Luna&Levi ▬ Carry On My Wayward Son

Bien qu’il m’avait été frustrant de constater que je devais attendre d’avoir la permission de quelqu’un pour sortir, ne serait-ce que pour une heure ou deux, je n’avais pas eu trop de mal à venir à la conclusion que c’était quand même pour une raison logique. Après tout, ce n’était pas nécessairement une bonne idée de prendre le risque de tout faire capoter pour une sortie un peu trop précipitée. Mais même si je l’avais accepté et que je préférais de loin aller mieux que de sortir, je fus quand même rassuré de savoir que je n’étais pas le seul à penser ainsi, en l’occurence que Luna pensait de la même façon. Cela pouvait sembler un peu idiot, mais compte tenu que j’étais toujours ici, que le mieux pour moi était d’écouter et faire ce qu’on me disait de faire, je craignais par moments que je me barricadais avec ce qu’on me disait en ces lieux, que peut-être ce n’était pas l’idéal, que c’était idiot limite, mais là, ce n’était pas le cas, et c’était tant mieux. De ce fait, pour faire savoir à Luna que j’approuvais sa réponse, je souris doucement en hochant la tête et ce, sans dire quoi que ce soit, ce qui lui donna l’occasion de poser une nouvelle question qui me fit garder mon sourire. Mais ça, c’était naturel, c’était normal, parce que j’étais toujours ainsi quand il était question de ma fille, dans des circonstances positives, évidemment. Puis, sans trop hésiter, je lui répondis:  « Elle est venue quelques fois. Parfois elle vient avec sa mère, mais maintenant, elle la laisse venir après l’école pendant une petite heure. » Et franchement, cette entente, je l’aimais beaucoup, parce que bien souvent, quand je savais que je verrais ma fille à la fin de l’école, ma journée devenait soudainement plus belle, même si cela n’arrivait pas encore très souvent. Mais malgré tout, c’était un excellent progrès que j’appréciais beaucoup, si bien qu’alors qu’en temps normal, je m’en serais tenu à un tel propos, là, je me fis plaisir et j’ajoutai:  « Enfin, c’est à condition qu’elle ait fait ses devoirs quand elle rentre chez sa mère… Donc bien souvent quand elle me visite, elle fait ses devoirs. » Et ces mots, je ne les avais pas prononcés avec un dégoût ou quoi que ce soit. Au contraire, cela pouvait sembler idiot, mais j’étais limite ravi de partager un peu de son quotidien avec elle, même si ce n’était pas la partie la plus amusante de celui-ci. Et bien sûr, ce n’était pas avec une complète fierté que je l’affirmais, parce que la vérité était que je n’étais pas assez éduqué pour pleinement l’aider comme je le voulais, et à un certain point, peut-être que je ne serais d’aucune utilité, mais ça, je ne pouvais qu’en vouloir à moi. Peut-être qu’un jour, une fois hors d’ici, j’allais faire en sorte de compléter mon éducation de base, je ne savais pas trop, j’étais bien loin de penser au moment où j’allais sortir d’ici, et pas juste pour un moment, mais pour de bon.

Lorsque Luna en vint à supposer que j’étais content de voir ma fille, je ne sus faire autrement que de hocher la tête pour lui confirmer le fait. Franchement, il aurait été très difficile de nier que cela me faisait non seulement plaisir, mais aussi le plus grand bien. Lorsqu’Haley venait en ces lieux, elle ne tenait pas compte de l’austérité de l’endroit, elle arrivait avec son sourire, avec ses propos innocents, comme si la vie était normale, comme si j’allais bien, comme si la vie pourrait continuer son court normalement par la suite. Je savais bien que ce n’était pas le cas, que bien des choses changeraient une fois que je serais sorti d’ici, mais pour le moment, j’aimais me réconforter dans cette idée, me convaincre que même si les circonstances n’étaient pas idéales, je pouvais quand même être un semblant heureux et profiter du moment présent, même si bien souvent, cela impliquait aider ma fille à faire ses devoirs. Cette partie, Luna sembla peu convaincue que c’était le mieux, mais franchement, cela ne me gênait pas, comme je lui prouvai d’abord en haussant les épaules, puis ensuite en lui disant, sans trop réfléchir:  « Tu sais, ce n’est pas le genre de choses que je faisais avec elle avant. » Je marquai une pause, et sans penser une nouvelle fois, j’ajoutai:  « Enfin, ce que je veux dire c’est que lorsqu’elle était chez moi pour le week-end, on sortait, on regardait des films. C’était bien, mais… » Réalisant que je ne savais pas trop comment dire la chose, parce que maintenant, je ne me voyais pas trop m’arrêter, je m’arrêtai pour trouver mes mots, puis je terminai en affirmant:  « J’avais l’impression qu’il fallait toujours que nos week-ends soient spéciaux, parce qu’ils étaient si courts, si peu nombreux… Mais là, je partage un peu de son quotidien et franchement, ça me plait… Je sais que ce n’est pas parfait, mais j’ai un peu plus l’impression d’être son père, d’être là pour elle, et pas juste une personne d’occasion… » Estimant que cette fois, j’en avais suffisamment dit, je m’arrêtai, me rendant compte que si je poursuivais, je finirais par me trouver idiot. Mais là, j’assumais mes propos, et le petit sourire que j’esquissai fut suffisant pour le faire savoir à mon amie, à mon avis.

