Ezra & Julian ▬ On fait avec ce qu'on a non ?

> On fait avec ce qu'on a non ?

On m'avait parlé d'une soirée qui aurait lieu pas très chez loin de chez moi, et j'avais, au départ, ri au nez de la personne qui m'avait proposé d'y aller. Il faut dire, que ce n'était pas vraiment mon genre, ces fêtes, si on pouvait appeler ça comme ça, bon enfant, conviviales et qui se voulaient sans aucun doute amusante et distrayantes. C'est vrai, que ça partait d'un bon sentiment, je devais bien l'avouer, mais ça n'avait jamais été vraiment mon genre d'ambiance. D'habitude, je devais bien l'avouer, j'étais plutôt porté sur les bars animés, les alcools forts, et les filles ou garçons pas vraiment farouches. Mais peu importe, j'avais toujours été plutôt curieux, et ce soir là, j'avais au dernier mot, décidé de me préparer afin d'aller à cette fameuse soirée. Je me sentais bien stupide, la trentaine maintenant, me retrouvant à devoir cherche de quoi me mettre, afin de coller au thème de la soirée. Alors bien sûr, comme à mon âge, il n'y avait plus de costumes dignes de ce nom au fond de mon armoire, j'avais fouillé un petit moment, avant de trouver de quoi faire un déguisement qui ne tenait pas de l'ordre du ridicule sans être toutefois vraiment époustouflant non plus. Alors à force de patience, j'avais pu récupérer quelques habits par ci par là, formant une tenue assez classe au final, et d'ailleurs je m'en félicitai assez. Dans le miroir collé à ma penderie, je m'observai silencieusement, encore un peu dépité de ne pas pouvoir tout simplement enfiler n'importe quel vêtement classique de ma collection. C'est donc de cette façon, que je m'étais retrouvé, là, bêtement dans ma chambre, avec une tenue montée de toute pièce et qui faisait de moi, le fameux chasseur qu'on retrouvait dans le Conte de Blanche-Neige. Après tout, en tant que professeur de littérature, je me devais d'avoir un rapport étroit avec les livres. Et bien pour ce soir, c'était chose faite.

Sortant enfin de chez moi, j’espérais simplement de pas avoir à croiser tel ou tel voisin dans cette tenue pour le moins particulière dirions nous. J'étais accoutré de façon totalement stupide pour les gens normaux de mon quartier, qui eux, étaient bien au chaud dans leurs costumes de marque et leurs robes de couturier. J'étais quelque peu tâche dans le paysage, mais ce n'est pas grave, je n'avais jamais aimé être semblable aux autres de toute façon. Alors silencieusement, j'avais commencé à marcher vers le lieu où se tenait la fameuse soirée. Les rues étaient toujours aussi animées, de jour comme de soir, et ça faisait le charme de la ville. A n'importe quelle heure, on pouvait toujours trouver du monde dehors, ça rassurait, et en même temps, au vu de mon costume ce soir, je m'en serais passé. Certains me regardaient avec amusement, d'autres avec dépit, c'était au choix. Mais qu'importe, je continuais à me diriger vers la soirée. Soupirant, j'étais déjà en train de regarder ce que je faisais, pensant à mon loft qui m'attendait, vide, et chaleureux. Sans doute que j'aurai du y rester, me faisant couler un délicieux café bien fort, prenant un bon livre au hasard dans mes mains, dévorant la moindre page avec envie et passion. Mais non, moi j'étais sorti, avec une tenue bancale sur les épaules, et convaincu que ma soirée serait ennuyeuse au possible. Tant pis. Je n'avais plus envie de faire machine arrière et de toute façon, j'étais enfin arrivé à destination.

