Cours particuliers [Feat. Jordan Oakley]

Johan avait de l’ambition, mais il semblait avoir le potentiel pour arriver à son but. Il ne faisait pas partie de ses enfants que j’avais pu côtoyer dans mes premières années d’enseignement, qui avaient de grands projets, mais trop peu de capacités ou de moyens d’y arriver. Et pourtant, je me sentais aussi triste que lorsque j’étais devant ces élèves, ne sachant pas comment leur dire que ce serait plus compliqué que prévu. Pourquoi ? Parce que quelque chose jouait contre lui; son dossier scolaire. Et évidemment, j’avais envie de lui dire que peut-être il pourrait passer outre, que peut-être il avait le temps de se rattraper, mais s’il avait déjà des taches, je doutais fort que les universités, facultés de droit, puissent ne pas le prendre en considération. C’était tristement une des premières choses qu’on disait aux étudiants quand ils arrivaient; tout ce qu’ils faisaient au lycée allait déterminer leur avenir. Les mentalités ne changeaient pas au fil du temps de ce côté, et c’était un peu désolant, surtout pour des programmes aussi huppés que le droit pouvait l’être. Et pour tout ça, je ne savais que dire. J’avais envie de lui dire que peut-être il n’était pas trop tard, supposer qu’il n’était pas trop tard, mais que pourrais-je lui dire par la suite ? De retourner en classe, de se ressaisir ? Je n’étais pas là, je n’étais pas bien placé pour lui faire de tels reproches. Qu’est-ce qui me restait ? Pas grand-chose en fait, sauf peut-être le fait de dire:  « J’espère… Que tout s’arrangera pour toi. » Et même si mes propos se voulaient polis et sincères, je trouvais que ce n’était pas suffisant, que c’était même peut-être un peu ridicule, surtout après tout ce qu’il était venu à me confier. Rageant intérieurement à l’idée de demeurer silencieux, je finis donc par dire:  »Et… Je me doute bien que peut-être… Je ne suis pas d’une grande utilité… Mais si tu as besoin… De juste parler ou… D’un endroit pour te changer les idées… » La porte de ma salle de classe t’est toujours grande ouverte, et je serai là pour t’écouter si tu le souhaites. Voici ce que j’aurais dû ajouter, voici ce que je pensais, mais que je ne finis pas, prenant momentanément pour acquis qu’il allait le comprendre de lui-même. Si ce n’était pas le cas, j’allais rectifier le tir, le cas échéant, mais j’espérais que là, tout de suite, ce serait suffisant, même si quand même, je ne pris pas de risque, attendant en silence de voir ce qu’il allait me dire, comment il allait réagir.