La Saint-Valentin, ou plutôt, l’un des jours les plus insignifiants aux yeux de Mila. Le quatorze février n’avait jamais été une date particulière pour elle. La preuve, comme souvent, elle s’était réveillée seule dans des draps froids, avait exécuté la même routine de la douche/toilette/petit-déjeuner avant de se rendre au studio de danse pour y passer la journée à s’entraîner. Aucune petite excitation à l’idée que ce soit la fête des amoureux. Probablement car en vingt-huit ans d’existence, elle n’avait encore jamais fêté ce jour en se pliant aux traditions. Etre en couple n’était pas une situation familière. Elle avait toujours été très lucide sur son train de vie ainsi que sur ses ambitions; il était beaucoup trop compliqué d’entretenir une relation stable avec quelqu’un lorsqu’elle menait cette vie d’artiste. Son indépendance, elle l’avait choisie de son plein gré. Elle le subissait parfois, aussi. Quand elle rentrait chez elle, sans personne pour l’accueillir ou lui lancer un chérie, tu es rentrée! comme dans toutes ces séries américaines clichées. Oh, il ne fallait pas s’y méprendre, il lui arrivait de fréquenter des hommes de temps à autre. Mais Mila finissait toujours par s’échapper, avant que les attentions ne deviennent trop automatiques, avant que l’envie de construire des projets ensemble ne fleurisse. Il n’y en avait qu’un qui avait réussi à se faire une place dans sa vie mais à ce jour, la rancœur demeurait encore trop vive pour qu’elle n’ait le courage de revenir vers lui. Quoiqu’il en soit, après quelques minutes de protestation, la blonde avait accepté de se rendre à ce dîner. Elle ne comprenait pas pourquoi Sophia insistait autant alors que c’était l’occasion pour elle de passer une soirée en tête-à-tête avec Richard, mais puisque son amie était coriace, elle n’avait pas eu d’autre choix que de capituler. Un dîner à quatre, donc. Mila n’était pas née de la dernière pluie, elle voyait clair dans le jeu de ses amis: le quatrième invité serait inévitablement un homme. Et un célibataire. Et elle semblait avoir vu juste car lorsqu’elle donna le nom de la réservation à la serveuse et que cette dernière la conduisit à la table, un homme qu’elle n’avait encore jamais vu y était déjà installé. Seulement, elle n’avait pas prévu de se retrouver toute seule à ses côtés, sans la moindre trace de Richard, ni de Sophia. « Oh, je vois, » lâcha-t-elle d’une voix fluette pour attirer l’attention de son partenaire de la soirée. « Je me disais bien que cette histoire de dîner à quatre était louche. » continua-t-elle d’un ton plaisantin, un sourire remontant les commissures de ses lèvres. Mieux valait en rire qu’en pleurer. Et puis, ce n’était pas si terrible. C’était probablement mieux que de rester enfermée chez elle à ne rien faire. Mila savait s’adapter à toute situation, elle était d’un naturel plutôt sociable et n’avait aucun mal à bien s’entendre avec la plupart des gens. A moins que le feeling ne soit vraiment absent, il n’y avait pas de raisons qu’elle ne passe pas une bonne soirée en compagnie de cet homme. « Mila, enchantée ! » se présenta-t-elle, lui tendant sa main. Elle ne savait pas si lui faire la bise aurait été plus approprié alors dans le doute, elle avait préféré faire au plus simple. Retirant son manteau et son sac, elle s’installa en face de lui, s’empressant de discrètement se saisir de son téléphone pour envoyer un texto assassin à Sophia. « J’espère que vous n’êtes pas trop déçu. Au pire, si je suis trop difficile à supporter, vous pourrez toujours prétendre une urgence familiale. Je comprendrai. » Sa remarque fut accompagnée d’un air mutin, tandis que la serveuse leur donnait les menus. En ce qui la concernait, elle était plutôt contente, finalement. En tout cas, son interlocuteur était loin d’être désagréable à regarder et dans un contexte aussi étrange, c’était déjà un plus.