Il est vraiment infect ce café ! (Tommy)

Certains seraient du genre à dire qu’une personne qui occupait un travail d’assistante ne méritait pas d’avoir quelconque considération, que ce n’était pas un métier impressionnant. Personnellement, je trouvais toute personne qui pensait de cette façon hautaine complètement idiote. Je ne connaissais pas le métier à proprement parler, parce que jamais je ne l’avais pratiqué, jamais on ne m’aurait laissé faire de toute façon. En fait, j’étais toujours celui qui avait eu des assistants, assistantes, seconds, et alors que je pensais que c’était normal dans un premier temps, ces derniers mois, encore plus ces derniers jours, j’avais appris à me montrer reconnaissant, admiratif du travail que ces personnes pouvaient accomplir. Limite, je me sentais idiot de m’en rendre compte que depuis récemment, quand je me rendais compte à quel point leur travail était nécessaire, parce que je ressentais un terrible manque, à défaut d’avoir une assistante qui faisait son boulot correctement depuis que Joyce n’occupait plus ce poste. Jamais je ne pourrais lui permettre de revenir, et je ne le voulais pas non plus. Ma jolie blonde avait le droit de passer à autre chose dans sa vie, elle avait le droit de suivre ses ambitions, ses projets, et non pas les faire passer au second plan parce qu’elle avait un conjoint désorganisé. Et puis, avec sa grossesse, il était hors de question qu’elle en fasse plus qu’elle ne le devait. Alors pour sûr, même si je ne savais pas en quoi le boulot de la demoiselle consistait là où elle travailler, dans son domaine, je ne pouvais pas me montrer hautain, rien de tout cela. Après, je ne me voyais pas non plus commencer à m’exclamer, en plein milieu de ce café. Cependant, quand elle vint à dire qu’elle avait l’intention de changer, je ne pus m’empêcher, par réflexe, de me montrer intrigué, et demander:  « Ah bon ? » Conscient toutefois que ce n’était pas nécessairement très poli, je me fis violence pour ne pas aller plus loin, ne sachant pas ce que je pourrais ajouter de toute façon. Puis, gardant un air neutre, je voulais lui faire savoir, en silence, que si elle ne voulait pas me répondre, je n’allais pas lui en vouloir de quelconque façon, sachant très bien que j’avais peut-être été quelque peu indiscret.

Il me fallut faire un certain effort pour ne pas grimacer au moment où la demoiselle vint à m’expliquer que son travail n’était pas tant celui qu’elle souhaitait, légèrement embêté par le fait que quelques instants auparavant, j’étais limite prêt à vénérer la profession, si je pouvais le dire ainsi. J’aurais pu me laisser aller, j’aurais pu faire cette grimace, lui signifiant que ce n’était pas nécessairement agréable, travailler dans quelque chose qui ne nous convient pas, qui n’est pas notre métier de prédilection. Limite, j’aurais même pu lui dire que je la comprenais, parce que moi-même, je m’étais difficilement senti à ma place, surtout dans les premiers temps. Je pourrais même dire qu’aujourd’hui, je n’étais pas des plus à l’aise non plus, parce que bien des choses m’échappaient, mais me plaindre n’étant pas une option dans le cas présent, je l’avais compris, je me tus, la laissant aller au bout de ses propos, n’ayant, au final, pas le temps de lui répondre quoi que ce soit, puisqu’elle reprit la parole, poursuivant sur sa lancée, venant à m’expliquer ce qu’elle souhaitait faire, me faisant aussi part de ses démarches pour arriver à une profession qui lui convenait un peu plus. Toujours dans ce concessionnaire automobile ? Ce fut ce que je supposai, au vu du fait qu’elle ne mentionna pas quelconque changement de lieu de travail, ni même de département dans son cas, de ce que j’avais pu comprendre. Accusant réception de l’information d’un signe de tête, j’estimai poli de lui répondre:  « J’espère pour vous que ça marchera alors. » avec un petit sourire qui venait accompagner cette politesse, mais qui se voulait aussi une marque de sincérité dans ses propos. Je ne la connaissais pas, c’était vrai, mais quelle personne censée ne souhaiterait pas le meilleur à quiconque qui ne lui a pas fait de mal ? La jeune femme avait renversé son café sur ma personne, c’était vrai, mais je m’en moquais bien, surtout qu’elle ne m’avait pas fait porté le blâme ou fait toute une scène dans ce lieu public. Encore mieux, tout était réparé, puisqu’elle avait mieux, et moi, j’avais mon café entre les mains, café duquel je me permis de prendre une gorgée par la suite, sans toutefois chercher à la fuir de quelconque façon, attendant surtout de voir si elle souhaitait s’exprimer de nouveau sur son dit métier.

