"Tous ensemble, avec toi nous sommes qu'un" ♠ Levi

« Haley, on y va dépêche-toi ! » J’avais du mal en ce moment avec ma fille, elle ne m’écoutait pas et si elle pouvait s’enfermer dans sa chambre pour râler et ne pas m’obéir, elle le faisait. Sauf que là, elle savait qui on allait voir, en aucun cas Haley ne voudrait rater cette visite. Je l’attendais, devant l’entrée de l’appartement, tapant du pied à la voir traîner. Je fermais la porte derrière elle et nous descendîmes en silence, c’était comme ça que ça se passait quand il y avait un début d’engueulade, aucune de nous deux ne parlait pour ne pas envenimer la situation. C’était plus simple après pour se réconcilier. Mais là, ça faisait quelques jours que ça traînaient et je n’aimais pas ça. Cette sensation de ne plus avoir le contrôle sur elle alors qu’elle n’a que douze ans. Je ne sais pas pourquoi, mais ça ne me rassure pas car je suis sûre de perdre le contrôle si elle continue dans ce sens-là, et ça me ronge intérieurement. Je me mords la lèvre inférieure et je prends la parole la première. « On fait la paix au moins jusqu’à ce qu’on soit repartis du centre, pour Le… Pour ton père ? » J’avais dû mal à imaginer la famille qu’on formait presque depuis que Levi avait été à l’hôpital, jamais je n’utilisais le mot « chez ton père » quand je l’envoyais chez lui le week end, je n’arrivais pas car pour moi il ne la voyait pas assez pour qu’il bénéficie de ce titre. Mais maintenant, c’était différent et parce que je m’en étais rendue compte aussi. Je lui jetais un regard en biais et fis un sourire en la voyant acquiescer et se détendre au passage. Moi aussi par la même occasion, car la voir tendue me rendait aussi tendue qu’elle. Bref, maintenant qu’on était clean et surtout qu’on n’était plus forcément fâchée, le trajet se fut moins long. Cependant une fois devant l’entrée du centre, une boule se forma en travers de ma gorge, la dernière fois que j’avais mis les pieds ici, j’avais vu le père d’Haley se faire embarquer par les ambulanciers pour le transporter à l’hôpital. Autant dire que c’était un souvenir que je préférais oublier. Je serrais les poings et entraînais ma fille vers l’intérieur, c’était la première fois qu’elle venait et je la sentais stressée, peut être le fait de voir d’autre personne aussi du même sort que son père. On avait longtemps débattu à ce sujet et c’était la cause de nombreuses disputes ces derniers jours entre elle et moi. Souriant à la réceptionniste, je donnais mon nom et demandais à voir Levi. Patientant à l’entrée, je donnais une tape sur les doigts de Haley qui était en train de se ronger les ongles. A son regard, je compris que le retour en voiture allait être chargé de reproches, pour changer. La réceptionniste revint nous voir et je lui adressai un sourire complètement faux que j’utilisais toujours au boulot quand on me posait une question à laquelle je n’avais pas envie de répondre. On suivit la personne avant de rentrer dans une salle un peu plus grande et qui accueillais plusieurs personnes en même temps. Je m’installais à une table, plus reculée que les autres afin de pouvoir discuter et si c’était possible, de sortir plus tard afin de ne pas être en permanence observée. « Papa arrive quand ? » A peine avait elle dit cette phrase qu’on le vit débarquer dans la salle en train de nous chercher du regard. Je croisais ses yeux et je lui souris, sincèrement et heureuse de le voir sur pied et en meilleur état dans lequel j’avais pu le laisser quelques semaines auparavant. Je me levais, Haley aussi et lui courus dans les bras pour montrer son affection et cette image me fendit le cœur. Je n’avais jamais participé à un de leur week-end et donc je n’avais jamais vu l’affection qu’ils avaient l’un pour l’autre. Enfin même si quand Haley était petite je restais, je n’avais pas vu ce genre d’étoiles dans leurs yeux. Je me rassis après avoir serré brièvement Levi dans mes bras. Sentir sa chaleur et son corps contre le mien me rassuraient, ça me montrait qu’il était bien là et non plus à l’hôpital. Je me rassis en face de lui et regardais Haley en train de pianoter sur son portable, encore, ça aussi ça m’énervait. « Alors, comment tu vas ? Je suis vraiment désolée de ne pas être repassée… mais j’avais du travail. » Ce qui était vrai, je n’avais jamais pu me libérer assez tôt pour aller le voir ni même l’appeler, toutes mes affaires du moment était closes et je devais rendre des croquis dans les jours à venir, donc autant dire que je n’avais pas de temps pour moi et encore moins pour la famille. Je soupire et attrape une de ses mains pour la serrer entre les miennes. « Je suis contente de te voir, vraiment. Tu as meilleure mine, je dirais que ton teint est plutôt beige à présent et plus si blanc que les murs de l’hôpital. » Oui c’était pourri mais je ne savais pas quoi dire pour le moment à part m’excuser et être ravie de l’avoir devant moi à présent. J’avais promis d’être là pour lui et je ne l’avais pas été pendant ses semaines à l’hôpital, et je m’en voulais, énormément !

