heart of hearts ✻ avri

 Glamorous, indie rock’n’roll is what I want ✻ Chez eux, les sorties étaient une affaire de groupe. Leur appartement était niché au cœur du quartier de Soho, coincé entre un disquaire et une épicerie. Il y avait juste le nombre de pièces nécessaires pour loger ses cinq occupants. Avri était tombée sur une annonce à l’école. Épinglée au panneau d’information, elle promettait une expérience conviviale et un loyer attractif. Convivial. Il n’y avait pas de meilleur mot pour décrire la vie dans ce qu’ils avaient surnommés "the box". D’autres plus pudiques ou timides auraient sans doute moins apprécié, mais Avri s’était joint à cette petite bande avec aisance. Deux de ses colocataires fréquentaient la même école, et c’est ensemble qu’ils s’entraînaient dans leur petite cuisine, les coudes s’entrechoquant et le rire aux lèvres. Et juste comme ça, elle qui ne connaissait pas une âme sur le continent européen, se construisait une vie hors des Etats-Unis. Étudier, découvrir, profiter. Et profiter, ils le faisaient. C'est sans doute à cette période qu'Avri a appris à tenir son alcool. Loin de sortir tous les soirs, elle et ses amis ne refusaient jamais une invitation à sortir. Dans un environnement saturés par les élèves venus d'ailleurs, sans aucune famille ou attache vers qui se tourner, les fêtes improvisées chez les uns et les autres étaient coutumes. Des pique-nique en guise de brunch à Soho Square, des barbecues maladroits sur un balcon, des soirées "jeux de sociétés" endiablées, ils n'avaient pas le temps d'avoir le mal du pays. C'est à une de ses soirées qu'Avri rencontra pour la première fois un homme qui allait avoir un grand rôle dans sa vie. Elle repéra son accent avant tout. Une mélodie bien de chez elle, avec une certaine intonation qui sentait lourdement la côté Ouest. Elle l'imaginait déjà avant de l'apercevoir. Le Californien dans toute sa splendeur, la parole lourde et les gestes libres. Une petite troupe s'était formée autour de lui. Un nouveau venu, toujours intéressant, mais celui-là semblait les fasciner. Avri s'approcha, comment ne pouvait-elle pas. Il était séduisant, avec l'air de celui qui en a pleinement conscience. Elle compris bien vite au grès des questions qu'il était Chef. Evidemment. Un accomplissement pour ce groupe d'étudiant et de simples commis. Et l'inconnu en jouissait, se nourrissant de leur attention sans vergogne. Avri pris une gorgée de sa bière afin d'éviter de grincer des dents. La suffisance l'exaspérait. Bien vite elle se lassa de lui et de ses admirateurs. « Frimeur » lacha-t-elle avant de s'éloigner. Elle se moquait bien d'être discrète, elle n'avait pas peur de se répéter. L'autre dû l'entendre puisque quelqu'un l'intima de l'ignorer, la traitant de jalouse. Peut-être l'était-elle un peu. Elle l'oublia bien vite après cette soirée et ne s'imaginait pas le revoir. Jusqu'à ce fameux jour. Depuis quelques mois, Avri travaillait en tant que Chef de Partie pour un restaurant de gastronomie française. L'opportunité était belle, l'expérience enrichissante, et la compagnie médiocre. Le monde de la cuisine n'avait jamais été tendre, et Avri savait serrer les dents pour une chance de travailler au côté d'un grand Chef. Le sous-chef, cependant. Il l'a rendait dingue. Toujours à la remettre en questions, des paroles acides et sexistes aux lèvres, de quoi lui faire péter un câble. C'est ce qu'elle avait tenté d'éviter en sortant pour une pause cigarette dont elle n'avait pas l'usage. « Mais quel connard!! » explosa-t-elle une fois libre de toute contenance face à sa hiérarchie. Elle avait dix minutes pour se remettre d'aplomb et y retourner, mais elle n'était pas seule. « Eh c'est pas juste, j'ai encore rien dit » résonna une voix derrière elle. Avri fit volte face, surprise et agacée, et se stoppa. C'était lui, et Avri fut un instant agacée de se souvenir parfaitement de qui il était. Elle secoua la tête, un rire ahuri et amer aux lèvres. « Cette journée s'améliore de secondes en secondes » maugréa-t-elle. « Qu'est ce que tu veux? » enchaîna-t-elle, les mains sur les hanches. Elle n'était pas d'humeur. « Je te retourne la question », et sur cette réponse qu'elle trouva insupportable sur le moment, sa carrière venait de naître.

