Kacey & Levi + We Were Us

Je tentais de montrer à Kacey qu’elle pouvait élargir ses horizons, sortir du cadre de la musique, celui qu’elle semblait avoir toujours connu, mais en même temps, je ne pouvais pas la forcer non plus. En mon sens, la réflexion lui appartenait, et je ne pouvais rien faire d’autre que l’aider, l’écouter. Je ne me voyais pas me prononcer de quelconque façon, d’où le fait que je me contentai d’hausser les épaules, sans rien dire. Peut-être aurais-je pu relater ma vie, lui dire que comme elle en avait eu la preuve, j’avais fait un simili-retour en musique, mais ce n’était pas mon intention de continuer encore bien longtemps, voyant cela comme quelque chose de temporaire, le temps de me poser, le temps de trouver ce que je voulais vraiment faire. Mais je ne trouvai pas tant ça approprié, considérant qu’elle n’avait pas le même rapport avec la musique que moi. De ce que je savais, elle avait eu une bonne expérience dans l’ensemble, et elle devait avoir certainement plus de bons souvenirs de sa carrière - qui n’était pas terminée. J’avais aussi de bons souvenirs, mais malheureusement, ceux-ci étaient enfouis sous une pile de mauvais, alliant viol, drogues et autres histoires qui me rendaient honteux, qui ne me donnaient pas envie d’aller plus loin, mais plutôt de m’éloigner de tout ça. C’était à un point que lorsqu’on m’avait suggéré de chanter dans ce bar, j’avais trouvé ça bien ironique venant de moi, même si je commençais à m’y habituer. Ce n’était pas plus mal, mais ce n’était pas parfait non plus, d’où mon retour prochain au lycée, d’où le fait que je n’en faisais pas ma priorité, cette priorité étant désormais rendu ma fille, ma plus grande fierté. Et l’idée de retourner à l’école venait être bonifiée par le fait que cela me permettrait aussi de partager autre chose avec elle, même si jamais je ne saurais me permettre de lui mettre la honte devant ses amies ou quelque chose dans le genre. J’avais déjà pris pour résolution de me faire discret quand nous serions dans un établissement similaire, si ce n’était pas le même. Ainsi, je pourrais aussi éviter de peut-être laisser échapper certaines choses dont je ne lui avais pas parlé précédemment, comme je vins à l’avouer à Kacey. Et je ne me le cachais pas; je trouvais ça terriblement inconfortable de garder ce secret pour moi, d’où le fait que je ne saurais reprocher à mon amie de me demander de lui en parler prochainement. Je le savais que je devais le faire, et pourtant, j’étais terriblement réticent, je ne trouvais pas le courage, je ne parvenais à déterminer comment, quand, où j’allais le faire. Mon amie fut suffisamment gentille pour me proposer de me venir en aide, être présente quand j’allais me décider à en parler à Haley. Devant sa générosité, je souris doucement, mais devant être une grande personne, je me vis limite obligé de décliner. Pas tout de suite, parce que je ne voulais pas qu’elle me repousse. Faisant preuve d’un peu plus de stratégie, je lui répondis d’abord:  « Merci, c’est gentil. » Je marquai ensuite une pause, et finalement, j’ajoutai:  « Mais je crois que c’est quelque chose que je dois faire seul… » Même si l’idée me terrifiait. Pas tant pour ce que j’allais lui dire, mais pour une chose bien précise, soit:  « Je crains sa réaction… » Je la craignais terriblement. Sachant qu’elle était impulsive, comme sa mère, comme moi parfois, j’avais peur de la perdre surtout. En ayant eu un aperçu quand je n’avais pas pu communiquer avec elle pendant un temps, au centre de désintoxication, je craignais que ce soit pour toujours, et ça me terrifiait, horriblement, si bien que le simple fait de l’imaginer, de voir ma fille prendre ses choses et partir, faisait en sorte que sans le contrôler, mes mains s’étaient mises à trembler.

