I will not be judged by you or society.
I will wear whatever and blow whomever I want as long as I can breathe. And kneel.
L’odeur du soir.
Claque à ses sinus.
La terre mouillée par la pluie tiède.
La poussière sur le cuir des bottes.
Le purin qui sèche au pied des balustrades.
Les arbres bruissent, ramènent comme pour une dernière fois les rumeurs de l’été.
La nuit coule lentement sur l’horizon.
Frôle les herbes hautes, affolées par les derniers rayons d’un soleil ensommeillé.
Par-dessus son chapeau un peu trop grand, l’orange et le violet se déchirent le ciel, éclaboussent les nuages d’ombres et d’étoiles.
Des pick-up aux pneus trop gros grincent de l’autre côté de la prairie.
Un lasso traîne à ses pieds. Une ceinture trop lourde penche sur ses hanches.
Son menton dépasse à peine de le la dernière planche de la barrière où il appuie ses avant-bras.
Sa chemise aux carreaux déchirés, dessine les contours de son dos à la sueur de l’après-midi.
Quelques cheveux mordorés, encore plaqués à ses tempes.
Devant lui.
Le sabot qui cogne, le naseau qui souffle, l’encolure qui luit.
L’œil qui louche, la langue qui dépasse.
Le parfum âcre, intempestif, fauve.
Taureau.
Pas un taureau.
Taureau.
Le plus beau. Le plus grand. Le plus fort.
Et le plus intelligent.
Ils ne lui ont jamais vraiment donné de nom.
Alors c’est Taureau. Son nom.
Toujours là, toujours prêt.
Plus vraiment jeune, pas encore vieux.
La pointe de ses cornes un peu cassée. Son front charnu déjà tout plissé.
A quelques centimètres de la peur, Atlas ne bouge pas.
Il laisse la gueule se frotter contre sa nuque. Les oreilles racler contre ses cheveux.
Déposer sa bave à ses joues, comme des petits bouts de souvenir.
Accroché, aux bords de ses pupilles.
Y’a comme le spectre.
Des jambes de son père. De quand il s’y tenait, fort, fort, fort. Le nez enfuit contre le jersey rapeux. Pour pas tomber devant la mère de Taureau.
Y’a comme les crissements.
D’une balançoire. Qui va casser tôt ou tard. Mais qui va si haut, si haut.
Y’a comme les éclats.
De verre blanc, brun et vert. Encore un peu de mousse, parfois, qui explose en paillette. Quand ils visent et tirent, au-dessus du muret presque effondré.
Des moments. Au goût de rouille, au goût d’essence.
Dernière, là-bas, loin.
Les fenêtres de la maison sont grandes ouvertes.
Les odeurs de tourtes, de poêlées et de melon trop mûr dégoulinent dans l’atmosphère.
Le générique de fin des Super Nanas explose dans le silence. Brusquement interrompu par des commentateurs sportifs.
Accompagnent les échos de sa mère qui beugle d’arriver à table.
- J’dois partir…
Sa voix est toute basse.
Presque cassée.
Il sourit. Un peu.
Caresse l’animal.
Avec une douceur étrange.
Avec un sourire pâle.
Ca pique, ça brûle, ça crisse.
Partout entre ses cils.
Il sait pas pourquoi.
Il a envie de pleurer.
[...]
- M’sieur Love, on fait des progrès !
Un impressionnant A- échoue sur son coin de table.
Le rouge gras qui dégorge un peu sur les carrés bleus.
- Bravo !
Dissertation. La date.
Son nom, qu’il reconnaît à peine, compressé dans la marge.
Thèse. Antithèse. Synthèse.
Las saerts ad las haennnas.
Molaires serrées. Phalanges qui couinent.
Des surosi te les homvnes.
La goutte. Qui glisse la racine des cheveux.
Les tremblements. Qui grésillent contre les nerfs.
Des souris et des hommes.
Il ferme les yeux.
Les lettres paquetées en lignes trop longues.
Tanguent déjà dangereusement, valsent une salsa qui borde ses lèvres de nausées.
Il cligne des paupières. Chasse les syllabes qui s’y sont logées et ricanent trop fort dans son lobe frontal.
Il décoche un sourire presque aveuglant. La permanente de l’enseignante caféinée frémit.
