When I'm with you, I don't feel so alone. (Alvin)

T'es dans ton petit studio. Comme pratiquement tout le temps depuis que tu n'as plus à prendre des repas avec les autres. Tu ne participes pas aux activités et tu ne vas pas dans la salle commune où ils s’agglutinent tous devant l'énorme écran que tu as en petit dans ta chambre. Ils jouent aux jeux vidéos. C'est Leila qui te l'a expliqué. Ca a l'air amusant un peu, enfin, pas quand tu as vu celui où il y a du sang et des gens qui meurent. Mais Leila t'a montré sur ton téléphone (Tu ne sais pas trop ce que c'est non plus) qu'il y en a avec pleins de couleurs trop mignons. Bref, t'as juste pris une palette de crayons de couleurs et depuis, tu sors le moins souvent. Le plus dur, c'est quand tu dois aller prendre ta douche. Pour les toilettes, tu ouvres ta porte, tu regardes si il y a des personnes et si c'est le cas, tu refermes tout de suite et tu te retiens. C'est pas évident pour quelqu'un qui a eu l'habitude d'être si sociable. Mais quand tu es allé chercher de quoi colorer ta semaine, ils t'ont poussé pour te faire tomber, puis ils ont dit qu'ils viendraient te tuer dans ton sommeil. Alors tu as peur. Tu ne sais pas qu'ils veulent juste t'impressionner, que pour eux, les menaces sont comme tes sourires, presque toujours présentes. Enfin, tu ne souris plus tellement non plus. Tu as juste peur.

Mais au moins, tu peux manger comme tu le désires. Ce midi, tu te fais des pâtes comme tu as choisi, juste un peu, avec des épinards et un peu de carottes rappées. Les odeurs montent dans ta petite pièce et ça te met le cœur en joie. C'est vraiment bien les pâtes dans les boites en carton, finalement. Leila t'as même donné quelques épices et c'est vrai que tu adores ça. T'en profites pour mettre un peu de lait d'amande et rendre le tout le plus gourmand possible. Tu regardes tes épluchures et déchets naturels en fronçant un peu les sourcils, songeant que tu auras quelque chose à demander à Alvin. Il doit venir normalement avant que le jour ne se couche, c'est la case où tu dois aller avec lui chercher un cadeau pour ta fille. Alors ça te met un peu de baume au cœur, de savoir tout ça, de te dire que le temps va paraître un peu moins long, que tu penseras moins au fait qu'à la Terre Sacrée, tu n'avais pas forcément l'occasion de mettre assis sur un fauteuil et de juste... Attendre.

Il toque. Enfin, tu ne sais pas. Tu ouvres juste un peu et tu regardes avec le cœur qui bat un peu vite. C'est lui. Du coup, tu peux ouvrir en plus grand et le voir en entier, ton air bien plus détendu. «  Bonjour Alvin ! J'espère que t'as pas mangé, j'ai fait à manger pour toi et moi ! » Et t'es pas peu fier de lui avoir préparé quelque chose.

Il a faim. T'es ravi parce que tu adores cuisiner et au delà de ça, rendre les gens heureux quand ils dégustent tes plats. C'est rien de bien extraordinaire ce midi, mais c'est quand même la première fois qu'Alvin va gouter à ce que tu as préparé. Ca mijote un peu pour le moment. T'as baissé la température et t'as recouvert la casserole qui contient déjà tous les ingrédients.

Il ne te reste plus qu'à mettre la table. Tu t'empresses de sortir deux assiettes creuses, des verres, de l'eau et aussi, tu poses une bouteille de coca-cola, fièrement au milieu de la table. C'est Leila qui t'a donné un pack entier. T'as pesté sur le plastique qui l'entoure en plus de la bouteille déjà en plastique, mais c'est comme ça ici. Elle t'a parlé du recyclage en plus, du petit logo quand on peut faire en sorte que ça n'embête pas trop la planète. «  Ah oui ? C'est quand ? C'est quand ? » Le bruit métallique des couverts retentit sur la table en bois recomposé. Tu t'empresses d'aller chercher le calendrier de cette année, parce que t'es pas sûr de savoir situer s'il te dit juste un jour. Tu le tournes face à Alvin pour qu'il te montre et quand tu sais enfin, tu le retiens mentalement avant de le prendre dans tes bras. «  Merci, merci, merci merci merci Alvin ! T'es le meilleur guide de tous les temps de la lune et du soleil ! » Tu restes contre lui, à t'imprégner de sa douce odeur de citronnée dont tu as l'habitude maintenant. Et tu restes longtemps contre lui, ton corps s'abandonnant à cette source de chaleur humaine qui te manque cruellement. Pas un jour, pas quelques heures même, sans ce genre d'accolades quand tu étais encore là-bas. Alors tu tiens contre lui, tu t'accroches à une habitude qui s'est douloureusement en aller.

