When I'm with you, I don't feel so alone. (Alvin)

Pas de vaches. Mais tu t'en doutais un peu. Ta fourchette traine dans la fin de ton assiette, il reste quelques bouchées mais tu n'as pas le cœur à tout finir. Les animaux, c'était quelque chose de courant d'où tu viens et ici... Tu n'as vu que ceux des personnes dehors, des chiens tout le temps. Pourtant, les vaches étaient si démonstratives et câlines, comme la tienne. Tu aurais aimé qu'elle puisse conduire Poppy à différents endroit, tout contente en meuglant fièrement.

Tu soupires. Lui a fini alors tu te lèves pour prendre vos assiettes et les ramener dans la petite cuisine. La sienne dans le l'évier et la tienne posée à côté, parce que tu allais finir ce soir et ne pas tout gâcher. A la Terre Sacrée, tu donnais les restes à un proche voisin qui avait comme ami un cochon, cochon qui mangeait à peu près tout, même les cheveux quand tu allais te les faire couper chez lui. Là, pas de cochon comme voisin proche alors tu ne voulais pas mettre à la poubelle.  Quand tu te retournes, tu t'approches de lui et tu le regardes, lui renvoyant son doux sourire avec le tien en miroir. Et tu attends en le regardant. Il se passe une dizaine de secondes avant que tu ne perde ton joli faciès pour arborer un air un peu perdu, continuant de le fixer. « Ben alors Alvin, t'attends quoi ? » Il a bien aimé ton repas pourtant ! Il te l'a dit même et a fait plusieurs compliments dessus. Du coup, t'attends qu'il te prenne dans ses bras après ses mercis à l'oral, c'était comme normal pour toi. « On fait pas de câlins ici ? C'est pas vrai parce que Leila m'en fait. Pourquoi vous faites jamais de câlins ? Je vois presque personne en faire même quand je regarde par la fenêtre les gens passer. Ils marchent vite souvent et ils ne se regardent pas. Parfois, y'a des personnes qui ont des habits vraiment étranges aussi. Mais pas de câlin. Il est où mon câlin Alvin ? »

T'es un peu énervé et excité en lui parlant et comme souvent ton flot de paroles est rapide. C'est assez difficile de te suivre et pour toi, de te contrôler. Tu vois que lui aussi est pas dans son état normal, un état assez neutre en réalité et ça te perturbait déjà. Il commence à te répondre, à te parler des relations qui sont différentes ici et des accolades qui ne se font que lorsque les gens sont proches. Au fur et à mesure qu'il se justifie, tes yeux se baissent et se mouillent. T'as envie de pleurer. Encore une fois. Normalement t'attends que le jour ne puisse plus t'espionner et répandre la nouvelle, et surtout, tu es seul... Mais. Il vient de te dire qu'il n'était pas proche de toi, comme si vous étiez un peu comme des inconnus. Tu sens que ça monte, tu serres la mâchoires et déglutis difficilement quand tu sens le mouvement de l'air puis son corps contre le tien. Vraiment, le pire timing. Ou le meilleur s'il voulait te faire exploser en sanglots. Tu peux rien retenir, t'es tellement émotif Collin et depuis que t'es là, t'essaies de tout retenir parce que tu sais que tu ne peux plus vivre comme avant. Putain, t'as eu si peur qu'il ne veule pas te faire un câlin et qu'il ne te considère que comme quelqu'un de pas proche du tout. Tu le serres fort de ton côté, bien plus fort que lui en réalité. Tes quelques larmes coulent sur son haut, tu essuies tes joues et tes yeux dessus aussi, tu sais que t'as l'air bête parce que lui ne connait que ce monde que tu n'aimes vraiment pas. T'es tellement idiot Collin de t'accrocher à ton ancien monde. Tu le sais, tu te le répètes mentalement à l'instant. « Je déteste ton monde Alvin, si tu savais comme je le déteste... Je veux retourner à la Terre Sacrée avec Poppy et et... » Non, c'est trop, t'as du mal à parler et le fait de songer à ta fille. Ça repart en larmes.

Tu lâches tout le poids que tu portes depuis des jours sur Alvin. Et ça fait du bien. De se sentir soutenu, de pleurer sur l'épaule de quelqu'un plutôt que seul quand il n'y a personne pour te juger. Tu lui as fait rapidement confiance à ton éducateur, en même temps, il a été l'un des seuls à te tendre la main plutôt qu'en s'en servir pour te pointer du doigt et se moquer de toi.

Alors tu restes. Tu pleures encore un peu, tu serres la mâchoires en lâchant quelques plaintes rauques parce que tu aimerais crier aussi, mais tu préfères te retenir. Tu laisses sortir la peur et les doutes avec les perles salées qui vont s'échouer contre son vêtement. Tu penseras à t'excuser après, pas maintenant parce que pour une fois, tu te permets d'être égoïste et de songer à ton malêtre. Tes yeux sont rougis par tes sanglots, toi tu ne le vois pas pour le moment. Tu les frottes juste avec un sourire un peu gêné et tu hoquettes deux trois fois avant de savoir lui faire face sans paraître trop pathétique. Il t'essuie les dernières larmes et tu te sens encore plus nul sur le coup, vraiment stupide. Ça te fait un peu pouffer de rire même. Tu hoches de la tête avant de prendre une grande inspiration par le nez et de soupirer. « D'accord. J'espère que c'est un truc qui dure un peu longtemps parce que je préfère quand tu es là. » Peut-être que tu n'attends pas les jours de son passage comme celui de ta fille, mais c'était quelque chose qui te rendait impatient, c'était certain.

