Lisbeth ❧ I don't believe in heaven, I do believe in holograms.

Lisbeth Kai et Gemma Coraïe Mikkelsen voient le jour sous le soleil ardent d’Asie à Bangkok, Thaïlande. Alors que Gemma semblait être née avec une santé robuste, ce n’était pas le cas de sa sœur, Lisbeth. Nourrisson encore, on lui diagnostiquait une malformation cardiaque congénitale qui se traduira par la suite en une insuffisance cardiaque plutôt handicapante. Son enfance est passée à regarder sa sœur faire ce qu’elle n’était pas permise de faire. Gemma lui ressemblait trait pour trait, elles étaient quasiment identique et pourtant, elle était ce qu’elle ne pourra jamais être. Quand elle passait ses journées, le nez dans un bouquin, à déchiffrer un livre qu’elle était normalement trop jeune pour comprendre, sa sœur, elle, jouait et se faisait des amis dans chaque nouveau pays où ses parents et elles s’établissaient. Bien que d’origines norvégiennes de par son père, Jan et américaines de par sa mère, Kristen, Lisbeth se considère plutôt enfant du monde. Elle ne saurait énumérer exactement le nombre de pays où elle et sa sœur avaient été forcées de se rendre pour les besoins professionnels de ses parents. Ils leurs disaient qu’ils n’avaient pas le choix, qu’ils préféraient les avoir avec eux plutôt qu’ailleurs avec une gouvernante mais elle n’était pas naïve, elle ne l’avait jamais été. Elle savait que ça ne les dérangeraient pas tant que ça de les laisser quelques part sous les soins d’une gouvernante parce que de toute manière, c’était déjà un peu le cas. La seule différence avec le pire cas scénario était qu’elle et sa sœur les suivaient dans leurs voyages. Tout comme les pays qu’elle avait été amenée à visiter, elle ne saurait énumérer exactement toutes les gouvernantes qui avaient été payés pour jouer le rôle que ses parents ne se donnaient pas la peine d’incarner. Et elle savait aussi, que si son père le voulait réellement, le boulot qu’il faisait, étant le chef et détenteur de cette entreprise, il aurait pu aisément délégué. Mais les choses étaient comme elles étaient et elle s’en fichait parce qu’elle avait sa sœur.

Paris, 1995. Ça avait été sa faute, tout avait été sa faute. Ça aurait dû être elle, ça aurait dû être elle. Pas Gemma, jamais sa sœur. Elle ne s’était pas relevée de là où elle avait atterrit quand Gemma l’avait de toute ses forces poussée hors de la trajectoire de la voiture. Une voiture blanche, une marque française, une force rectangulaire et grossière. Elle avait laissé échapper son livre quand elle était tombée, Notre-Dame de Paris. Elle l’avait déjà lu, plusieurs fois et pourtant elle avait été tellement captivée par le roman qu’elle avait oublié de quel côté regarder avant de traverser. Ce n’était pas une chose qu’on était supposé oublier et bordel, on n’était même pas supposé lire en marchant. Mais elle l’avait fait et c’est à elle que ça aurait dû être fatale, à elle pas à sa sœur. En état de choc, elle ne savait à quel moment est-ce qu’on l’avait remis sur ses pieds ni encore qui l’avait fait. Son regard ne quittait pas le visage de plus en plus pâle de sa sœur malgré que de sang, il en soit maculé. Elle regardait des hommes en uniformes s’activer autour d’elle. « Bats-toi… », elle ne saurait expliquer mais elle pouvait le sentir qu’elle était en train de la perdre. Elle avait besoin qu’elle se batte, besoin qu’elle reste auprès d’elle. C’était sa sœur, sa putain de jumelle. Elle ne pouvait pas la quitter, elle ne pouvait pas la laisser seule. « S’il te plait… », Ces mots n’étaient même pas audible et d’ailleurs, elles étaient dans une langue que personne n’aurait su comprendre. Parce que c’était la leur. On essayait de lui faire détourner le regard, on essayait de l’éloigner de la scène mais son corps refusait d’obéir. Et d’un coup, sur ses genoux, elle était tombée, un sanglot lui avait échappé et l’air lui avait manqué. Son corps était comme anesthésié et la douleur dévorait son âme. Le vide. Elle ne ressentait que le vide. Sa sœur était partie. Gemma était morte par sa faute, elle venait de lui voler sa vie.