This is the world that we live in, I feel myself get tired ✻ Dans son rêve, elle se revoyait basculer. Une reddition, puis un moment de paix. Une paupière qui se ferme, un geste innocent qu’elle avait souhaité éphémère. Juste assez. L’adrénaline l’avait réveillé bien vite, puis le choc de la carrosserie contre la terre, la douleur vive d’un os qui se brise. Avri n’avait jamais eu peur derrière un volant. Son père lui avait appris à conduire dans les parkings déserts le dimanche, bien avant l’âge de ses 16 ans, et c’est avec excitation qu’elle avait empochée sa première paire de clés. Presque dix ans plus tard, elle était terrorisée. On oublie parfois, comment une seconde peut transformer le banal en cauchemar. Avri se revoyait tomber, une vulgaire poupée de chiffon face à la gravité et la vitesse. Mais dans ses rêves, elle ne s’arrêtait pas sur le bas-côté. Elle dévalait, encore et encore ; une chute interminable pendant laquelle son cri se distinguait à peine face au crissement du métal. Parfois, elle tournait la tête et sa mère se trouvait là, assise sur le siège passager à lui murmurer que tout allait bien se passer. L’agonie de la chose suffisait à la réveiller. C’était le matin de Noël. Avri pouvait entendre les petits pas précipités de ses neveux et nièces dans le couloir. Il faut réveiller Auntie Avri, qu’ils chuchotaient. Laissez là dormir un peu, leur répondait leurs parents. Ils l’a prenaient tous avec des pincettes depuis l’accident, comme si le plâtre à son poignet et la cicatrice derrière son oreille faisaient d’elle une infirme. Avri n’était pas étrangère à la douleur. Son métier n’était qu’une série de coupure et de brûlure, à se cogner la hanche contre le plan de travail et s’user les articulations. Mais Avri comprenait leur prudence. Elle revenait tout juste de l’hôpital après tout, et puis, c’était Noël. Alors elle enfila un sweatshirt par-dessus son pyjama et alla les rejoindre. Le bruit de ses pas dans l’escalier provoqua l’hystérie des enfants : maintenant que tout le monde était là, ils pouvaient ouvrir les cadeaux. Avri fut vite prise dans l’effervescence de la chose et, peu à peu, la morosité de son rêve s’estompa. Une heure après elle était même d'excellente humeur, pétillante et bruyante. Elle avait rassemblé ses cadeaux qu'elle avait abandonné en une pile au bout de son lit, et après un passage par la douche, elle redescendait dans la cuisine. Quelqu'un avait réclamé des cookies et tous les regards s'étaient tournés vers elle. Elle leva sa main plâtrée mais ça ne sembla émouvoir personne. Avri leva les yeux au ciel, bon enfant, et s'empressa d'aller sortir les ingrédients nécessaires. Elle avait déjà les mains dans la pâte quand son père se glissa à ses côtés pour l'aider. « C'est bon de t'avoir à la maison » dit-il après un moment de silence. Avri hocha la tête, à la fois honteuse et remontée. Elle savait que son père ne cherchait pas à la culpabiliser, mais elle ne pouvait s'empêcher de le prendre de la sorte. Elle se demandait si une partie de lui était content qu'elle se soit blessée, s'il s'imaginait que ça allait prolonger son séjour parmi eux. Ce n'est pas comme si ses frères vivaient toujours en ville également. Ils étaient tous partis vivre leur propre vie. « Tu sais que je dois retourner à Los Angeles, hein papa? » demanda-t-elle gentiment en percutant son épaule à la sienne. Il lui répondit d'un sourire à la fois tendre et résigné, comme s'il se trouvait bête d'avoir pu un instant penser le contraire.  « Vous devriez venir me voir plus souvent » proposa-t-elle avant de glisser une pépite de chocolat dans sa bouche.  « Oh, tu nous paye l'avion, Av? » demanda soudainement Miles, son frère aîné. Il était avocat et n'avait certainement pas à rougir du contenu de son porte-feuille. « Je mettrais ça sur la note de mon boss » plaisanta-t-elle. Et juste comme ça, la conversation pris une tournure plus légère. Ils partagèrent les cookies dans le salon, un chocolat chaud à la main. Assise à même le sol, Avri s'autorisa un moment de mélancolie. Son regard balaya la pièce. La photo de sa mère posée sur la cheminée, la poterie que ses frères et elle avaient cassé et réparé grossièrement à coup de super glue, les pantoufles trouées dont son père ne souhaitait pas se débarrasser. Et dans un terrible instant, elle s'autorisa à manquer ce qu'elle avait sous les yeux. Elle allait profiter du temps passé en leur compagnie, avant de retourner à la vie qu'elle avait construit pour elle. Une vie qui allait encore changer dans les années à venir. D'une auto-médication douteuse, à une montée en grade, à un nouveau projet ambitieux dans la capitale. Avri Haller savait garder son cœur et son emploi du temps plein.