J’appréciais la gentillesse dont Kacey faisait preuve en disant qu’elle comprenait les raisons pour lesquelles je voulais parler à Haley seul à seule pour lui expliquer la situation, j’appréciais la gentillesse dont elle faisait preuve en se montrant quand même disponible, si je changeais d’avis, si j’avais besoin de quelqu’un pour me soutenir. Et tout ça, je lui fis savoir d’un petit sourire, ayant pour intention de garder le silence momentanément, mais me rendant compte qu’en fait, savoir que j’avais une amie prête à m’aider ainsi cela poussa à m’ouvrir un peu plus, lui parler de cette peur concernant la réaction de ma fille à cet aveu plutôt lourd, un des pires de ma vie, la concernant en tout cas. Il y avait malheureusement bien des choses qu’elle ne savait pas à mon sujet, des choses que même Kacey ne savait pas. Mais je n’étais pas prêt à en avouer autant, déjà que ç’avait tout pris pour le faire précédemment, devant des experts qui sauraient comment m’aider. Une étape à la fois, voilà comment je devais m’y prendre… Enfin, je supposais… Après, encore fallait-il que je trouve le courage, et tristement, les propos suivants de mon amie ne vinrent pas m’aider autant que je l’aurais voulu dans un premier temps. Non que ce n’était pas gentil, non pas qu’elle avait tout faux, mais connaissant ma fille, me connaissant, connaissant sa mère, je savais très bien qu’elle avait un caractère vif et pouvait réagir rapidement, parfois sans trop réfléchir. La poussière finissait toujours par retomber, mais ma crainte résidait dans le fait que je ne savais pas si, après un tel aveu, elle serait capable de retomber dans un délai raisonnable, un délai qui ne me ferait pas paniquer quant à mon avenir avec la personne qui était, pour moi, la plus importante du monde. Je voulais bien croire que je me trompais à un endroit, que peut-être ce n’était pas ça qui arriverait, mais c’était difficile, considérant le fait qu’un des seuls points de référence que j’avais, une des seules choses à laquelle je pensais quand j’essayais d’anticiper sa réaction, c’était celle qu’elle avait eue quand j’avais été obligé de couper tout contact, au centre de désintoxication. Elle avait été froide, distante, à un tel point que penser qu’elle pourrait l’être de nouveau me terrifiait, tout simplement. C’était si fort que j’étais un peu perdu, que peut-être, au fond, je ne savais pas ce que je craignais le plus. Laissant donc Kacey continuer sans rien dire, sans trop réagir, j’haussai les épaules à ses dires, ne faisant que répondre au bout de ceux-ci:  « J’espère bien… » Bien que ce soit ma nature première, bien sûr que je refusais de me montrer totalement pessimiste, même si dans certains cas, ce n’était pas facile. J’avais encore du progrès à faire de ce côté, puisque ça ne venait pas automatiquement. Comme là, il me fallut penser encore, tenter de trouver ce qui m’apporterait une lueur d’espoir dans toute cette histoire. Me rappelant finalement un souvenir, j’eus un léger sourire en coin, puis je dis, tant pour moi-même que pour Kacey:  « Enfin… Elle ne l’a pas tant mal pris quand elle a su que j’avais fait partie d’un groupe… » Pendant longtemps, je ne lui avais rien dit, parce que je n’en voyais pas l’intérêt, mais surtout parce que je ne voulais pas me remémorer ce qui était un douloureux passé. Finalement, ç’avait eu une belle tournure, et c’était une des raisons pour lesquelles je pratiquais ce métier, dans cet hôtel. Déjà un peu plus à l’aise, je me permis même de remémorer d’autres souvenirs à mon amie, lui disant:  « Elle a même vu la pochette de disque, avec les mèches blondes et tout… » Cette époque où la mode était bien différente quoi… Clairement, je ne retournerais pas à ça maintenant, voire même jamais.