- Merci M’dame ! C’est parc’que j’aime les animaux v’savez ça.
Quelques rires gargarisés accompagnent sa réflexion.
Il n’a pourtant dit que la vérité.
Son regard clair croise son reflet dans les lunettes épaisses qui les surplombent tous.
Il passe une main dans ses cheveux, laisse son biceps s’échapper la manche trop courte de son t-shirt délavé.
Quelques battements de cœur. Une respiration sifflante.
Il laisse son regard décamper.
D’abord à gauche. Où une pompom girl dont il n’a pas pris la peine de retenir le nom. Le gloss baveux, la manucure écaillée, l’eye-liner en péril. Lui adresse un sourire alléché.
Puis vers la droite.
Où un faciès pâle, mordillé par les hormones, se détourne bien vite. Un peu rose, un peu rouge soudain. Ses épaules anguleuses, pointent dans sa chemise trop grande. Ses mains si longues, retiennent ses lunettes trop lourdes. Ses commissures s’étirent, son sourire se fait carnassier.
C’est le p’tit gars.
Il expulse un clin d’œil. Qu’il sait arriver à bon port. Qu’il prétende ne pas l’observer ou non.
Il hésite. Puis lève son pouce, approbateur.
Il mérite bien ça, le p’tit gars.
En jaugeant, ses gestes fébriles, ses semelles couinantes, son dos courbé.
Reviennent à l’esprit.
La pluie fine. Sur l’asphalte du parking.
Le tag égratigné. Sur l’acier puant de la benne à ordure.
La bière et la pisse, qui ruissellent jumelles, le long des gradins.
Les cris, les hurlements bestiaux. Les points qui s’accumulent sous les lumières trop blanches du stade.
Et dans la fureur du vendredi, la nuit toute enfiévrée, ses pas qu’il aligne malhabile pour retourner vers son pick-up.
Envahissent son champ de vision.
Les dos larges. Les rires gras. Les blousons éraflés.
Le bruit mou d’un talon contre une côte. Le bruit humide d’une bière qu’on vide sur un visage.
Les sanglots étranglés. La silhouette prostrée.
Le p’tit gars.
Et pis les rires, toujours les rires.
Qu’il essaye de ne pas reconnaître.
Peine perdue.
Ca sent le vestiaire. Les serviettes qu’on fait claquer sur les fesses gonflées.
Ca sent la fraternité qui ne sert plus à grand-chose.
Qu’à terrifier, qu’à ricaner. Qu’à être lourd quand on marche sur les autres.
Le son de verre cassé. De crâne qui se cogne. De fringue déchirée.
Et pis l’angoisse et la colère. Collent à ses muscles comme de la soie.
Son sang comme du béton. Les tympans tout bourdonnants.
Et pis son poing. Et pis son coude.
Précis. Cabossés. Poisseux.
Il sait pas ce qu’il touche, il veut pas savoir ce qu’il éclate.
Il veut juste. Qu’ils arrêtent de rire.
Et pis c’est le silence.
Et pis c’est le flou.
Un mélange de peau détrempée. De flaque badigeonnée. De main qui agrippe. Qui fourre bizarrement des lunettes sur un nez tremblant.
Et pis le tonnerre qui beugle, là-haut.
Qui couvre presque sa voix quand il lui demande ce qu’il veut.
Dans les lueurs.
Rouges et bleues. De cette presque fin du monde.
Son corp plein de lignes droites. Tordu comme une feuille morte.
Presque translucide. Presque plus là.
Du dos de la main. De la pulpe du pouce.
Le long de sa mâchoire, il dépose une caresse.
Avec une douceur étrange.
Avec un sourire pâle.
J’veux un A. Qu’il lui baragouine.
Pour pas dire autre chose.
Il croise pas son regard. Hausse ses épaules carrés.
A fourré ses poings dans les poches de son jeans. Déjà parti, en quelque sorte.
Alors que la mémoire se dissipe.
Crépite comme les néons d’un dinner qui n’en a que trop vu.
Il voit le bout de crâne presque dégarni qui s’éloigne vers le tableau d’un noir poussiéreux.
Elle a bien du comprendre.
Cette prof si grise.
Que c’est pas comme ça.
Qu’il pense. Qu’il exprime. Qu’il écrit.
D’habitude.