J'étais dans la salle, observant les autres personnes présentes, essayant de chercher avec désespoir quelqu'un que je pourrais connaître, mais pour le moment, ce n'était pas le cas. J'avais les yeux fuyants, observant de temps en temps la porte d'entrée avec envie et hésitation. On m'avait parlé d'un bal, finalement, la soirée s'annonçait encore pire que prévu. Haussant les épaules, j'avais failli sortir du bâtiment, quand une petite voix monta jusqu'à mes oreilles. Un jeune homme s'était approché de moi. Je l'avais rapidement parcouru des pieds à la tête, parfois, d'anciens élèves venaient me parler, mais celui-là ne me disait rien. Enfin, la plupart du temps, je ne les reconnaissait pas de toute façon. «Bonsoir. On ne se connaît pas. Mais… Puisqu’on veut tous les deux la même chose. Je pense que nous pouvons y aller ensemble non ? » Ah oui c'est vrai, je me souvenais maintenant qu'il y avait une sorte de jeu à passer. Ce n'était pas vraiment mon truc, mais peu importe, j'aimais sa façon directe de présenter les choses, et puis, je ne tenais pas à lui gâcher sa soirée en le laissant seul , peut-être que lui, voulait vraiment aller à ce bal bizarre. J'avais fait oui de la tête, le gratifiant d'un de mes charmants sourire d'occasion. «Allons y, mais je te préviens, j'ai jamais de chance à ces jeux là en général. » Autant lui avouer tout de suite, j'étais de ce genre de personnes qui n'avaient pas vraiment de chance au hasard. Je n'aimais pas ça, ne pas pouvoir contrôler son destin, ne pas pouvoir mériter quelque chose. Enfin, puisqu'il avait l'air de trouver ça amusant, pourquoi pas. Et puis il était plutôt mignon, c'était déjà ça pour la soirée. Comme il l'avait proposé, j'avais plongé moi aussi ma main dans un des bocaux masqués, et je n'étais pas vraiment ravi de ce que j'y avais touché. C'était mou, froid et pas vraiment appétissant, il me semblait bien que c'était de la viande, quelque chose comme ça, pour un végétarien, c'était le comble. J'avais eu envie de vomir rien qu'en imaginant le truc. «C'est dég » avait-il dit face à son bocal. Cette phrase avait donné chez moi un petit rire amusé, il avait bien raison. «Je compatis, bien que chez moi ce soit moins salissant. » Finalement, la soirée allait peut-être devenir un peu plus sympathique que je ne l'avais cru. «Et toi, t'aimes vraiment ce genre de soirées où t'as fini là par hasard ? » Il ne pouvait pas être le seul à avoir eu honte de se rendre ici, si ?

> On fait avec ce qu'on a non ?

Je n’avais jamais vraiment apprécié ces jeux de hasard, où rien n’était contrôlable, où il fallait juste se laisser faire, se laisser avoir, sans pouvoir mériter votre sort ou le changer. Alors même si ce n’était qu’une soirée comme un autre, je dois bien avouer que l’idée de plonger ma main dans n’importe quoi sans pouvoir éviter le pire ne m’avait pas particulièrement séduit. Et pourtant, je m’étais prêté à ce petit rituel d’Halloween, avec gentillesse et patience, ce qui, ne me ressemble pas du tout pourtant. J’avoue que si j’avais été seul à la soirée, je n’aurai sans doute pas pris le temps d’essayer ce petit jeu original, mais j’avais sans doute été porté par l’ambiance, et surtout par les tentatives désastreuses de ce jeune homme à ressortir avec la main propre. Il était plutôt amusant, il me faisait un peu penser à moi plus jeune, à râler dans son coin. C’est vrai, qu’en y pensant, cela faisait des années que je ne m’étais pas rendu à ce genre de soirées, et encore moins déguisé de la sorte. Les dernières fêtes d’Octobre et d’épouvantes auxquelles je m’étais rendu dataient au moins de mes années d’Université si ce n’était pas plus. J’avais presque honte, en y repensant, de tout ce qui avait bien pu arriver ces nuits-là dans les dortoirs du département de Littérature. Heureusement, la soirée de ce soir s’annonçait bien plus sage et bien plus classique. Après tout, il valait mieux de ne pas faire peur aux jeunes âmes présentes ce soir, dont ce charment jeune homme qui me tenait si bien compagnie. Quoique, il n’avait pas vraiment l’air innocent lui non plus. Il avait dû connaître des soirées agitées.