 « Mon… Levi, vous avez des visiteurs, ils vous attendent dans la salle commune. » Si ce n’était pas du fait que j’attendais ce moment depuis ce qui me semblait être une éternité maintenant, pour sûr, j’aurais eu un sourire à la fois amusé et rassurant par rapport à l’hésitation de la jeune préposée. Évidemment, je ne lui en aurais pas voulu, parce que j’étais bien conscient que ce n’était pas sa faute si elle avait eu le réflexe de vouloir m’appeler « Monsieur ». En fait, c’était ce qu’elle aurait dû faire, mais rapidement après mon retour de l’hôpital, je m’étais opposé à cette procédure. Pas dans les premiers temps, parce que je n’osais pas perturber quoi que ce soit, mais quand je m’étais rendu compte que ce que je jugeais être une marque de politesse me faisait sentir si inconfortable que cela nuisait à mon bien-être, j’avais demandé à ce qu’on m’appelle par mon prénom. Pourquoi ? Parce que je jugeais que je n’étais pas plus important que qui que ce soit, bien au contraire, et je n’avais plus envie d’être considéré à distance. Pour la première fois de ma vie, j’avais un entourage dont le boulot était de prendre soin de moi, même si en quelques sortes, je leur étais imposé, et je ne voulais pas m’en sentir si peu proche. J’étais conscient que ces gens ne deviendraient pas mes meilleurs amis, mais en mon sens, ce n’était pas trop demandé non plus. Et puis, j’étais encore capable de faire preuve de tolérance; jamais je ne me serais permis de reprendre la jeune femme si elle n’avait pas eu le réflexe de se reprendre dans son propos. Là, je me contentai de simplement lui sourire gentiment, puis me lever de mon lit où je m’étais installé en patientant, en fixant le mur, en me tournant les pouces parce que je ne trouvais rien de mieux à faire en cette journée que je qualifiais de spéciale. En effet, c’était la première fois que Savannah venait me visiter depuis mon retour au centre, et la toute première fois qu’Haley me payait une visite. Inutile de mentionner que même si la situation n’était pas la plus idéale qui soit, elle me manquait terriblement, et j’étais plus qu’impatient de la revoir, sa mère aussi d’ailleurs. Après tout, elles étaient la raison pour laquelle je me trouvais ici, et leur visite était pour moi non seulement une source d’espoir dont j’avais bien besoin, mais aussi, je croisais les doigts pour, une façon de leur montrer que je n’avais pas l’intention de les laisser tomber. Bien décidé à ne pas les faire attendre donc, j’attendis que la préposée soit partie, puis je quittai ma chambre pour me rendre à la dite salle commune. Ce ne fut pas bien long, puisque je savais à présent le chemin par coeur. Je n’avais pas eu une tonne de visiteurs, mais c’était le point central de la clinique, donc ne pas savoir où elle était située était un énorme manquement. Sitôt que je fus arrivé dans la salle, je cherchai Savannah et Haley du regard. Bien rapidement, elles apparurent dans mon champ de vision, m’arrachant un sourire que je ne gardai pas longtemps non pas parce que je ne voulais pas, mais plutôt parce que sans crier gare, ce petit rayon de soleil qu’était ma fille avait choisi de ne pas se soucier des lieux ou des gens qui nous entouraient, se précipitant en ma direction en me laissant tout juste le temps de me pencher pour la réceptionner dans mes bras. Envahi d’une dose de bonheur et d’amour qui en devenait émouvante, je serrai fort ma fille contre moi, embrassant sa joue avant de lui dire:  « Salut ma puce… » Puis, après une nouvelle étreinte, je la relâchai, gardant toutefois mon bras autour de ses épaules tandis que nous nous rendions à la rencontre de sa mère. De mon bras libre, je posai le même geste que j’avais fait à Haley quelques secondes auparavant avec un sourire franc, histoire de lui montrer que même si voir ma fille venait de faire mon bonheur, j’étais content qu’elle aussi, elle soit venue. Après tout, le contraire aurait été particulièrement ingrat, d’autant plus que j’étais incroyablement redevable envers Savannah, compte tenu de tout ce qu’elle faisait pour moi. Sitôt l’étreinte terminée, nous prîmes place à la table où elles étaient assises au moment de mon arrivée dans la salle. Je m’installai en face de Savannah, tandis qu’Haley était à nos côtés, déjà distraite par autre chose; son portable. Inutile de mentionner que pour le coup, cela me décontenança un peu, même si je savais bien que c’était de son âge, mais je n’eus pas le temps de le soulever, puisque sitôt, Savannah reprit la parole, s’excusant de ne pas être venue avant. Calmement, je lui répondis:  « Ce n’est pas grave, ne t’en fais pas. » J’aurais peut-être pu lui dire également que c’était déjà énorme à mon avis qu’elle prenne du temps avec Haley pour venir aujourd’hui, mais je n’en eus pas le temps, puisque sitôt, la jeune femme reprit la parole, s’essayant à une blague un peu maladroite qui, malgré tout, m’arracha un léger rire. À cela, je répondis, me disant que c’était le moment de répondre aussi à sa toute première question:  « Ouais, c’est pas l’idéal, mais ça va mieux. » Enfin, il était difficile de faire pire que l’état lamentable dans lequel j’étais à l’hôpital, mais bon, disons que j’avais espoir qu’il pourrait y avoir plus de progrès. Mais ça, je ne pouvais pas le déterminer clairement, donc il me serait quelque peu difficile de partager sur le sujet. À la place, je portai mon regard sur Haley, et histoire de l’embêter un peu, j’attrapai l’appui-bras de sa chaise, la tirant vers moi, dans l’espoir d’attirer son attention. Puis, je regardai de nouveau Savannah, et je lui demandai:  « Et toi, comment tu vas ? », me disant que c’était la moindre des choses de lui demander des nouvelles d’elle avant de commencer à parler de Haley ou quoi que ce soit d’autre.

