N°77 | empty words ≡ eric

Un Oscar du meilleur acteur. Hilarant. C'est un regard plat que Declan posa sur son ami, incapable d'être vexé par la véracité incontestable de cette remarque, mais pas encore disposé à lui accorder une quelconque réponse. Malgré l'absurdité de cette attitude, c'est tout ce qu'il avait pour lui en cet instant. Le pouvoir infime et malavisé de détenir une information que, malgré tout, Éric réclamait. Oh, bien évidemment qu'il s'en moquait plus ou moins, bien obligé de subir la présence de Declan et, par la même occasion, les mots qu'ils taisaient. Mais tout de même. L'esprit de contradiction dans toute sa splendeur. Declan fini pourtant par lâcher le morceau, sans grande surprise. Le dire à voix haute ne le soulageait pas plus que ça. Verbaliser cet affront qu'il ruminait depuis plusieurs jours ne l'aidait pas à prendre du recul, à lire entre les lignes pour atténuer la colère et la peine. Eric, dans toute sa sagesse, allait peut-être trouver les bons mots. Mais au contraire, sa première réaction l'agaça au plus haut point. Oh, il s'en doutait? Évidemment. C'était tout Declan ça, terriblement prévisible et éternellement affligé par les mêmes soucis. Même ses disputes conjugales paraissaient ennuyeuses vu comme ça! « Bah voyons… » maugréa-t-il en s'enfonçant un peu plus dans son siège. Pragmatique, Eric s'élança aussitôt dans une série de question pour en savoir plus, sans doute à l'affut des moindres éléments pour lui offrir une conclusion tout à fait rationnelle. « Bien sûr que c’est déjà arrivé ». Eric savait très bien que les prises de bec avec sa femme étaient monnaie courante. « Mais pas comme ça » ajouta-t-il, désespéré de faire comprendre la nuance. Et le cœur de la chose reposait en effet sur l’élément déclencheur. Une accumulation de désaccords qui s’étaient entrechoqués de la pire des manières. Declan laissa son regard se perdre dans le liquide ambré dans son verre.  « Ca a vite escaladé, autour de mon boulot, des problèmes d’argent…», des détails sur lesquels il ne souhaitait pas s’attarder, et encore moins détailler. « Et je sais qu’on peut exagérer sous le coup de la colère, mais elle s’est quand même barré sans nous laisser la chance de calmer les choses, et c’est silence radio depuis plusieurs jours ». Ça, il l’avait toujours en travers de la gorge. La manière qu’elle avait eu de remettre toute leur relation en question, bouleversant le petit monde de Declan, avant de s’en aller. Elle avait passé les derniers jours chez sa mère, à le tenir à l’écart pour prendre le temps de réfléchir. Declan n’avait aucun levier à actionner, condamné à attendre patiemment que sa femme fasse l'état des choses. Ça le rendait absolument dingue. «...je sais pas pourquoi je te saoule avec ça » dit-il après un battement, honteux et dépréciateur. Il n'y avait rien qu'Eric puisse faire de toute manière. Juste l'écouter se plaindre, comme de coutume.  

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