Washington, 1996. Sans dessus-dessous. Sa vie avait changé du tout au tout et de repère, elle n’en avait plus. Jamais, elle n’avait été et ne s’était sentit aussi seule. Un an, ça faisait un an que sa sœur était morte, un an, qu’elle ne vivait plus. Elle avait arrêté de parler et ne mangeait seulement quand elle y était forcée. Ses parents avaient été tellement inquiets qu’il l’avait fait interner. Comment aurait-elle pu leur dire qu’elle avait juste besoin qu’ils soient là pour elle, qu’ils lui disent que ce n’était pas sa faute même si ça l’avait clairement été. Mais ses parents avaient préféré laisser des professionnels s’occuper d’elle, pour leur défense, ça avait été les plus compétents et les plus couteux du monde. C’était leurs manières à eux de gérer cette situation. Et son mutisme, sa malnutrition, sa manière à elle d’y faire face. Elle n’était qu’une enfant et aujourd’hui, elle ne devait compter que sur elle-même. Et de l’institut, elle en était sortie. Les spécialistes avaient conseillés de la stabilité et c’est de cette manière qu’elle s’était retrouvée à emménager à Washington, aux États-Unis. De tous les pays du monde, ils avaient opté pour le pays natal de la mère de Lisbeth. C’était la première fois qu’elle se sédentarisait, la première fois qu’elle allait à l’école, comme tout enfant normal de son âge. La transition n’était très certainement pas aisée mais Lisbeth était aujourd’hui déterminée à s’accrocher de toutes ses forces. Elle avait pris une décision. La décision de vivre à la place de sa sœur, vivre la vie qu’elle aurait dû avoir la chance de vivre si elle ne s’était pas sacrifiée pour lui permettre de rester en vie. Elle allait faire en sorte que son sacrifice ne fut été en vain. Cette année-là, elle rencontrait Derrick Holloran. Un gamin dans sa classe avec qui elle s’était très vite liée d’amitié. Son premier ami. Ils restèrent amis même si Lisbeth fut envoyée dans la classe supérieure à la sienne. Elle n’était plus seule et de ses cendres, elle renaissait.

Washington, 2000. Elle faisait la connaissance de Jared Silvester. Il avait été nouveau cette année et leurs chemins n’étaient même pas supposé se croiser. Bien sûre qu’elle avait entendue parler de lui. Lisbeth n’était pas très portée sur les ragots mais quand t’es en cours de maths et que les murmures de classe semblent plus intéressants que la racine carrée de 56, tu ne peux que tendre l’oreille. Et c’était ce que Lisbeth avait fait. Ils disaient que le nouveau était plutôt canon, s’en suivait un récit détailé de tous les attributs charmantes du jeune adolescent jusqu’à ce qu’elles finissent en concluant que c’était bien dommage, qu’il soit un peu attardé. Lisbeth n’avait pas compris comment est-ce qu’on pouvait se permettre d’insulter une personne de cette manière puisque de toute façon, visiblement, elles ne le connaissaient pas. Alors à cette soirée, quand elle avait entendu ces mecs l’insulter de débile, de mongole ou d’attardé, elle ne savait pas bien ce qui lui avait prit de s’en mêler. Clairement, ce n’était pas ses oignons et elle n’était pas vraiment le genre à défendre la veuve et l’orphelin. Chacun sa merde mais ce jour, là, elle avait foncé dans le tas, les poings en avant. Elle s’était fait cassé la gueule et puisqu’il avait tenté d’intervenir, Jared aussi. Ils commencèrent par passer du temps ensemble et elle comprenait pourquoi est-ce que les autres gosses le qualifiait d’attardé. Le malheureux avait juste cligné des paupières qu’il avait fait un bon de cinq ans dans le futur. Elle passa du temps avec lui, elle l’aida à comprendre un peu les fonctionnements des choses, à adopter un comportement 'normal' d’ado. Puis de fil en aiguille, c’est le sexe qu’elle voulut lui expliquer et ensemble, ils s’essayèrent à une expérience pratique. Un échec cuisant, des jambes des bras et tout un bordel. Aujourd’hui, elle déclarera sous serment s’il le fallait que c’est la faute de Jared si ça n’a pas fonctionné. Alors que lui jurerait le contraire. La véritable histoire demeure un mystère. Mais à l’époque, s’ils ne retentèrent pas l’expérience, ils restèrent amis.

Washington,2001. Son cœur se brisait dans sa poitrine et c’était une douleur qu’elle n’avait jamais ressenti avant ce jour. Ca faisait bien longtemps qu’elle n’avait rien ressenti d’aussi intense et elle n’était pas prête à renouveler cette expérience. Ca faisait trop mal. Les larmes lui montaient aux yeux et elle ne pouvait s’empêcher de rire en voyant un des mecs le tirer par le sac à dos en direction des filtres de sureté de l’aérogare.  Sur ses lèvres, elle avait encore le goût des siennes. Elle avait pris un taxi pour venir jusqu’ici même s’ils s’étaient fait leurs adieux la veille. Lisbeth voulait lui dire qu’elle n’était pas prête à le voir quitter sa vie, qu’elle le refusait parce qu’elle avait besoin de lui. Sur le trajet jusqu’ici, elle avait fait la liste des choses qu’elle voulait lui dire. Elle avait organisé ses idées et en sortant du taxi, son discourt était finement peaufiné. Mais une fois devant lui, les mots n’étaient pas sortis comme elle le souhait. En réalité, rien de ce qu’elle avait prévu de lui dire n’avait franchi la barrière de ses lèvres. Mais elle l’avait embrassé et elle avait pensé alors qu’il lui rendait son baiser, qu’à défaut de mots, il comprendrait qu’elle tenait à lui. Que ça faisait un petit moment que dans son cœur, Derrick n’était plus seulement son meilleur et plus vieil ami. Peut-être qu’il l’avait compris mais quand elle avait enfin retrouvé l’usage de la parole, elle avait tout foutu en l’air en lui souhaitant bonne chance à Los Angeles. Peut-être qu’elle n’aurait pas dû lui dire de foncer et de casser la baraque. Elle était venue pour lui demander de rester mais finalement, elle lui avait dit de partir. Alors qu’il disparaissait de son champ de vision, elle se demandait si c’était seulement un faux pas ou la décision la plus sage qu’elle n’ait jamais prise. Son départ, elle le vécu mal, non, c'est un euphémisme. Lisbeth en fut dévastée. Après la mort de sa soeur, il était devenu son binôme et elle n'a jamais été doué pour laisser partir les gens. Dans les bras de Jared, elle trouva du réconfort et au fil du temps, c'est lui qui devint son meilleur ami. Au départ, avec Derrick, ils essayèrent de garder contact. Ils étaient déterminés à rester les meilleurs amis du monde mais la vie parcourait son court. Et loin des yeux devint loin du cœur.