Elle a bien du voir.
Les lettres plus droites, les fautes disparues, les virgules mieux placées.
Alors.
Pourquoi.
Elle dit rien.
Elle le note.
Elle le félicite.
Il sait pas.
Il saura pas.
On s’en fout.
Non ?
[...]
La main dans les cheveux.
La main dans les cheveux.Le cerne qui traîne au sol.
Expiration.Inspiration.
Des mois de voyage.
Des mois de préparation.
Collent à ses semelles.Comme un chewing-gum qu’on ne prend plus la peine de gratter.
Droite.Gauche.
Traverse la rue.
Traverse la scène.Les flashs des voitures. Surexcitent les frissons. Qui mordillent sa nuque.
Les flashs des spotlights. Sur sa peau poudrée. La lumière percute. Juste les bons endroits. Les tremblements de plaisir. Electrisent ses traits. Les taxis qui le frôlent. Trop vite pour avoir peur. Une forêt de majeurs dressés. Vers un ciel sans étoile.
Le menton fier. La pose altière. Les mains qui se tendent. Vers son costume satiné. Vers ses chaussures bien cirées. Vers les boutons en souffrance, maltraités par ses pectoraux proéminents. Tout ça. Tout lui. Inaccessible. Adorable. Adoré. Les livreurs graisseux qui l’insultent. Le scooter déjà évaporé dans un nuage qui griffe sa gorge.
Les acclamations, les poings levés. La couronne. Qu’on dépose sur ses cheveux gommés. Ca ne peut pas. Être du toc. Être du faux. Puisque ça brille. Ca brille tant. Il rentre la tête. Baisse les épaules. Dans le bomber du lycée. Les couleurs passées. Le numéro un, forcément, miroite encore un peu. Entre ses omoplates. Lambeau mordoré de souvenirs si doux.
L’écharpe ensuite. Soyeuse, officielle, légitime. Des paillettes qui s’accrochent à ses cils. Lui extirperait presque des larmes. Des fossettes plein les joues. Un bras si maigre qu’on emboîte à son coude. Un parfum de roses bon marché. Qu’il inspire à plein poumon. Un post-it froissé au fond de la poche.
L’adresse.
Le sourire. Eblouissant. Epatant. Ecrasant. De sa mère. Au fond de la salle.Pas besoin de relire. Pour une fois.
Il connait le discours. L’ordre des mercis. La ponctuation, la respiration. Les pauses qui feront rire. Les regards qui feront pleurer.Gravée à même les méninges.
Gravés à même les méninges.Il tremble. Un peu.
Il tremble. Un peu.Comme si sa vie en dépendait.
Comme si sa vie en dépendait. Puisque c’est, en quelque sorte, le cas. Puisque c’est, en quelque sorte, le cas.
Inspiration.Expiration.
Il pousse la porte crasseuse. Comprend pas vraiment.
Les paupières plissées, les narines retroussées.
Dans le noir et la poussière, il ne distingue pas grand-chose d’autre. Qu’un papier peint au goût douteux et du carrelage cassé.
Mille voix lui parlent. Se chamaillent, se contournent, se superposent. Coagulées les unes aux autres. En louanges d’autant plus flatteuses qu’elles sont incompréhensibles.Il pose un pas dans le corridor étroit. Avec la sensation. Si étrange et si fade. Se sentir ses rêves glisser en un frisson. Vertèbre après vertèbre. S’effondrer sur le bitume. Comme un ciré qu’on ne ramassera pas.
Cinq cent paires de mains. Se pressent aux siennes. Emmêlent leurs doigts à son destin. Il hésite. Veut faire demi-tour. La porte s’est refermée.
On lui glisse à même la paume. Où sont-ils ?
Des cartes.Le grand studio ?
Des numéros. Le photographe renommé ?
Des grands noms.L’agence internationale ?
Des contrats juteux.Les gens qu’il « doit absolument rencontrer » ?
Des propositions incroyables.Il fait quelques pas. Cherche un interrupteur.
Un molosse émerge d’une porte grinçante, recouverte de ténèbres.
Des rythmes lancinants de basse tonnent dans l’atmosphère. Un silence gluant revient quand elle se claque derrière l’ogre.
Bajoues tremblantes sous une barbe mal taillée, chaîne en or calée dans les replis de son cou. T-shirt trop petit. Baskets trop grandes.
