(peer) # for real

LA PEUR comme frein et comme moteur. la peur des autres, la peur de soi. la peur qu'on regrette et qu'on envie parfois. la peur comme raison d'être, celle qui prend aux tripes et qui vous pousse à soulever des montagnes ou à vous laisser écraser par le poids des choses. la peur depuis l'enfance, comme une marque de fabrique. celle qui prive de nos sens et qui pousse à la déraison. il a peur le gamin, de son ombre, parce que c'est bien la seule chose qu'il lui reste de son passé, qui le poursuit dans les bas-fonds, dans les plus sombres quartiers. une angoisse perpétuelle pour tout et pour rien qui le pousse à faire de grandes-choses, qui le pousse à être imprévisible, incroyable. lui qui est capable de se jeter sous un bus pour sauver une vieille dame, mais lui qui n'est pas foutu d'aller chercher une boisson dans la pièce d'à côté lorsque le noir est complet. la peur omniprésente, difficile à gérer, de la foule trop dense, mais de la solitude, aussi. la peur d'être rabaissé, dénigré, agressé, verbalement surtout. le mental aussi fragile que celui d'un enfant, alors la nécessité de le protéger.

LE MENSONGE comme un second souffle. l'oxygène qui démange les poumons, qui chatouille la gorge, qui irrite la trachée. les mensonges, qui se déversent par flots dès l'instant où ses lèvres s'entrouvrent. naturellement. spontanément. c'est injustifié, c'est puéril, c'est totalement conscient. les histoires comme seul bouclier contre le monde, la seule défense trouvée pour ne pas avoir à souffrir, pour calmer la peine. ces mensonges qui en un claquement de doigt lui ont fait tout gagner puis tout perdre. enroulé dans ce voile, pour ne pas se sentir mis à nu, vérité dévoilée pour dure encore à porter que la honte d'avoir été surpris en train d'inventer. alors il s'empêtre, il s'emmêle dans la toile de ses bobards, sans plus vraiment chercher à les coordonner. être pris sur le fait n'est plus un problème en soi, il s'en fout, il a depuis longtemps abandonné. les relations humaines ont ce petit arrière-goût de compliqué qu'il ne peut pas gérer. qu'on ne lui a pas appris à gérer, quand son monde s'est écroulé. anormalité portée comme une seconde peau, fierté factice.

LA DOULEUR les muscles douloureux, sans arrêt contractés, sous tension, comme s'ils allaient imploser. la douleur sur les bras aussi, cicatrices anciennes, scarifications portées à même le poignet, parfois dissimulées, le plus souvent assumées. il aime à penser qu'elles appartiennent au passé, mais leur omniprésence est un rappel incessant de ses souffrances morales. celles qui ne marquent pas la chair, mais qu'il ressent l'étrange besoin d'arborer, comme des peintures de guerre. car c'est de cela qu'il s'agit. incarner la peine, la justifier. ne pas basculer dans l'hypocondrie, mais donner corps à la douleur, la laisser nous faire suffoquer. une page qu'il pense tournée, mais qui a été trop cornée. alors, le livre s'ouvre toujours au même endroit. des terreurs, des excès de peur, la nuit surtout. qui entraînent la consommation excessive de somnifères, les insomnies devant la télévision, le besoin de sortir, d'aller courir, de vivre ou de se laisser mourir. peer qui alterne des périodes d'activité dévorante et de longs moments de lassitude, presque violents, où la léthargie est reine. peer, instable dans son mode de vie, comme ces artistes torturés qui ont trop d'ambition pour leur propre santé.

L'IMAGINATION l'ambition de renverser le monde ou de le sauver, l'âme bohème, les idées souvent changées en rêves ou relayées en chimères. mais appréciées, adorées. univers imaginaire dans lequel le gamin évolue. beaucoup d'envies, beaucoup de pulsions, artistiques, créatrices, par l'écriture, le dessin, les acrobaties. par autant de moyens de communications possibles et imaginables. tous et si possible, tous en même temps. l'esprit vif, aux aguets, toujours en action, fascinant tant il est ici et ailleurs, partout à la fois. il est cultivé, le jeune adulte en devenir, pas énormément, juste assez pour se maintenir à flots, la tête hors de l'eau, ne pas se laisser submerger ou impressionner. il essaie de lire, l'esprit ouvert, sans rechigner sur la plupart des sujets. pas tous pourtant. le sport, des résultats qui ne l'intéressent pas; la pornographie, un art qu'il ne comprend pas; la religion, un sujet barbant tellement déconnecté de son monde; la politique, beaucoup trop angoissant. ses pensées agitées font le reste.

LE PÈRE papa, papa, cet anonyme, cet inconnu. papa, il gère une exploitation au texas, un ranch, une ferme. papa, c'est un célèbre homme d'affaire ou peut-être un avocat. papa, il fait de l'aide humanitaire, papa s'est remarié, papa le hait, son gosse adoré. parfois, papa est mort, parfois, il est étranger. souvent, papa, il ne l'a pas connu, ou alors, papa a alzheimer et il l'a oublié. papa a disparu, papa l'attend à l'autre bout du monde. papa est en prison, parce qu'il a tué un homme ou parce qu'il a détourné de l'argent. thème récurrent que celui de l'absence, au milieu des mensonges. papa en somme est beaucoup de choses, mais rarement un héros. toujours ailleurs, bien loin de lui. un visage flou dans l'esprit d'un enfant, les souvenirs qui se perdent dans la mémoire.

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1 le chant, comme échappatoire, comme îlot d'honnêteté épargné par les flots. la voix qui ne ment pas, la voix entière, pleine, tenue, effrontée, sublime, qui s'élève quand on ne l'attend pas. il chante le gamin esseulé, à merveille, mais il n'y a personne pour l'écouter.

2 il parle fort, beaucoup, trop. bavard et agité, des tonnes de choses à dire et tellement peu de temps pour les articuler. l'hyperactivité au bord des lèvres, les mots qui se bousculent. on l'entend de loin, on le voit gesticuler, un pied sur son skate et sur le visage, l'air mutin.

3 un besoin d'être aimé, improbable, violent. le besoin permanent d'être rassuré, d'être vu et remarqué. de se sentir unique, étonnant, fascinant, extraordinaire. le besoin viscéral de ne pas passer inaperçu, de mourir en ayant fait de grandes choses ou de se laisser sombrer devant l'échec. de marquer le monde de son empreinte.

4 traumatisme d'enfant, celui d'un père qui vient le visiter dans sa chambre, lorsque maman s'est endormie devant la télévision. cela n'a pas duré longtemps, dix mois tout au plus, avant qu'il ne parle. retiré à la garde de ses parents, confié à une tante, marraine la bonne fée.

5 le skate, comme moyen de déplacement privilégié. il lui permet d'aller vite, de se faufiler, sur les trottoirs, sur les routes. prise de risques inconsidérés, s'accrocher à l'arrière des voitures et se laisser emmener. ailleurs, quelque part, n'importe où, la vitesse en alliée.

6 cruel sentiment que celui de l'indépendance. la volonté de voler de ses propres ailes, en veillant à ne pas se les brûler. comme le besoin de faire ses preuves, en taguant les murs ou en narguant le soleil. l'envie d'être fort, d'être fier, d'être bien, d'être quelqu'un.

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