Cela me faisait chaud au cœur de me retrouver ici en compagnie de Levi et Haley. On avait tout l’air d’une famille alors que non, pendant des années on s’était juste refilé Haley le temps d’un week-end pour Levi. On n’avait rien d’une famille tout l’opposé même. Mais on faisait bonne figure, pour Haley alors qu’au fond… on était des étrangers l’un pour l’autre. J’avais promis d’être là pour Levi et c’est ce que je faisais mais je le connaissais toujours à peine. Cependant, si j’étais là aujourd’hui, c’est parce que j’avais promis à Haley de venir voir son père avec elle. Puis il n’était pas question que pour la première fois elle vienne seule, ça non ! Manquerait plus qu’on me traite de mère indigne, ça m’avait suffi une fois, et je n’étais pas prête de l’entendre une deuxième fois sans craquer réellement. Secouant la tête, j’appréciai ce contact, bref avec Levi et fermai les yeux un quart de seconde pour en profiter. J’avais oublié ce que ça faisait quand une personne vous tenait dans ses bras. Hormis Derrick mais ce n’est pas pareil avec lui, c’était mon meilleur ami, celui que je pouvais embêter sans avoir de problème et sans que j’ai aucune gêne. Mais là, c’était un peu gênant, puis il y avait Haley donc ça l’était doublement mais apparemment ça n’avait pas l’air de la perturber, bien au contraire, elle était plus qu’heureuse d’avoir retrouvé la figure paternelle qui lui avait tant manqué. Puis je retrouvais vite ma place à la table où j’étais assise quelques secondes auparavant, ce qui me soulageait car mes jambes tremblaient légèrement. Je n’aimais pas cet endroit mais je n’avais pas eu le cœur à lui dire. Tout ce qui ressemblait à des hôpitaux me rendaient malade et me m’étaient mal à l’aise. Je hochais la tête en souriant lorsqu’il me répondit comment il allait. C’était sûr que ce n’était pas la joie et je pouvais le comprendre en même temps vu l’état du bâtiment. Quoi que… il était plutôt bien entretenu mais le fait d’être enfermé à l’intérieur n’était pas vraiment cool. Je jetais un œil à Haley avant de pouvoir lui répondre. « Je vais bien. » Je lui offris un sourire et les regardais tous les deux avec un grand sourire. « Pose ce téléphone, Haley, toi qui voulait tant voir Levi. » Je me mordis la lèvre, sachant très bien que j’allais me faire rectifier dans la seconde. « Papa. » Je hochais la tête en soupirant. Ce n’était pas de ma faute si je n’avais pas réussi à avoir ce pli. Pour moi quand je l’emmenai, je n’employais que très peu de fois le mot : père ou encore papa. Je n’arrivais pas à faire le lien alors que quand je les voyais tous les deux, ils étaient adorables et inséparables. « Et sinon, tu en es où dans ton traitement et ta cure ? Les spécialistes sont positifs ? » Il allait sûrement pouvoir sortir prochainement ou du moins commencer les sorties ? Car même si ça faisait un bon moment qu’il se droguait, le traitement devait être efficace car il avait meilleur mine que les jours d’avant. En tout cas j’étais contente de le voir en meilleure forme et prêt à nous recevoir ici. « Tu reçois beaucoup de visites ? » A vrai dire, je ne savais même pas s’il avait des amis ou même de la famille. Je n’en avais aucune idée, c’était pour dire à quel point je le connaissais peu… Si jamais il lui arrivait quelque chose d’autre sur le coup, je suis quasiment certaine que Haley répondrait mieux aux questions que moi. En même temps, c’était pareil de son côté, il ne connaissait rien de moi. Je jetais un regard à l’extérieur et vis plusieurs personnes se promener et je les enviais au lieu de rester bloquer ici. « Tu penses qu’on pourrait sortir ? Vu que tu es en compagnie de nous deux, il n’y aurait pas de raisons ? » Je souris et je vis le regard de Haley s’émerveiller, elle adorait être dehors puis moi aussi plutôt que d’être coincée entre ces murs. « Maman aime pas les hôpitaux. » Dit Haley en haussant les épaules, me regardant avec un grand sourire. Je lui lançais un regard noir pour ensuite sourire doucement à Levi. Après tout ce n’était pas une honte mais je ne voulais pas le forcer à aller dehors alors qu’on était tout aussi bien là. Du coup je ne répondis rien, le laissant décider lui-même.

Dans un premier temps, au moment où Savannah en vint à s’adresser à Haley pour lui demander de lâcher son appareil, je ne remarquai pas vraiment qu’elle m’avait appelé par mon prénom pour parler de moi à notre fille. Cela me troubla beaucoup plus au moment où Haley en vint à la corriger, visiblement décidée à ne pas m’appeler par mon nom, mais plutôt « papa », comme elle avait l’habitude de m’appeler quand nous étions ensemble. Limite, j’en demeurai quelque peu surpris, mais au final, cela ne me fit pas de mal, bien au contraire. Je ne sus que me montrer amusé et surtout ravi du fait que ce lien que nous avions, Haley et moi, avait une continuité quand je n’étais pas avec elle. Parce que je ne pouvais pas le nier, maintes fois, j’avais craint qu’à un moment ou un autre, parce que sa mère était en mesure de lui offrir une bien meilleure vie que ce que je pouvais lui proposer, elle termine par se lasser, à force de ne pas me voir plus qu’un week-end aux deux semaines. Peut-être un jour, cela allait arriver, quand elle serait plus âgée, qu’elle aurait ses amis, un copain - quoique ce jour, je voulais le voir arriver le plus tard possible - mais là, tout de suite, j’étais content de voir que je n’étais pas oublié, que j’avais encore un peu de valeur aux yeux de la personne qui, pour moi, représentait tout l’or du monde. Pour cette raison, un petit sourire apparut sur mes lèvres tandis que je me permettais de passer mon bras sur le dossier de la chaise d’Haley, comme pour profiter de sa présence, de sa proximité. Cela ne m’empêcha pas toutefois de considérer Savannah tandis qu’elle me posait des questions qui me semblaient un peu plus techniques. Celles-ci, d’ailleurs, me laissèrent quelque peu inconfortable, considérant le fait qu’Haley était là, et que je ne me voyais pas trop parler de choses délicates en face d’elle pour le moment, mais malgré tout, je me permis de dire:  « Ça va, la dépendance se résorbe plutôt bien. » Dit ainsi, tout cela pouvait sembler pas mal positif, mais malheureusement, ce n’était que la pointe de l’iceberg. Ce que je n’eus pas le courage de dire à Savannah, c’était le fait que même si physiquement, il était évident que ça allait mieux, psychologiquement, ce n’était pas tout à fait ça; mes vieux démons me