu'à ce que la mort nous sépare. N'ayant eu jusqu'à maintenant aucune preuve de son décès, j'avais respecté tout mes engagements et j'avais bien fait, car il était de retour. J'esquissais un petit sourire à la remarque qu'il fit sur le fait que rien n'avait changé chez nous. Puis je haussais doucement les épaules. « Il n'y avait aucune raison que je change quoi que ce soit ici... Je savais que tu reviendrais. C'est chez nous Teddy, je ne changerai rien sans ton accord... » J'avais fini ma phrase avec de l'émotion de la voix. Cette maison, c'était la notre, à Teddy et moi. Elle était le symbole de notre mariage, de notre amour, et il était inconcevable pour moi de changer quoi que ce soit sans qu'on l'ait décidé ensemble. Quand bien même si j'avais refait ma vie depuis tout ce temps, je n'aurai pas pu le faire dans cette maison. Il en vint ensuite à me demander si notre fils Freddie était là. Je ne savais pas trop quoi dire sur le coup, comme si notre fils pouvait être ailleurs qu'ici... Puis finalement, il aurait été totu à fait possible que Freddie soit chez un copain pour un anniversaire, ou que j'ai demandé à une de nos amies de le garder quelques heures, ou je ne savais trop quoi. Je hochais la tête en silence. « Oui, il est dans le salon en train de jouer... Est-ce que tu veux que je vous laisse un peu... seuls ? » Même si maintenant que Teddy était de retour je n'avais pas envie de m'éloigner de lui trop longtemps, de peur qu'il disparaisse à nouveau, je comprendrais qu'il veuille un moment seul avec son fils.

Bien que ce moment soit une exception à ce que je faisais au quotidien, je n’avais pas pour habitude de montrer mes émotions. Mais là, depuis que j’avais vue mon épouse sur le porche, que je lui avais parlé, il était bien difficile de garder ma contenance. Je ne craquais pas toutefois, ou plutôt, je ne craquai pas jusqu’au moment où Hazel renchérit sur mon commentaire concernant la maison. Peut-être ne s’en doutait-elle pas, mais rien n’aurait pu me toucher davantage à ce moment précis que ce qu’elle m’avait dit, comme quoi elle avait espéré mon retour, elle n’était pas passée à autre chose comme elle aurait pu le faire, comme elle aurait eu droit de le faire. L’émotion me prit à la gorge, et je la regardai, les yeux brillants, à la fois touché et me sentant encore plus coupable de ne pas avoir su revenir avant, de ne pas avoir su me reprendre en main avant. Tentant tant bien que mal de reprendre le dessus, je demandai si notre fils était là, ce à quoi je me fis répondre par la positive. Il était là, et plus encore, il était tout près, dans la pièce juste à côté. Je ne pourrais faire que quelques pas que je le verrais. À qui ressemblait-il ? Comment était-il ? Maintes fois j’avais tenté de me l’imaginer, supposant toujours que la réalité ne serait pas telle que je l’imaginais, probablement mieux. Évidemment que je voulais le voir, j’étais même impatient, et pourtant, je n’y arrivai pas. Je ne parvins pas à acquiescer, m’avancer et aller lui dire bonjour. Et s’il ne savait pas qui j’étais ? Ce serait probable après tout, il n’était qu’un bébé la dernière fois que je l’avais vu, que je l’avais pris dans mes bras… Comment pourrais-je lui parler ? Je ne savais pas, et je me sentais terriblement perdu, si bien que lorsqu’Hazel me proposa de me laisser seul avec lui, je secouai la tête nerveusement, refusant. Cherchant les mots pour justifier ma réaction, je ne fis que dire au final:  « J’ai besoin de toi… » Et voilà que je me tenais debout devant elle, vulnérable, affirmant que je ne saurais pas comment agir devant mon propre fils. J’en avais honte, mais je ne pouvais pas faire autrement. Comme si je supposais que cela m’aiderait à me faire pardonner, je lui tendis la main timidement, avec cette envie brûlante de la toucher, de savoir qu’elle était là, dans ce moment que j’avais tant attendu et que maintenant, je redoutais, probablement plus que je n’étais prêt à l’admettre.

Après ce que je venais de lui dire, j'avais bien vu que ses yeux étaient devenus brillants, mais je n'avais rien dit. Je connaissais assez bien Teddy, mon mari, pour savoir qu'il avait été touché par mes propos. Ce n'était pas franchement son genre pourtant. Je ne disais rien car je me doutais qu'il était assez pudique quant à l'expression de ses sentiments, et je pouvais le comprendre. J'étais bien placée pour savoir qu'il est parfois compliqué de gérer ce que l'on ressent et pour autant on n'a pas forcément envie que l'on nous réconforte ou que l'on nous plombe de questions si l'on constate quoi que ce soit. Dans ces moments là, on veut simplement qu'on nous laisse tranquille, afin de nous laisser contrôler au mieux nos émotions et ne pas nous laisser submerger. Cependant, ce que j'espérais c'est que ce que je lui avais dit ne l'avais pas trop touché au point que je puisse le faire pleurer, je m'en serai voulu. Finalement, il n'avait pas versé de larmes et cela me rassurait. Quand mon époux avait demandé si notre fils était là et s'il pouvait le voir, j'avais ressenti une sensation de bonheur. Freddie, à qui je parlais de son père depuis toujours, allait pouvoir enfin le rencontrer. Il l'avait déjà rencontré mais il était encore un bébé et n'avait aucun souvenir de son papa. Pour autant, pendant l'absence de Teddy, j'avais beaucoup parlé à Freddie de son père, qu'il allait revenir, qu'il était en mission pour son travail. Je lui avais aussi un peu menti en lui disant que son père allait bien, car je n'en savais rien... Mais une chose dont j'étais certaine c'était qu'il pensait à lui chaque seconde qui passait. Cela me fit du bien quand Teddy me dit qu'il avait besoin de moi pour revoir Freddie. J'aurais tout à fait compris qu'il veuille se retrouver seul avec lui, cela aurait été tout à fait normal, mais il semblait affecté par quelque chose, j'avais la sensation qu'il avait peur, et je pouvais le comprendre, il allait en quelque sorte faire franchement la connaissance de son fils, après tant d'années passées loin des siens... Je hochais la tête pour lui indiquer que je ne le laisserai pas seul, que je serai là pour le soutenir et l'accompagner. J'esquissais un petit sourire à mon mari, j'avais hâte qu'il revoit Freddie... Je savais que ces retrouvailles allaient être riches en émotions. Il me tendait cette-fois là main alors que précédemment il avait en quelque sorte refuser le contact entre nous alors cela me fit chaud au coeur et je lui tendais la main à mon tour et la glissais dans la sienne. Je sentis la chaleur de sa main envahir la mienne, je savourais cet instant. J'avais attendu ce moment, de pouvoir le toucher, tellement longtemps. Je restais immobile un instant et caressais le dos de sa main lentement avec mon pouce. Je le regardais droit dans les yeux et fis un pas vers lui, pour être plus proche. Au bout d'un moment, je ne pu plus résister à l'envie de me jeter dans ses bras et lentement je me laissais aller contre lui en passant mes bras autour de lui. « Tu m'as tellement manqué… » Après plusieurs secondes passées dans ses bras, les yeux fermés à le sentir contre moi et à respirer son odeur, je mis fin à  notre étreinte et ne lâchant pas sa main je fis quelques pas vers le salon en l'entraînant avec moi. Avant de pénétrer dans le salon, je me tournais vers lui en le regardant tendrement. « Tu es prêt ? »