Dealing with ambiguity is far easier if you learn how to enjoy it ✤ Sasha M. Hawpkins

Je ne saurais dire si c'est mon attitude qui a changé la donne mais Sasha affiche à son tour un nouveau visage : alors qu'elle semblait être tendue comme un string, j'ai désormais la sensation qu'elle a réussi à canaliser ses angoisses. D'ailleurs, le fait qu'elle se libère ainsi de ses chaînes n'est pas loin d'être déroutant à mes yeux. Certes, elle n'a rien de la femme fatale ou de la prédatrice, pas plus qu'elle n'use de tous ses charmes dans l'unique but d'obtenir mes faveurs mais malgré tout, force est de constater qu'elle est loin d'être aussi coincée que je l'imaginais dans la mesure où certaines de ses réflexions prouvent clairement qu'elle souhaiterait que je morde à l'hameçon histoire de combler certains de ses désirs. Il est évident que je ne vais pas m'en plaindre même si j'ai toujours trouvé que sa timidité lui conférait un certain charme.

Depuis que l'on m'a diagnostiqué une tumeur au cerveau, je n'hésite plus à parler avec mon cœur et il est même devenu naturel à mes yeux de me dévoiler davantage quitte à mettre en lumière le fait que je possède une grande sensibilité. Sans doute qu'en réalité, je veux me montrer sous mon meilleur jour avant de quitter ce monde en particulier avec mes proches que j'ai trop souvent négligé à mon goût par le passé. Malgré tout, il est évident que pour le moment, je ne m'autorise pas autant de liberté avec Sasha dans la mesure où jusqu'à aujourd'hui, je nageais en plein brouillard sans savoir ce qu'il allait advenir de notre relation. Désormais, cette question n'a plus lieu d'être mais cela ne m'empêche pas de redouter le moment où je vais jouer franc jeu avec Sasha. Normalement, dans ce genre de situation, on est surtout effrayé à l'idée de se prendre un vent ou de faire fuir la personne à qui on va déclarer sa flamme mais dans ma position, ce sont d'autres réalités qui me terrifient. En effet, j'ai beau aimer la jeune femme, je me dis que lui offrir la clé de mon cœur s'apparenterait à lui faire un cadeau empoisonné. Comment puis-je envisager de me mettre en couple en sa compagnie alors que mes jours sont comptés ? Cela paraît presque indécent. Peut-être aussi que c'est pour cela que je préfère retarder l'échéance car je ne désire pas prendre une décision que je pourrais regretter par la suite : j'en viens même à me demander si je ne vais pas devoir expliquer à Sasha que je souffre d'un cancer incurable.

En un sens, la situation est assez ironique : j'ai connu bon nombre de partenaires durant ma vie mais je suis tellement troublé par Sasha que je suis pétrifié à l'idée de m'y prendre comme un manche en sa compagnie. Passé maître dans l'art de la séduction, j'ai pourtant eu l'habitude de côtoyer de charmantes demoiselles et j'ai déjà démontré que j'étais un charmeur hors pair qui obtenait toujours ce qu'il désirait. Habile, sûr de moi et beau parleur, je suis donc un expert en la matière mais pourtant avec Sasha, je ne peux pas m'enlever de l'esprit que je vais être aussi maladroit qu'un adolescent boutonneux qui proposerait à la reine du lycée de sortir avec lui. Il faut dire qu'avec la jeune femme, le contexte est totalement différent : j'éprouve déjà des émotions très fortes à son égard et je ne la vois donc pas comme une simple proie que je désire mettre dans mon lit. Bien évidemment, je ne cache pas que je fantasme déjà à l'idée de passer un moment torride en sa compagnie mais je n'ai pas l'intention de me contenter de si peu. La vérité, c'est que je ne veux surtout pas que notre relation soit éphémère car j'ai le sentiment qu'à partir du moment où je partirai à la conquête de son cœur, Sasha deviendra comme une drogue dont je ne pourrai plus me passer et cette réalité ne peut que me faire flipper encore davantage.