suivaient encore, venaient me hanter, mais le souci était que maintenant, je ne pouvais pas les faire taire en consommant. Et les affronter, les accepter, c’était là mon plus gros problème. Ça, les spécialistes l’avaient compris, et ils avaient aussi compris qu’il faudrait pas mal plus qu’un sevrage pour parvenir à une guérison complète dans mon cas. Après, rien ne les empêchait de me laisser sortir dès qu’ils auraient conclu que je pouvais vivre en société sans sauter sur le premier joint que je verrais passer, mais parce que tout ce processus avait été long, douloureux, je voulais qu’il vaille la peine, alors je voulais continuer, même si je n’étais pas encore prêt à avouer bien des choses et à les accepter. Qu’est-ce qui pourrait régler cela ? Du temps, c’était certain. Parce que du soutien, je ne savais pas si je pouvais le demander, les gens venant me voir étant trop peu nombreux, et surtout trop peu au courant de ma situation. Mais là n’étant pas le point, et trop peu désireux d’en parler ici et maintenant, au moment où la jeune femme me demanda si j’avais beaucoup de visites, je ne fis que hausser les épaules. De toute façon, quelque chose m’empêcha de développer ma réponse, soit cet inconfort que je perçus dans le regard de Savannah, inconfort que je ne sus attribuer à quoi que ce soit d’évident jusqu’à ce qu’elle me demanda si c’était possible de sortir à l’extérieur. Puis, tout devint encore plus clair à l’intervention de notre fille, intervention qui sembla gêner sa mère dans un premier temps, mais qui, moi, me fit légèrement sourire. Je relevai ma main doucement pour caresser ses cheveux, et je lui dis:  « Je ne peux pas la blâmer. Les hôpitaux, c’est un peu moche, ça manque de couleur si tu veux mon avis. » Puis, sur ces mots, en espérant avoir quelque peu allégé la situation pour le coup, je dis à Savannah:  « Je n’ai pas encore eu la permission de sortir à l’extérieur du périmètre du centre, mais on peut aller dans la cour intérieure, si ça vous va. » Après tout, un coin de verdure, c’était déjà mieux que des murs relativement austères. Enfin, ça, ce n’était que mon avis, encore fallait-il que cela convienne à la jeune femme qui, mine de rien, était la plus affectée par cet environnement. Pour ma part, j’y vivais, donc je faisais avec, donc ça ne me gênait pas, mais je ne voulais pas non plus lui imposer quoi que ce soit si elle était vraiment trop peu à l’aise avec tout ça.

J’espérais qu’une seule chose à présent, c’était de le voir sortir de ce centre de désintoxication car ce n’était pas non plus une vie qu’il soit là. Puis ce n’était pas un endroit pour une fillette de douze ans et Dieu seul sait à quel point elle veut voir son père. Ca aurait pu devenir son mot de la journée si je n’avais pas fini par l’emmener. Elle sait ce qu’elle veut et pour cela, je crois qu’elle tient de Levi. Après tout quand il voulait des pilules il les prenait, maintenant il veut arrêter et il le fait. Je suis plutôt contente du résultat au final. Je souris en regardant Haley et son père puis hoche la tête à ce que me dis le beau brun. « Je suis contente de le savoir. J’espère que tu pourras bientôt sortir. » Et je suis sérieuse, ça me fait plaisir de le voir aller mieux et se battre contre les effets néfastes de ces stupides drogues. Je suis même contente de savoir que Haley pourra bientôt le revoir en dehors de cet endroit vraiment glauque. Et même moi, je serais plus à l’aise à le voir à l’extérieur. Je me rends compte que lui parler, j’adore ça. Enfin… je suis heureuse de pouvoir partager ce moment, presque familial, avec lui et Haley. Un magnifique tableau, qui n’en est pas un. Je secoue la tête pour revenir à la réalité et au fait que j’ai vraiment envie de sortir d’ici. Je ne me sens pas très bien et je n’ai d’autre choix que de l’exprimer. Cependant, Haley ne sait pas tenir sa langue dans sa poche et elle doit tenir de moi car je suis pareille, je confesse mais bon, elle a le droit au regard noir de sa maman en cadeau. Je sens bien dans le regard de Levi qu’il fait en sorte d’apaiser la tension en proposant une alternative, que je trouve finalement le seul moyen à mon mal-être. « Allons-y. » Je souris, en étant un peu obligée de le faire, avant de me lever et d’aller à cette partie du bâtiment laissant Levi et Haley en tête à tête, ça ne se reproduira pas avant un bon moment. Elle a interdiction d’y aller sans mon autorisation. Une fois dans la partie concernée, je respire un peu mieux et je me tourne vers Levi pour sourire de nouveau, le voyant si proche de sa fille. Mon cœur se serre en voyant ce tableau car j’étais exactement pareille avec mon père, à moi et cela me rappelle à quel point je l’aimais et aussi à quel point il me manque. Heureusement pour Haley, elle n’a pas comme mère celle que j’ai eu et jamais je me permettrais de reproduire ces erreurs sur elle. « D’autres personnes sont venus te voir récemment ? » Ca me paraît anodin comme question mais je voulais savoir si des amis à lui étaient passés pour prendre de ses nouvelles ou bien pour savoir s’il s’en sortait. Car s’il avait des amis pourquoi avaient-ils attendus avant de l’envoyer en centre de désintoxication ? « Pourquoi ne pas avoir voulu faire cette cure plus tôt ? » Autant engager la conversation, on avait le temps et puis je sentais que la petite brunette ne voulait pas partir, pas maintenant, elle était trop accrochée à son père. « Je veux dire tu n’as même pas eu de meilleurs potes pour t’y envoyer ? » Car le comble était que ce soit moi, la mère de Haley, celle avec qui il a le moins de lien, qui l’est envoyé… Et en y repensant, ça me fait mal d’avoir ce rôle même si c’était pour son bien. « Car je veux bien endosser le rôle de la vilaine mais … pourquoi il a fallu que ce soit moi ? Enfin plus particulièrement Haley ? » Je vis l’intéressée lever le regard en me questionnant et je secouais la tête, elle était trop obnubilée par son jouet technologique pour comprendre quoi que ce soit. J’avais besoin de ses réponses pour pouvoir avancer et arrêter de me tuer l’esprit. Car depuis son insertion, gérer les souhaits de la petite et comprendre pourquoi j’en étais arrivée là, j’avais de plus en plus de mal à supporter. Puis en parler à Derrick s’était délicat puisqu’il était en tournage à droite et à gauche. Dur d’avoir un meilleur ami acteur. Et du coup, le seul qui pouvait me répondre, c’était Levi alors j’attendais plongeant mon regard dans le sien.