Ne m’attendant pas tant à ce que la demoiselle ajoute quoi que ce soit, je ne me vis pas ajouter quoi que ce soit à mon tour, estimant que ce serait synonyme de tourner en rond, et du coup, faire en sorte que la conversation aurait trop peu de sens. Je ne cherchais pas à être pessimiste en affirmant une telle chose, loin de là. J’avais eu suffisamment de conversations du genre avec des hauts fonctionnaires que je pouvais les détecter très rapidement désormais, et parce que celles-ci avaient tendance à me tomber sur les nerfs plus qu’autres choses, si je pouvais les éviter, comme dans le cas présent, c’était tant mieux. Mais bien souvent aussi, ce genre de chose signifiait la fin de la discussion. Pour moi, c’était souvent synonyme de délivrance, puisque je pouvais finalement prendre congé de mon interlocuteur, mais dans le cas présent, je n’en étais pas tant certain. La demoiselle me paraissait sympathique, même s’il était clair que nous ne pourrions passer des heures en plein milieu de ce café, ayant tous deux des devoirs respectifs à faire, je supposais. Mais avais-je envie de partir pour autant ? Je ne serais pas prêt à le dire. La connaissant que trop peu toutefois, je ne fus pas tant certain de ce que je pourrais lui dire, lui demander. Par conséquent, je restai planté là, ne sachant plus trop si je devais prendre congé ou non de sa personne. Puis, au final, elle reprit la parole, venant à me poser une question simple, légitime, et qui, pourtant, me fit tout drôle. Tout drôle dans le sens où en fait, j’ignorais un peu comment y répondre. N’ayant jamais complètement assumé mon statut, il était bien rare, sauf quand je me devais de le faire, que je déclamais mon statut professionnel comme ça, comme si c’était tout simple, bien banal. En des cas comme ça, je cherchais plus à tourner autour, sans toutefois mettre pile le doigt dessus. Je le fis encore en cet instant précis, venant à dire:  « Je travaille dans l’immobilier. » Bien rapidement, je me trouvai satisfait de ma réponse. Après tout, elle ne m’avait pas demandé mon métier précisément, mais bien dans quel milieu je travaillais, et c’était tout à fait ça. J’aurais pu donc, techniquement, m’en tenir à cette réponse, mais me disant que c’était un peu faible, et surtout idiot de faire comme si je vivais une double vie, alors que ce n’était pas le cas, je me décidai à ajouter:  « Chez… Grayson Towers. » Cette fois-ci, je n’allai pas plus loin toutefois, me montrant soudainement curieux de voir si la demoiselle connaissait ce nom, ou pas du tout. Je ne pensais pas que tous devaient le connaître, mais j’avais appris à être amusé à voir la réaction des gens quand je disais le nom de l’entreprise de mon père, maintenant la mienne. Au moins, si je pouvais en tirer une petite satisfaction, ça rendait le fardeau un peu moins lourd à porter.