« - Ce n'est pas grave. La chance ne me connait pas non plus. Peut-être que deux malchanceux ensemble ça donnera quelque chose de meilleure. Ou bien de pire. » Ce n’était pas plus mal, autant se donner rendez-vous entre malchanceux. Ainsi, nous resterons dans notre coin sans que personne ne nous reproche d’être inutile ou de porter la poisse. Sa remarque me fit sourire. Additionner le négatif pour avoir du positif, je n’étais pas convaincu, et j’avais, toujours fui dans ma vie ce qui ressemblait de près ou de loin à de la logique où à n’importe quelle équation mathématique, et ça, ça y ressemblait fortement, déjà bien trop pour moi. J’allais répondre, mais il s’attaqua à nouveau aux bocaux après moi. Cette fois-ci encore visiblement, la chance n’était pas avec lui. Je dois avouer, que l’espèce de viande crue que j’avais eu, était moins salissante que….Que quoi d’ailleurs, aucune idée. Depuis qu’il plongeait sa main dans les bocaux, j’étais incapable de deviner ce qu’il en sortait. Mais je prenais le même air dégouté, compatissant, comme si sa main souillée était la mienne. « - Je crois que j'ai beaucoup moins de chance que toi finalement. » Je devais bien avouer pour cette fois, que j’avais sans doute trouvé plus malheureux que moi en jeu. «J’avoue que là tu fais fort, vraiment. Tu devrais peut-être épargner ta main quelques minutes, tu l’as bien mérité. » J’avais sorti un mouchoir en tissu de ma poche, oui en tissu, comme les vieux professeurs. Je lui avais tendu, pour le laisser nettoyer sa pauvre petite peau qui avait l’air si douce.

J’avais haussé un peu les épaules, passant une main dans mes cheveux. C’est vrai, que, j’étais venu seul, alors, me retourner la question était sans doute légitime. Sa tirade sur l’amitié, c’était plutôt vrai, et ça me confirmait dans l’idée qu’il me ressemblait assez. « Ouais. J’aurai bien traîner au bar, mais j’avais envie d’une soirée différente pour changer. Mais bon, plonger la main dans du liquide immonde c’est pas une nuit mémorable hein. » Je m’étais détourné des bocaux, comme pour signifier que ça me suffisait aussi, pas la peine de continuer le massacre plus longtemps, on avait essayé, ça nous avait visiblement suffi à tous les deux. L’idée de passer à l’étape suivante à savoir je pense, le fameux bal, ne m’enchaînait pas réellement mais j’avais envie de voir ce qui s’y passerait, après tout peut-être aurais-je droit à une bonne surprise. Alors soupirant légèrement, sans trop exagérer pour ne pas le décourager, j’avais offert mon bras à ce jeune homme, pour qu’il ait au moins un cavalier ou de quoi faire une belle entrée. Le geste m’avait amusé, et même si il le refuserait, il m’aura bien fait marrer. Afin d’être tout aussi poli, j’avais simplement répondu à sa présentation « Julian, je pense qu’on va passer une bonne soirée là-bas, sans bocal rempli de trucs dégueulasses. » Je lui avais souri simplement, prêt à faire mon entrée avec lui. « Moi c’est Ezra. Ezra Lloyd. » Dieu, que je détestais mon nom.

> On fait avec ce qu'on a non ?

Il était plutôt amusant, en fin de compte. J’avais sans doute jugé cette soirée trop vite, comme je jugeais les gens. Il était plutôt râleur, et ça me rappelait, une certaine personne dont je ne citerai pas le nom. Je m’en voulais un peu d’être encore avec lui, après tout il avait certainement mieux à faire que de traîner avec quelqu’un de mon âge, c’était sans doute un peu emmerdant pour ce pauvre jeune homme. Je repensais à mes années folles, quand moi aussi, je traînais avec n’importe qui pour faire n’importe quoi. Il était sans doute du même genre que moi. Ou bien était-il un peu plus sage ? Les années étaient passées mais moi je ne m’étais pas calmé pour autant. Non, je continuais à vivre d’excès en tout genre, comme si j’avais encore la résistance d’un adolescent. En fréquenter tous les jours devait sûrement me tromper sur mon âge actuel. Ils me donnaient envie de continuer à être jeune, et à malmener mon corps sans limites. Mais parfois, malgré moi, je me devais d’être sage, toujours à contre cœur, mais je n’avais pas toujours le choix. « En sevrage ? Au moins t’essayes d’arrêter jeune, moi j’aurai eu ni l’envie ni la patience, d’ailleurs, j’ai toujours ni l’un ni l’autre. » C’est vrai, que pour moi, c’était impossible d’arrêter les bars, ou que ce soit qui y ressemblait. Et puis même si j’avais voulu, mon meilleur ami est le patron d’une boîte de nuit. Que voulez-vous que je fasse contre le destin ? Il ne fallait pas se forcer, tout était dirigé dans ma vie pour que je continue à me détruire doucement, entre un bon alcool et une bonne cigarette, continuant ainsi à me faire du mal dans le bien pour le restant de mes nuits, jusqu’à la fin de ma vie.