Je m’étais habitué à cet endroit, si bien que je ne pensais plus vraiment que l’intérieur pourrait être désagréable pour certaines gens. Malgré tout, je ne m’opposai pas au fait d’aller à l’extérieur, là où je me rendais que trop peu souvent lorsque j’étais seul, même si peut-être je devrais le faire, et je dus admettre, une fois que nous y fûmes, que c’était effectivement beaucoup plus agréable qu’à l’intérieur. Enfin, ça, c’était que me concernant, après, il fallait dire que ce n’était pas le grand luxe, avec des plantes partout et ce genre de chose, mais si cela pouvait faire l’affaire pour Savannah ainsi que pour Haley, c’était tant mieux. Puisque celles-ci ne semblèrent pas trop s’en plaindre, je les emmenai à la table libre la plus près et ensemble, nous nous y installâmes. Celle-ci n’étant pas trop proche des autres, donc éloigné du reste des patients et visiteurs, c’était juste parfait pour discuter plus amplement. De quoi ? Moi, je ne le savais pas trop, mais Savannah, elle, ne tarda pas à trouver la question à me poser pour alimenter la discussion. Tristement, ce n’était pas une question à laquelle je pouvais vraiment répondre quelque chose d’élaborer, ne pouvant que me contenter de dire dans un haussement d’épaules:  « Oui, mais pas tant. », agrémentant mes dires d’un sourire gêné, trahissant mon inconfort par rapport à cette question. Premièrement, je m’habituais tout juste à cet endroit, alors je me voyais encore très mal inviter une tonne de gens à me payer une visite, surtout que je ne voulais pas l’imposer à qui que ce soit. Et puis, Savannah n’était probablement pas au courant, mais la liste de personnes que je pourrais contacter était très courte, tellement courte qu’en fait, je ne savais même pas si ça valait le coup de les contacter. Parce que même si ces personnes étaient les rares gens que j’appréciais, il n’en demeurait pas moins que personne n’était assez proche de moi pour me convaincre de faire une cure de désintoxication, bien souvent parce qu’ils avaient des problèmes similaires aux miens, ou bien qu’ils ne le remarquaient pas, parce que je n’en parlais pas et je ne l’exposais pas. La situation dans laquelle je me trouvais avec Savannah en était la preuve; si jamais elle n’était pas venue chez moi à l’improviste, pour sûr, je serais encore dans la même situation, parce que je ne savais pas si j’aurais eu le courage de me prendre en main, comme ça, tout seul. Et c’était ce qui expliquait pourquoi jamais je ne m’étais poussé à le faire, pourquoi jamais personne ne m’avait poussé à le faire. Sauf que ça, je ne sus pas trop comment l’expliquer, d’où le fait que je me contentai de simplement hausser les épaules à la première question, plus large, de la mère de ma fille. Ce fut seulement au moment où elle précisa celle-ci que je trouvai les mots et surtout le courage de lui répondre, en venant à lui dire, tout simplement, mais sincèrement:  « Parce qu’elle est ma fille… » Cette réponse, elle englobait plusieurs choses. J’aurais pu aussi dire que c’était parce que je l’aimais, parce qu’elle était la personne la plus précieuse dans ma vie, celle qui venait éclairer de bonheur mes journées sombres, parce que sans elle, je n’étais rien du tout, elle était ce qui me permettait de m’accrocher et continuer à avancer tant bien que mal. J’aurais pu dire tout cela, je n’aurais pas eu honte de le faire, mais mon propos, en mon sens, englobait toutes ces réponses. Et puis, cela me donna l’occasion d’ajouter par la suite:  « Et je ne dirais pas que tu es la vilaine… Je ne voulais pas que tu prennes la chose ainsi… » Pourquoi avais-je tenu à lui dire ces mots ? Parce que même si je ne l’avais pas fait savoir, pas clairement en tout cas, j’avais pu percevoir une certaine panique dans les yeux de la jeune femme. Ou peut-être panique n’était pas le mot, mais qu’importe, je tenais à la rassurer, qu’elle ne se sente pas mal ou un truc du genre. En fait, elle devrait plutôt en être fière, parce que mine de rien, c’était elle qui m’avait sauvée. Elle m’avait poussée à faire ce que je n’aurais jamais osé faire. Évidemment, tout était loin d’être réglé, mais cette petite poussée m’encourageait à présent à aller plus loin, me guérir une bonne fois pour toutes, même si cela serait loin d’être facile. Sauf que là, ce n’était pas le moment d’y songer ou d’en discuter, à mon avis. Ce serait trop poussé, trop délicat, et peut-être même lourd pour Savannah qui, j’en avais l’impression, en avait déjà lourd sur le coeur par rapport à tout cela. Voilà pourquoi je me décidai finalement à dire, même si cela ne me fit pas plaisir:  « Mais tu sais, il n’y a rien qui t’oblige à passer régulièrement si tu ne le veux pas… Je n’ai pas à te forcer à quoi que ce soit… » Je me doutais bien que si jamais elle venait effectivement à moins passer, ce serait plus complexe pour moi de voir Haley, mais sachant la situation complexe, il me fallait l’accepter, je le supposais. Je ne pus nier que j’eus un pincement au coeur à cette idée, mais malgré tout, je soutins son regard, assumant mon propos, attendant juste de voir comment elle allait réagir à celui-ci.