Et puis j’ai grandi et à mesure que je grandissais, je mettais de plus en plus de barrière autour de mon cœur. J’avais vingt-trois ans quand ma mère est morte. Elle est morte seule et triste. Du moins, c’est ce que je me suis dit quand mon père m’a appelé pour me faire savoir que la bonne l’avait trouvé dans la baignoire. L’analyse toxicologique nous apprendra qu’elle avait choisi d’en finir de cette manière, qu’elle s’était suicidée. Je n’ai jamais été très proche de ma mère mais je n’ai jamais été très douée quand il était question de laisser partir les gens de ma vie. Elle était ma mère, je suppose que je l’aimais même si ce qui nous liait n’était que biologie. J’ai été à son enterrement parce que je pense que Gemma aurait aimé que j’y aille. Ce jour-là, j’ai regardé mon père et j’ai décidé que j’avais le droit de le blâmer pour tout ce qui avait mal tourné dans ma vie. Je me suis dit que s’il n’avait fait de son travail une obsession et priorité, aujourd’hui, les choses seraient peut-être différentes. Je sais que c’est injuste. Mais si je suis responsable de la mort de ma sœur, lui, il était responsable de celle de ma mère. Je le regardais et je ne pouvais que me rendre contre à quel point est-ce qu’on était monstrueux tous les deux. Et j’avais emmagasiné assez de colère en moi pour me permettre de le détester de toutes mes forces. Ce fut la dernière que je le voyais. Parfois, je m’autorise à répondre au téléphone quand il m’appelle pour me souhaiter un joyeux anniversaire. Souvent, il a du retard mais je me rappelle à quel point Gemma aimait fêter notre anniversaire. Je me dis que même si moi, j’en ai rien à foutre, elle, elle décrocherait. La même année que je perdais ma mère, je retrouvais dans ma vie une personne que je pensais avoir perdue. Derrick Holloran. Qui aurait cru qu’un jour je renouerais avec mon premier meilleur ami grâce au second ? Surement pas moi mais la vie était ainsi faite et j’avais depuis longtemps appris à prendre les choses comme elles venaient. Là, en l’occurrence, c’était plutôt une bonne nouvelle. On a mis notre temps mais on parvint tout de même à retrouver la complicité qui nous avait liés autrefois.

J’ai voyagé aussi, bordel, j’ai tellement voyagé. Je suis une enfant du monde et la sédentarisation permanente, ce n’est juste pas ma tasse de thé. J’ai vu des paysages magnifiques, des cités de lumières, des natures sauvages. Des gens qui mourraient de faim aussi, la violence de certaine guerre mais des naissances aussi, des personnes qui n’avaient rien et qui donnaient tout. J’ai rencontré des personnes merveilleuses et d’autres un peu moins. Je ne suis pas une femme qui accorde beaucoup de valeur à l’argent. Aussi loin que je me souvienne, de l’argent, j’en ai toujours eu. Mais ça ne sert à rien de devenir un jour la femme la plus riche du cimetière. Je reconnais toutefois que si je n’étais pas honteusement riche, je ne pourrais m’offrir tous ces voyages ou mixer pour l’amour de la musique. A travers le monde, j’ai eu l’occasion de jouer pour de grands festivals mais je n’ai jamais pris la peine de m’investir plus que ça. Je ne fais pas de la musique pour me faire un nom, de l’argent ou me construire une carrière. Je le fais, parce que j’en ai envie. En réalité, je ne m’empêche jamais de faire ce que j’ai envie de faire. La vie est bien trop courte pour ça. Et chaque jour, je la vis comme si je devais mourir demain. Et mon corps a souvent du mal à suivre mais ce n’est pas ce bon vieux cœur essoufflé qui m’empêchera de profiter de la vie. C’est ce que j’ai beau me dire mais certains jours, il m’est impossible de mettre un pied hors du lit, certain jour, je suis tellement fatiguée, j’ai tellement de mal à respirer que je m’imagine moi aussi crever seule mais jamais triste. Jamais.
Ah, et puis non, j'ai pas grandi. J'suis une putain de gamine.