En toute honnêteté, jamais je n’avais songé à demander à Savannah de laisser Haley faire ses devoirs en ma compagnie pendant le week-end. Non pas que je ne savais pas si elle en avait pendant le week-end, la vérité était que je n’étais même pas au courant de ce détail - et c’était lamentable de ma part, je le savais - mais parce que je prenais pour acquis que nos deux jours ensemble, ces deux jours si précieux, beaucoup trop courts pour qu’on en vienne à s’ennuyer, si courts que chaque fois, la séparation était affreuse, que peut-être le mieux était qu’il n’y ait pas de place pour ses devoirs dans celui-ci. Mais je m’étais rendu compte qu’en fait, partager le quotidien de ma fille comme ça, tout simplement, était quelque chose qui me manquait, qui manquait à mon rôle de père et qui faisait en sorte que je savais là où il y avait place à l’amélioration désormais, et que je pourrais peut-être tenter d’être un meilleur père pour Haley une fois que je sortirais d’ici. Mais encore là, encore une fois, bien des choses dépendaient de Savannah, parce que je me doutais bien qu’elle ne me laisserait pas carte blanche avec Haley comme ça, du jour au lendemain. De ce fait, lui demander, comme Luna était en train de le proposer, était la solution la plus logique, et sûrement la seule solution à laquelle je pouvais vraiment me soumettre dans le cas présent. Soupirant doucement, ne pouvant nier que j’étais quelque peu lassé de ce manège, je me résignai à répondre à mon amie:  « Ouais, peut-être… » tout en n’oubliant pas cette éventualité par contre. Puis, progressivement, je me rendis compte que si j’avais si peu d’enthousiasme à cette idée, c’était parce qu’en fait, je ne savais même pas si celle-ci était bonne. Je me rendais compte qu’au fond, cette possibilité que cela devienne chose du quotidien, pour les années à venir, voire les mois à venir, quand la matière qui lui serait enseignée serait plus complexe, mes propos sonnaient faux, que peut-être ce n’était pas l’idéal pour ma fille. Quelque peu abattu par ce fait, ce fut sans trop réfléchir que j’ajoutai, le regard baissé:  « Enfin, je ne sais pas si je suis le mieux placé pour ça, en fait… » Après tout, niveau scolaire, je n’étais pas un exemple à suivre, bien loin de là. Sorti du système d’éducation public à mes quinze ans, et je n’avais jamais vraiment été rigoureux dans mes cours à distance, si bien que je n’avais jamais décroché mon diplôme. De ce fait, j’estimais que je ne me rabaissais pas, je ne faisais que dire la vérité, aussi triste celle-ci puisse-t-elle être en ce moment, et qu’importe à quel point je regrettais de ne pas être un bon modèle pour ma fille de ce côté et ce, même si au fond, j’aimerais bien être plus qualifié et être capable de l’aider à faire ses devoirs, et pas seulement de temps en temps, mais aussi souvent que possible.