Voir cette pièce me rendait déjà de meilleure humeur et surtout me fis me sentir mieux dans l’immédiat. Ce n’était pas l’extérieur mais c’était suffisant pour que je ne ressente pas le besoin d’aller dehors pour respirer le grand air. Haley les problèmes que j’avais avec ça et elle me le reprochait souvent quand il s’agissait de faire les magasins, être dans des petites boutiques avec beaucoup de monde me rendait mal à l’aise et je ne restais jamais longtemps au grand damne de ma fille qui boudait. Mais je ne pouvais pas faire autrement. Je me posais contre le mur en face de la table où était Haley en train de dessiner et regardais les autres patients d’un autre œil. Ils avaient l’air d’aller bien pour la plupart, d’autre moins bien, je grimaçais et reposais mon regard sur Levi, pensant un instant qu’il avait été ainsi quelques semaines à cause de l’arrêt si brutal qu’il avait enduré. Ma première question sembla le peiner et je me sentis un peu coupable pour le coup mais je n’y pouvais rien, je me devais savoir si ses amis prenaient de ses nouvelles ou pas du tout. « Oh… Bah j’espère que quand ils passent, ils restent assez longtemps. » Les amis se comptent sur les doigts d’une main dit-on et je crois que c’est le cas de Levi tout comme le mien. Je ne peux que compter sur Derrick et Jules, ce sont deux personnes que je peux appeler n’importe quand, et aussi Eloan mais ça c’est encore différent. Cependant, je sais que si j’ai besoin, il sera là pour m’aider. Alors que dans le regard de Levi, je compris qu’il n’avait que peu de personnes sur qui compter et ça me fit mal au cœur, ça me le serra. Je ne le montrai pas mais je compris sa douleur d’être là sans pouvoir profiter des bienfaits de l’extérieur et de sa fille au passage. Mais je voulais en savoir plus. Creuser ce qui se cachait derrière cette carapace qu’était Levi et apparemment le choix de faire la cure venait bien de moi, du fait que je l’ai menacé de ne plus voir sa fille. Difficile à comprendre mais dans un sens c’était logique. Moi-même j’aurais tout fait pour elle, à y laisser ma vie. Et je sais bien que Levi également mais pour le bien être de sa fille, il avait choisi de remonter la pente et de faire des efforts. « D’accord. » C’était une réponse logique et tout à fait clair. J’ouvris la bouche à deux reprises avant de parler à mon tour. « Je ne voulais pas dire ça ainsi. Enfin… comment expliquer que le fait que ce soit moi, la mère de ta fille avec qui tu n’as aucun lien, te demande de faire une cure et tu acceptes. Certes, j’ai sous-entendu que tu ne verrais plus Haley. Mais pourquoi ne pas avoir réagi avant, sans que j’aie à te menacer ? » C’était tellement compliqué cette situation, je voulais savoir où je me situais, si j’étais juste le lien qui faisait qu’il voyait sa fille et inversement ou bien la personne qui l’a aidée à passer le cap. Je n’en savais rien et s’il ne mettait pas les choses au clair, ça ne m’aidait pas pour la suite de la conversation et ce qu’il venait de dire. Passant une main dans mes cheveux, je jetais un œil à Haley qui dessinait et posais mon regard sur Levi, croisant mes bras par la même occasion. « J’ai pas dit que ça me déplaisait, voir que tu vas mieux me rassure et me réconforte dans l’idée que cette cure était le bon choix pour toi. Donc, ça ne me dérange pas et je passe car Haley veut que je sois là aussi. » Je souris tendrement à ma fille lorsqu’elle entend son prénom et pose mes fesses sur le rebord de la fenêtre. « Je veux seulement savoir quel rôle j’ai. Tu vois ce que je veux dire ? » Car pendant douze ans, on s’est simplement dit des banalités sans aller plus loin que des bonjours ou au revoir et est-ce que ça va ? Et là, à cause de son addiction, je suis là, à le regarder aller mieux alors que si on avait été plus proche auparavant, il serait loin de tout ça depuis longtemps. Voilà pourquoi je lui posais toutes ces questions. On avait du temps à rattraper et pas qu’un peu, et ce qui nous avait fait nous rapprocher avait été cette histoire d’addiction…

Je ne pus m’empêcher de grimacer quelque peu au moment où Savannah en vint à espérer que les quelques visiteurs que j’avais restaient quand même un petit moment quand ils faisaient le déplacement jusqu’à ce centre. La vérité était que ce n’était pas eux qui passaient des journées entières en ma compagnie, ni même des demi-journées. Ils se contentaient de venir une heure, demander comment ça allait, me laisser prendre des nouvelles de l’extérieur, et repartir par la suite. En mon sens, ce n’était pas plus grave, c’était convenable, parce que Savannah l’avait bien vu, ce n’était pas l’endroit le plus agréable au monde, sans parler du fait que je ne pouvais pas les forcer à rester plus longtemps, parce que ce n’était pas le genre de service que je pensais apte à rendre si jamais la situation était inversée. En effet, j’avais été si déçu par mes amitiés précédentes que maintenant, je ne comptais pas sur grand-monde dans mon entourage, et je ne voulais pas que les gens comptent sur moi non plus. Bien sûr, il y avait quelques exceptions, mais elles étaient si minimes que je ne voyais même pas le but de les mentionner. Et puis, je ne me vis pas non plus commencer à expliquer que Savannah faisait partie des rares personnes à qui je rendrais service sans poser de questions, en particulier quand il était question de notre fille. Enfin, il était vrai que c’était la seule personne qui nous liait vraiment, mais dans ma tête à ça ne changeait rien. Pourquoi ? Je ne saurais expliquer exactement, mais d’une certaine façon, je me sentais redevable envers elle, et pas seulement en raison de cette cure. C’était tout ce que je pouvais dire pour le coup, et je me disais que pour moi, c’était suffisant, parce que je ne pensais pas devoir l’expliquer un jour, jusqu’au moment où la jeune femme en vint à tourner sa question autrement, la rendant soudainement un peu plus complexe pour moi. Ma grimace se fit alors plus évidente, mais non pas parce que je ne voulais pas répondre, mais parce que trouver les mots justes me demanda un effort encore plus grand cette fois-ci. J’espérais bien qu’elle était consciente que ce n’était pas une question évidente à laquelle répondre, et encore moins dans mon cas, où rien n’était très clair dans ma tête en ce moment. Je sortais tout juste du sevrage, je n’en étais pas encore à mettre les choses en ordre dans mon esprit et ça, ça pourrait prendre beaucoup de temps et certainement plus qu’une simple conversation. Malgré tout, je fis un effort, et au bout d’un moment, je lui