Je m’étais vu retourner mes débuts de rides en une phrase. Entre potes, oui c’est vrai que mon geste aurait pu prêter à confusion, et j’avais, eu un instant, une pensée pour Yllan. Et si je l’avais croisé ici à ce même endroit, en ce même instant, m’aurait-il dit la même chose ? Sans doute que non. Mais j’aurai bien aimé le savoir. Alors que la plupart des gens partaient vers le fameux bal, où prenaient de quoi survivre, je me demandais quel âge avait Julian, et pourquoi n’était-il pas venu avec un ami de son âge. Bien que quelque part cette situation m’arrangeait, car je ne me retrouvais pas seul, il aurait été certainement plus à l’aise avec une bande d’ados un peu cons pour lui porter compagnie. « Entre potes, avec plaisir. D’ailleurs, pourquoi t’es pas venu avec des amis ? Tu vas sans doute te faire chier à garder un vieux toute la soirée. » Ok, je ne me lançai pas des roses mais c’était vrai, j’avais quand même 30 ans maintenant. Rien que d’y penser, j’avais la nausée. Même si, j’étais plutôt encore un professionnel des nuits d’ivresses, il n’avait pas à le savoir. Bien qu’à force de parler bar, je finirai sûrement par l’avouer sans vraiment le vouloir. Et puis bizarrement, je me suis souvenu de Soan, mon petit frère d’âme, qui lui aussi, avait eu pas mal de soucis dans le passé. La dernière fois que je l’avais vu à l’hôpital, il m’avait demandé des conseils en amour, et il me semble que le prénom de ce jeune homme ressemblait à celui du garçon qui tourmentait les pensées de mon ami. Mais je ne me souvenais plus du nom exact, ça me chiffonnait un peu, mais pas plus que ça.  « Ouais la soirée sera certainement plus sympa que je l’avais imaginé. Par contre pour le soda désolé mais c’est au-dessus de mes forces là…Je peux bien te soutenir moralement mais ça ira pas plus loin, je ne suis pas encore prêt à me priver ». A ces mots, j’avais attrapé un verre bien fort qui traînait par-là, et pour lui bien sûr, j’avais fait l’effort de prendre du soda en main, pour finalement lui offrir.

Alors ok, je voulais bien discuter de tout et n’importe quoi avec Julian, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il me pose une question pareille de but en blanc comme ça, sans aucune introduction sur le sujet. D’ailleurs je ne comprenais pas vraiment l’intérêt pour lui de connaître ma sexualité. Mais peu importe, j’étais très à l’aise avec la question, alors si il voulait savoir, pas de problèmes pour moi. Je devais attirer les jeunes garçons avec ce genre de discussions, c’était comme si ils avaient tous un radar et qu’ils me sautaient dessus pour me demander des conseils ou juste s’exclamer que c’était vraiment immonde, au choix. J’avais déjà eu droit à toutes sortes de remarques. Enfin je ne sais pas, ça se voyait tant que ça que j’aimais aussi les hommes ? Peu importe, j’avais gardé un air aussi naturel que possible, en prenant une gorgée d’alcool. Ce n’était pas du Whisky mais peu importe ça m’aiderait à tenir face au sujet qui venait de se présenter. « On va dire que j’apprécie autant les hommes que les femmes, même si j’avoue que j’ai une préférence pour les garçons, c’est tellement moins chiant. » J’avais repris une gorgée pour rafraîchir la gorge. J’espérais sincèrement qu’il n’allait pas trop s’étaler sur le sujet, même si ça ne m’aurait pas offusqué. « Au moins tu te gênes pas pour poser tes questions toi. Tu me fais penser à un ami, il doit avoir ton âge, il est aussi curieux que toi si ce n’est plus ». Décidément, j’étais un aimant à discussion gay.

> On fait avec ce qu'on a non ?

