fuel for the soul ≡ kacey

Il était 22h; sans doute une heure trop tardive pour débarquer au Seoulspice et réclamer son poids en brochettes, mais Avri avait perdu toute bienséance après le sketch qu'un pseudo critique culinaire lui avait fait quelques heures plus tôt. Avri les détestait; ces petits blogueurs qui s'investissaient de la mission de sauver l'honneur de la cuisine gastronomique ou une autre connerie du genre, bien qu'ils n'aient jamais eu la moindre expérience professionnelle dans le milieu. D'ordinaire, ça lui passait au dessus de la tête. Mais celui-ci lui avait tenu la jambe pendant presque une demi-heure - tiraillé entre sa supposée subjectivité et un fanatisme sous-jacent pour Lowen - pour lui faire part de son avis et ses recommandations vis à vis de leur dernier menu. C'est dans ces moments là où elle aurait aimé avoir l'audace de son compère pour s'autoriser à le congédier brutalement. Bref, tout ça pour dire qu'elle méritait de se faire un peu plaisir, et ce que son cerveau réclamait tel une alarme tonitruante? De la nourriture coréenne à s'en faire exploser l'estomac. C'était une erreur d'observer la silhouette menue d'Avri et de supposer qu'elle n'était pas une grande mangeuse. Elle dépensait tellement d'énergie dans son quotidien qu'elle pouvait se permettre ces petits moments de voracité. Le restaurant était presque vide, et le serveur qui l'accueillit ne la foudroyait pas du regard pour son arrivée tardive donc tout allait bien. En même temps, il s'agissait de Washington; elle n'allait certainement pas être la seule âme paumée à venir se ressourcer dans un fast-food ou restaurant ce soir. Elle s'installa et passa commande de ses mets favoris, jusqu'à ce que....le noir complet. Une panne de courant. Journée de merde jusqu'au bout. Il n'y avait qu'a espérer que ça allait être passager : elle était affamée. Avri en profita pour regarder d'un air envieux et mauvais les quelques personnes qui continuaient leur repas en s'éclairant avec la lampe torche de leurs téléphones. Ugh.

Avri n'avait pas honte d'admettre que si sa commande était arrivée, il n'y a rien - et certainement pas un manque de visibilité - qui l'aurait empêché de s'empiffrer. Le destin en avait décidé autrement tandis qu'elle entendait les échos agacés et paniqués des employés en cuisine. Croisant les bras sur sa table, Avri poussa un soupire, balayant son regard sur les quelques personnes présentes. La plupart avaient eu le réflexe d'allumer la lampe torche de leur smartphone, si bien qu'Avri ne s'inquiète pas à faire de même. Le reflet de leurs propres lumières suffisait bien à lui offrir une vision approximative de la salle et de ce qui s'y passait. De quoi passer le temps en attendant que le courant revienne. Son regard s'attarda que une silhouette prostrée à l'entée. Sans doute quelqu'un qui était arrivé au moment pile où les lumières s’éteignaient. A sa place, elle aurait sans doute fait demi-tour - à quoi bon? - mais peut être cette personne était tout aussi guidée par son estomac et peu enclin à trouver autre chose. « Vous devriez vous asseoir, ça ne devrait pas durer très longtemps » se surprit-elle à dire à l'inconnue en haussant la voix. Ce n'est pas comme si elle avait autre chose à faire, et la pauvre jeune femme semblait tout aussi blasée qu'elle. Un peu de solidarité féminine, bon sang!

Avri était loin d'être une grande samaritaine, toujours prête à tendre une main aux inconnus. Elle savait admettre qu'elle avait une tendance à l'individualisme, sans pour autant être dépourvue d'une dose de générosité lorsque l'occasion lui semblait indiscutable. La sociabilité, en revanche, elle en avait à revendre. Avri ne rechignait pas les quelques moments de solitude - une bouffée d'air frais après de longues heures dans une cuisine bondée - mais elle préférait toujours la compagnie si le choix se présentait. Si bien qu'interpeller une inconnue dans un restaurant ne lui sembla pas déplacé ou bizarre. Même si elle se faisait ignorer, ça ne lui ferait regretter son geste. Mais la jeune femme ne s'offusqua pas, admettant qu'il y avait une part de bon sens dans ses mots. Elle s'approcha même de la table d'Avri, et cette dernière lui indiqua la chaise face à elle lorsqu'elle s'interrogea. « Il n'y a personne, je vous en prie » confirma-t-elle. Avri haussa une épaule lorsque son interlocutrice lui demanda si ce genre d'incident était courant. « Je ne dirais pas que ça arrive souvent, mais l'été avec les clims qui marchent à fond dans tout le quartier, ça peut arriver plusieurs fois oui » répondit-elle. « Pas de bol que ça arrive pile au moment où vous entrez »