répondis:  « Parce que tu es la première qui m’a donné une raison d’aller jusqu’au bout de ce processus. », réalisant que trop tard que celle-ci était bien mal tournée. Ne voulant certainement pas qu’elle se contente de cette simple affirmation, je m’empressai d’ajouter:  « Enfin, non pas qu’Haley n’est pas une bonne raison, bien au contraire. C’était que lorsque j’étais avec elle que j’allais bien… » Je choisis de ne pas m’éterniser sur la question, parce que ça, elle le savait déjà. Elle avait mis les pièces en ordre le jour où elle m’avait surprise à mon appartement après avoir consommé, ce qui m’avait mené à cet endroit au bout du compte. À la place, je me concentrai sur autre chose, c’est-à-dire sur le bout de ma réponse, que j’affirmai de cette façon:  « Mais tu es la seule qui s’est proposée pour m’aider à faire cette cure aussi… Je n’ai jamais eu le courage de me pousser à faire ça tout seul. » Ça, c’était la vérité, mais elle en cachait une autre, soit celle que personne dans mon entourage ne m’avait encouragé à le faire non plus. Parce qu’ils prenaient pour acquis que j’étais condamné, parce qu’ils ne se sentaient pas assez proches, qu’importe la raison, jamais personne ne m’avait ne serait-ce que proposé de faire une cure, devenir clean, faire quelque chose de plus juste de ma vie. Et en ce qui concernait ce courage que je n’avais pas eu, c’était lié à une série d’évènements que je ne me sentais clairement pas prêt à expliquer, pas en ce moment, et encore moins devant ma fille et ce, qu’importe si elle écoutait d’une seule oreille ou pas. Ce que je pus me permettre de dire toutefois, ce fut, pour conclure:  « Je suppose que d’une certaine façon, c’est le fait que je sois le père de Haley qui m’a tiré d’affaire. » Parce que pour être franc, je ne m’attendais pas à ce que Savannah me trouve quelconque qualité ou attachement pour justifier ce qu’elle avait fait pour moi. Je pouvais parfaitement la comprendre, je ne lui en voulais pas non plus. Je me doutais depuis fort longtemps que pour elle, j’étais le père d’Haley, et ça s’arrêtait là, même si cela ne m’avait jamais empêchée de l’admirer de loin pendant plus de neuf ans. Mais ça, bien sûr, jamais je ne m’étais permis de le lui dire, et je ne savais pas si j’oserais le faire à un moment donné.

C’était important pour moi de savoir. De savoir ce que je représentais pour lui et pourquoi il avait accepté que je l’envoie dans ce centre. Ca ne renvoyait pas une image prometteuse pour sa fille mais il le faisait pour elle et je trouvais ça touchant. J’aurais aimé que ma mère soit de ce genre-là, à vouloir s’améliorer pour qu’on ait des relations plus fortes, mais non, elle préférait faire l’inverse. Je me frotte les bras à ce souvenir et secoue la tête pour revenir à la réalité. Ce n’était pas le moment pour que les souvenirs de ma mère viennent me faire chier. Je jette un œil à ma fille et ça me détends immédiatement, la voir me réconforte et m’apaise. Je suis heureuse de l’avoir avec moi tous les jours et je comprends à quel point Levi attend ce moment de la semaine avec impatience, surtout quand je les vois tous les deux. Ils sont comme cul et chemise ! Ils forment un beau duo de père et fille ces deux là et j’en suis fière car je sais que je peux la laisser avec lui maintenant, du moins, je ferais toujours attention. Mais il sait que s’il y retouche, ça sera la fin et à en voir son regard quand il regarde Haley, je sais qu’il ne le fera plus. Pour elle. Et je suis fière de lui. Je tourne mon regard vers lui quand il répond à ma question et ça me touche. Mon cœur se réchauffe et je suis heureuse de connaître son ressentit ainsi qu’une partie de sa reconnaissance envers sa fille et son effort. « Elle attend tout le temps ce fameux week-end. Une fois terminé, elle ne cesse de me raconter votre week-end. Tu ne peux pas lui enlever ça et c’est pour ça que je te remercie d’être ici. Et surtout d’avoir une meilleure tête. » Je souris et rigole légèrement, car voir une tête de droguée ou une tête pâle mais en bonne voie pour la suite, je préfère la deuxième tête et lui aussi sûrement tout comme sa fille. Cependant, je ne m’attendais pas à la suite. Je ne pensais pas que j’avais joué un rôle. Je l’avais menacé. Je n’étais pas peu fière de ce que j’avais fait mais ça avait marché et j’étais heureuse, cependant, savoir que j’étais pour quelque chose dans son rétablissement me faisait du baume au cœur. Un sourire illumina mon visage et je fis un signe de tête pour le remercier. « J’apprécie beaucoup ce que tu dis. Mais… tu n’as pas de meilleur ami ? Féminin ou masculin ? Car je ne sais pas ce que je ferais sans le mien ! » Je ne sais pas ce que je ferais tout court si je n’avais pas Derrick. Il m’a tant aidé pour Haley que je ne sais pas comment j’aurais fait s’il n’avait pas été là ou même existé. J’aurais dû l’inventer ! Il a été comme un pilier dans ma vie et celle de ma fille, il l’est toujours d’ailleurs. « Je dois dire que si tu en as un ou une, il aurait dû t’y emmener il y a bien longtemps. Après tout, je ne suis que la mère de ta fille. » Je hausse les épaules et me reprends pour ne pas qu’il le prenne mal. « Je veux dire… je ne suis pas la personne la plus proche à tes côtés, si ? » Ca m’intrigue et je veux savoir, je veux savoir si ses amis sont des vrais ou simplement des fake qui ne sont là que pour passer du bon temps. Je veux savoir si le père de ma fille a des amis sur qui compter si jamais il a besoin un jour ou l’autre. J’aurais tant aimé avoir des amis pendant ma période difficile, mais je n’avais personne et je ne veux pas que ça le détruise à nouveau si jamais il hésite à replonger. Je me mords l’intérieure de la joue et le regarde quand il parle, souriant légèrement face à sa réflexion. Il n’a pas tort d’ailleurs. « Je pense que s’il n’y avait pas eu Haley, tu ne t’en seras pas sorti. Tu lui dois une vie, même si je sais que tu donnerais ta vie pour elle. Ce que je veux dire c’est… Ne la déçois pas. Tu comprends ce que je veux dire ? » Et je pense que je n’ai pas besoin de faire de dessin pour le prévenir que s’il veut recommencer, il n’y aura plus d’espoir pour que sa fille le revoit un jour. Rien que d’y penser, ça me fend le cœur mais je n’aurais pas le choix. J’espère sincèrement que ce jour n’arrivera pas, il a fait tellement de chemin que je serais déçue de le voir capituler à nouveau. « Tu ne peux plus reculer maintenant et je suis heureuse d’avoir pu t’aider. » Je lui souris, sincèrement, et je me sens mieux, je sens que ça ira mieux et qu’il ira mieux. Je le sais.

