are you gonna strip here or ? + gabriel

La journée avait été longue, beaucoup trop longue. Les urgences s’étaient succédées à toute allure et elle n’avait toujours pas eu l’occasion d’avaler un café en vitesse ou encore de s’asseoir quelques minutes. Ses jambes commençaient à être douloureuses, après de longues heures à rester debout et les cernes ornant ses yeux en disaient beaucoup sur son état de fatigue. A l’heure de prendre une pause pour une sandwich salvateur, elle avait encore du reporter pour gérer une urgence grave. Blessure par balle. Ce n’était pas son lot quotidien mais loin d’être la première fois qu’elle était confrontée à ce genre de cas. C’est dans ces moments-là où elle regrettait les consultations de toutes ces personnes inquiètes pour une petite toux ou pour une migraine. Lia renfile sa blouse, accrochant le bipper à son pantalon à la va-vite pour reprendre sa course effrénée dans les couloirs. Le bruit est toujours assourdissant entre ces murs et pourtant, c’est par choix qu’elle est ici. Un choix qui lui fend parfois le cœur, surtout quand le brancard de l’ambulance arrive avec un gamin de quinze ans, le visage en sang et le pouls faible. « Qu’est-ce qu’on a ? » Le pas rapide, elle suit les ambulanciers jusqu’à une salle de soins, faisant geste à toute personne dans leur chemin de dégager. « Garçon de 15 ans, blessure par balle et a chuté du deuxième étage. Glasgow à 8. Artère brachiale touchée. Multiples fractures. Hypotension persistante après 2 litres de solution saline à 130. » Son cœur se serre mais il faut garder son sang froid, comme toujours. Elle ne peut s’empêcher de penser, pendant une très courte seconde, qu’il est le fils de quelqu’un, que ça pourrait être le sien, dans une dizaine d’années. Ce n’est qu’un enfant, il n’aurait jamais dû se trouver dans cette situation. Le professionnalisme reprend le dessus alors qu’elle pousse la porte de la salle, s’affairant tant bien que mal dans l’espace réduit. « Il me faut 4 unités de sang ASAP. On le transfère. Bippez Jones et trouvez-moi un interne. » Elle attrape un bord de la civière, comme tout le monde, faisant glisser l’enfant à peine conscient sur le plan des urgences. Elle jette un coup d’œil à son visage, repérant ses yeux qui qui battent faiblement. « Hey mon grand. Comment tu t’appelles ? Tu peux me le dire ? » Il chuchote son prénom, un Max rauque et à peine audible. « Max, très bien. Je m’appelle Amélia et tu es un garçon très courageux okay ? Tout va bien se passer. » Elle lui adresse un sourire, passant une main sur ses cheveux ébouriffés dans un geste maternel avant de reprendre les soins.

Le chirurgien pédiatrique avait finalement pris le relais et elle avait quitté la pièce un peu sonnée, avec un mal de crâne lancinant. « Docteur Jefferson ? La mère du petit vient d’arriver, ainsi que la police. Ils veulent vous parler. » « J’arrive dans une minute d’accord ? » Elle marche rapidement jusqu’à la réserve, s’isolant quelques minutes dans le noir le plus complet. Trente secondes plus tard et elle en ressort, essuyant rapidement ses yeux humides du revers de sa blouse pour se diriger vers le hall. Mais le médecin s’arrête soudainement, fronçant les sourcils en dévisageant les deux officiers de police discutant avec la mère en larmes. Elle attrape un interne par la manche pour l’éloigner de quelques mètres. « C’est une blague ? Je n’ai pas le temps pour ça. Où sont les vrais officiers de police dont tu me parlais ? » « Ils discutent avec la mère du garçon là-bas. » Elle suit la direction qu’il lui pointe, étouffant un rire nerveux en se pinçant les lèvres. Elle reconnaissait parfaitement l’un d’entre eux, mais pas pour avoir contrôlé ses papiers. Elle se rappelait surtout qu’il avait arraché son pantalon avant de se frotter à une de ses amies pendant son enterrement de vie de jeune fille. Ce genre de situation la mettait particulièrement mal à l’aise mais elle ne se serait jamais imaginée de recroiser le strip-teaser ici, dans ces circonstances. La fatigue, le stress, la faim et la soif ne font qu’augmenter ses difficultés à contrôler le fou rire qui la guette. Ce n’est pas le moment ni l’endroit. « Ecoute, ces types ne sont pas de vrais flics okay ? Tu peux me croire là-dessus. » « Leurs plaques semblaient réelles pourtant. » L’interne hausse des épaules avant de reprendre son chemin, la laissant seule face à l’incompréhension la plus totale. Elle tente de reprendre son sérieux. Il y a plus urgent à gérer, comme cette mère en larmes. « Messieurs. Madame. Je suis le docteur Jefferson. Je me suis occupée de votre fils à son arrivée aux urgences. » La mère étouffe un nouveau sanglot et Lia ne peut s’empêcher de l’attirer à l’écart en s’excusant auprès des officiers de police. Après une brève discussion, elle finit par la confier à une infirmière, rejoignant le comptoir de l’accueil. Le policier est seul à présent, alors que son collègue semble avoir encore quelques questions à poser à la mère. Et bien évidemment, il faut que ce soit celui qu’elle a déjà vu pratiquement nu. Elle serre à nouveau les lèvres, pour s’empêcher de partir en fou rire. Mais en vain et il n’y a pas plus gênant que de rire de la sorte devant un policier après une telle tragédie. « Je suis vraiment désolée. La fatigue, la journée a été très longue. Je vous écoute. » Mais elle repart de plus belle en fou rire, se contrôlant difficilement. « Excusez-moi. C’est absolument non professionnel. C’est que … je crois que je vous ai déjà rencontré. Pas dans l’exercice de vos fonctions. Enfin, ce n’était pas les mêmes fonctions. Désolée. Je peux vous offrir quelque chose à boire ? La salle de repos sera plus discrète pour parler de l’affaire. » Elle respire profondément avant de lui indiquer la direction de la pièce. Elle aurait bien besoin d’un bon café pour retrouver définitivement son calme.