Il se fige. Bégaie des politesses. Balbutie un sourire.
On s’approche, l’observe, le renifle.
Il articule son nom. Sort les mains, pâles, de ses poches.
- Okay. Beauté.
On sourit. Sans joie. Mais avec dents en or.
Il ne sursaute pas. Mais presque.
On lui fourre.
Un string doré entre les doigts. Une claque sur la fesse droite.
- Bouge.
Un index boudiné. Désigne la porte du fond.
Les rythmes graves et l’inconnu.
Le futur.
Un futur.
Une pause.
Un instant.
Il déglutit.
Serre les poings.
Il bouge.
[...]
Les rideaux de coton froissés par la brise.
Les lueurs du matin flottent paresseusement au plafond.
Une mouche bourdonne paisiblement contre la vitre insurmontable de la porte-fenêtre.
Au sol.
Un drap blanc. Humide de sueur.
Des odeurs. Acre et fauves.
De sel et de cheveux.
Malmenées par le courant d’air frais.
Les braillements d’Olivia-Newton John les ont réveillés. Couinent encore contre les murs.
Une mixture rose protéinée trône sur la table de nuit.
Son corps velu dressé devant le miroir. La nudité brisée par une chemise en soie aux motifs hideux.
Versace. Vintage. De toute évidence.
- Faut fermer jusqu’au col !
Lait fraise sur la coiffeuse.
Fausses taches de rousseur.
Une french impeccable aux ongles.
- Euh… alors… déjà… j’ai
inventé les deux boutons laissés ouverts. Ensuite, hein, ta gueule.
Il lève ses yeux badigeonnés de correcteur au ciel.
- Okay
Karl mais la mode c’est…
- Ta gu…
Le reste des syllabes, passent de ses lèvres au sienne.
Leur étreinte.
Sens le shampoing et la poussière. La fragrance étrange de fripe. Que deux machines n’auront pas suffi à décoller de la soie.
Une langue joueuse. Effleure les dents.
Récolte le menthol et un sourire outré.
- Pourquoi faut toujours que tu gagnes ?
Leurs octaves. Restent suspendus dans l’air. Contre-ténor et basse. Se mélangent comme on s’enlacent. Imbriqués avec une douceur pleine et charnelle.
Il agite ses fesses malicieusement dans sa direction, en guise de seule réponse. Il aurait pu faire l’hélicoptère. Mais il fallait bien une variété dans le vocabulaire d’un couple. L’autre mordille sa lèvre inférieure avec un sifflement désorienté, mais se détourne bien vite vers son miroir.
Atlas contourne le lit, fonce droit sur la commode pour récupérer de quoi maintenir à l’abris son pénis jusqu’alors un peu trop libre.
- Attention, entre pas dans le cadre, hein !
- Quoi ?
- Ma vidéo.
Un caleçon dont il était en train de jauger de l’élastique fatigué dans une main, une unique chaussette à broderies de père noël dans l’autre, le blond tourne lentement sa silhouette massive vers la créature élancée, tranquillement pelotonnée à l’autre bout de la pièce.
Se décalant vers la droite, le sportif note, enfin, le téléphone mystérieusement attaché au miroir de la coiffeuse et le teint surnaturellement sans défaut de sa conquête.
- Pause.
- Ah non ! J’ai presque plus d’batterie.
- Mais ils vont nous entendre… J’veux dire… On… parle… là… Non ? Si ? Non ?
- Pas de stress, bébé. C’est une vid’ pour ma story insta’. Ca s’ra un édit’ accéléré avec la dernière de SOPHIE en soundtrack, carrément super dope. Avec ça, j’passe aux cinquante k sûr. J’suis moodé, ça me hype trop.
Les yeux déjà ronds d’Atlas. Sont dangereusement prêts à être éjectés de leurs orbites.
Un pinceau terriblement inquisiteur époussète un surplus d’highlighter dans sa direction.
- O.m.g. Tu.
Sourire répété à l’objectif.
Pommette de sortie. Poudre précisément déposée.
Les derniers mots compressés entre les commissures.
- Es. Si. Vieux !
Enfilant son sous-vêtement en grimaçant, il gronde.
- Même pas ! C’est pas pa’ce que j’comprends rien qu’je…
- Si.