Même si Savannah avait déjà laissé sous-entendre une fois qu’Haley était ravie de me voir, quand elle pouvait finalement venir me visiter pendant un week-end aux deux semaines, ce fut malgré tout avec un sourire que je l’écoutai me l’expliquer un peu plus amplement cette fois-ci. Plus encore, ces affirmations me firent chaud au coeur, et me rappelèrent encore une fois pourquoi j’étais en ces lieux, je supportais ces murs dénués de couleur, ces conversations qui ne faisaient pas vraiment de sens avec les autres résidents, qui étaient faites que par politesse, parce que nous étions tous dans la même situation sans avoir la même histoire. Je le faisais parce que je voulais continuer à la voir pendant ces fameux week-ends, la rendre heureuse quand nous passions du temps ensemble, en croisant évidemment les doigts pour pouvoir la voir plus longtemps que quarante-huit heures en deux semaines, ne serait-ce qu’une heure après l’école ou quelque chose du genre. Mais ça, je ne le dis pas à Savannah, me contentant de sourire en prenant un air supposément amusé à son commentaire. Cependant, ce sourire ne resta pas très longtemps sur mes lèvres, disparaissant sitôt que la conversation sur mon entourage immédiat se poursuivit. Prenant soudainement le rythme de la conversation, ce fut quand même un peu honteusement que j’en vins à admettre:  « Si, j’ai une meilleure amie mais… », ne m’attendant pas soudainement à me sentir obligé de m’interrompre à ce moment parce que j’avais repensé au fait que j’avais un meilleur ami aussi, à l’époque, mais qu’il m’avait abandonné, me laissant dans ce merdier. Voilà pourquoi je ne faisais plus confiance à qui que ce soit, pas totalement en tout cas. Ce n’était pas contre personne, c’était surtout contre cette dite personne, qui avait fait basculer ma vie encore plus que quiconque aurait pu le croire. Et là, je le prouvai encore une fois en ne parlant pas de cela, parce que je n’y arrivais pas, préférant dire dans un haussement d’épaules:  « Je ne faisais rien devant eux, rien d’excessif en tout cas. Et je ne voulais pas embêter personne avec mes problèmes. » Et si ça n’avait pas été du fait que Savannah était débarquée chez moi à l’improviste, elle ne l’aurait pas découvert non plus. Elle était la seule qui m’avait vue aussi vulnérable, ce qui, qu’elle le voulait ou non, la rendait encore plus importante dans ma vie qu’elle ne l’était dans un premier temps. Mais ça, elle ne semblait pas s’en rendre compte, et je ne lui en voulais pas, parce que moi-même, je m’en rendais compte, lentement mais sûrement et plus encore, je n’estimais pas être en mesure de mettre le doigt sur les mots pouvant décrire cette relation, si je pouvais le dire ainsi. D’où le fait que lorsqu’elle me demanda qui elle était pour moi, je ne me sentis pas d’attaque à lui donner une réponse précise, alors je ne fis que lui dire:  « Comme je t’ai dit, j’ai pas tant de gens autour de moi… Après, il est possible que je ne représente pas tant à tes yeux que l’inverse, mais… C’est pas grave. » Je savais mes propos quelques peu maladroits, voire ridicules, mais c’était le mieux que je pouvais faire pour le coup. Par conséquent, il fut soulageant de poursuivre la discussion et la détourner quelque peu, la faisant porter sur ce qui m’avait vraiment sauvé, soit la présence de notre fille dans ma vie. Lorsque Savannah en vint à me dire que je lui devais une vie, par réflexe, je considérai la principale concernée, sachant très bien qu’elle ne portait pas attention, mais désireux de lui offrir ce regard, comme si celui-ci allait par la même occasion signifier à sa mère qu’elle avait totalement raison. Puis, je reportai mon attention en sa direction, n’hésitant pas un instant à hocher la tête positivement pour lui faire comprendre qu’effectivement, j’avais bel et bien saisi ses propos, et je n’avais pas l’intention de les décevoir, soit Haley et elle. Parce que je jugeais qu’elle aussi, elle méritait que je ne flanche pas de nouveau, vu ce qu’elle avait fait pour moi, enduré probablement aussi, entre mon séjour à l’hôpital et puis dans ce centre. Puis, je repris la parole suite à ses dires, ayant retrouvé mon sourire quand elle m’avait dit être heureuse d’avoir pu aider, pour lui dire:  « Je ne compte pas reculer non plus, ne t’en fais pas. » Je me rendis compte qu’après-coup, ces propos pouvaient sembler limite un peu dits en l’air, mais comme pour le prouver, je choisis de confier un petit quelque chose et donc affirmer:  « Je ne faisais pas ça pour le plaisir, tu sais… » en parlant évidemment du fait de me droguer. Je préférais garder cela plus abstrait dans la discussion afin de ne pas prendre le risque de susciter des questions chez Haley, questions susceptibles de rendre le tout plus délicat, et je ne me sentais pas prêt à cela, pas pour le moment en tout cas.