LOTERIE ✻ deadly lockout /w Teddy & Roméo

Je n’osais pas compter le temps qui s’était écoulé depuis la dernière fois que j’avais pris des nouvelles de ma famille. Pas ma famille proche, celle qui représentait tout pour moi, en l’occurence ma femme et mon fils, mais mes parents, la famille un peu plus éloignée. Et lorsque j’avais appris à quel point j’avais pu manquer des choses pendant cette longue période de temps où je m’étais absenté, évidemment que je m’étais senti un peu mal, dans le sens où j’avais été absent, dans le sens où je me rendais compte à quel point je n’avais pas pensé à qui que ce soit, dans le sens où il fallait que je commence à me bouger si je voulais vivre avec moins de démons, même si ceux-ci n’étaient rien comparativement à ceux que je vivais au quotidien. Décidant de faire un effort, une bonne action pour la journée, je ne pris pas la route direction mon studio dès que j’eus terminé mon service au restaurant. À la place, je me rendis au cimetière où j’avais su que certains membres de ma famille qui étaient décédés ces cinq dernières années se trouvaient. Ce n’était pas un nombre astronomique, mais cela pourrait me prendre un temps. Je ne pensais pas non plus en prendre autant. Peut-être que les souvenirs de cet oncle, un des seuls que j’avais réellement apprécié lorsque j’étais plus jeune, avait fini par avoir le meilleur de moi, puisque j’avais oublié de regarder l’heure, ne me rendant pas compte que le temps tournait, et que lorsque je voulus sortir, je me retrouvai face à des grilles fermées. Adhérant toujours au respect des défunts en gardant le silence, ou un ton de voix pas tout au plus, je dus balancer quelque peu le principe, d’abord en secouant la grille pour voir si elle allait s’ouvrir, et finalement en lâchant un:  « Il y a quelqu’un !? » un peu plus sec que je ne l’aurais voulu, clairement peu amusé d’être dans une telle situation.

Pas de réponse. Un silence, un silence qui avait pour effet de me rendre nerveux. Pourtant, il devait être normal dans un cimetière apparemment désert, mais maintenant, le silence me stressait. Le silence me rappelait ces temps passés dans une pièce sombre, où le silence était pesant, où chaque bruit pouvait me faire sursauter. Et je n’étais pas encore tout à fait en mesure d’avoir le contrôle sur moi-même de ce côté. Par conséquent, je regardais autour, d’abord pour voir si j’étais vraiment seul, ensuite pour voir si je ne trouverais pas une issue ou quelque chose comme ça. Bref, je regardai partout, sauf là où j’aurais dû regarder, l’endroit d’où une personne, un homme d’environ mon âge qui s’approcha. Ce fut plus fort que moi; quand il prit la parole, je sursautai et je me retournai violemment, comme sur la défensive. Je ne sortis pas une arme, je ne me mis pas en position de combat, rien de tout ça. Ce fut que lorsque je vis qu’il ne semblait pas me vouloir de mal que je me calmai quelque peu, le laissant continuer, avec une question qui semblait bien banale aux premiers abords pour bien des gens, sauf moi. Au restaurant, dans la rue, je l’avais bien remarqué, tout le monde a un téléphone portable. Un peu incrédule à l’idée qu’une personne n’en ait pas, je me retrouvai à demander:  « Vous n’en avez pas, vous ? » Pas très diplomatique de répondre ainsi, mais si ce n’était pas le cas, je ne serais pas vraiment d’aide quelconque, raison étant que:  « Je n’ai pas de portable… » Ces derniers mots, je les avais tenus sur un ton un peu plus calme, signe que je ne voulais pas mal faire, mais que je ne pouvais pas tant en faire, parce que j’étais une exception étrange, une des rares personnes qui n’avait pas de téléphone portable. Mais m’en payer un, ce n’était pas possible en ce moment. Peut-être ce serait la prochaine étape, mais c’était loin d’être une priorité pour le moment, parce que j’étais persuadé que je pourrais m’en passer, mais en ce moment, je commençais quelque peu à regretter de tant tarder pour en avoir un. Il nous aurait été bien utile dans le cas présent.

Un qui n’a pas de portable, l’autre qui n’a plus de batterie sur le sien. Je ne savais pas lequel de nous deux devrait se sentir le plus idiot dans cette situation. Ce que je savais par contre, c’était que c’était frustrant et profondément embêtant. Et il y avait plein de personnes à qui je pourrais en vouloir, y compris l’individu qui se trouvait non loin de moi et qui arrivait à la conclusion évidente que nous n’allions pas sortir d’ici de si tôt - à moins d’un gros coup de chance - mais celui à qui j’en voulais le plus, c’était à ma propre personne. Parce que je n’avais pas regardé l’heure, parce que je n’avais pas porté attention au détail qu’était l’heure de fermeture. Bon, il fallait avouer que je ne pensais pas qu’il y en avait une vraiment, une heure de fermeture. Je n’étais jamais vraiment allé dans un cimetière auparavant, pas comme ça le soir en tout cas, comment étais-je supposé être au courant ? Était-ce une norme pour la majorité des gens dont je ne pouvais tristement pas faire partie, au vu de toute cette distance que j’avais creusé avec le temps avec la société ? Je n’en savais rien, et je ne me sentais pas de le demander à mon interlocuteur. En fait, je ne savais même pas si je pouvais l’appeler ainsi. Ça me semblait trop sociable, et je n’avais pas envie de l’être, le moment ne s’y prêtait pas. Ou était-ce moi qui pensait ainsi seulement ? Je me remis en question de nouveau lorsque le jeune homme se présenta à moi, me demandant mon nom, comme si nous allions faire connaissance ici et maintenant. Ça ne me semblait pas juste du tout et pour cette raison, je grimaçai. Pire encore, sur les nerfs - parce que je ne me calmais pas comme ça - je finis par dire:  « Et si on cherchait un moyen de sortir plutôt que de faire connaissance ? » C’était peut-être même sorti un peu plus sec que je l’aurais voulu dans un premier temps. Je n’en étais pas fier, mais je ne cherchai pas à m’excuser, pas pour le moment. De toute façon, je me retrouvai un peu trop occupé à essayer de trouver une sortie, considérant le mur, les possibles issues… Pas grand-chose. Devrions-nous nous séparer ? Ayant toujours travaillé mieux seul, ce serait mon premier réflexe, mais on ne sait jamais, peut-être que l’autre aurait une meilleure idée ? Enfin, s’il voudrait bien la partager, ce qui n’était pas tout à fait gagné.