Tout en arborant mon plus beau sourire, j’observe de temps à autre Sasha tandis que le silence apaisant qui nous entoure pourrait donner la sensation que nous sommes seuls au monde. D'ailleurs, doucement mais sûrement, on semble vraiment s'éloigner de toute civilisation et le paysage que l'on peut admirer est vraiment féerique. Depuis plusieurs minutes, on joue clairement au chat et à la souris avec la jeune femme et c'est sans doute pour éviter de franchir la ligne jaune que j'ai préféré changer totalement de sujet. Cela ne m'a pas empêché de confier à Sasha qu'elle possédait un sourire magnifique et que je n'avais pas envie de m'en priver puis de lui indiquer qu'en effet, elle allait devoir se creuser les méninges si elle désirait trouver ce que j'avais derrière la tête. Toujours est-il que pour l'instant, j'ai donc décidé de jouer la carte de la sécurité : avec la question que je viens de poser à Sasha, j'espère implicitement que notre conversation va prendre une autre tournure.

La jeune femme me confie alors qu'elle s'est achetée un animal de compagnie et j'apprends par la même occasion que sa sœur est désormais en couple. Cette info me laisse totalement de marbre mais me confirme malgré tout ce que je pensais déjà depuis de longues semaines : il est désormais loin le temps où je partageais une belle complicité avec Megara.

- A dire vrai, je n'en savais rien mais pour être honnête, cela fait un petit moment que je ne discute plus avec ta sœur : je crois que désormais, on fait chacun notre vie de notre côté et c'est peut être mieux ainsi. Malgré tout, je suis heureux pour elle et je lui souhaite tout le bonheur du monde.

Je pensais vraiment ce que je venais de dire : je n'avais rien contre Megara et même si ça avait été le cas, cela n'aurait pas été mon genre de souhaiter que le malheur s'abatte sur elle. Par la suite, je pris un air faussement vexé tout en poursuivant sur ma lancée.

- Qu'attendais tu pour me dire que tu avais un animal de compagnie ? C'est vilain de ta part de me faire des cachotteries. Dis-en moi davantage à son sujet.

Evidemment, Sasha me retourna la question que je lui avais posé et le fait qu'elle me demande où j'en étais avec mes amours en disait une fois de plus long sur ce qu'elle éprouvait à mon égard.

- De mon côté, j'ai fait quelques rencontres mais rien de bien intéressant. Malgré tout, je traverse une très bonne période de ma vie depuis quelques temps et je nage dans le bonheur : il faut dire que j'ai la chance d'être très bien entouré. Et côté cœur, je suis toujours un éternel célibataire mais ce n'est pas un scoop sachant que l'amour et moi, ça fait deux.

Et si finalement mon raisonnement était erroné ? Alors que je pensais pourtant qu'ouvrir mon cœur à Sasha était la meilleure décision à prendre, un doute commença doucement mais sûrement à s'immiscer dans mon esprit. A dire vrai, je me rendais soudainement compte que dévoiler mes sentiments à la jeune femme était peut être la pire chose à faire. En effet, dans ma situation, lui dire que je l'aimais revenait en réalité à me montrer d'une cruauté sans égal à son égard. J'ignorais encore si la jeune femme me trouvait juste à son goût ou si dans son esprit, elle me considérait déjà comme l'homme de ses rêves mais connaissant sa personnalité, j'avais dans l'idée que Sasha était une vraie romantique dans l'âme. En d'autres termes, même si j'espérais me tromper, j'étais persuadé que dans son fort intérieur, elle s'imaginait déjà faire sa vie à mes côtés. J'en avais pour preuve que les regards qu'elle me lançait en disaient déjà long sur ses intentions de la même manière qu'à chaque fois qu'elle m'offrait un sourire, je sentais bien que sa seule envie était que je vienne m'emparer de ses lèvres pour lui offrir un baiser des plus passionnés.  