Maintenant, c’était beaucoup plus facile de parler de cet épisode que de parler d’autre chose, comme de ma vie en cure de désintoxication ou tout ce que je devrais dire à Haley par rapport à celle-ci, compte tenu qu’elle savait à peine la moitié de ce qui s’y était passé. Je me sentais un peu plus à l’aise, même si c’était quand même des confessions qui se voulaient un peu gênantes, parce qu’avoir su que ma carrière prendrait cette tournure, je n’étais plus aussi certain qu’avant que je me lancerais sans hésiter comme je l’avais fait quand j’avais quinze ans, si on me donnait l’occasion de le faire, évidemment. Mais le fait que j’en parle quand même avait beaucoup à voir avec la réaction qu’avait eu ma fille. Si celle-ci avait été négative, très certainement que je ne me sentirais pas ainsi. Mais là, je pouvais répondre un peu plus aisément aux questions de Kacey, comme je le prouvai en affirmant, avec un peu d’hésitation pour ma tournure de phrase, sans reculer toutefois:  « Pas vraiment, on n’en a pas trop parlé. » Après je savais bien que ma fille n’était pas stupide et qu’elle savait très certainement que ma popularité n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, en tant que simple chanteur de bar. Ça ne se comparait même pas en fait, sachant qu’ici, je n’avais pas vraiment de popularité. Par contre, jamais je n’avais ressenti le besoin d’adresser le sujet avec elle, l’essentiel de la révélation ayant porté sur une chose en particulier, à savoir la musique interprétée à l’époque, musique qu’elle avait découverte toute seule, qu’elle écoutait encore à l’occasion - je l’entendais fredonner des airs familiers - alors je n’avais même pas à la forcer, tel que je le mentionnai à Kacey, lui disant d’un air amusé, après avoir secoué la tête:  « Ce n’est pas nécessaire, elle le fait d’elle-même. » Et même si clairement ce n’était pas un travail que je considérais bien glorieux aujourd’hui, voir Haley s’en extasier me faisait plaisir, je ne pouvais pas le nier, même si je n’en faisais pas tout un cas non plus. J’aimais bien le fait qu’elle semblait accepter cette partie de moi-même, sans m’en vouloir de ne lui avoir rien dit précédemment, et sans trop se moquer de l’air que je pouvais avoir à l’époque. Bien sûr, je m’étais pris des commentaires, c’était inévitable, et je l’avais cherché en lui présentant la pochette pour lui avouer tout. Gardant un souvenir cocasse de tout ça, je souris à la question de mon amie, et je lui répondis ensuite:  « Elle ne m’a pas reconnu au début, il a fallu que je chante pour le lui prouver. » Et c’était là que la surprise s’était faite, voilà tout. En discutant de ce fait, je me retrouvai à me remémorer cette photo, d’adolescent pré-pubère peu sexy, mèches blondes exagérés et évidemment, sans barbe, même si j’avais déjà commencé à voir une pousse apparaître sur mon menton bien rapidement. Il fallait que je l’enlève, voilà tout, c’était toujours ce qu’on m’avait dit. Soupirant pour moi-même, je rigolai ensuite au propos de Kacey, pour finalement dire:  « Le pire c’était que la mode à l’époque, c’était ça… C’est dingue non ? » Je ne connaissais pas grand-chose aux tendances actuelles, mais je me doutais bien que si je me présentais sur cette scène avec mon allure de l’époque, on me regarderait certainement de façon bien étrange. Heureusement, ce n’était pas ce que j’avais l’intention de faire, pas de sitôt, voire jamais.

Je n’en aurais pas voulu à Kacey si elle en était venue à parler de la musique du groupe duquel je faisais partie comme étant médiocre. Je savais bien que le style ne plaisait pas à tout le monde et que clairement, ce genre de musique populaire et quelque peu futile ne serait pas du genre à faire les grands classiques dans quelques années, voire quelques décennies. J’en avais conscience bien avant, et ce sentiment n’avait été que renforcé au fil du temps, contrairement à mon apparence de l’époque, pour laquelle ç’avait été bien différent. En effet, je pensais sincèrement que ça me faisait bien, pour finalement me rendre compte que j’étais complètement ridicule. Mais je ne m’en faisais pas, d’où le fait que maintenant, j’haussais les épaules en signe qu’insulte ou pas, je n’allais pas me montrer outré ou quelque chose du genre. C’était une passe, c’était une période de ma vie que je laissais derrière, une période de ma vie qui m’avait laissé particulièrement blessé, certes, mais qui était là, que je devais accepter. C’était ce qu’on m’avait appris pendant que j’étais en thérapie, c’était ainsi que je faisais mon possible pour vivre au jour le jour, bien que parfois, ce n’était