La discussion tournait de façon plutôt intéressante. Je me souviens encore de mes jeunes années, quand on nous faisait chier pendant tout le lycée, pour trouver notre orientation, notre voie comme ils disaient. En fait, aucun de mes professeurs ne s’était jamais intéressé à mon cas, mais je crois qu’ils ne s’intéressaient vraiment à personne en fin de compte. Enfin, presque tous. Je me souviens encore de celui qui avait été mon amant pendant longtemps, rencontré en terminale, je ne l’avais plus jamais quitté. Il s’en était allé un jour, disparu, comme tous ces morts qui nous quittent un jour. Il avait été mon professeur de Littérature, et c’était un peu pour ces raisons là que je l’étais devenu par la suite. Avant tout ça, je n’avais jamais eu d’inspiration, ni de motivation dans ma vie. Et puis, au fil du temps j’avais fini par trouver de nombreux avantages à la voix de l’éducation, par exemple, le nombre de congés scolaires dans l’année, c’est vrai que, quand j’avais été en baisse dans mes résultats, rien que d’y penser, ça avait eu le don de remonter mes notes de façon plutôt spectaculaire. C’est sûr que je ne l’avouerai jamais à mes élèves, mais puisque j’étais dehors de la salle en même temps voir avant eux lorsque la sonnerie résonnait, ils devaient sans doute avoir quelques soupçons sur le sujet. « La médecine ? Une voix noble mais compliquée. Beaucoup d’appelés peu d’élus comme on dit. Je peux que te souhaiter bonne chance alors, et je compatis, pour la boisson. J’ai pas eu besoin de la ralentir mais j’dois bien m’en passer au travail. » C’est vrai que, quand je rentrais souvent chez moi, c’était vraiment un soulagement. Je pouvais retrouver mes bouteilles de vin, mes alcools forts, et me perdre enfin dans mes désillusions à moi, sans avoir besoin de faire attention à l’image qu’on avait de moi.

« Pas d’amis ? C’est pas vraiment un mal. C’mieux d’en avoir un seul mais d’être sûr qu’on peut compter sur lui. » C’est vrai que, je pouvais compter mes vrais amis sur le bout des doigts, il y avait Eliaz bien sûr, et puis Adam. Eux, m’accompagnait dans ma vie, toujours, et comment oublier Roxane, ma charmante Roxane. Finalement, pour quelqu’un qui détestait les autres, j’avais croisé plusieurs personnes de confiance sur ma route tout au long des années. Depuis, je ne les avais plus quittés. Le reste, c’était surfait, ça servait de bonus à ma vie, je n’en avais pas réellement besoin. Tout ce que je demandais c’était mon groupe d’amis et les plaisirs de la vie. Mes cigarettes, ma drogue, mes bouteilles, et puis le reste ça servait à quoi. Un bon livre le soir, un bon verre, une bonne baise, moi c’est tout ce que j’attendais de la vie. Et en général, je l’obtiens plutôt facilement je dois l’avouer. Les amis, c’est bien, mais en avoir peu, ça suffit. C’est comme tout, ça s’entretient, et moins on a d’amis, moins on se fait chier à les garder. Heureusement, je pouvais faire et dire ce que je voulais, ceux qui étaient près de moi, ne m’abandonnaient pas. « Merci pour le vieux au passage ça fait toujours plaisir. Vu que tu traînes avec moi et pas avec un autre, c’est que j’ai assez de rides pour toi alors. » J’avais souris. Comment dire, je détestais vieillir, et je ne supportais pas l’idée de devenir un vieil arbre rongé par le temps. J’évitais à tout prix de voir mes traits d’adulte dans la glace le matin, mais c’était peine perdu. « On va dire que 30 ans, c’est pas encore la mort hein. Même si t’as sans doute beaucoup moins que ça. J’pourrais te dire que je le vis bien mais sans déconner j’aimerai avoir encore ton âge.» Devenir vieux c’est pas la joie, même si je suis plutôt bien conservé, c’est déjà ça de gagner.