Silence.
- Bon ouais, okay. T’as raison.
Il émet un geignement appréciateur. Ses capacités d’articulation particulièrement limitée par l’application d’un rouge à lèvre liquide d’une épaisseur sinistre.
Frottant ses joues, déjà rugueuse d’une ombre de cinq heures, du dos de la main, Atlas s’approche de la bête électronique, méfiant.
- A’en’ion au ‘a’g’re ‘ai ‘g’it.
- Ouais… ouais… explique-moi ton truc… c’est pour ton blog ou quoi ?
- O’ ‘ei’n’i’eur tais-toi ‘itié
- Non mais… sérieux… tu parlais d’cinquante cas ? C’est quoi ? Tes amis ?
Un bruit écoeurant alors qu’il claque ses lèvres colorées l’une contre l’autre.
Puis une moue suggestive.
- Amore mio. Cinquante k. K. La lettre.
- Tu sais que ça veut strictement rien dire pour moi ?
- Oh.
Il rougit un peu. Il dira que c’est son blush.
Mais Atlas, lui, sait.
Il trouve ça mignon. Il a une brusque envie de lui sauter dessus. De ruiner cette bouche si parfaitement dessinée. A grand baisers presque mordus.
- Vrai. Cinquante k. Cinquante milles, si tu préfères. Mes followers. Tire pas cette gueule, c’est rien.
- Rien ? C’est la taille d’un…
- D’un stade. Ouais. C’est ridicule de nos jours.
Il étire le mascara avec amertume.
- Surtout après six mois. J’ai eu à peine un partenariat, t’sais. Mais bon. J’reste. J’ai qu’ça à faire.
La langue du Love claque contre son palais.
- Mais c’est… énorme ! C’est… en … même pas un an ?!
Il lève un sourcil parfaitement épilé.
- Tu pourrais en gagner carrément plus sur youtube avec un corps pareil, t’sais ?
- Hein ?
Hochement de tête. A peine perceptible. Alors qu’il pose avec ses bras tordus bizarrement en conclusion de son look.
- Bah ouais.
Ah.
Ouais.
[...]
Les traits.
Crispés.
D’effort et de concentration.
Les muscles qui vibrent.
Les nerfs qui palpitent.
A chaque mouvement.
Appris, coordonnés, répétés.
Encore et encore.
Les notes de violoncelle.
Qui tombent et montent et claquent et voltigent.
Les lèvres entrouvertes.
Le dos arqué.
Les silhouettes.
Découpées dans les ombres.
Déroulent la chorégraphie.
Poésie intense.
Fièvre de la perfection.
Bientôt.
Bientôt.
Bientôt.
- Vas-y Becky vas-y ! Tu le veux ton cul de rêve ! Plus haut le bassin, plus haut !
Dans cet opéra grotesque.
Ce ballet survolté.
Où chaque gramme, chaque calorie.
Se décompte comme une victoire.
Comme un raison de vivre.
Il est le chef d’orchestre.
Les mains se tapent.
Les quadriceps se contractent.
Les cordes vocales s’étirent.
- Allez les filles, allez !
Elles répondent.
Un cri de cœur, un cri de tripe.
Des rugissements semblables aux siens.
Ca lui ferait presque peur.
La fougue qu’une trentenaire peut mettre dans sa traque au bourrelet.
La hargne dans les sourcils. Les feulements au bord des lèvres.
C’est pour ça qu’il ne reprend que rarement la classe de cycling.
Un dépannage toujours divertissant.
Mais à ne pas réitérer trop régulièrement sous peine de se retrouver avec la tête arrachée sans échauffement par Brigitte, quarante-deux ans, trois enfants, hôte du plus gros club d’échange et collection de tupperware de Columbia.
La frénésie écume aux gencives.
Alors que sa sélection très russe explose en intenses envolées mélodramatiques.
L’atmosphère électrisée.
Les joues flushées à l’extrême.
Il passe un sourire ravi au premier plan de la petite camera qu’il vient d’extirper de la poche de son short rose ridiculement serré. Puis dévoile à l’objectif la petite armée démente.
- On dit bonjour au vlog !
Ca s’égosillent.
Ca crachotent.
Jusqu’à ce que les grognements s’essoufflent.