pas simple. Et là, ç’aurait pu ne pas être simple, mais ce l’était, en majorité. Bien sûr, ce ne fut pas avec un plein enthousiasme que j’accueillis le propos de mon amie comme quoi Haley aurait pu dire que je ne chantais pas pareil comme avant, mais je l’acceptai quand même, et je fus en mesure de lui répondre sans problème:  « Non, elle ne m’a pas dit ça. » Et après-coup, je me rendais compte qu’heureusement elle ne me l’avait pas dit, bien que ce soit vrai. J’avais bien senti que ma voix ne sortait pas aussi naturellement qu’avant, et ça n’avait rien à voir avec le fait que j’avais fait des vocalises ou pas. Après toutes ces années, on pourrait qualifier ça de normal, mais je savais bien que ma consommation y était pour quelque chose, et c’était probablement ce qui me désolait le plus. Enfin, plus autant qu’avant, parce que si je n’étais pas parvenu à faire avec, certainement que je ne me serais pas retrouvé un peu plus tôt sur cette scène, à chanter pour les gens qui passaient et voulaient boire un verre tranquillement. Évidemment, j’étais conscient que ces circonstances étaient bien différentes de ce que j’avais pu faire précédemment, et en fait, c’était ce qui me sauvait le plus. Je me sentais mieux, ça me plaisait ce que je faisais, et pour moi, c’était bien suffisant, et je ne voudrais pas changer, d’aucune façon. Je ne voudrais plus performer pour de grandes foules, comme je ne voudrais pas changer mon apparence pour qui que ce soit non plus. Ça, c’était clair, et je pouvais même en rigoler doucement, avant de dire:  « T’inquiète, je ne compte pas faire quoi que ce soit avec ma tête. » Je l’aimais bien comme elle était, je n’avais pas de commentaire de qui que ce soit d’important dans ma vie qui serait susceptible de me faire changer d’idée. Pourquoi ferais-je une chose pareille ? Si ce n’était que pour me nuire et me faire du mal, c’était hors de question.

Alors que Kacey, de son côté, s’était produite sur des scènes plus petites précédemment, moi, je n’avais pas connu ce monde jusqu’à aujourd’hui. Difficile à croire, mais nous avions été rapidement propulsés vers quelque chose de plus grand, énorme même. Et maintenant, je ne me déplaisais pas sur cette scène, bien que je me doutais que ce ne soit pas pareil que ce que mon amie avait pu vivre. Jugeant que j’étais bien mal placé pour comparer de quelconque façon, je choisis de ne rien dire, laissant la discussion se poursuivre jusqu’à ce que Kacey me propose de prendre un autre verre, puisqu’elle comptait faire la même chose. Et soudainement, je me retrouvai un peu perturbé. Non pas parce que je me devrais de lui dire que je ne buvais pas - je supposais qu’elle l’avait compris, au vu de tout ce que je lui avais raconté sur ma consommation passée - mais bien parce que je me rendis compte que je n’avais aucune idée de l’heure qu’il était. Et comme je le redoutai, le temps avait passé terriblement vite, et prendre un second verre allait signifier que j’allais rentrer en retard pour retrouver ma fille, mais surtout lui préparer un repas et tout ce dont elle avait besoin. Ne voulant pas être malpoli pour autant, je décidai de continuer à parler, répondant à la question de mon amie de longue date. Je gardai ma réponse courte toutefois, lui disant juste:  « Non, tant que je reste raisonnable. » Je ne parvins pas à lui dire tout de suite, même si ç’aurait été la chose la plus normale à faire, que j’allais décliner sa proposition de prendre un autre verre, parce qu’elle me devança, avec une autre question, plus vague, quoique similaire à ce qu’elle m’avait demandé précédemment. N’ayant pas de réponse plus précise que plus tôt, j’haussai les épaules, et je dis:  « On verra bien. » Bien sûr que j’aurais pu lui raconter encore que je pensais que retourner potentiellement au lycée pourrait m’ouvrir de nouveaux horizons, mais le temps pressait, et je ne pouvais pas retarder mon départ de trop. Trouvant le courage, je dis:  « Je suis désolée, il va falloir que j’y aille. Je dois aller retrouver ma fille. » Sur ces mots, je me levai, n’ayant clairement pas l’intention de partir comme un voleur. Je n’étais pas, ou du moins plus comme ça, quand même. Je saluai mon amie une dernière fois, ne manquant pas d’ajouter à mes gestes:  « J’espère qu’on se reverra bientôt. » Et je lui disais en toute sincérité. Évidemment, la voir avait été une surprise, mais au final, j’étais content, et j’espérais vraiment que nous pourrions nous revoir, que ce soit ici ou ailleurs. Et un air satisfait au visage, je quittai les lieux afin de prendre la direction de mon appartement, espérant arriver à temps.