J’avais bu une gorgée, franchement leur boisson ne valait pas grand-chose, je me demandais si il y avait vraiment de l’alcool là-dedans, en tout cas pas de quoi finir sous la table et c’était plutôt dommage, j’étais un partisan des soirées mouvementées depuis toujours, même si le temps passait pour moi. « Oh t’inquiètes pas pour ça, je comprends tout à fait, mais c’est pas moi qui vais essayer de te calmer, j’aime bien l’animation. » J’en avais vu tellement des bagarres dans les bars, plus ou moins violentes mais c’était toujours quelque chose. Parfois, j’y avais même participé, et honnêtement je m’en étais toujours plutôt bien tiré. Maintenant j’étais plutôt du genre à regarder, je préférais ne pas trop abîmer mon visage, devant une trentaine d’élèves, ça ne le faisait pas vraiment, alors j’essayais d’être sage, en tout cas autant que possible. Et puis, la soirée aurait pu continuer comme ça normalement, sans rien de particulier, mais non, moi il fallait toujours que je tombe sur des personnes hors du commun, aux soucis existentiels pas possible. Alors bien sûr, pour ne pas déroger à la règle, voilà que Julian s’était tout naturellement mis à me poser des questions sur ma sexualité. Non, ça ne me gênait pas, j’avais toujours eu l’habitude de ce genre de sujets, et encore plus avec Soan.

« Gamin, tu peux me poser toutes les questions que tu veux, j’ai 30 ans, si je devais compter chaque môme qui est venu me demander si ou ça, je serais encore en train d’écrire leurs noms. » Le pire c’était en boîte. J’étais un genre de grappin, j’avais une tête de psychologue sûrement. J’avais repris une gorgée de ma boisson, histoire de me rafraîchir, parce que je sentais que la discussion tout comme la soirée allait être longue. Finalement, on aura de quoi faire tous les deux et on ne risquerait pas de s’emmerder avant un moment. « Honnêtement, j’ai jamais eu honte de quoi que ce soit, quand je me suis rendu compte que j’aimais aussi les mecs, j’ai pas cherché à le cacher ni rien. Cette ville est assez grande pour tout le monde, alors si ma personne déplaît à quelqu’un, qu’ils aillent voir ailleurs. Je suis comme ça, et je tiens pas à ce qu’on m’apprécie pour ce que je ne suis pas. Autant être détesté pour ce que je suis réellement alors. » Je regardais au fond de mon verre. C’est vrai que, j’avais toujours assumé ma bisexualité sans problèmes. Je ne me suis jamais intéressé à l’avis des autres. Sa question m’avait fait rire, je m’étais presque étouffé avec ma boisson. Je savais pas si il était sérieux ou si il se foutait de ma gueule. « Tu sais c’pas compliqué. Si t’aimes ça tu le sais. Quand ce sera le moment de toucher les parties à un autre mec tu vas pas être gêné, tu vas être dans l’ambiance et tu va aimer ça c’est tout. Et si tu pars gerber, c’est que tu devrais plutôt monter une fille. » J’essayais d’être clair mais honnêtement, c’était un peu l’idée. Comment expliquer à quelqu’un sa nature. « Pourquoi, t’as des doutes te concernant ? » J’avais haussé un sourcil.

> On fait avec ce qu'on a non ?