Les carotides prêtent à exploser.
A peine quelques gouttes absorbées par son bandeau en tissu éponge violet.
- Trois, deux et… On respire ! C’est… fini ! Ouais, parfait… Voilà… Tranquillement… Hop, hop, hop si on veut tomber dans les pommes c’est dans le couloir, s’il vous plait ! Respectez le matériel…
Clin d’œil à l’assemblée.
Il s’écarte de son engin d’un bon.
Ses cuisses comme deux troncs d’arbre qu’il agite paresseusement.
- Allez, on s’applaudit, les filles !, on s’applaudit ! Je suis : fier de vous. Vous êtes… ?
- Fières de nous !
Le concert est faiblard.
Le vibrato réticent.
Le falsetto accusateur.
Il les adore.
Quelques pas assurés sur le parquet éraflé.
Les jambes écartées par une démarche de propriétaire.
- Bravo, Letha, on va la dégommer ce bordel de cellulite ! Mais si…
Il se pavane lentement. Tapote des épaules à la volée. Lève des pouces radieux à qui de droit.
Vide entièrement sur son torse une gourde apparue dans sa main.
Des murmures délectés suivent les mouvements.
La camera est déjà à nouveau dégainée.
- Salut les p’tits gars ! Vous avez vu, et vous voyez…
Désignation hilare de sa personne luisante, alors qu’il passe la porte de la salle pour le paradis climatisé du couloir.
- … Ca a été une séance encore bien survoltée… Les filles ont assuré… Trop… fier… Si vous voulez les détails des exercices… Hésitez pas à aller voir mon dernier post IG… Maintenant j’vais aller me chercher un jus avocat-pomme… Epinard si il en reste… Ouais, ouais, ouais… Et une bonne barre…
Avec une aisance étrange, il extirpe un emballage vert sapin des profondeurs de son short pourtant toujours aussi ridiculement court. Il agite la barre devant son faciès, le focus droit sur le logo. Avant de l’embrasser suggestivement.
- … Energax… Pour un max… d’énergie… Ma préférée aux cerises… Ca va bien me r’mettre ça… Hésitez pas à m’dire dans les commentaires… Quel snack vous prenez après votre entraînement… Oh bah ! R’gardez qui est là !
Braque l’objectif vers l’autre bout du couloir.
Adossée à un distributeur.
La silhouette athlétique. Reptilienne. Cuivrée.
Le regard vibrant. L’attitude voluptueuse.
L’évidence.
Maureen.
A ses côtés. Toute droite.
La présence élégante. Un charisme maîtrisé.
Des traits faits au pinceau. Le sourire en porcelaine.
L’envie de l’étreindre à l’en casser en deux.
La douceur.
Jesabel.
Retour précipité de l’image sur lui.
- Les plus belles… Allez, j’vous laisse… On a des choses à s’dire manifestement…
Clin d’œil aguicheur.
Le point rouge s’éteint.
Il accélère le pas.
Braille, guilleret :
- Alors, on vient pour s’faire torturer ?
Moue amusée vers la plus douce de ses compagnes.
Elle avait le mérite de toujours tenter ses nouvelles formules de cours.
A défaut d’y rester.
‘Bel.
- Ou pour un cours de pole dance, p’t’être ?
Sourcillement vers l’incendiaire latina.
Il pouvait bien se permettre.
Il était lui-même les fessiers en suspension sur une barre lorsqu’ils s’étaient croisés pour la première fois.
Un temps incertain où ils étaient plus jeunes, moins eux. Une époque à l’odeur de tequila qui traîne encore au présent.
Des rires et des coups. La vie à l’ombre des néons.
‘Reen.
En passant prêt d’une énorme poubelle, d’un geste souple, il y jette la barre de céréale.
Infecte.
Agrippe les deux créatures par les coudes, les serre contre lui, bon gré mal gré. Leurs parfums si contradictoires, merveilleusement emmêlés. Il carre la mâchoire, prend son air mutin de conspirateur.
- J’espère que vous avez ramené les gossips pour le brunch… Faudra que ça me tienne au moins trois burgers… J’ai une de ces dalles… Pas question d’attendre Dr Frankensex ou la Golden Girl, hein !
Il est peut-être fidèle à son carré de dames.
Mais il ne faut pas abuser.
Les priorités.