Ce fut les sourcils froncés que j’accueillis la proposition de Luna selon laquelle elle pourrait me venir en aide pour rattraper le coup et ainsi, être en mesure de faire faire des devoirs à ma fille sans me sentir complètement attardé. Pourquoi ? Pour tout dire, j’étais quelque peu surpris. Surpris parce que je ne m’attendais pas à ce qu’elle me fasse une telle proposition, surpris surtout parce que pour tout dire, jamais je n’aurais pensé que Luna serait du genre à me suggérer quelque chose du genre. Non pas parce que je pensais qu’elle était idiote, en manque d’éducation ou quoi que ce soit comme ça, mais disons que jamais nous n’avions abordé une question qui ne faisait ne serait-ce que frôler le sujet. Par conséquent, c’était quelque peu déstabilisant, d’autant plus que pour être franc, jamais je n’avais vu Luna comme la personne qui allait m’aider à rattraper de la matière faite pour les pré-adolescents. Je ne niais pas que j’en aurais peut-être besoin, mais bon, pour sûr, j’aurais demandé à… En fait, je ne sais pas à qui j’aurais demandé en toute honnêteté. Pour être franc, jamais je n’aurais pensé faire une chose pareille avant aujourd’hui, parce que jamais je n’aurais pensé que Savannah me permettrait d’être dans une situation où je pourrais aider Haley à faire ses devoirs. Parce qu’elle savait que je n’étais pas des plus brillants ? Parce que là, elle n’avait pas eu le choix pour faire plaisir à notre fille en lui donnant la permission de me payer des visites à sa sortie de l’école ? Ne sachant pas trop quoi penser de tout cela, peu convaincu que je serais vraiment partant pour faire ce genre de chose, comme ça, sans but préciser, je soupirai doucement. Mon soupir concorda pile au moment où je répondis à mon amie:  « Elle est au collège. », ce qui ne venait certainement pas aider à la situation. Luna, persuadée qu’elle était au primaire, semblait convaincue que ce ne serait pas si compliqué, mais finalement, c’était tout autre chose. Et puis, le pire dans tout cela, c’était que ça n’irait pas en s’améliorant, ce qui rendait le tout un peu plus énervant. Incertain que ce soit une bonne idée, au final, mais désireux de ne pas vexer mon amie, je finis par me calmer, puis lui répondre:  « C’est gentil, mais je trouverai un moyen, t’inquiète. » Je m’efforçai de lui sourire timidement pour lui faire comprendre que je le pensais. Après tout, il me faudrait bien faire quelque chose de ma vie en sortant d’ici, pourquoi ne pas retourner sur les bancs d’école ? Enfin, rien n’était clairement décidé, encore fallait-il que je passe au travers de tout ce processus, et en ce moment, j’étais bien loin d’en voir le bout.

Je n’en voulus pas à Luna de son erreur en ce qui concernait le niveau de scolarité de ma fille, sachant très bien que non seulement, ce n’était pas parce qu’elle doutait de son intelligence mais de plus, parce que moi-même, je n’avais pas fait grand-chose pour ne pas l’induire en erreur. En effet, rarement, je parlais de ce qu’Haley pouvait faire à l’école, raison étant que je n’avais pas grand-chose pour me tenir au courant. Bien souvent, quand nous étions ensemble le week-end, elle ne voulait pas parler de ses cours, ce qui était tout à fait normal à mon avis, alors je n’insistais pas et je ne m’en montrais pas vexé. Et puis, il fallait l’admettre, rarement, je parlais de ma fille comme était une jeune adolescente grandissant à chaque jour qui passait, devenant de plus en plus mature. C’était la réalité, je ne pouvais la nier, et j’étais plus que fier de la voir s’épanouir ainsi, mais au fond, je voulais qu’elle reste ma petite fille, comme si arrêter le temps dans ma tête allait me permettre de passer plus de temps avec elle, rattraper ce que j’avais pu perdre, même si je savais parfaitement que c’était chose impossible. Mais en conclusion, je savais que pour moi, elle resterait toujours ma petite fille, qu’importe si elle était au collège, au lycée, ou bien en train de faire un doctorat. Il n’y avait rien ni personne qui pourrait changer ça. Mais là n’étant pas le point, je me contentai de simplement garder ces idées pour moi-même, puis acquiescer malgré tout à la suggestion de mon amie par un hochement de tête et un timide sourire. Volontairement, je ne revins pas sur les détails concernant le choix de carrière de ma fille, puisqu’en mon sens, il était trop tôt pour qu’elle décide. Enfin, elle pourrait très bien avoir une idée arrêtée, il faudrait que je lui demande, et pour ne pas m’enfoncer sur cette ignorance qui me donnait l’impression d’être un mauvais père, je ne la mentionnai pas, lâchant un simple:  « Merci. » et laissant conséquemment un silence s’installer pendant un bref moment, où, debout, je me rendis compte un peu à retardement le pourquoi du comment je m’étais levé dans un premier temps. Me réveillant tout à coup, je dis:  « Oh ! La nourriture ! Ne bouge pas, je reviens. » Puis, sur ces mots, je me décidai finalement à me diriger en direction de la cantine, espérant pouvoir y trouver quelque chose de convenable pour moi-même, mais également et surtout pour mon amie.