J’ai commencé à comprendre que j’étais « vieux », quand les jeunes que je prenais pour des gamins ont commencés à m’appeler comme ça. Je crois que, c’était le coup le plus dur, que j’avais eu. Je venais d’avoir mes 30 ans, et j’étais, déjà considéré comme si j’en avais dix de plus par la plupart des gamins, et certainement la majorité de mes élèves. C’est sans doute vrai que je dénotais un peu dans la plupart des soirées, et que ça pouvait faire bizarre de me croiser en boîte, et encore, toute ma génération s’y croisait encore de temps en temps. Pourtant je n’étais pas encore trop vieux pour fumer, pour continuer à me mettre la tête à l’envers et à prendre de temps en temps de la drogue, par ci par là. Alors c’est vrai qu’entendre Julian me dire que j’avais une belle gueule pour mon âge, ça faisait plaisir en même temps que ça agaçait. Je supportais mal les années qui passent, et pourtant, j’étais encore plutôt jeune mine de rien 30 ans, ce n’est vraiment rien. Mais je savais que j’avais déjà une ou deux rides quand je souriais, je ne pouvais rien y faire, les ravages du temps, c’est quelque chose à laquelle personne ne peut échapper, c’est comme ça. J’avais souris légèrement à la remarque, tout en reprenant un verre, moi qui avait fini le mien en une gorgée. « Je te rassure, effectivement, le vieux s’amuse très bien, et il est toujours aussi bien entouré. » La gorgée d’alcool me fit du bien. Je n’ai pas attendu mes 30 ans pour m’amuser, et mes soirées n’ont jamais perdu d’intérêt malgré le fil des années. C’était l’avantage d’être moi. Je n’avais jamais passé une nuit sans boire, sans sortir, sans coucher à droite à gauche en me levant le lendemain, sans me souvenir du nom de mon partenaire. J’avais bien vécu ma jeunesse, et je continuais à vivre sans limites, sans me demander si je payerai un jour mes excès. L’heure n’était pas au bilan, j’avais encore le temps de me laisser aller. « Et puis, la belle gueule, on en a pas besoin pour s’amuser, mais je t’avoue que c’est plus pratique quand tu veux passer la nuit dans un autre lit que le tien » Je finissais mon verre en souriant, lui tapotant l’épaule. De ce côté-là, je n’avais là non plus, jamais eu à me plaindre non plus. C’était sûrement grâce à ma belle gueule justement, à mon charme et je ne sais quoi encore, que j’avais toujours eu les personnes dont j’avais eu envie depuis toujours. Même si la seule personne que je voulais auprès de moi, m’avait quitté il y a bien longtemps maintenant. Je me consolais encore en faisant venir dans mes draps des jeunes hommes que je croisais au hasard des soirées. Je n’avais pas honte d’avouer que, je les préférais plus jeunes que moi. D’ailleurs, j’avais rencontré récemment quelqu’un qui m’intriguait assez, et qui me faisait penser à mon ancien amour perdu. J’avais un peu ris, levant les yeux au ciel. « J’ai 30 ans, alors si pour moi, t’es un gamin. Mais je t’accorde que t’as l’air plus malin que la plupart des garçons de ton âge qui sont ici. Tous à s’accrocher au bras de n’importe quelle fille juste pour se dépuceler » J’avais soupiré, regardant le fond de mon verre qui désormais était vide. Le comportement des garçons présents n’était pas difficile à deviner, ils étaient tous prêts à sauter sur leur partenaire comme si c’était un bout de viande. Franchement, je peinais à croiser des adultes. Mais bon, j’avais eu la chance de me trouver en bonne compagnie, et c’était déjà un exploit en soi.

J’aurai bien pu continuer à prendre des verres sur le buffet, à les vider d’une traite, attendant que l’alcool de mauvaise qualité commence à prendre effet dans mon sang et à travers ma peau, mais Julian en avait visiblement décidé autrement, puisque le sujet de l’homosexualité, et certainement de la sienne refoulée, vu la tournure de la conversation, se présentait à nouveau. C’était plutôt intéressant de voir que, ça ne le gênait pas d’en parler avec un inconnu alors que il était perturbé par le fait de pouvoir être attiré par un garçon. Il me faisait penser à Soan, et d’ailleurs, je commençais à me demander si Julian n’était pas son Julian justement. Ce prénom n’était pas tellement courant, et la situation était terriblement similaire. Je décidai pourtant de ne pas lui en parler tout de suite, ça aurait pu le braquer, je préférais le conseiller et l’écoutait d’un point de vue externe et neutre. Ça m’a semblé plus indiqué, et je ne voulais pas briser la nouvelle confiance qui s’installait doucement entre nous. J’aimais bien l’idée que les jeunes puissent venir me parler, j’avais l’habitude maintenant de toute façon. La situation m’amusait et me convenait parfaitement. « Les gens peuvent me voir comme ils le veulent. C’est malheureusement dans la nature humaine de juger les autres. Je ne suis pas faible parce que j’aime les hommes. Je suis au contraire, plus fort, car j’ai pu assumer qui j’étais malgré toutes ces personnes qui me critiquent et qui me regardent de haut. Je crois que je me sentirai faible, si j’avais refoulé qui je suis vraiment. » Je reposais mon verre sur un plateau d’un serveur ambulant. J’ai toujours assumé ma différence, et c’était ma force, encore aujourd’hui. « Si tu en es conscient, c’est déjà énorme. Si tu en parles si librement, tu l’as sûrement déjà accepté au fond de toi, mais tu ne veux pas le montrer aux autres. Je comprends, que ça puisse te bloquer, que ça puisse faire peur. Tu dois simplement avancer à ton rythme sur ce sujet, ne pas te forcer. Toucher un mec ou pas, c’est pas vraiment la question, personne ne t’y oblige. Si les sentiments sont là quand tu seras avec la personne, ça viendra naturellement, tout se fait naturellement quand il y a de l’amour. »