Dans ces conditions, j'imaginais déjà sa réaction si je venais à lui dire que j'étais tombé sous son charme. Aussitôt, elle ne pourrait pas s'empêcher de s'emballer et éprouverait un bonheur tellement intense qu'elle ne tarderait pas à être sur son petit nuage. Bien évidemment, elle se garderait bien de l'admettre mais à compter de cet instant, son seul souhait serait que je la perçoive comme la femme de ma vie afin que l'on reste en couple jusqu'à notre dernier souffle. Autant dire tout de suite que si dans la foulée, je lui annonçais que j'étais malade et que mes jours étaient comptés, cela risquait de totalement l'anéantir et de briser son cœur en mille morceaux. Sachant l'affection que je lui portais, je n'avais clairement pas envie que la jeune femme pleure toutes les larmes de son corps simplement parce que même avec la meilleure volonté du monde, j'étais incapable de lui offrir ce qu'elle désirait.

Seulement, tout le problème était là en réalité : à y réfléchir de plus près, n'était-il pas déjà trop tard pour faire machine arrière ? En effet, j'avais beau retourner le problème dans tous les sens, j'en arrivais continuellement à la même conclusion : peu importe ce que j'allais entreprendre désormais car il était déjà acquis que par ma faute, Sasha allait souffrir de martyre. Pourtant, dans l'absolu, je n'avais rien à me reprocher : après tout, je n'avais jamais dragué la jeune femme et j'étais convaincu de m'être toujours comporté de manière exemplaire en sa compagnie en évitant justement d'avoir le moindre geste déplacé à son égard. A la limite, la seule chose que je pouvais déplorer, c'est de ne pas avoir été assez prompt à réagir mais quand nous avions commencé à nous fréquenter, comment aurais-pu croire un seul instant que nous finirions par tomber amoureux l'un de l'autre ?

De toute manière, il fallait désormais se concentrer sur le moment présent et s'il était écrit que j'allais causer beaucoup de chagrin à Sasha, je devais me débrouiller pour qu'elle ne perde pas totalement pied mais tellement de solutions s'offraient à moi que pour le moment, je restais dans l'expectative. Comme je l'avais secrètement espéré, notre discussion avait pris une nouvelle tournure mais alors que je me croyais donc à l'abri de mauvaises surprises, je réalisai très vite que c'était désormais mon esprit qui s'amusait à me torturer. En contemplant Sasha, je fus soudainement envahi par un désir aussi brûlant qu'intense si bien que durant l'espace de quelques secondes, je laissai mes yeux se délecter de ses jolies courbes avant de finalement réagir et de reprendre mes esprits. Troublé d'avoir brusquement perdu mes moyens, je tentai cependant de ne rien laisser paraître tout en répondant à la question de Sasha.

- Je ne sais pas trop. Peut être tout simplement qu'aujourd'hui, nos deux personnalités ne sont plus compatibles et que du coup, notre complicité a fini par s'étioler au fil du temps. J'aurais toujours de l'affection pour ta sœur mais à quoi bon se fréquenter si on éprouve plus l'envie d'être ensemble ? Cela n'aurait aucun sens.    

C'était toujours frustrant de s'éloigner d'une personne avec qui on avait bien déliré par le passé mais j'avais jugé que cette décision s'imposait d'elle-même et à dire vrai, je ne m'en portais pas plus mal. Par la suite, Sasha se permit alors de me provoquer au travers d'une réflexion pour le moins taquine. J'aimais qu'elle ait du répondant mais je pris malgré tout un air faussement choqué.

- D'où tu sors ça ? Tu imagines peut être que je surveille ce que tu fais jour et nuit afin de savoir avec qui tu es ? Tu m'as pris pour un pervers ou quoi ?

Je fis semblant d'être vexé durant encore quelques secondes avant de reprendre mon sérieux.

- En attendant, tu ne m'en a toujours pas dit davantage sur ton animal de compagnie : ce n'est pas gentil de ta part de me faire languir de la sorte.

Un sourire malicieux se dessina sur mes lèvres mais très vite, j'affichai un visage plus fermé quand Sasha me posa une question qui se rapportait une fois de plus au sujet tabou que je voulais à tout prix éviter.

- Disons surtout que je ne l'ai jamais vraiment recherchée : l'amour et moi, ça a toujours fait deux.