Ça te fait un bien fou de le sentir contre toi et de savoir qu'il te rend ton câlin. Tu soupires d'aise et tu fermes un peu les yeux, fébriles du bout de tes membres parce que t'as l'impression que tes jambes ne vont pas te porter plus longtemps de ressentir tant de joie. Cette si douce sensation de compter pour l'autre, d'avoir en partage son cœur et ses battements pour quelques instants. Rien de plus merveilleux en somme.  « Douce odeur de citron. » Tu t'emportes un peu et quand tu te retires de ton étreinte, tu lui déposes un léger et prompt baiser sur sa joue, parce que les baisers, c'est quelque chose de naturel pour toi aussi. Tu ne rougis pas, il est chaste, il est juste présent pour le remercier.

Tu peux ensuite le laisser un peu, tout souriant, gardant cette joie marquée par tes lèvres étirées. Tu finis de mettre bien la table et tu retournes à ta petite cuisine pour vérifier le plat. C'est prêt, c'était même prêt avant l'arrivée de ton guide qui s'apparente à un hôte le temps d'une vingtaine de minutes. « Après le repas, on va chercher le cadeau alors ? Je suis content, ça me fera une sortie. » Parce que tu ne sors plus, mais Alvin n'a pas forcément été mis au courant. Toi, tu t'occupes surtout d'amener la casserole fumante et de le servir. Ça semble bon. Ça sent bon en tout cas et c'est parfait pour les températures de dehors.

Tu hausses les épaules en le servant. Toi tu sais que ça n'a rien à voir avec ta personnalité, alors forcément, tu sais qu'il y a un problème. Mais t'as pas envie d’inquiéter Alvin parce qu'il est tellement gentil avec toi. « Non pas trop, tu sais, votre monde à l'extérieur me fait peur. J'avais l'habitude du calme et de la nature. » Tu déglutis, c'est un mensonge et ça ne te ressemble pas. Enfin, la moitié d'un mensonge et c'est comme ça que tu te rassures en allant poser la casserole sur la plaque que tu as éteint. Tu reviens ensuite à table et tu commences à manger, content que ça soit chaud et comme tu aimes. Au moins, tu ne devais pas refuser chaque plat à la table commune juste à cause de tes convictions et te prendre des remarques désobligeantes là dessus.

Même Alvin semble apprécier. Toi, t'es un peu déçu qu'il ne réagisse pas à la bouteille de coca-cola, parce que c'est tellement nouveau pour toi que tu as oublié qu'il devait la trouver d'un banal affligeant. Mais ça te turlupines et après deux bouchées à attendre qu'il réagisse, c'est plus fort que toi. Même s'il te fait un compliment, c'est pas ce que tu attendais et ça t’obsède un peu, comme lorsque t'as une idée en tête. « enfin alvin ! T'as pas vu ce que j'ai mis sur la table ? T'en veux pas ? C'est troooop bon en plus je peux le boire ! Ça pique et tout mais c'est boooon ! » On dirait un enfant oui. Et pour allier tes paroles à tes actes, tu te lèves pour te saisir de la bouteille et le servir, puis te remplir ton verre, tout content. Tu te rassoies ensuite et tu prends ton verre pour boire, grimaçant légèrement au gout qui pique dont tu n'as pas l'habitude.

T'es obligé de lui faire remarquer pour qu'il le voit. Pourtant tu as bien posé la bouteille en plastique au plein milieu de la table et la boisson est marron, noire alors il ne pouvait que la voir ! Vraiment, Alvin ne fait pas d'effort sur ce coup là. « Ah oui ? On sent pas du tout le sucre pourtant. » Ça te perturbe. Parce que tu as l'habitude des gouts vrais et pas des choses transformées comme l'étaient cette boisson. Tu prends donc ton verre et tu goutes à nouveau mais doucement, pour essayer de capter les notes sucrées. Mais non, ça pique surtout en fait. Alors tu viens sentir le liquide et toujours rien et c'est étrange pour toi. Un jus de fruit, on sentait bien le sucre, un dessert aussi, mais le coca-cola, pas du tout selon toi. « C'est Leila, ma voisine, elle m'a fait gouter et comme j'ai beaucoup aimé, elle m'a donné des bouteilles. Tu sais qu'elles étaient dans du plastique, par six ? Je veux dire, ça sert à quoi de les enrouler comme ça dans du plastique en plus du plastique pour mettre le coca-cola dedans ? C'est tellement inutile ! Elle a dit que je pouvais le recycler mais je trouve ça stupide. » Tu secoues la tête, trop de papier, trop de plastique, trop de tout tout le temps en fait. « Tu sais que je vivais avec une vache à la Terre Sacrée ? Elle s'appelle Jolène. Je suis sûr qu'elle est triste que je ne sois plus là. J'ai pas vu de vache ici. Elles vivent juste dans la nature ? On va en voir au parc quand tu m'y amèneras ? »