D’une façon bien étrange pour la normale des gens, je demeurai surpris au moment où la jeune femme vint à me demander si mon boulot se passait bien. Puis, je me rendis compte que ma réaction était totalement ridicule, voire même un brin narcissique, au moment où elle vint à me faire comprendre que l’établissement que je possédais ne lui disait rien. Je pus donc prendre pour acquis que certainement, elle n’avait pas vu mon visage sur une de ces revues d’affaires, bien que celui-ci revenait de moins en moins, me laissait tranquille, ce de ce quoi je ne pouvais clairement pas me plaindre, puisque les risques de provoquer un quelconque scandale se voyaient diminuer, à ma grande convenance. De plus, je n’allais pas le cacher, il ne me faisait pas tant de mal, de ne pas être Tommy Grayson, président de l’entreprise familiale, pour une rare fois. Conscient toutefois que cela finissait toujours par me rattraper, je me retrouvai face à un dilemme; lui répondre en lui avouant que je possédais la chaîne hôtelière et résidentielle, ou bien faire ce que je faisais que trop bien, mais que j’avais trop peu fait ces derniers temps, soit m’amuser un peu. Pas aux dépens de la jeune femme, mais pour mon petit plaisir personnel. Espérant juste que si elle venait à savoir la vérité, elle ne le prendrait pas mal, je gardai contenance, puis je finis par lui répondre:  « Oui, c’est pas mal. » Cette partie, c’était en fait la vérité, un bout de la vérité. J’avais choisi de m’adapter à cette responsabilité qui m’avait été confiée, mais il n’en demeurait pas moins que je n’y prenais pas un plaisir, que je n’avais pas une profonde passion pour celui-ci, d’où le fait que « pas mal » était probablement le terme le plus approprié. Ce fut qu’après que je commençai à jouer le jeu, ajoutant, avec une grimace:  « Mais le patron est un peu… Comment dirais-je… » Feignant de chercher mes mots - même si en fait, il était vrai que je tentais de trouver le plus approprié, je complétai ma phrase par la suite, affirmant:  « Chiant ? Enfin, je trouve qu’il se prend pour un autre, et je ne suis pas du genre à apprécier l’hypocrisie… » Je m’arrêtai là pour le moment, refusant d’en faire trop, refusant que la blague devienne mesquinerie, surtout que la demoiselle ne m’avait rien fait de mal - le café sur mes chaussures et mon pantalon ne comptant pas, loin de là - et mon but n’était pas de la blesser, mais juste d’oublier l’effet inconfortable que cela aurait pu faire, si j’avais vraiment dit ce que j’y faisais et ce, dès le début.

Facilement, la demoiselle tomba dans le piège, crut que j’étais sincèrement en train de me plaindre de mon patron, comme elle l’avait fait précédemment. Pensais-je vraiment qu’elle était naïve ou idiote pour cette raison. Pas le moins du monde. Elle n’avait aucune raison de s’en blâmer, compte tenu que le blâme, c’était moi qui me devait de le porter. Dans ma tête, le fait qu’elle morde à l’hameçon était signe comme quoi ma blague avait fonctionné, comme quoi j’avais été suffisamment crédible. En étais-je fier ? Je devais avouer que oui, d’une certaine façon, même si là, après que je lui eus confirmé le « fait » en hochant la tête, puis en répondant:  « Oui, si on veut. » je me rendis compte que je ne savais pas trop quoi dire. En fait, c’était surtout dû au fait que j’étais partagé entre le fait de continuer à m’amuser, ou bien être un peu plus adulte, et lui dire que c’était une blague et que le patron dont je parlais, c’était ma propre personne. Quelques années, voire même seulement quelques mois auparavant, jamais je ne me serais posé la question, choisissant la première option sans hésiter un instant. Mais là, il fallait croire que le fait d’avoir une petite-amie, être dans une relation sérieuse, voir de nouvelles responsabilités allonger la liste de celles que j’avais déjà était en train de me rendre un peu plus… adulte ? Était-ce vraiment le terme approprié ? Conscient que je ne pouvais pas y réfléchir éternellement, je finis par effectuer ce que je pensais être le plus sage, soit un mélange des deux. Premièrement, je continuai à jouer le jeu, ajoutant en guise de détails:  « C’est un jeune blanc-bec qui croit qu’il peut rester les bras croisés à ne rien faire, simplement parce qu’il a hérité de l’entreprise de papa. » Trop de fois, j’avais entendu ce préjugé sur ma personne, trop de fois, j’avais été obligé d’admettre que celui-ci avait quelque chose de vrai, quand même. Maintenant, je faisais mon possible pour le briser, même si ce n’était pas parfait, même si j’avais encore fort à apprendre. Mais là n’étant pas le point, je me contentai de simplement ajouter, pour compléter le mixte que je m’étais promis de faire:  « Mais après, je suis mon propre patron, donc je ne peux pas vraiment m’en plaindre. » Ce propos, tenu dans un haussement d’épaules, restait quand même un peu énigmatique, même s’il était la vérité. Évidemment, j’avais le conseil d’administration à qui je devais plaire, qui s’occupait, de cette façon, de mon agenda professionnel, mais autrement, j’organisais mon temps comme je le voulais, tant et aussi longtemps que je ne provoquais pas quelconque scandale à la fin. Est-ce que ça, mon interlocutrice allait le saisir ? Ou devrais-je lui proposer davantage de détails ? En ce moment, je décidai de m’en tenir là, attendant de voir sa réaction, gardant en tête la possibilité de m’ajuster par après.