Comme il t'indique de te mettre sur ton petit canapé, tu le fais. T'es face à la télévision cachée par un plaid parce que tu ne veux pas la voir alors tu te doutes bien qu'il va s'agir de ça. « Du coup c'est comme si tu me racontais une histoire sauf que c'est le truc qui va le faire c'est ça ? J'aurai préféré toi quand même tu sais. »

Toi tu connais les histoires narrées par ta mère et même d'autres personnes. Les soirées d'étés à t'endormir à même l'herbe parce qu'on te raconte des légendes impressionnantes au coin d'un feu de bois. Mais la télévision qui le fait à la place d'un homme. Pas encore. Si Alvin insiste, c'est surement parce que c'est bien, comme il te l'a dit. Tu profites du plaid retiré de l'écran pour le mettre contre toi et essuyer ton visage une dernière fois avant de remonter tes pieds puis de les y glisser sous le doux tissus. C'est pas encore très chaud mais c'est agréable, surtout quand on a la fâcheuse habitude d'être pieds nus comme toi. « Oh moi je suis sûr que tu racontes bien les histoires. » Tu aimerais l'entendre aussi une fois. Mais tu as le temps pour ça et à l'instant, tu le regardes juste faire les branchements. Ça t'amuse parce que tu n'y comprends rien et lui semble le faire avec un naturel qui te déconcerte. Il vient ensuite et utilise la télécommande, toi tu le regardes parce que ça t'étonne un objet qui en contrôle un autre à distance. Ta mère a toujours été assez discrète sur les objets de ce monde, sans doute qu'avec ta soif d'en savoir toujours plus, tu aurais été frustré d'en n'avoir que ses récits.

Ça se lance et cette fois, ce ne sont pas des images tristes, du froid qui tue des gens, des gens qui tuent des gens et des hommes qui parlent fort de politique. Non, c'est plein de couleur et avec une petite musique en fond bien entrainante que tu ne connais pas encore. « Il y a des animaux dedans ! C'est génial ! C'est des lions ! J'adore les lions ! J'en ai vu qu'en image ! T'as déjà vu des lions toi Alvin ? » D'un coup, tu retrouves ton enthousiasme alors qu'il lance le film. Du coup, t'es attentif et absorbé par les chanteurs qui disent des mots que tu ne comprends pas, puis la voix qui chante dans ta langue. T'ouvres un peu la bouche quand les animaux s'enchainent, ils sont vraiment bien dessinées et ils bougent en plus. « C'est comme des ombres chinoises mais en mieux ! En bien mieux ! »

T'es bien là. Parce que tu sais à quel point il fait froid dehors et toi t'es posé sur ton petit canapé, emmitouflé dans un plaid bien au chaud. Tu aimerais encore plus te mettre tout contre lui pour profiter d'une source de chaleur supplémentaire et aussi profiter des bienfaits de la proximité d'un autre... Mais Alvin n'est pas très habitué avec tout ça et tu essaies aussi de faire des efforts de ton côté pour ne pas trop le bousculer. Au fond, tu aimerais que ça soit lui qui change et qu'il vienne de lui-même te caresser la joue d'un geste tendre pour te montrer que tu comptes. Mais c'est comme ça, ici, ce sont les mots qui ont plus de valeurs que les gestes quand il s'agit de dire qu'on apprécie les autres. C'est... étrange pour toi qui les utilisent comme dernier recours à la violence, au contraire. Tu es surpris quand tu l'entends chanter, vraiment. Ca fait naître un sourire malicieux sur ton visage, toi tu ne connais pas les paroles évidemment mais tu te dis que tu vas les apprendre, comme ça vous pourrez chanter à deux. La chanson se finit et les animaux se mettent à parler, comme si tout était normal. Tu secoues un peu la tête, bien amusé. Tu ne t'attendais pas à les entendre parler votre langue, surtout qu'ils doivent vivre dans un pays bien lointain en vrai.  « Scar a l'air triste je trouve. Son frère n'est pas sympa avec lui... » Il y a cette première scène où Mufasa déplore l'absence de son frère à la présentation de Simba et toi tu ne comprends pas la violence des mots du roi. Il était libre de venir non ? Certaines personnes n'aimaient pas les grands rassemblements et peut-être que le frère du monarque était un peu trop timide. T'es un peu peiné pour lui, de constater que même l'oiseau est contre lui.

D'autres scènes s'enchainent et tu as bien le temps de changer d'avis sur cet oncle que tu pensais être maltraité. Les hyènes te mettent un peu mal à l'aise, surtout celle qui ne s'expriment que par des grimaces et des sons bizarres. Mais tu regardes, t'as un peu peur parfois, peur pour le petit lion un peu trop impétueux pour son bien. « C'est beau ce qu'il dit sur les étoiles, le roi. » En plus, il est indulgent face aux erreurs de son fils. C'est un bon père. Toi aussi tu espères être un bon père pour Poppy.