C’était une situation inhabituelle. Et ça ce n’était rien de le dire. Il fallait à ses amies beaucoup de détermination pour réussir à la traîner dans ce genre de soirée, l’argument enterrement de vie de jeune fille ne faisant que la freiner un peu plus. Et bien évidemment, la seule soirée qu’elle acceptait de partager avec elles la menait à se retrouver nez à nez avec le strip teaseur qui avait fait un show à la future mariée. Le destin avait parfois un drôle de sens de l’humour. Elle mène le policier vers la salle de pause déserte, comme bien souvent dans ce service. Les moments de répit sont rares et sûrement qu’en dehors de ce cas particulier, elle se serait contentée d’avaler un café et un Mars à la va vite, derrière le comptoir de l’accueil. La médecin prend quelques secondes pour servir deux cafés plutôt médiocre, un peu tiède et lui tend une des tasses personnalisées que lui a réalisé Tom, portant la mention multicolore « Best Mom Ever », de son écriture maladroite, en gardant une autre sur laquelle est inscrit « I Love My Mom ». Ce genre de cadeau la touche particulièrement et son fils l’a très bien compris, parce qu’ils peuvent l’accompagner à tout moment de la journée, pour peu qu’elle ait le temps de se faire couler un peu de café. La brune grimace un peu en buvant une gorgée avant d’ajouter un sucre et d’en proposer au policier. Elle sourit avant de secouer la tête. « Ne soyez pas gêné. Nous sommes des adultes, on peut faire avec. Même si je dois bien avouer que ça n’arrive pas tous les jours. Et vous étiez très bien. » Et puis ça restait drôle, et c’était l’essentiel. D’ailleurs elle rigole en avalant une nouvelle gorgée de café, cachant son large sourire derrière sa tasse.

Elle laisse passer quelques secondes, en profitant pour s’asseoir sur une chaise et lui en désigner une autre. « Enfin bref. Ca ne me dérangerait pas de parler de vos talents hors du service mais il y a plus urgent j’en ai peur. » Ces traits retrouvent leur sérieux alors qu’elle fait tourner le liquide dans le fond de sa tasse. Cette histoire de tir sur un gamin la remuait, en tant que mère bien sûr mais aussi en tant qu’être humain, tout simplement. « Vous étiez là quand ça s’est passé ? Quelle histoire quand même … Ce n’est qu’un enfant. » Son regard se perd un instant par la fenêtre avant de reporter son attention sur le policier, lui adressant un sourire fatigué. « Mais ce qui m’inquiète vraiment c’est que beaucoup de ses blessures sont plus anciennes. Y a des fractures qui ont été mal soignées, et des bleus qui sont bien trop vieux que pour dater de la chute. Les hématomes n’auraient pas pu se former si vite. » Elle pousse un long soupir. « On va sûrement être obligé de faire un signalement à la protection de l’enfance. Je déteste faire ça mais on ne peut pas le renvoyer chez lui ou autoriser toutes les visites si un membre de sa famille est un danger pour lui. » Ce genre de situation la retranchait dans une profonde mélancolie, celle de ne pas pouvoir en faire plus que ses compétences de médecin. Elle pouvait reconnaître des blessures plus récentes, la protection de l’enfance pourrait très bien conclure à un gamin turbulent, qui passe son temps à tomber et à se faire des bleus. La médecin adresse un nouveau sourire fatigué au policier. « Enfin, j’espère que je me trompe. Vous aviez des questions à me poser par rapport à son état ? » Elle avale une gorgée de café, grimaçant de plus belle. « Désolée pour le café. On le fait généralement couler le matin en arrivant quand on pense qu’on aura le temps de faire une pause et quand on peut finalement le boire, il est froid et infect. »